Désir amoureux et langage corporel dans Le Rouge et le Noir

Stéphane Fossard

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Stéphane Fossard, « Désir amoureux et langage corporel dans Le Rouge et le Noir », Tropics [En ligne], Hors-Série n°1 | 2014, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/302

De 1789 à 1830, les événements politiques ont poussé les hommes à s’interroger sur leur rapport à l’Histoire. Celle-ci n’est plus un objet abstrait mais une réalité qui se vit en même temps qu’elle se construit. Ces bouleversements entraînent, entre autres, une remise en question du corps. En effet, l’évolution des lois, de la biologie et ou encore de la philosophie offrent au corps une représentation nouvelle dans la littérature. Non que le corps s’expose librement. « Le corps ne se dit pas, ne se montre pas, ni dans les faits, ni dans les textes. Au mieux, s’il n’est pas tenu au silence, il est dit par le biais peu probant de la métaphore »1. Mais alors, pourquoi parler du corps ? Ce dernier devient un enjeu idéologique et exprime le rapport de l’homme à son histoire et à la société qui l’entoure.

Au XVIIIe siècle, on considérait le corps comme soumis à la volonté de son possesseur. Les bouleversements historiques changent cette position dominatrice de l’homme sur son propre corps. Désormais, il s’y sent enfermé et la civilisation devient elle-même une prison. François Kerlouégan note ainsi que les « corps brimés, disciplinés par la loi socio-historique, réclament une libération du corps, c’est-à-dire une adaptation de la loi au désir, de la société à la nature »2.

On constate qu’il existe, dans Le Rouge et le Noir, une tension permanente entre le comportement que la société aimerait que Julien Sorel adopte et celui, plus dérangeant, qu’il ne peut dissimuler. Finalement, en proclamant la liberté de son corps, Julien Sorel prend le pouvoir (tout relatif) sur son destin. Le corps « incarne la volonté de subversion des codes (politiques et esthétiques) qui anime l’artiste romantique »3. C’est à travers le lien entre Histoire et corps – à la fois physique et textuel – que je vous propose d’étudier Le Rouge et le Noir.

Une rapide remise en contexte est nécessaire afin de montrer en quoi le langage corporel est représentatif d’une époque marquée par l’Histoire. Il existe dans le roman un désir de séduire très présent qui s’exprime à travers le regard et le contact physique. Séduire devient un acte guerrier, une conquête de l’autre mais aussi une manière de revendiquer sa liberté personnelle. On peut dès lors se demander si Stendhal ne fait pas de même et si l’écriture de son roman n’est pas en réalité un acte militant.

Histoire et corps au XIXe siècle

La perception du corps évolue au XIXe siècle grâce aux progrès de la médecine, de la biologie ou encore de la philosophie4. Stendhal a assisté à ces changements et vit, en 1830, dans une société en pleine construction historique, idéologique et esthétique. Les différentes révolutions et le triomphe puis la chute de Napoléon sont autant d’événements qui changent le lien de l’homme à l’Histoire. En littérature, cela se traduit par le succès florissant du roman historique, même s’il n’est pas encore reconnu comme un genre noble. La marquise de La Mole n’interdit-elle pas à Mathilde la lecture des romans de Walter Scott ?5

Cependant, le corps n’est pas totalement dévoilé6. Le premier qui a fait du corps l’objet de son œuvre est Sade. Ce dernier opère une « véritable rupture »7 avec la conception de ses contemporains et offre dans ses romans « une visibilité au corps »8. Sade a une influence certaine sur les écrivains de 1830 qui, face aux horreurs de l’Histoire, exposent un corps violenté, souillé, mais aussi dangereusement séduisant. Il se construit alors ce que Pierre Laforgue appelle un « éros romantique » : l’écriture libère le corps de ses carcans et le romancier n’hésite pas à mettre en scène des personnages à la sexualité particulière. Impuissants, nécrophiles, homosexuels et encore un zoophile côtoient des amants plus traditionnels9.

La société est en pleine évolution et la littérature est un moyen d’exprimer les interrogations que portent sur elle les écrivains. Ainsi, « l’enjeu de ces romans et de ces nouvelles, c’est la société de 1830 elle-même »10. Ce regard sur la société contemporaine pousse les écrivains à adapter leur discours sur le corps. Ancrés dans leur époque, ils expriment donc à travers le corps une vision personnelle de l’Histoire11.

Stendhal n’échappe pas à cette réflexion sur la société. Alain Goldschläger remarque que « d’Octave de Malivert à Lamiel, en passant par Clélia Conti, Madame de Rênal et tant d’autres, Stendhal crée des héros qui s’opposent à la société qui les entoure et qui, par leur révolte, définissent une éthique nouvelle »12. Stendhal participe ainsi à tout un mouvement qui fait du corps un espace de revendication historique, politique et esthétique. Il partage avec Sade « le refus de l’hypocrisie sociale et la possibilité d’échapper à l’étouffement d’une morale imposée par une religion alliée à un pouvoir civil mesquin »13. Cela se manifestera dans la littérature romantique par un excès de violences, à la fois physiques et sexuelles, qui permet de mettre à distance les bouleversements politiques récents et de proclamer une libération de l’écriture. François Kerlouégan constate ainsi que « la lecture politique de la violence sexuelle est parfaitement en accord avec l’éthique ironique des romantiques frénétiques »14. Il prend l’exemple des Contes immoraux de Pétrus Borel, mais nous pourrions ajouter de multiples références : Han d’Islande de Victor Hugo, ou encore L’âne mort et la femme guillotinée de Jules Janin auraient pu servir de support à son étude.

