Enjeux épistémologiques du conte philosophique dans deux contes orientaux de Diderot

Magali Fourgnaud

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Magali Fourgnaud, « Enjeux épistémologiques du conte philosophique dans deux contes orientaux de Diderot », Tropics [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 01 décembre 2013, consulté le 26 décembre 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/141

Dans Le prospectus de l’Encyclopédie, Diderot présente le système des connaissances sur lequel repose l’ensemble de l’ouvrage, reprenant à son compte la distribution des matières de Bacon. La philosophie ou science, car « ces mots sont synonymes »1, se définit comme la portion de la connaissance humaine qu’il faut rapporter à la raison et elle s’oppose à l’imagination, c’est-à-dire à la poésie entendue comme fiction : la première a pour objet l’homme, la nature, et Dieu, tandis que la seconde imite « des êtres historiques »2 ou contrefaits. Mais cette distinction entre les matières (science versus poésie) ne se fait pas au profit de l’une ou au détriment de l’autre. Elles correspondent aux différentes facultés de l’entendement et entretiennent des rapports entre elles, que l’ordre alphabétique de l’Encyclopédie invite à saisir3. Diderot lui-même souligne par ailleurs la valeur cognitive de la fiction dans l’article « leçon » de l’Encyclopédie. Alors que les raisonnements et les argumentations ne rendent qu’imparfaitement les idées des choses, l’écriture hiéroglyphique, la fable, les emblèmes, les allégories sont plus propres à « enrichir promptement l'esprit de connoissances réelles, que nos signes de convention. Il faudroit traiter l'homme comme un être organisé et sensible ; et se souvenir que c'est par ses organes qu'il reçoit ses idées, et que le sentiment seul les fixe dans sa mémoire »4. De même, dans sa Réflexions sur le livre De l’Esprit par M. Helvétius (1758), qui précède sa Réfutation5, Diderot reconnaît la primeur de « l’esprit d’invention » sur « l’esprit méthodique » : alors que le premier « s’agite, se meut, se remue d’une manière déréglée ; il cherche », le second « arrange, ordonne, et suppose que tout est trouvé »6. Si la méthode rigoureuse et argumentative permet de présenter les résultats de la recherche, l’imagination se présente quant à elle comme un outil utile pour échafauder des hypothèses, expérimenter mentalement des expériences irréalisables. Elle est, en somme, un moyen nécessaire pour penser des paradoxes et des concepts qui échappent à la rationalité et à l’objectivité. En outre, la fiction paraît plus à même d’éveiller la conscience du lecteur car elle s’adresse à l’homme dans toute sa complexité, à la fois à sa raison et à ses sens.

En effet, les partisans de l’acquisition des connaissances par les sens reconnaissent le rôle majeur joué par l’imagination dans la construction des concepts. Pour Locke, les idées simples naissent des perceptions, que la mémoire et l’imagination permettent de combiner, de fixer et de mobiliser. Selon le philosophe anglais, le concept se définit comme une représentation issue originellement de l’expérience des sens, quant à l’imagination, elle est la capacité à se représenter dans son esprit les choses sensibles. Telle est la définition qu’en donne également Voltaire dans l’article de l’Encyclopédie consacré à l’imagination : « ainsi tous vos raisonnemens, toutes vos connoissances, sont fondées sur des images tracées dans votre cerveau. […] ces images sont la base de toutes vos notions »7. Poursuivant son analyse, il distingue l’imagination passive, source de nos craintes, de nos illusions et de nos aveuglements, et l’imagination active, « qui joint la réflexion, la combinaison à la mémoire ; elle rapproche plusieurs objets distans, elle sépare ceux qui se mêlent, les compose et les change ; elle semble créer quand elle ne fait qu’arranger, car il n’est pas donné à l’homme de faire des idées, il ne peut que les modifier »8. C’est cette imagination, c’est-à-dire cette capacité à construire des images mentales, qui est à l’origine des inventions techniques, des abstractions mathématiques, et des créations esthétiques. L’imagination est donc bien une opération cognitive, dans la mesure où elle est à la fois la mise en œuvre d’une connaissance (la reconfiguration d’idées simples) et la source de connaissance : elle est ce qui rend possible les simulations, les comparaisons, les hypothèses, les modélisations mentales, les prospectives, en somme les progrès de l’esprit humain. Mais si l’on comprend bien la fécondité des images mentales dans le domaine des sciences et des techniques, dans la mesure où elles participent notamment au passage de l’observation d’une réalité concrète à l’abstraction, qu’en est-il dans le domaine de la littérature ? Dans quelle mesure une fiction narrative pourrait-elle avoir une valeur cognitive ? N’est-elle pas au contraire synonyme d’illusion voire de mensonge ?

