Appel à contribution-n°16-2024-Relations familiales

Revue Tropics
Numéro à paraître au 2e semestre 2024
Relations de famille et nouvelles configurations familiales dans les littératures francophones du 21
e siècle

Marc Arino et Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo

Les littératures francophones accordent une large place à la représentation des rapports intrafamiliaux or ceux-ci ont souvent été analysés dans des contributions individuelles, dans des ouvrages ou des numéros de revues dédiés, qui mêlent parfois littératures françaises et francophones. Ce numéro de TrOPICS entend poursuivre l’effort de compilation entamé par l’ouvrage Relations familiales dans les littératures française et francophones des 20e et 21e siècle1, en recentrant les aires géographiques sur les mondes francophones, hors métropole française, et en se concentrant sur le 21e siècle.

La prise en considération de l’extrême modernité et des mutations qu’elle impose aux sujets et aux sociétés nous conduit à voir en quoi la notion de famille peut être repensée et redéfinie en contexte postcolonial, migratoire et dans des littératures qui mettent en scène la diversité de leurs modèles socio-affectifs et de leurs organisations culturelles. Qu’est-ce qu’une famille dans les littératures de ce début du 21e siècle ?

Parmi les sujets que nous souhaiterions aborder, il s’agirait de voir comment les relations entre le père ou la mère et les enfants ont évolué depuis le 20e siècle et le début du 21e : existe-t-il une prise de liberté précoce ou au contraire, les crises du 21e siècle (conflits armés, crise financière mondiale de 2007-2008, crise écologique, confinements…) ont-elles amorcé un repli sur la famille, malgré les violences qu’elle peut exercer ? Les conflits intergénérationnels se sont-ils apaisés ou au contraire exacerbés ? La famille permet-elle encore la transmission de valeurs liées à la langue, la religion ou l’ancrage géographique ou bien existe-t-il une véritable rupture avec elle de la part des plus jeunes ?

Les auteur.es contribuent-ils.elles à rejeter  « l’image traditionnelle de la femme à laquelle la maternité était accouplée », voire à « propag[er] plutôt une conception sexuelle libertine2 » ? Ou bien la condition des femmes, ou de manière générale, de toutes celles ou ceux qui sont considérés comme transgressant les normes familiales et/ou sexuelles, est-elle montrée comme en régression ?

Pour reprendre une partie du texte de présentation du numéro de la revue Ipotesi consacrée aux « Liens de familles dans la littérature, 1950-20103 », peut-on toujours constater que l’univers familial est « la plupart du temps marqué par des recompositions chaotiques, des fractures entre générations, [et] recèle des secrets douloureux, plus ou moins bien gardés, qui entravent la prise d’écriture » ou au contraire qui précipitent le passage à l’acte littéraire ? Comment « l’enchevêtrement des mémoires familiales et collectives » s’articule-t-il avec des « formes parfois contrariées de transmission et d’héritage » ? En quoi les « questions liées au genre et à la remise en question des catégories traditionnelles ainsi que l’interrogation sur l’appartenance sociale, ses figements et ses tentatives de dépassement », continuent-ils à être au cœur des liens de famille ?

Si l’accent a souvent été mis sur l’écrasante présence des mères et sur la relation mère-fille4, selon Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael, « l’approche psychanalytique [étant] toujours présente au premier plan, [suivie par] des approches sociologiques, culturelles, poético-rhétoriques, interdisciplinaires et pédagogiques5 », ou bien sur la figure soit tyrannique, soit trop absente, des pères (Ching Selao6), il ne faut pas oublier la recomposition des familles au fil des séparations, familles monoparentales ou mariages multiples ; les relations mère-fils ; les relations entre frères, entre sœurs, entre fratries mixtes ; entre parents et enfants homosexuel.les ou « trans » ; les relations avunculaires — en particulier dans certaines organisations sociales matrilinéaires — ou encore entre grands-parents et petits-enfants ; entre enfants adoptés ou bien confiés et parentèle ; entre les nourrices et leurs enfants biologiques ou ceux dont elles ont la charge7, entre couples composés de deux mères ou de deux pères… De même, il faut prendre en considération les relations nouvelles qu’établissent les enfants migrants livrés à eux-mêmes et les familles alternatives qu’ils se reconstituent entre pairs ; la façon dont les « restavek8 » ou autres enfants domestiques voire esclaves établissent des liens avec d’autres familles ; ou bien la manière dont des enfants enlevés à leurs familles, déplacés et adoptés en situation de guerre ou d’inégalités économiques et raciales élaborent des liens fantasmatiques ou réels avec leurs familles biologiques et leurs familles d’accueil… Dans un univers francophone postcolonial aux frontières redéfinies et aux rapports de force rebattus mais dont la violence ne s’efface pas, que deviennent les symboles qu’incarnaient les figures de la Mère et du Père, traditionnellement pensées en termes de pouvoir et de dépendance mais aussi d’impuissance et de faillite ? Si la profonde diversité des espaces francophones empêche tout arasement de leurs différences, ils ont toutefois en commun le fait d’avoir conféré une importante charge politique à la représentation des rôles parentaux, pris entre soumission à l’ordre colonial et domination intrafamiliale surtout pour les pères, ou bien, pour les mères, assujetties à une oppression patriarcale dédoublée, ou encore résistantes et « potomitan » du fragile édifice familial. Est-ce toujours le cas ? « L’oppression [patriarcale] instinctive, intellectuelle et sociale9 » s’est-elle adoucie ou au contraire s’est-elle renforcée ? La multiplication des figures de mères absentes, en fuite, alors que ces manquements caractérisaient majoritairement les pères, est-elle le signe que la dépendance s’est inversée, a cessé d’exister ou bien au contraire est restée en l’état ? Une émancipation des lois familiales apparaît-elle au sein de la représentation littéraire, permettant de redéfinir les normes de genres et les significations du pouvoir, mais aussi d’intégrer « l’Œdipe noir » (Segato), c’est-à-dire de faire émerger au sein du texte littéraire en français des modalités relationnelles étrangères aux normes interprétatives occidentales ?