Le Rouge et le Noir est lui aussi marqué par cette conception du corps. Julien Sorel est l’exemple du monstre tel que le définit Pierre Laforgue dans L’Eros romantique : « une aberration de la nature, qui le prive de toute relation à ses semblables et qui l’isole dans la singularité et l’exception »15 à cause, le plus souvent, d’un physique androgyne ou d’une sexualité anormale. Julien est un être différent, isolé. La première apparition de ce personnage met en valeur le rejet dont il est victime au sein de sa famille :

Julien lisait. Rien n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse, il ne savait pas lire lui-même16.

Dans la suite du portrait17, Stendhal insiste sur la féminité de son personnage : des traits « délicats », « une taille svelte et bien prise », de la « légèreté », « de grands yeux noirs », « une grande pâleur » pourraient être des compliments destinés à une femme. Cependant, il expose, dès le début, le caractère virulent de Julien. En opposant « moments tranquilles » à « réflexion » et « feu », Stendhal souligne l’intelligence et la violence du personnage, confirmées par les groupes nominaux « la haine la plus féroce » et « un air méchant ». De plus, la répétition de « faible » et de « mépris », renforcé pour ce dernier par « de tous à la maison », étendu à « tout le monde », accentue la différence de Julien et souligne sa solitude.

Ce physique particulier pousse les autres à le mépriser et à le mettre à l’écart. Lors de son apprentissage au séminaire, ses « mains blanches »18, une « propreté délicate »19, une féminité certaine dans son apparence, l’opposent à des compagnons qualifiés de « sales paysans »20. Julien renvoie aux autres une image de leur propre médiocrité et les pousse, malgré lui, à le rejeter. Il ne correspond pas aux valeurs masculines de force, de vigueur et de virilité. Le vocabulaire utilisé pour le décrire met en évidence une grâce toute féminine, une beauté délicate mais aussi une force de caractère difficile à dissimuler. Isolé par ses proches et finalement par tout le monde à cause de son physique, Julien ne trouve de réconfort que dans des rêves de grandeurs militaires.

En mettant en scène un personnage aussi singulier que Julien Sorel, Stendhal ancre son roman dans son époque21. Cela se traduit non seulement par la monstruosité de Julien mais aussi par ses rapports avec les autres, notamment dans la séduction.

Le jeu de la séduction

Julien Sorel est un être d’exception. C’est finalement ce qui surprend puis charme Madame de Rênal et plus tard Mathilde de La Môle. Il se met en place un jeu de séduction qui passe tout d’abord par le regard.

En effet, lorsque Madame de Rênal le rencontre pour la première fois, elle ne peut que s’étonner de cette apparence frêle mais déjà charmante :

Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l’esprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment n’osait pas lever la main jusqu’à la sonnette22.

Cette entrevue est placée sous le signe du désir. Il se dégage de Julien une fragilité qui favorise l’élan maternel puis amoureux de Madame de Rênal. Loin d’être le sévère précepteur que son imagination lui faisait attendre, elle a sous les yeux un jeune homme délicat, intimidé, qu’elle se doit de sauver, qui lui jurera par la suite une obéissance totale23 et lui demandera sa protection. Stendhal insiste également sur la féminité de son personnage tout au long de cette rencontre : Mme de Rênal le prend d’abord pour « une jeune fille déguisée », « elle trouvait l’air timide d’une jeune fille à ce fatal précepteur »24, et elle est charmée par « la forme presque féminine de ses traits »25. Julien ne possède pas cet « air mâle »26 grâce auquel on juge la beauté masculine. Au contraire, la surprise de voir un être si différent des hommes qu’elle fréquente favorise l’élan du cœur de Madame de Rênal.

Mathilde, elle, ne voit d’abord en Julien que le domestique de son père. C’est pour cela que leur première rencontre est relatée du point de vue de Julien et que Stendhal ne rapporte aucun élément de ce que pense la jeune femme du nouvel arrivant. Lui l’observe et se retrouve face à une jeune fille aux yeux « scintil­lants »27 qui s’ennuie et qui « ne serait jamais une femme à ses yeux »28. De plus, Mathilde possède un « air dur, hautain et presque masculin »29 qui contraste avec l’apparence féminisée de Julien. Elle aussi, d’ailleurs, est un être monstrueux qui, grâce à la richesse et à l’influence de son père, joue avec les conventions sociales et morales : « nous nous hâtons d’ajouter que ce personnage fait exception aux mœurs du siècle »30, prévient Stendhal, pour atténuer la surprise du lecteur face à l’étonnante attitude de Mathilde.