La définition de l’imagination, entendue comme combinaison d’idées simples, rejoint la conception aristotélicienne de l’imitation, conçue comme modélisation. Comme l’a montré Jean-Marie Schaeffer dans son ouvrage, Pourquoi la fiction ?, pour Aristote, « le poète élabore un modèle cognitif dont la validité excède la réalité qu’il imite, au sens où il en abstrait la structure actancielle profonde susceptible de donner lieu à des incarnations empiriques multiples et variables selon les contextes »9. À la différence de Platon qui considère la mimesis comme une feinte, Aristote, quant à lui, considère la fiction comme un mode de représentation qui construit une modélisation à valeur généralisante, et ne saurait être confondu avec un compte-rendu factuel : l’histoire singulière qui nous est racontée, ou montrée au théâtre, est la représentation ludique et distanciée de situations réelles conflictuelles, ce qui participe à la pacification des relations humaines. Mais cette seule perspective cathartique ne suffit pas pour comprendre en quoi et comment la fiction peut être source de connaissance. Pour Jean-Marie Schaeffer, la fonction cognitive de la fiction se situe dans le double mouvement qu’elle induit, à la fois d’adhésion à l’histoire et de distanciation. En ce sens, la fiction ne cherche pas à tromper le lecteur ou le spectateur en lui mentant, mais au contraire, le conduit à adhérer à l’histoire, car « l’immersion fictionnelle »10 est une condition nécessaire à la transmission d’un savoir. La fiction est dès lors une « feintise partagée »11 car le lecteur est toujours conscient qu’il s’agit d’une représentation d’une action : elle ne cherche pas à anesthésier sa conscience, mais au contraire, elle enclenche « une attitude représentationnelle (perceptive ou linguistico-sémantique) »12. De surcroît, la fiction elle-même peut renforcer ce processus et favoriser cet éveil de la lucidité, en montrant ses propres ficelles. En effet, la structure-même du récit, lorsqu’elle s’attache à déconstruire l’illusion romanesque, participe à cette prise de distance du lecteur. Les contes de Diderot illustrent particulièrement ce processus, grâce à leur structure enchâssée, comme nous allons le voir. Cette construction emboîtée induit alors un second mouvement : elle conduit le lecteur à passer de l’immersion dans une histoire singulière au repérage de sa structure et donc de sa valeur universelle. Cette alternance d’adhésion et de distanciation favorise, de cette manière, le passage à l’abstraction et surtout la connaissance de soi. La fiction joue en ce sens un rôle fondamental dans le développement du sens de la réalité, de la construction de l’identité et nous aide tout au long de notre existence à réadapter nos perceptions au monde qui nous entoure. Mais si toutes les fictions littéraires sont bien des « feintises partagées », et peuvent avoir une fonction cognitive, elles se distinguent par le type de connaissance auquel elles nous donnent accès et par le moyen d’y parvenir.

Notre étude porte donc sur le rapport qu’entretient le conte avec les savoirs d’ordre philosophique dans deux contes orientaux de Diderot : Les Bijoux indiscrets (1748) et L’Oiseau blanc, conte bleu (1749), qui se présente comme une suite du premier. Ces deux textes ont une structure emboîtée similaire : dans le premier, le sultan Mangogul raconte à sa favorite Mirzoza ce que l’invisibilité de l’anneau, donné par son génie, lui permet de découvrir ; dans le second, Mirzoza est de nouveau auditrice, mais cette fois d’un seul conte que tissent à plusieurs voix quatre conteurs, qui cherchent à endormir la favorite, tandis qu’une chatouilleuse lui masse le pied. Dans les deux contes, l’emboîtement des différents niveaux narratifs favorise à la fois l’adhésion du lecteur à l’histoire et sa prise de conscience. Ces deux textes ont également en commun de soulever la question de l’accès à la vérité : ils interrogent, au cœur-même de la fiction, les rapports du conte et des savoirs. Dans son ouvrage consacré au conte merveilleux français, Jacques Barchilon place en effet ces deux récits aux côtés des contes de Voltaire et souligne leur dimension philosophique : « Quand nous disons philosophique, entendez scientifique. Car les mots clefs de ce texte sont : expérience, expérimental, essai, méthode »13. Quel(s) savoir(s) philosophique(s) les contes de Diderot nous transmettent-ils et par quelles modalités ? L’étude fait apparaître quatre processus différents de conceptualisation et de transmission : le déplacement, l’allégorie, l’analogie et la variation imaginaire. Ces modalités font apparaître quatre manières différentes de mettre en scène l’opposition entre la théorie cartésienne des idées innées et la philosophie expérimentale de Newton.

Le déplacement

Tout d’abord, la translation du conte dans un cadre oriental a une valeur cognitive, que Montesquieu avait déjà utilisée dans les Lettres persanes. En effet, ce déplacement géographique crée un effet d’« estrangement », propice à l’éveil de la conscience du lecteur. Cette notion, que Carlo Ginzburg14 a transférée du domaine littéraire au domaine historique, désigne un processus de décentrement, caractéristique de l’art en général, qui invite à voir le monde autrement : il s’agit d’un processus de déconditionnement, capable de rendre à nouveau les choses sensibles, de « peindre le monde par l’autre sens, à partir des illusions et des croyances »15, selon le mot de Proust. Ce procédé débouche sur une vérité conçue non comme adequatio (imitation parfaite du réel), mais comme aletheia (c’est-à-dire dévoilement, déconstruction de l’illusion). Il a en ce sens des enjeux cognitifs indéniables et rejoint la méthode scientifique empirique : il permet de débusquer les fausses vérités, de distinguer les connaissances certaines des opinions fondées sur les préjugés, les intérêts ou les apparences. Diderot suit lui-même cette démarche dans La lettre sur les sourds et muets à l’usage de ceux qui entendent et qui parlent (1751). Pour se rendre compte de l’artificialité du langage et prendre conscience du décalage entre le signifié et le signifiant, il suffirait « de se transporter en idée chez un peuple étranger dont on ignorerait la langue »16. Ainsi la fiction, et notamment le déplacement dans un cadre oriental, conduit à voir le monde qui nous entoure sous un regard distancié et lucide ; c’est en ce sens qu’elle peut être vecteur de connaissance. Tel est aussi un des enjeux des Bijoux indiscrets. Le nom des personnages et la structure enchâssée du récit rapprochent le conte diderotien des contes orientaux. Le récit se présente d’ailleurs comme une suite parodique des Mille et une nuits, et s’inscrit dans la lignée du conte libertin de Crébillon, Le Sopha, conte moral (1742). Mais le Congo, dont il est question, désigne moins le vaste empire de l’Afrique australe qu’un lieu romanesque : le sultan Mangogul est d’emblée désigné comme un être de papier, comme le contemporain de Schach-Bahan, de Tanzaï, Acajou, Zulmis et Angola, c’est-à-dire les personnages de Crébillon, Duclos, Voisenon et La Morlière. Pour autant, le conte n’est pas une pure fantaisie, mais bien la transposition, dans un cadre imaginaire, des structures et des mécanismes de la société17 et en particulier des débats scientifiques de l’époque. En outre, la structure enchâssée renforce l’effet de distanciation : le récit de Mirzoza et de Mangogul est présenté comme le roman d’un auteur africain, qu’un narrateur-éditeur offre à Zima, la destinataire de l’épître dédicatoire. Le lecteur est ainsi invité dans le laboratoire de la fiction, afin d’observer comment se construisent et se diffusent les discours qui prétendent détenir et transmettre la vérité, notamment ceux des savants.