Mais parle-t-on de la même chose lorsqu’on évoque la notion de famille en fonction des zones francophones que l’on prend en considération ? Comment concilier en effet ce qu’en 1981, dans Le Discours antillais, Édouard Glissant nommait une volonté d’anti-famille, et une anti-généalogie dans les zones postesclavagistes, avec la question du legs, de l’héritage, de la transmission et du lien qu’évoque l’idée de famille dans d’autres imaginaires et univers francophones ? Qui plus est, peut-on encore garder de la famille une définition univoque liée à des relations biologiques — et de préférence affectives — à l’époque immédiatement contemporaine où de plus en plus de situations d’exclusion ou de migrations contraintes conduisent les individus à s’arracher les uns aux autres, à se perdre, à faire le deuil du noyau familial pour reconstituer des fraternités ou des sororités d’élection, des solidarités alternatives indépendantes de l’âge, du genre, de la couleur, de l’univers culturel et social d’appartenance ?

Les travaux sur les relations familiales laissent apparaître le plus souvent des dysfonctionnements mais ne pourrait-il y en avoir certaines qui existent en littérature par leur bonheur et qui fassent le bonheur de la littérature ? Et de quelle littérature parlons-nous ? A côté de la littérature « classique » et « sérieuse » pour adultes (reconnue par les grandes maisons d’édition et les différents prix littéraires) et de la grande Histoire à laquelle les relations familiales et généalogiques peuvent être liées, il peut exister aussi d’autres formes de littérature, allant de la littérature de jeunesse à la fantasy et à la science-fiction, où les questions de relations familiales peuvent être posées et vécues, fictionnellement parlant, autrement. Existe-t-il, dans un corpus francophone, hors métropole française, des figures idéales de père, de mère ou de familles, biologiques ou d’élection, qui permettraient, dans le cadre de l’appartenance à des sociétés différentes, l’épanouissement de leurs membres, ou bien la famille est-elle condamnée à se faire du mal et à se déchirer, dans tous les types de littérature cités ? La dystopie familiale est-elle inévitable ? Quelles en seraient les conséquences ? Quelles en seraient les fonctions et les significations symboliques, affectives, poétiques, politiques, réactualisées dans un contexte postcolonial immédiatement contemporain ?

Les auteures de l’ouvrage Relations familiales dans les littératures française et francophones des 20e et 21e siècle mentionnent enfin des écrivain.e.s qui essaient, dans leurs œuvres, de rendre compte de leurs parents célèbres ou de faire leurs « comptes » avec eux. Est-ce toujours le cas depuis 2000 ? Enfin, les figures tutélaires de la littérature, les pères fondateurs de textes que l’on aime à qualifier, à l’anglaise, de « séminaux », les généalogies littéraires féminines, ou encore la « fratrie-monde »10 ou la « famille-monde »11 d’écrivain.es et d’artistes si fréquemment convoquées par les auteur.es francophones rejouent-ils, de manière métatextuelle, des conflits de pouvoir et de légitimité auxquels la francophonie littéraire est si souvent en butte12, ou bien permettent-ils de les dépasser et de s’en affranchir ?

Ce numéro de la revue TrOPICS a donc pour objectif de faire le point sur les continuités ou sur les ruptures par rapport au 20e siècle en matière de redéfinition et de traitement des relations familiales dans les œuvres francophones du 21e siècle.