Au contraire de Madame de Rênal qui désire protéger Julien, Mathilde ne considère pas Julien comme un homme pouvant susciter un quelconque désir. Il n’est, lors de leur première rencontre, qu’un serviteur de plus engagé par son père. Elle ne s’intéressera réellement à lui qu’à son retour d’Hyères :

Mlle de La Mole le trouva grandi et pâli. Sa taille, sa tournure n’avaient plus rien du provincial ; il n’en était pas ainsi de sa conversation : on y remarquait encore trop de sérieux, trop de positif. Malgré ces qualités raisonnables, grâce à son orgueil, elle n’avait rien de subalterne ; on sentait seulement qu’il regardait encore trop de choses comme importantes. Mais on voyait qu’il était homme à soutenir son dire31.

En adoptant la posture du « dandy »32 parisien, Julien change de statut dans le regard de Mathilde et devient digne d’attention.

Julien ne peut s’empêcher de la comparer à Madame de Rênal qui « avait cependant de bien beaux yeux, […] le monde lui en faisait compliment ; mais ils n’avaient rien de commun avec ceux-ci »33. L’érotisme stendhalien a une particularité : « l’amour ne semble pourvoir s’introduire dans l’organisme que par le regard »34. Ce dernier est en effet l’élément qui retient l’attention de Julien et qui caractérise les deux femmes. Il devient un moyen d’expression à part entière et, lorsque Mathilde veut faire comprendre à Julien qu’elle l’aime, elle utilise son regard :

Oui, il est impossible que je me le dissimule, se disait Julien, Mlle de La Mole me regarde d’une façon singulière. Mais, même quand ses beaux yeux bleus fixés sur moi sont ouverts avec le plus d’abandon, j’y lis toujours un fond d’examen, de sang-froid et de méchanceté. Est-il possible que ce soit là de l’amour ? Quelle différence avec les regards de Mme de Rênal !35

Il se crée un jeu de miroir à travers le regard de ces personnages. Lorsque Julien croise les yeux de Mathilde, il discerne chez elle le contrôle de ses sentiments, attitude qu’il revendique également. Mathilde est finalement un double masculinisé de Julien et prend l’initiative de la séduction alors que Julien l’a fait avec Madame de Rênal. Le regard devient alors une arme de séduction, une étape précédant un rapprochement plus physique.

Avec le regard, le toucher est un moyen privilégié pour exprimer le sentiment amoureux puisque « le contact avec les mains […] constitue pour Stendhal un encouragement à aller de l’avant et sert généralement de prélude à un contact érotique plus prononcé comme les baisers »36. Ainsi, Mathilde dévoile à Julien son attirance en se tenant à son bras « d’une façon bien singulière »37. De même, Madame de Rênal abandonne sa main à son amant et se laisse séduire par ces doux attouchements annoncés lors de leur première rencontre.

En effet, l’entrevue entre Julien et Madame de Rênal se clôt sur un geste intime : un baiser posé sur la main de cette dernière, et qui découvre entièrement son bras nu sous son châle. Ce geste, à la fois compromettant et érotique, n’a rien d’innocent. Première tentative de séduction de Julien, il exprime également sa volonté de prendre en main son destin. Cette scène renverse les rôles conventionnels : « des couples d’opposés aisément décelables semblent avoir basculé entre le début et la fin du passage : soumis/dominant, passif/actif, féminin/masculin et même, si l’on veut […], persécuté/persécuteur, castré/phallique »38. Julien ne se laisse donc pas dominer par la position sociale de Madame de Rênal et provoque un contact physique, poussé par son audace. Il adopte ainsi le rôle du séducteur dominant sa victime et gardera cette posture le jour où il vient lui faire ses adieux avant de rejoindre Paris39.

Ces retrouvailles nocturnes offrent l’occasion à Julien de goûter une dernière fois aux plaisirs de l’adultère. Il va d’abord prendre la main de Madame de Rênal et tout faire pour la garder. Il maintient ainsi son pouvoir sur elle et, tel « un froid politique, presque aussi calculant et aussi froid »40, saisit chaque occasion propice à la rencontre des corps :

Ils ne se voyaient point, tant l’obscurité était profonde, mais le son de la voix disait tout. Julien passa le bras autour de la taille de son amie ; ce mouvement avait bien des dangers. Elle essaya d’éloigner le bras de Julien, qui, avec assez d’habileté, attira son attention dans ce moment par une circonstance intéressante de son récit. Ce bras fut comme oublié et resta dans la position qu’il occupait41.

Obtenant sur elle le pouvoir qu’il désirait si ardemment, il poursuit sa conquête jusqu’à ce qu’elle s’abandonne entièrement à lui.

Comment est évoqué l’acte sexuel ? Stendhal ne parle jamais directement de la relation sexuelle. « The first time, c’est une victoire »42, écrit-il dans son Journal. On voit bien l’importance de ce moment, décisif dans la possession de la femme. Cependant, il ne faut pas choquer le lecteur et heurter la morale de l’époque. C’est pourquoi Stendhal suggère ce qui aurait pu se passer grâce à des ellipses temporelles mais aussi grâce à la typographie.