La trame des Bijoux indiscrets repose effectivement sur une mystification initiale, qui cherche à débusquer les contre-vérités et les faux semblants. Le sultan Mangogul s’ennuie, la favorite ne trouvant plus d’histoire à lui raconter, et demande à son génie Cucufa de lui trouver un divertissement. Ce dernier lui donne un anneau magique qui a le pouvoir de le rendre invisible et de faire parler les sexes des femmes. Les bijoux rendent alors publique l’intimité des mondaines et des couventines. Le stratagème a des conséquences dans toute la société et déclenche toute une série d’exégèses : « c’était un texte inépuisable. Aux faits véritables, on en ajoutait de faux ; tout passait : le prodige avait rendu tout croyable »18. Les religieux et les scientifiques tombent eux-mêmes dans le piège et cherchent à donner une explication au phénomène, les premiers une origine divine, les seconds une cause rationnelle. L’ironie du narrateur tourne ainsi en dérision la vanité des savants qui prétendent pouvoir trouver une raison à tout :

Le phénomène fut constaté, et les esprits forts commencèrent à chercher dans les propriétés de la matière l’explication d’un fait qu’ils avaient d’abord traité d’impossible. Le caquet des bijoux produisit une infinité d’excellents ouvrages, et ce sujet important enfla les recueils des académies de plusieurs mémoires, qu’on peut regarder comme les derniers efforts de l’esprit humain19.

La surcharge laudative et l’antithèse entre le singulier et bien futile « caquet » des bijoux et la multitude d’ouvrages sérieux crée un effet comique et tourne en dérision la prétention savante, soulignée dans l’emploi ironique du verbe « enfler ». La vanité des savants est également satirisée à travers le portrait de l’anatomiste Orcotome, caricature du médecin Antoine Ferrein20 : il prétend que les sexes féminins ne sont que le deuxième organe de la voix et qu’ils peuvent parler car ils sont composés de membres semblables à ceux de la bouche, et il en vient même à proposer une séance publique d’expérimentations pour montrer à tout Banza les fruits de ses recherches. Mangogul, le sultan qui, seul avec la favorite, connaît l’origine magique du bavardage des bijoux, s’insurge contre le pédant et dénonce le décalage entre l’inefficacité de tels savants et le montant de leurs pensions : « Que direz-vous races futures, lorsque vous apprendrez que le grand Mangogul faisait cent mille écus de pension à de pareils gens ; tandis que des braves officiers qui avaient arrosé de leur sang les lauriers qui lui ceignaient le front, en étaient réduits à quatre cents livres de rentes ? »21 Dans le second conte, L’Oiseau blanc, conte bleu, le déplacement en orient offre également un lecteur une expérience de déconditionnement et de prise de distance critique22. On trouve notamment la même ironie à l’égard des systèmes scientifiques ou philosophiques que dans Les Bijoux indiscrets : de la même manière que Mangogul refuse qu’on lui parle de philosophie, car il juge ces conversations « malsaines »23, de même, Mirzoza, dans L’Oiseau blanc, conte bleu, s’ennuie des longues démonstrations abstraites et des « idées philosophiques »24 qui l’endorment. Par conséquent, le cadre oriental permet de déconstruire tous les discours d’autorité, notamment des savants, et d’en montrer la vanité.

Cette critique des discours scientifiques souligne donc la fonction épistémologique de ces deux contes philosophiques. En effet, derrière la parodie de ces affirmations péremptoires, Diderot met en scène un débat qui divise ses contemporains, à savoir l’opposition entre les partisans de Descartes et ceux de Newton : il évoque ainsi la controverse entre les « vorticoses », partisans des tourbillons cartésiens, et les « attractionnaires », disciples de Newton. Cette dispute burlesque fait écho au débat philosophique qui clôt le conte de Voltaire, Micromégas, histoire philosophique (1754)25. Comme Voltaire qui dénonce le « roman impertinent des tourbillons de Descartes »26, Diderot prend lui aussi pour cible la physique et la métaphysique cartésiennes, qu’il réduit à un persiflage : il caricature l’un des « vorticoses » sous les traits de Persiflo, « dont on avait des Traités sur une infinité de sujets qu’il n’avait point entendus », et qui « raisonnait comme un bijou »27. Néanmoins, derrière l’aspect burlesque du conflit des savants, s’exprime la préférence du narrateur à l’égard de la théorie newtonienne :

Les principes d’Olibri ont au premier coup d’œil une simplicité qui séduit : ils satisfont en gros aux principaux phénomènes, mais ils se démentent dans les détails. Quant à Circino, il semble partir d’une absurdité ; mais il n’y a que le premier pas qui lui coûte. Les détails minutieux qui ruinent le système d’Olibri, affermissent le sien. Il suit une route obscure à l’entrée, mais qui s’éclaire à mesure qu’on avance. Celle au contraire d’Olibri, claire à l’entrée, va toujours en s’obscurcissant. […] Il y aura donc toujours cent vorticoses contre un attractionnaire, et un attractionnaire vaudra toujours cent vorticoses28.