Les propositions (sous la forme d’un résumé autour de 800 mots, accompagné d’une notice biobibliographique autour de 200 mots) sont attendues pour le 30 avril 2023, simultanément aux deux adresses suivantes : marc.arino@univ-reunion.fr et valerie.magdelaine@univ-reunion.fr

Calendrier prévisionnel

1) 30 avril 2023 : retour des propositions d’articles

2) 15 mai 2023 : envoi aux potentiels contributeurs l’avis d’acceptation ou de refus de leurs propositions

3) 10 décembre 2023 : remise des articles (30000 signes +/- 10%) pour évaluation en double aveugle

4) 30 mars 2024 : retour des articles corrigés par les contributeurs en fonction du résultat des évaluations

5) courant 2e semestre 2024 : publication en ligne du numéro

1 Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael (dir.), Relations familiales dans les littératures française et francophones des 20e et 21e siècle

2 Ibid., p. 8.

3 Véronique Bonnet, Jovita Noronha et Françoise Simonet-Tenant (dir.), « Les liens de famille dans la littérature, 1950-2010 (Laços de família na

4 Voir par exemple Marianne Hirsch, The Mother/Daughter Plot: Narrative, Psychoanalysis, Feminism, Bloomington, Indiana University Press, 1989 ; Loic

5 Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael (dir.), op. cit., p. 8.

6 Ching Selao (dir.), Études françaises, « La figure du père dans les littératures francophones », vol. 52, n°1, 2016 ; Lori Saint-Martin, Au-delà du

7 Rita Laura Segato, L’Œdipe noir. Des nourrices et des mères. Paris, Petite bibliothèque Payot, 2014.

8 En Haïti, enfants défavorisés placés en « domesticité » dans d’autres familles ou au sein d’une parentèle élargie qui exploitent leur force de

9 Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael, op. cit., p. 10.

10 Yolaine Parisot, « Sous les yeux du père, lire le Cahier comme une proposition de retour sur l’énigme “Laferrière” » in Ching Selao, op. cit., p.

11 Ching Selao, op. cit., p. 14.

12 Françoise Lionnet, « Littérature-monde, francophonie et ironie : modèles de violence et violence des modèles », Écritures féminines et dialogues

1 Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael (dir.), Relations familiales dans les littératures française et francophones des 20e et 21e siècle, Paris, L’Harmattan, 2008.

2 Ibid., p. 8.

3 Véronique Bonnet, Jovita Noronha et Françoise Simonet-Tenant (dir.), « Les liens de famille dans la littérature, 1950-2010 (Laços de família na Literatura de 1950 a 2015) », Ipotesi, Revista de Estudos literários, Universidade Federal de Juiz de Fora, volume 20, n°2, 2016, https://periodicos.ufjf.br/index.php/ipotesi/issue/view/816

4 Voir par exemple Marianne Hirsch, The Mother/Daughter Plot: Narrative, Psychoanalysis, Feminism, Bloomington, Indiana University Press, 1989 ; Loic Bourdeau (dir.) ; Horrible Mothers: Representations Across Francophone North America, University of Nebraska Press, 2019 ou, sur des cas plus particuliers et parmi de nombreux autres articles : Eloïse A. Brière, « Le retour des mères dévorantes », Notre librairie, no117, avril-juin 1994, p. 66-71 ; Mary Jean Green, « Portraits grotesques de la mère : Marie-Claire Blais et Calixthe Beyala », in Jean Cléo Godin (dir.), Nouvelles écritures francophones. Vers un nouveau baroque ? Presses de l’Université de Montréal, 2001, p. 383-395 ; Alison Rice, “Intimate Otherness: Mother-Daughter Relationships in Ananda Devi and Nathacha Appanah”, in Véronique Bragard and Srilata Ravi (dir.), Écritures mauriciennes au féminin: Penser l’altérité, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 95-110.

5 Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael (dir.), op. cit., p. 8.

6 Ching Selao (dir.), Études françaises, « La figure du père dans les littératures francophones », vol. 52, n°1, 2016 ; Lori Saint-Martin, Au-delà du nom. La question du père dans la littérature québécoise actuelle, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Nouvelles études québécoises », 2010 ; François Ouellet, Passer au rang de père. Identité sociohistorique et littéraire au Québec, Montréal, Éditions Nota bene, 2013 ; Patricia Smart : Écrire dans la maison du père. L’émergence du féminin dans la tradition littéraire du Québec, [1988], Montréal, XYZ, 2003 ; Charles Bonn, « Le tragique de l’émergence littéraire maghrébine entre deux langues, ou le roman familial », Nouvelles Études Francophones vol. 22, n° 1, 2007, p. 11–22 ; Farid Laroussi, « Pères sans histoire : la Loi de la fiction romanesque francophone au Maghreb », Nouvelles Études Francophones, vol. 31, n°2, 2016, p. 110-124.

7 Rita Laura Segato, L’Œdipe noir. Des nourrices et des mères. Paris, Petite bibliothèque Payot, 2014.

8 En Haïti, enfants défavorisés placés en « domesticité » dans d’autres familles ou au sein d’une parentèle élargie qui exploitent leur force de travail.

9 Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael, op. cit., p. 10.

10 Yolaine Parisot, « Sous les yeux du père, lire le Cahier comme une proposition de retour sur l’énigme “Laferrière” » in Ching Selao, op. cit., p. 91–106.

11 Ching Selao, op. cit., p. 14.

12 Françoise Lionnet, « Littérature-monde, francophonie et ironie : modèles de violence et violence des modèles », Écritures féminines et dialogues critiques. Subjectivité, genre et ironie. Trou d’eau douce, L’Atelier d’écriture, 2012, p. 173-204.