Ainsi, le lecteur retrouve Julien « quelques heures après »43 sa première nuit avec Madame de Rênal, Stendhal qualifie la première relation entre Julien et Mathilde de « nuit qui sembla singulière plutôt qu’heureuse à Julien »44 et une séparation typographique scinde le texte au moment où Mathilde s’offre sincèrement à Julien45. Le lecteur partage néanmoins l’intimité des amants. Il ne reste pas à la porte de la chambre, bien au contraire. Il pénètre cet espace privé, assiste à leur rapprochement et partage, grâce à l’auteur, leurs moindres pensées. Rien n’est dissimulé : fierté, naissance du sentiment amoureux ou encore regret de s’être abandonnée. Par exemple, nous assistons à une relation presque forcée entre Julien et Mathilde. Cette dernière, voyant Julien trop sûr de sa victoire, joue le rôle d’« une maîtresse aimable » :

Après de longues incertitudes, qui eussent pu paraître à un observateur superficiel l’effet de la haine la plus décidée, tant les sentiments qu’une femme se doit à elle-même avaient de peine à céder à une volonté aussi ferme, Mathilde finit par être pour lui une maîtresse aimable.
À la vérité, ces transports étaient un peu voulus. L’amour passionné était encore plutôt un modèle qu’on imitait qu’une réalité46.

Décrire l’acte n’est pas utile pour Stendhal. Il préfère mettre en valeur la psychologie des personnages afin de montrer comment la société influence leur comportement et ainsi interroger le lecteur sur le monde qui l’entoure. Ces scènes intimes révèlent les aspirations de la société contemporaine. En effet, Julien envisage ses rapports avec les femmes comme une conquête guerrière. Il affronte dès lors les « terribles instruments de l’artillerie féminine »47 avec pour armes son ambition et une idée obsédante du « devoir »48.

Malgré son manque d’expérience, Julien se fait passer pour un homme habile au jeu de la séduction. Stendhal souligne qu’il « s’obstin[ait] à jouer le rôle d’un Don Juan, lui qui de la vie n’avait eu de maîtresse »49. Julien crée un personnage, il est en représentation, général organisant la bataille, et se veut fin stratège alors que seules « quelques voix amies parmi les jeunes filles »50 constituent ses premiers succès. Cependant, « l’important en effet ne réside point dans la longueur de la liste des maîtresses mais bien dans les difficultés vaincues pour les conquérir, dans l’aveu arraché et dans la perte de réputation d’une femme »51. Julien a l’âme d’un Don Juan, sans en avoir les réussites. La conquête de Madame de Rênal apporte la preuve de son emprise sur son destin : lui, fils de paysan, séduit la femme du maire, et montre sa supériorité sur le mari et sur la société. En effet, pour reprendre Alain Goldschläger, « Don Juan marque sa force dans la victoire qu’il remporte sur l’homme qui possède la femme : "la situation de Don Juan vis-à-vis du mari n’est donc pas celle d’un rival proprement dit, mais celle d’un être supérieur" »52.

Le champ lexical du combat et du devoir est utilisé lors de ses assauts. Stendhal insiste sur les réussites et les échecs de Julien. Il vit par exemple sa tentative pour prendre la main de Madame de Rênal comme un duel, situation de détresse accentuée par le décompte des heures et les coups de l’horloge : « Serai-je aussi tremblant et malheureux au premier duel qui me viendra ? »53, se demande-t-il, en tentant de trouver les ressources intérieures pour devenir son amant. Julien contrôle peu ses émotions et semble jouer son honneur d’homme à chaque instant de cette lutte. Après la nuit passée avec cette dernière, il ne peut savourer sa victoire, obnubilé qu’il est par la volonté de suivre « son idée du devoir »54. Ce premier succès le transforme malgré tout. Ainsi, lors de son entretien avec Amanda Binet, la fille qui tient un café à Besançon, « il s’approcha vivement du comptoir et de la jolie fille, comme il eût marché à l’ennemi »55. Julien se montre plus entreprenant, téméraire et presque assuré. De même, lorsqu’il rencontre Mathilde de La Mole, cette dernière le laisse tout d’abord indifférent mais, en la voyant soumise et déjà conquise, il ne résiste pas à l’idée de savourer une victoire facile.

Mathilde offre elle aussi un autre exemple d’un des maux de la société : l’ennui. Julien la séduit car il n’est comme aucun autre. Il ne modèle pas son comportement sur celui de ses compagnons et, au contraire, assume cette singu­larité et son ambition débordante. L’uniformité et la perfection des manières de ses prétendants la rebutent et rendent finalement Julien amusant. Elle prend alors pour de l’amour les moments passés avec lui56, comparant ce qu’elle vit avec ce qu’elle a lu dans des romans :

Elle repassa dans sa tête toutes les descriptions de passion qu’elle avait lues dans Manon Lescaut, la Nouvelle Héloïse, les Lettres d’une Religieuse portugaise, etc., etc. Il n’était question, bien entendu, que de la grande passion ; l’amour léger était indigne d’une fille de son âge et de sa naissance57.

Mathilde est, tout comme Julien, un être d’exception qui s’est construit une vision de l’amour grâce à la lecture de romans et à son admiration pour Marguerite de Navarre. Elle ne peut accepter de ressentir des émotions communes puisqu’elle n’aspire qu’à la passion dévorante et romanesque. Ainsi, lorsqu’elle s’offre à Julien la première fois, elle remplit « un devoir envers elle-même et envers son amant »58. Ce n’est qu’en admirant le féroce désir de Julien (il a failli la tuer) qu’elle décide de vivre pleinement cet amour qui lui semble alors bien digne de son rang et qu’elle sacrifie une partie de ses cheveux. Elle accepte alors de se soumettre à Julien et s’abaisse volontiers à l’appeler « mon maître »59.