Si le tour burlesque de la scène semble a priori renvoyer dos à dos les deux physiciens, la construction binaire des phrases ainsi que les modalisateurs du discours font entendre une critique aiguë de la théorie cartésienne et la défense de la démarche newtonienne. Le choix des noms, sous leur aspect comique, exprime en effet la position du narrateur : selon le Dictionnaire de L'Académie française, un « Olibrius », est un « pédant, qui fait l'entendu »29, tandis que « Circino », vient du latin circinus, le compas. Ainsi, le narrateur oppose les deux démarches scientifiques : si la théorie cartésienne s’appuie sur des évidences, que l’on saisit « au premier coup d’œil » (allusion certainement aux idées innées), la méthode newtonienne, quant à elle, n’est ouverte qu’« aux premiers géomètres », et n’est faite que « pour les algébristes du premier ordre »30. On reconnaît l’allusion à la fameuse maxime inscrite, selon la légende, au fronton de l’Académie platonicienne (« nul n’entre ici s’il n’est géomètre »). Le lexique mathématique souligne également la méthode suivie par Circino qui entend mettre au jour des lois universelles, derrière les contingences. En ce sens, elle paraît plus juste que les intuitions d’Olibri. Dans le second conte, L’Oiseau blanc, conte bleu (1749), on retrouve cette même lutte de la science expérimentale contre la science théorique, assimilée cette fois au mensonge. Dans le conte inséré, la fée Vérité, qui veille sur le prince Génistan, est présentée comme une mathématicienne, plus précisément, comme une newtonienne : « il découvrit la fée Vérité, retirée dans le fond d’une alcôve où, les yeux attachés sur un globe et le compas à la main, elle travaillait à constater la vérité d’un fameux système »31 ; « [l]es mathématiques étaient presque son unique étude »32. Le conte trace alors la lutte de cette fée allégorique contre le génie Rousch, dont le nom signifie « Menteur ».

Par conséquent, la transposition en Orient a une fonction critique et cognitive : il s’agit de proposer une modélisation des structures de la société occidentale, et en particulier le monde scientifique, afin de mettre en lumière, sur le mode burlesque, ses mécanismes (manipulation, autorité fondée sur la persuasion des discours plus que sur des preuves vérifiables). Ces deux contes orientaux prennent ainsi pour cible la prétention des discours de vérité. En critiquant les méthodes scientifiques, le conte philosophique ne met pas seulement en scène une réflexion épistémologique (par ses références aux débats scientifiques de l’époque), il devient lui-même un discours épistémologique, selon la conception et l’écriture diderotienne. Dès lors, si le conte remet en cause les discours détenteurs d’un savoir, par quelles modalités réussit-il à transmettre une connaissance ?

L’allégorie

Fustigeant les affirmations péremptoires des savants, Diderot ne saurait lui-même développer un discours théorique définitif. Le recours à l’allégorie semble dès lors un moyen d’éviter la clôture des systèmes philosophiques. En effet, selon l’abbé Mallet, l’allégorie est une « figure de rhétorique par laquelle on employe des termes qui, pris à la lettre, signifient toute autre chose que ce qu'on veut leur faire signifier. L'allégorie n'est proprement autre chose qu'une métaphore continuée, qui sert de comparaison pour faire entendre un sens qu'on n'exprime point, mais qu'on a en vûe »33. Pour l’auteur, c’est un détour qui écarte le risque du dogmatisme interprétatif car faire comprendre autre chose que ce qui est dit conduit le lecteur à ne pas lire les textes (bibliques ou mythiques) à la lettre, tout en en saisissant l’esprit : « on convient que le sens allégorique, à moins qu'il ne soit fondé sur une tradition constante, ne forme pas un argument sûr comme le sens littéral. Sans cette sage précaution, chaque fanatique trouveroit dans l'Ecriture de quoi appuyer ses visions »34. En ce sens, il ne serait donc pas si étonnant que Diderot ait lui-même recours à cette figure. Pourtant, on connaît ses critiques à l’égard de l’allégorie picturale35, dans ses Salons, et l’attaque qu’il développe dans Jacques le fataliste, contre ce qu’il désigne comme « la ressource ordinaire des esprits stériles »36. Il rejoint en ce sens l’abbé Du Bos, selon lequel le lecteur « ne peut se résoudre, pour parler ainsi, à entrer dans les sentiments de ces personnages chimériques »37.