Le jeu de la séduction est un exemple des contradictions qui hantent ses contemporains : désir de plaire et besoin de satisfaire ses envies, volonté de respecter les conventions et recherche de liberté personnelle. Il est représentatif des hésitations de la société mais aussi de la revendication de l’écrivain de s’affranchir des normes littéraires.

Une écriture disciplinée ?

Car il s’agit bien pour Stendhal, de revendiquer sa liberté d’écrivain au travers de son roman. Même s’il s’appuie sur un fait-divers, il offre au public une création originale qui pose un regard critique sur la société de 1830.

Stendhal se place en spectateur de son propre récit. Il n’a en apparence pas de prise sur les actes de ses personnages afin de demeurer au plus près de la réalité du fait-divers. Ainsi, sa correspondance révèle son souhait d’« avoir une plume pour adoucir la grossesse de Mathilde ! »60. Il multiplie dans son roman les propositions subordonnées circonstancielles de condition, révélant ainsi qu’il suit un schéma très précis et qu’il ne peut aller à l’encontre de la réalité des faits61. Il donne malgré tout son avis sur la conduite des personnages62, choisit de taire certains événements63 et avoue même au lecteur oublier de partager des informations64. Stendhal dialogue ainsi directement avec ce dernier et montre qu’il a respecté au mieux la réalité du fait-divers :

si la « relation » que La Gazette donne du procès fournit l’énumération [des] événements dans un ordre sériel’ et permet de compatir à la pitoyable histoire d’Antoine Berthet, elle ne rend compte ni de la mort poétique de Julien, ni de la « messe noire » de Mathilde, ni de la véritable assomption de Louise de Rénal. La « mise en configuration » qui donne naissance au Rouge, et qui est véritablement le roman, l’englobe mais outrepasse ses limites, elle en reprend globalement l’organisation sérielle mais c’est bien dans l’ordre du récit littéraire, comme le suggèrent déjà les images qui ci-dessus cherchent à rendre compte de ses dernières lignes, qu’elle l’organise comme totalité intelligible65.

Loin d’être indépendants, les personnages obéissent finalement au désir d’esthétiser la réalité et non de la transcrire fidèlement. Par exemple, Stendhal choisit de ne pas tout dévoiler de la vie de Julien au séminaire :

le lecteur voudra bien nous permettre de donner très peu de faits clairs et précis sur cette époque de la vie de Julien. Ce n’est pas qu’ils nous manquent, bien au contraire ; mais, peut-être ce qu’il vit au séminaire est-il trop noir pour le coloris modéré que l’on a cherché à conserver dans ces feuilles. Les contemporains qui souffrent de certaines choses ne peuvent s’en souvenir qu’avec une horreur qui paralyse tout autre plaisir, même celui de lire un conte66.

Stendhal ne s’attarde pas sur les faits qui ne servent pas l’action. Cependant, par l’euphémisme, il suggère plus qu’il ne dit. On sent également une certaine ironie de la part de l’auteur qui confie donner à ses propos un « coloris modéré ». Il exprime sa volonté de ne pas choquer le lecteur, de ne pas raviver de sombres souvenirs mais en même temps, le fait-divers relaté est tout aussi effrayant : si on se place du côté de Madame de Rênal et de Mathide de La Mole, on assiste à la descente aux enfers de deux femmes amoureuses. On peut conclure, avec Pierre Laforgue, qu’en 1830, « pour le romancier il s’agit moins de savoir jusqu’où il lui est possible d’aller trop loin que d’élaborer une fiction qui préserve cette part d’indicible et d’informulable »67. C’est un des enjeux esthétiques du roman : le corps ne se montre pas, on l’a déjà dit, de même que la mort de Julien est relatée avec une rapidité surprenante. Les relations sexuelles sont elles aussi juste sous-entendues. Tout est dans la métaphore, dans l’impression qu’on laisse au lecteur. Le non-dit est plus parlant que le dit et c’est grâce à la suggestion que le romancier libère son écriture.

On peut faire un rapprochement entre la revendication de liberté du corps au XIXe siècle et le désir de l’écrivain de délivrer son écriture, ce qui inscrit le roman dans sa modernité et dans son époque. Stendhal se donne pour mission de dénoncer les mensonges de la société. Il participe ainsi à la valorisation et à la légitimation du genre romanesque. Cela passe par exemple par le regard que pose Julien sur ce qui l’entoure. En effet, « le Don Juan de type stendhalien est révolutionnaire par sa façon d’attaquer la société ; il la méprise et l’agresse avec courage et sans dissimuler son but : la disparition totale de cette société oppressive »68. Cet attrait pour les personnages monstrueux est une réponse à « la condamnation des structures sociales faite par Sade »69. En rapprochant Sade et Stendhal, on le voit bien, c’est la société de 1830 qui est remise en question dans Le Rouge et le Noir. Comme Sade, Stendhal critique le pouvoir de la religion. Alain Goldschläger constate également que, « athées tous les deux, ils luttent contre le pouvoir et l’oppression de l’Église. Cette lutte se mène sur tous les fronts – politique, moral, éthique, théosophique – et par tous les moyens – la polémique, l’ironie, le sarcasme »70. Stendhal fait ainsi du séminaire le lieu de l’apprentissage de la dissimulation et de l’hypocrisie que les religieux mettent en pratique dès leur entrée dans le monde.

De plus, en mettant en scène un personnage monstrueux rejeté par la société, Stendhal accentue les défauts de cette dernière. Refusant de se soumettre aux lois morales et sociales, Julien pousse le lecteur à s’interroger sur son époque mais aussi sur la vision romanesque de l’amour qui n’est pas le reflet de la réalité.

Étudier le langage du corps dans Le Rouge et le Noir, c’est finalement explorer les désirs et les contraintes de la société de 1830. Face à une rigueur morale asservissante, le corps réclame une liberté d’exister qui se fait de plus en plus forte. Cela s’exprime aussi dans l’écriture. Au lieu de reprendre docilement le fait divers, Stendhal le transforme en une œuvre littéraire osée et revendicatrice considérée par Balzac comme l’un des grands ouvrages de l’année 1830 :

La Physiologie du mariage, La Confession, le Roi de Bohême, Le Rouge et le Noir… sont les traductions de la pensée intime d’un vieux peuple qui attend une jeune organisation ; ce sont de poignantes moqueries ; et la dernière est un rire de démon, heureux de découvrir en chaque homme un abîme de personnalité où vont se perdre tous les bienfaits71.

1 François Kerlouégan, Ce fatal excès du désir - Poétique du corps romantique, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 10.

2 Ibid., p. 109.

3 Ibid., p. 20.

4 François Kerlouégan analyse l’évolution de la représentation du corps par les sciences dans son ouvrage (ibid., p. 16-19).

5 Stendhal, Le Rouge et le Noir, Paris, « Folio classique », Gallimard, 2000, p. 414.

6 « Le corps romanesque demeure tributaire, pour une large part, d’un état de civilisation encore très peu enclin à dire et à donner à voir le corps

7 Ibid., p. 14.

8 Ibid., p. 14.

9 Dans Armance, Stendhal met en scène Octave de Malivert, un impuissant ; Claude Gueux, personnage éponyme de Victor Hugo, s’attache à un autre

10 Pierre Laforgue, L’Éros Romantique – Représentations de l’amour en 1830, Paris, PUF, 1998, p. 13.

11 « Dire le corps, c’est donc dire l’histoire, non tant parce que le corps est tributaire de celle-ci, mais qu’il l’incarne, fait corps avec elle »

12 Alain Goldschläger, « L’image sadienne dans l’œuvre de Stendhal », in Revue belge de philologie et d’histoire, tome 57, fasc. 3, 1979, p. 614.

13 Ibid., p. 613. Il prévient toutefois qu’il ne faut éviter les rapprochements hâtifs entre l’esthétique de Sade et celle de Stendhal. Si la

14 François Kerlouégan, « L’éros romantique de la violence dans les Contes immoraux (1833) de Pétrus Borel », in Délicieux supplices, érotisme et

15 Pierre Laforgue, op. cit., p. 19.

16 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 62.

17 Ibid., p. 63-64. Amanda Binet lui trouvera à son tour une « charmante figure » (ibid., p. 240) et sera conquise par son « courage [qui] faisait

18 Ibid., p. 272.

19 Ibid., p. 272.

20 Ibid., p. 272.

21 Fragoletta, Séraphîta ou encore Mademoiselle de Maupin sont autant d’exemples de la volonté des écrivains de mettre en scène des êtres différents

22 Ibid., p. 74.

23 « Ne craignez rien, madame, je vous obéirai en tout », jure timidement Julien à Madame de Rênal (ibid., p. 77).

24 Ibid., p. 76.

25 Ibid., p. 77.

26 Ibid., p. 77.

27 Ibid., p. 343.

28 Ibid., p. 343.

29 Ibid., p. 346.

30 Ibid., p. 420. Il répètera son avertissement avec malgré tout une ironie plus mordante pour se prémunir des futures attaques que pourrait subir

31 Ibid., p. 387.

32 Ibid., p. 386.

33 Ibid., p. 342.

34 Alexandra Pion, Stendhal et l’érotisme romantique, Rennes, « Interférences », Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 45.

35 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 430.

36 Alexandra Pion, op. cit., p. 47.

37 « Elle s’est appuyée sur mon bras d’une façon bien singulière ! se disait Julien. Suis-je un fat, ou serait-il vrai qu’elle a du goût pour moi ?

38 Michel Picard, « Le petit chaperon rouge et noir : lecture d’un passage de Stendhal », in Littérature, n° 43, 1981, p. 29-30.

39 Nous assistons ici à un autre renversement de situation : pour vaincre les résistances de Madame de Rênal, Julien se jette à ses pieds, embrasse

40 Ibid., p. 311.

41 Ibid., p. 310-311.

42 Stendhal, 21 septembre 1811, Journal, cité par Alexandra Pion, op. cit., p. 59.

43 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 147.

44 Ibid., p. 462.

45 « - C’est donc toi ! dit-elle en se précipitant dans ses bras...........................................................................Qui

46 Ibid., p. 461.

47 Ibid., p. 153.

48 « Julien pensa qu’il était de son devoir d’obtenir qu’on ne retirât pas cette main quand il la touchait » (ibid., p. 105).