Néanmoins, Diderot a bel et bien recours à l’allégorie dans ses contes orientaux et le procédé est même utilisé de manière significative pour évoquer la question philosophique de l’accès à la vérité. Dans Les Bijoux indiscrets, il s’agit du rêve de Mangogul et dans L’Oiseau blanc, conte bleu, de la description de la fée Vérité. Dans le premier conte (chapitre XXXII), le sultan, encore à moitié assoupi, fait part à la favorite du songe qu’il a fait la nuit précédente. Il a rêvé que son imagination, représentée sous la forme d’un hippogriffe, l’avait conduit aux portes d’un édifice suspendu dans le ciel. Il y rencontre Platon dont Mangogul devient le nouveau disciple, comme en témoignent les nombreuses questions qu’il pose et auxquelles son maître répond (« Qui êtes-vous ? où suis-je ? »). Le récit est constitué de deux parties : dans la première, Mangogul erre dans la région des Hypothèses, dans la seconde, il découvre l’Expérience, les majuscules soulignant d’emblée la fonction allégorique des lieux et des personnages. Dans chacune de ces parties, le sultan observe d’abord avec étonnement ce qui l’entoure, sans comprendre, puis Platon déchiffre pour lui l’énigme. L’explication du philosophe confère à la vision de Mangogul une dimension allégorique, ce que renforce la composition en diptyque du passage : chaque élément de l’image est décodé, chaque signifiant renvoie à un signifié et la relation entre les deux éléments est donnée par le maître-philosophe. Ainsi, les vieillards difformes, qu’un simple souffle fait tomber, qui vivent dans un temple suspendu dans le ciel, sans fondation terrestre, représentent les philosophes « systématiques »38. Ces derniers sont caricaturés sous les traits d’« enfants décrépits », occupés à former des bulles de savons à partir d’un liquide subtil. Ce portrait satirique est une critique des systèmes philosophiques, c’est-à-dire des modèles abstraits non fondés sur l’observation de la nature. Les lambeaux, dont les vieillards sont vêtus, sont les vestiges de la robe de Socrate, et symbolisent la division de la secte platonicienne à l’origine de sa ruine. Mangogul voit ensuite apparaître l’Expérience, sous les traits d’un autre enfant, qui grandit au fur et à mesure qu’il s’avance, jusqu’à devenir un colosse aux cent visages : « je le vis diriger vers le ciel un long télescope, estimer à l’aide d’un pendule la chute des corps, constater avec un tube rempli de mercure la pesanteur de l’air, et le prisme à la main décomposer la lumière »39. Comme le souligne Michel Delon40, les attributs du géant renvoient aux expériences de Galilée (télescope et pendule, début XVIIe siècle), de Pascal (tube de mercure, 1648), et de Newton (prisme, 1662). La vision de Mangogul symbolise en ce sens l’opposition entre la philosophie conceptuelle, celle des hypothèses et de la théorie, et la philosophie expérimentale, qui s’appuie sur les découvertes scientifiques. La croissance infinie du colosse, c’est-à-dire de l’Expérience, représente les progrès successifs de l’esprit humain, comme le symbolise l’image du flambeau de la vérité, éclairant les ténèbres de la conscience humaine41. Lorsque l’Expérience approche, sa force titanesque fait chanceler les colonnes du portique des hypothèses et détruit la philosophie de système. On retrouve ces deux images allégoriques dans les Pensées sur l’interprétation de la nature42. Le recours à l’allégorie, aussi bien dans un ouvrage fictionnel que dans un ouvrage théorique, souligne la force de persuasion de l’image et son utilité en termes de conceptualisation : dans les deux textes, l’allégorie se présente comme une miniaturisation, comme une modélisation de l’histoire de la philosophie. Mais la spécificité du texte littéraire réside dans son encadrement. En effet, l’allégorie de Mangogul est rapportée à la favorite et le sultan souligne bien qu’il s’agit d’un rêve : « Le colosse arrive, frappe le portique, il s’écroule avec un bruit effroyable, et je me réveille »43. Cette chute ironique, que l’on trouve également chez Voltaire44, a pour effet de mettre à distance l’explication allégorique, distanciation là encore renforcée par la structure enchâssée. Le narrateur, qui prend la parole à la suite du dialogue entre Mangogul et Mirzoza, souligne lui-même la couture des chapitres et donc la construction narrative, annonçant le chapitre suivant et l’ellipse temporelle, au cours de laquelle se poursuit l’entretien entre le sultan et sa favorite. En outre, un autre niveau narratif apparaît grâce aux titres, eux-mêmes ironiques. Le rêve de Mangogul est inséré dans le chapitre XXXII intitulé « Le meilleur peut-être, et le moins lu de cette histoire » : le titre fait office à la fois de slogan publicitaire et de commentaire, laissant entendre l’autodérision du conteur-philosophe. Par conséquent, la structure enchâssée fait vaciller l’allégorie dans le sens où l’équation univoque que le personnage établit entre le signifiant et le signifié se trouve sinon remise en question, du moins brouillée par l’ironie des diverses instances narratives. Ce brouillage du sens place ainsi le lecteur dans une situation de doute permanent. C’est en ce sens que l’on peut dire que ces deux contes sont des contes philosophiques car ils offrent au lecteur non pas une vérité univoque, mais une méthode d’accès à la connaissance.

Dans L’Oiseau blanc, conte bleu, Diderot a également recours à l’allégorie pour décrire la Vérité, sous les traits d’une fée :

[…] la fée était vêtue d’une gaze légère qu’elle prenait toujours pour les nouveaux venus, mais qu’elle quittait à mesure qu’on se familiarisait avec elle. La chaise longue sur laquelle elle reposait n’aurait pas été assez bonne pour la bourgeoise la plus raisonnable : elle était d’un bleu foncé relevé par des carreaux de perse à fond blanc. Je fus surpris du peu de parure. On me dit que la fée n’en prenait jamais davantage, à moins qu’elle n’assistât à quelque cérémonie publique, ou qu’un grand intérêt ne la contraignit de se déguiser, comme lorsqu’il fallait paraître devant les grands. […] On remarquait dans ses traits un je ne sais quoi d’antique qui ne plaisait pas à tout le monde. Elle ne manquait pas d’esprit ; pour des connaissances, personne n’en avait davantage et de plus sûres. Elle ne laissait jamais rien entrer dans sa tête sans l’avoir bien examiné. […] faisant ses délices d’ouvrages de caractères et de mœurs, pourvu que la religion n’y fût point mêlée45.

Il s’agit bien d’une allégorie, au sens pictural du terme cette fois : le personnage est une personnification de la vérité. D’ailleurs, le tableau que fait Diderot s’apparente aux représentations mythologiques de la notion, que le Chevalier de Jaucourt rappelle dans l’article « Vérité » de l’Encyclopédie. Elle est en effet souvent représentée sous les traits d’une jeune vierge au port noble et majestueux, vêtue de blanc, cachée au fond d'un puits, afin de symboliser sa pureté et la difficulté de la découvrir : « Apelles, dans son fameux tableau de la calomnie, personnifia la vérité, sous la figure d'une femme modeste laissée à l'écart ; c'est une idée bien vraie et bien ingénieuse »46. Tels sont les attributs que lui accorde également Diderot. Aucun sens n’est donc à chercher derrière l’image, tout est là, devant nous : l’allégorie est ici une image éloquente et n’a pas besoin d’un déchiffrement, ni d’une explication par un quelconque maître. Elle n’en exprime pas moins une conception particulière de la vérité, conçue comme le fruit d’un travail difficile, comme une appropriation progressive des concepts, une perception plus précise du monde qui nous entoure et surtout une lutte contre toute forme de croyance, comme le symbolisent le soulèvement du voile, le support peu confortable non destiné au repos, le recours à l’examen, et le refus de la religion. Dans l’article de l’Encyclopédie qu’il lui consacre, Le Chevalier de Jaucourt définit lui aussi la vérité comme « ce qui est opposé à l'erreur et aux fausses opinions en matière de religion »47. Cette définition rejoint en ce sens la description de la philosophie expérimentale, telle qu’elle apparaît dans le songe de Mangogul, dans Les Bijoux indiscrets. Dans L’Oiseau blanc, conte bleu, la fée Vérité est vêtue en toute simplicité, refuse les apparats et les déguisements. De cette manière, elle se montre accessible à quiconque s’engage dans sa quête, à l’instar du prince Génistan. Par conséquent, Diderot a bien recours à l’allégorie dans ses deux contes orientaux, mais il semble que ce soit moins pour imiter une quelconque mode, que pour reprendre la démarche de ses prédécesseurs, aussi bien dans le domaine des arts que de la philosophie. En effet, le procédé permet de concrétiser des idées abstraites, afin de mieux les imaginer (au sens de conceptualiser). Ce rapport qui s’établit entre l’image et son signifiant souligne donc l’importance de la représentation, et plus particulièrement de l’analogie, dans le processus d’acquisition de la connaissance.

L’analogie

L’analogie apparaît en effet comme une autre modalité utilisée par le conte pour transmettre une connaissance. Au XVIIe siècle, elle est d’ailleurs considérée comme synonyme de l’allégorie, comme en témoignent les dictionnaires de l’époque : pour Furetière, elle est « un rapport ou proportion ou convenance que quelques choses ont ensemble »48 ; pour le dictionnaire de L'Académie française (1694), c’est « [une] ressemblance, [une] conformité, [une] proportion d'une chose à une autre »49. Mais alors que pour les dictionnaires du XVIIe siècle l’analogie exprime une équation entre deux éléments, le Dictionnaire de l’Académie de 1762 signale qu’il s’agit du rapport « que diverses choses, divers sens d'un même mot ont ensemble »50. De surcroît, Diderot propose une autre définition de l’analogie dans Le Rêve de d’Alembert :

L’analogie dans les cas les plus composés n’est qu’une règle de trois qui s’exécute dans l’instrument sensible. Si tel phénomène connu en nature est suivi de tel autre phénomène connu en nature, quel sera le quatrième phénomène conséquent à un troisième, ou donné par la nature, ou imaginé à l’imitation de nature ?51

Pour Diderot, le rapport que l’analogie établit ne se situe pas entre deux éléments, mais quatre, car il emploie la figure au sens mathématique et musical du terme52. Dans ces deux domaines, elle est définie comme la « perception des rapports », et elle permet, grâce à la règle de trois, de trouver le quatrième élément. C’est grâce à elle que l’on peut opérer des transferts d’un domaine à l’autre. C’est bien ce type d’analogie qui définit la fiction narrative et lui confère une fonction cognitive. En effet, comme l’a montré Jean-Marie Schaeffer53, l’univers fictif est un analogon de ce qui, à un titre ou un autre, est considéré comme étant « réel » : la fiction ne reproduit pas le réel, mais elle le modélise, afin de mettre en lumière ses structures. En ce sens, l’analogie participe au passage à l’abstraction, comme le montrent les deux contes de Diderot. Dans ces derniers, l’analogie n’est pas seulement une figure stylistique, qui jouerait, comme la métaphore, le rôle d’intermédiaire entre deux champs différents de la connaissance : elle est à la fois une pratique littéraire, qui structure l’ensemble du texte, et un procédé de pensée. De fait, ces deux contes soulignent les transferts qu’opèrent les personnages-auditeurs entre l’histoire qui leur est rapportée et leur situation, comme en témoigne le récit des mœurs insulaires dans Les Bijoux indiscrets. Lorsque les voyageurs de Mangogul rendent compte au sultan et à sa favorite des manières de vivre des sauvages, Mirzoza conclut : « Il est sûr que nous paraîtrions aussi bizarres à ces insulaires, qu’ils nous le paraissent »54. Cette comparaison est bien un « procédé de la pensée », qui conduit le sultan à passer à l’abstraction : il généralise ainsi le comportement des sauvages à l’ensemble de la condition humaine et conclut de cette démonstration que nous sommes des « marionnettes ». L’emboîtement des différents niveaux narratifs renforce donc les effets d’analogie, qui favorisent la compréhension.