49 Ibid., p. 143.

50 Ibid., p. 64.

51 Alain Goldschläger, op. cit., p. 615.

52 Ibid., p. 617.

53 Ibid., p. 106.

54 Ibid., p. 147.

55 Ibid., p. 240.

56 « J’aime, j’aime, c’est clair ! A mon âge, une fille jeune, belle, spirituelle, où peut-elle trouver des sensations, si ce n’est dans l’amour ? J

57 Ibid., p. 422.

58 « Mlle de La Mole croyait remplir un devoir envers elle-même et envers son amant. Le pauvre garçon, se disait-elle, a été d’une bravoure achevée

Malgré la violence affreuse qu’elle se faisait, elle fut parfaitement maîtresse de ses paroles », ibid., p. 461-462.

59 Ibid., p. 485.

60 Stendhal, Le Rouge et le Noir, « Notes », op. cit., p. 811.

61 Par exemple : « il descendit au jardin, Mme de Rênal se fit longtemps attendre. Mais si Julien l’eût aimée, il l’eût aperçue derrière les

62 « La réflexion du philosophe me fait excuser Mme de Rênal, mais on ne l’excusait pas à Verrières, et toute la ville, sans qu’elle s’en doutât, n’

63 « Nous passons sous silence une foule de petites aventures qui eussent donné des ridicules à Julien, s’il n’eût pas été en quelque sorte

64 « Le lecteur est peut-être surpris de ce ton libre et presque amical ; nous avons oubliéde dire que depuis six semaines le marquis était retenu

65 Gérald Rannaud, « De l’anecdote à la chronique », in Romantisme, n° 111, 2001, p. 48.

66 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 268.

67 Pierre Laforgue, op. cit., p. 18.

68 Alain Goldschläger, op. cit., p. 616.

69 Ibid., p. 621.

70 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 623.

71 Honoré de Balzac, « Lettre XI sur Paris », in Le Voleur, 10 janvier 1831.

1 François Kerlouégan, Ce fatal excès du désir - Poétique du corps romantique, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 10.

2 Ibid., p. 109.

3 Ibid., p. 20.

4 François Kerlouégan analyse l’évolution de la représentation du corps par les sciences dans son ouvrage (ibid., p. 16-19).

5 Stendhal, Le Rouge et le Noir, Paris, « Folio classique », Gallimard, 2000, p. 414.

6 « Le corps romanesque demeure tributaire, pour une large part, d’un état de civilisation encore très peu enclin à dire et à donner à voir le corps », François Kerlouégan, op. cit., p. 21.

7 Ibid., p. 14.

8 Ibid., p. 14.

9 Dans Armance, Stendhal met en scène Octave de Malivert, un impuissant ; Claude Gueux, personnage éponyme de Victor Hugo, s’attache à un autre homme en prison ; Balzac évoque la relation amoureuse d’un soldat et d’une panthère dans Une passion dans le désert.

10 Pierre Laforgue, L’Éros Romantique – Représentations de l’amour en 1830, Paris, PUF, 1998, p. 13.

11 « Dire le corps, c’est donc dire l’histoire, non tant parce que le corps est tributaire de celle-ci, mais qu’il l’incarne, fait corps avec elle », François Kerlouégan, op. cit., p. 36.

12 Alain Goldschläger, « L’image sadienne dans l’œuvre de Stendhal », in Revue belge de philologie et d’histoire, tome 57, fasc. 3, 1979, p. 614.

13 Ibid., p. 613. Il prévient toutefois qu’il ne faut éviter les rapprochements hâtifs entre l’esthétique de Sade et celle de Stendhal. Si la volonté d’interroger le lecteur est la même, les procédés ne le sont pas.

14 François Kerlouégan, « L’éros romantique de la violence dans les Contes immoraux (1833) de Pétrus Borel », in Délicieux supplices, érotisme et cruauté en occident, Antonio Domínguez Leiva et Sébastien Hubier (dir.), Neuilly-lès-Dijon, Éditions du Murmure, 2008, p. 121.

15 Pierre Laforgue, op. cit., p. 19.

16 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 62.

17 Ibid., p. 63-64. Amanda Binet lui trouvera à son tour une « charmante figure » (ibid., p. 240) et sera conquise par son « courage [qui] faisait un contraste naïf avec la naïveté de ses manières » (ibid., p. 244).

18 Ibid., p. 272.

19 Ibid., p. 272.

20 Ibid., p. 272.

21 Fragoletta, Séraphîta ou encore Mademoiselle de Maupin sont autant d’exemples de la volonté des écrivains de mettre en scène des êtres différents.

22 Ibid., p. 74.

23 « Ne craignez rien, madame, je vous obéirai en tout », jure timidement Julien à Madame de Rênal (ibid., p. 77).

24 Ibid., p. 76.

25 Ibid., p. 77.

26 Ibid., p. 77.

27 Ibid., p. 343.

28 Ibid., p. 343.

29 Ibid., p. 346.

30 Ibid., p. 420. Il répètera son avertissement avec malgré tout une ironie plus mordante pour se prémunir des futures attaques que pourrait subir son roman : « ce personnage est tout à fait d’imagination, et même imaginé bien en dehors des habitudes sociales qui, parmi tous les siècles, assureront un rang si distingué à la civilisation du XIXe siècle » (ibid., p. 479). Il a conscience que le comportement de son personnage lui attirera de sévères critiques.