En effet, le clavecin des couleurs, que les insulaires utilisent pour réaliser des toilettes harmonieuses, est certes l’occasion d’un portrait satirique, tournant en dérision les querelles futiles liées à la mode. Mais cette fiction se présente surtout comme une expérience de pensée qui permet au sultan, et au lecteur avec lui, de saisir le processus par lequel nos idées se construisent. Diderot fait ici allusion à l’hypothèse du père Castel, caricaturé sous les traits d’un brame noir55 : « il avait diapasonné les couleurs selon l’échelle des sons, et sur lequel il prétendait exécuter pour les yeux une sonate, un allegro, un presto, un adagio, un cantabile, aussi agréables que ces pièces bien faites le sont pour les oreilles »56. Le comparatif souligne les similitudes et les correspondances entre les sens. Dans ses écrits théoriques57, Diderot se sert également de la fiction du clavecin oculaire pour expérimenter et concrétiser le circuit de la formation des idées : notre corps est comme un clavecin, dont les touches représentent nos sens ; ces derniers provoquent des sensations qui sont à l’origine de nos représentations, c’est-à-dire de nos images mentales, symbolisées par les tableaux réalisés par le clavecin oculaire. De la même manière que les sons harmonieux composent d’heureuses mélodies, de même notre imagination compose les idées simples que lui transmettent nos sensations. Telle est la conclusion à laquelle Diderot aboutit, dans La Lettre sur les sourds et les muets, à l’usage de ceux qui entendent et parlent (1751), grâce à la fiction du sourd de convention58. Ces expériences de pensée permettent, à celui qui entend et qui voit, de saisir l’importance des sens en les distinguant : la main, l’œil et l’oreille sont comme des objets mécaniques, qui reçoivent un mouvement (ou une information) et la transmettent. C’est en cela que nous sommes bien des « marionnettes », selon le mot de Mangogul. En ce sens, la fiction du clavecin oculaire n’est pas seulement une métaphore, elle permet d’expérimenter, par la pensée, l’acquisition des idées, telle que l’a théorisée Locke, dans son Essai sur l’entendement humain. Selon ce dernier, nos idées simples proviennent de nos sensations ; quant aux idées complexes, elles sont des combinaisons des idées simples que notre esprit joint ensemble. Dans La lettre sur les sourds, Diderot, quant à lui, montre d’abord que chaque sens fonctionne sur le même modèle, puis il met en évidence la simultanéité des sensations et son rôle dans la formation d’idées complexes59. Telle est également l’expérience que le lecteur des contes orientaux de Diderot peut à la fois vivre et conceptualiser : le conte philosophique est donc un lieu d’expérimentations et de réflexions sur le processus de la connaissance, au même titre qu’un traité philosophique.

En effet, la structure enchâssée permet simultanément de sentir et d’observer les effets produits par le récit, ce qui est particulièrement le cas dans L’Oiseau blanc, conte bleu. Par exemple, les quatre conteurs, qui sont impatients d’aller à un bal, inventent une scène similaire, une soirée qui aurait lieu à la cour de la princesse Lirila60. De même, au moment-même où Mirzoza fait semblant de dormir et de ne pas voir Mangogul qui s’est glissé dans sa chambre, le premier émir raconte qu’Irocilla feint d’être endormie, alors que le prince Génistan s’approche d’elle et commence à l’embrasser. De tels effets d’analogie mettent en évidence les phénomènes d’imitation, les réactions par mimétisme. D’ailleurs, les rapports qui s’établissent entre l’intérieur et l’extérieur de la fiction sont parfois inconscients. Ainsi, la chatouilleuse se montre particulièrement sensible (c’est d’ailleurs bien le sens de son nom), comme en témoignent ses réflexes à l’écoute du récit. Lors de la troisième soirée, la seconde conteuse raconte que Lively se retrouve pliée en deux, telle un automate bloqué, au moment de faire sa révérence, au point que ses écuyers sont obligés de la « remettre à sa place ». La chatouilleuse, « qui avait peut-être aussi quelque arrangement »61, arrête alors son chatouillement automatique du pied de la sultane. L’adverbe met en évidence l’analogie entre les deux niveaux narratifs. Diderot souligne ainsi l’effet mimétique de la fiction : on imagine le geste suspendu de la chatouilleuse qui, fascinée par l’histoire, en oublie ce qu’elle doit faire. C’était d’ailleurs déjà le cas au début du conte, lorsque le premier émir déclame la mauvaise prose de la « grande guenon », suite à l’oracle concernant le destin de l’oiseau blanc. La sultane affirme : « Mademoiselle, vous avez ce soir le toucher dur et vous me chatouillez trop fort. Doucement, doucement… Fort bien, comme cela… »62. Le mouvement de la chatouilleuse varie donc en fonction de ses réactions et de ses sentiments. Ainsi la structure enchâssée permet au lecteur de prendre conscience des effets de la fiction. En effet, les réactions de la chatouilleuse montrent parfaitement comment l’adhésion du lecteur (ou de l’auditeur) repose sur des « transferts perceptifs »63, comme l’a montré Jean-Marie Schaeffer : elle réagit devant une situation rapportée par la fiction (peur, crispation,..), de la même manière qu’elle le ferait si elle vivait la même situation. À chaque fois, les remarques de la sultane désamorcent le leurre perceptif, réveillant ainsi la conscience de l’auditrice. Cette autoréflexivité montre bien que le conte philosophique a une portée épistémologique, dans la mesure où il met en scène les mécanismes sur lesquels il repose : le lecteur est spectateur de l’effet mimétique et cette prise de distance induit un processus de modélisation des principes opératoires de l’activité imitée64.

En outre, ces passages mettent en évidence la stimulation simultanée d’un double registre sensoriel (le toucher et l’ouïe). Jean Starobinski a démontré que cette « perception mêlée »65 a une fonction cognitive et définit une poétique de « l’écouter-jouir » : le contage, rituel sensualiste voire érotique, éveille les sens de l’auditeur-lecteur qui peut imaginer (au sens d’avoir des images mentales) ce qu’il ne concevrait que confusément, sans cette excitation des sens. N’est-ce pas ce que suggère la scène d’extase, à la fois physique et spirituelle, des couventines ?