31 Ibid., p. 387.

32 Ibid., p. 386.

33 Ibid., p. 342.

34 Alexandra Pion, Stendhal et l’érotisme romantique, Rennes, « Interférences », Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 45.

35 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 430.

36 Alexandra Pion, op. cit., p. 47.

37 « Elle s’est appuyée sur mon bras d’une façon bien singulière ! se disait Julien. Suis-je un fat, ou serait-il vrai qu’elle a du goût pour moi ? Elle m’écoute d’un air si doux, même quand je lui avoue toutes les souffrances de mon orgueil ! Elle qui a tant de fierté avec tout le monde ! On serait bien étonné au salon si on lui voyait cette physionomie. Très certainement cet air doux et bon, elle ne l’a avec personne » (Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 416).

38 Michel Picard, « Le petit chaperon rouge et noir : lecture d’un passage de Stendhal », in Littérature, n° 43, 1981, p. 29-30.

39 Nous assistons ici à un autre renversement de situation : pour vaincre les résistances de Madame de Rênal, Julien se jette à ses pieds, embrasse ses genoux et pleure (Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 147). Il se présente en victime demandant, comme le jour de son arrivée, la protection de la maîtresse de maison. La situation sera tout autre le jour des adieux.

40 Ibid., p. 311.

41 Ibid., p. 310-311.

42 Stendhal, 21 septembre 1811, Journal, cité par Alexandra Pion, op. cit., p. 59.

43 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 147.

44 Ibid., p. 462.

45 « - C’est donc toi ! dit-elle en se précipitant dans ses bras
...........................................................................
Qui pourra décrire l’excès du bonheur de Julien ? Celui de Mathilde fut presque égal » (ibid., p. 482).

46 Ibid., p. 461.

47 Ibid., p. 153.

48 « Julien pensa qu’il était de son devoir d’obtenir qu’on ne retirât pas cette main quand il la touchait » (ibid., p. 105).

49 Ibid., p. 143.

50 Ibid., p. 64.

51 Alain Goldschläger, op. cit., p. 615.

52 Ibid., p. 617.

53 Ibid., p. 106.

54 Ibid., p. 147.

55 Ibid., p. 240.

56 « J’aime, j’aime, c’est clair ! A mon âge, une fille jeune, belle, spirituelle, où peut-elle trouver des sensations, si ce n’est dans l’amour ? J’ai beau faire, je n’aurai jamais d’amour pour Croisenois, Caylus, et tutti quanti. Ils sont parfaits, trop parfaits peut-être : enfin, ils m’ennuient », ibid., p. 422.

57 Ibid., p. 422.

58 « Mlle de La Mole croyait remplir un devoir envers elle-même et envers son amant. Le pauvre garçon, se disait-elle, a été d’une bravoure achevée, il doit être heureux, ou bien c’est moi qui manque de caractère. Mais elle eût voulu racheter au prix d’une éternité de malheur la nécessité cruelle où elle se trouvait.

Malgré la violence affreuse qu’elle se faisait, elle fut parfaitement maîtresse de ses paroles », ibid., p. 461-462.

59 Ibid., p. 485.

60 Stendhal, Le Rouge et le Noir, « Notes », op. cit., p. 811.

61 Par exemple : « il descendit au jardin, Mme de Rênal se fit longtemps attendre. Mais si Julien l’eût aimée, il l’eût aperçue derrière les persiennes à demi fermées du premier étage, le front appuyé contre la vitre. Elle le regardait » (ibid., p. 126) ; « si elle eût possédé un peu de ce savoir-vivre dont une femme de trente ans jouit depuis longtemps dans les pays plus civilisés, elle eût frémi pour la durée d’un amour qui ne semblait vivre que de surprise et de ravissement d’amour-propre » (ibid., p. 152) ; ou encore « si M. de Rênal eût été un homme d’imagination, il savait tout » (ibid., p. 179).

62 « La réflexion du philosophe me fait excuser Mme de Rênal, mais on ne l’excusait pas à Verrières, et toute la ville, sans qu’elle s’en doutât, n’était occupée que du scandale de ses amours » (ibid., p. 231).

63 « Nous passons sous silence une foule de petites aventures qui eussent donné des ridicules à Julien, s’il n’eût pas été en quelque sorte au-dessous du ridicule » (ibid., p. 367).

64 « Le lecteur est peut-être surpris de ce ton libre et presque amical ; nous avons oublié de dire que depuis six semaines le marquis était retenu chez lui par une attaque de goutte » (ibid., p. 376-377).

65 Gérald Rannaud, « De l’anecdote à la chronique », in Romantisme, n° 111, 2001, p. 48.

66 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 268.

67 Pierre Laforgue, op. cit., p. 18.

68 Alain Goldschläger, op. cit., p. 616.

69 Ibid., p. 621.

70 Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 623.

71 Honoré de Balzac, « Lettre XI sur Paris », in Le Voleur, 10 janvier 1831.