Son ombre [celle de l’oiseau] les couvre et elles en conçoivent des mouvements singuliers. Agariste et Mélisse éprouvent les premières les merveilleux effets de son influence. Un feu divin, une ardeur sacrée s’allument dans leur cœur ; je ne sais quels épanchements lumineux et subtils passent dans leur esprit, y fermentent, et de deux idiotes qu’elles étaient en font les filles les plus spirituelles et les plus éveillées qu’il y eut à la Chine : elles combinent leurs idées, les comparent, se les communiquent et y mettent insensiblement de la force et de la justesse66.

Certes, la signification sexuelle de cette scène tourne violemment en dérision le dogme catholique de l’Immaculée-Conception. Mais l’idée de l’éveil de l’intelligence par le plaisir est également à considérer à l’aune de la philosophie sensualiste. Épanouissements sensuel et intellectuel sont intimement liés car, dans une conception sensualiste, la vérité est de l’ordre de la sensation. Il ne peut donc « y avoir de jouissance ou de vérité que dans une conjonction de rapports : il n’y a d’expression de cette jouissance ou de cette vérité que dans une analogie généralisée »67, comme le souligne Aurélia Gaillard. Si les contes philosophiques de Diderot mettent en évidence la fonction cognitive de l’analogie, c’est donc parce qu’ils stimulent de manière simultanée la raison et les sens du lecteur, afin qu’il ait une perception plus aiguë de ce que la vie ne lui donne que furtivement. Le recours à la fiction du sourd, de l’aveugle ou du clavecin oculaire dans les textes théoriques de Diderot fait apparaître enfin la fécondité des variations imaginaires dans le processus de la conceptualisation.

La variation imaginaire

La fiction peut en dernier lieu avoir une fonction cognitive, lorsqu’on la considère comme un champ du possible. En effet, les philosophes eux-mêmes se servent de la fiction comme un outil de pensée. Pour appuyer leurs développements théoriques, ils inventent des situations, des scénarios, qui ne sont pas à prendre dans l’optique de la vérité et de la fausseté, mais qui ouvrent un possible, que chacun peut s’imaginer. Cette « variation imaginaire » donne alors leur fondement aux problèmes philosophiques et aux concepts que le philosophe en fait sortir : « dans cette perspective, il n’y pas de différence de nature entre la description du philosophe et celle du romancier, pas plus que, à l’intérieur du travail philosophique, entre la description et l’expérience de pensée »68, comme l’affirme Pierre Cassou-Noguès. Dans son ouvrage, Mon zombie et moi, la philosophie comme fiction, il montre notamment, comment la fiction narrative, qui permet de faire varier les situations, participe de l’analyse philosophique et donc de la connaissance de soi. En effet, pour comprendre qui je suis, je dois sentir en moi cette zone de perception qui me met en contact avec le monde et qui est le moteur de mes actions. La difficulté est que cet œil de la conscience, qui se déplace dans mon corps, en fonction de l’attention que je lui porte, ne peut pas se voir lui-même : « cette zone où je suis reste inobjectivable. Elle marque justement ce point où l’objectivation de mon corps échoue »69. Pour se saisir, le sujet doit donc avoir recours à la fiction. C’est pourquoi Descartes lui-même part d’une fiction (il s’imagine à son bureau, en chemise de nuit, isolé, loin du brouhaha des hommes), afin de saisir l’essence du sujet, le cogito. Telle est également, semble-t-il, une des fonctions des contes philosophiques de Diderot, qui de nouveau font dialoguer la théorie cartésienne et la démarche expérimentale.

Déguisée en faux-savant, Mirzoza parodie les leçons des philosophes et développe sa métaphysique expérimentale70. Sous l’apparence fantaisiste et burlesque, le développement de la favorite se rapproche des conceptions de Diderot sur la place et la nature de l’âme. Elle cherche effectivement à démontrer que l’âme se déplace dans le corps, en fonction de l’âge, de l’acquisition des facultés, du tempérament, des conjonctures : « Si l’âme se fixe dans le cœur, elle formera les caractères sensibles, compatissants, vrais, généreux. Si quittant le cœur pour n’y plus revenir, elle se relègue dans la tête, alors elle constituera ceux que nous traitons d’hommes durs, ingrats, fourbes et cruels »71. Mirzoza en appelle alors à l’expérience et aux sentiments de chacun, et ne cherche pas à argumenter ou à conjecturer. Son développement s’oppose ainsi à l’idée cartésienne selon laquelle l’âme humaine se situe dans la « glande pinéale », qui « est le principal siège de l’âme et le lieu où se font toutes nos pensées »72. Descartes établit une distinction entre l’esprit – le je du Je pense – et le corps-machine. La philosophie expérimentale de Mirzoza montre au contraire que l’âme se situe dans toutes les parties du corps, en fonction de l’attention que l’on accorde à chacune. En ce sens, les fictions narratives que développe Diderot apparaissent comme des tentatives d’objectivation du sujet. En effet, pour appuyer sa démonstration, Mirzoza imagine un spectacle où chaque personne serait réduite aux membres les plus sensibles, à ceux qui sont le plus mobilisé, en fonction des métiers : « les danseurs seraient réduits à deux pieds ou à deux jambes tout au plus ; les chanteurs à un gosier ; la plupart des femmes à un bijou ; les héros et les spadassins à une main armée ; certains savants à un crâne sans cervelle […] »73. Une telle description fait écho à celle que font les voyageurs des insulaires, dont le corps est conforme à leur fonction et à leur vocation : « Ceux que la nature avait destinés à la géométrie avaient les doigts allongés en compas ; mon hôte était de ce nombre. Un sujet propre à l’astronomie avait les yeux en colimaçon ; à la géographie, la tête en globe ; à la musique ou acoustique, les oreilles en cornet ; à l’arpentage, les jambes en jalons ; à l’hydraulique […] à la chimie, le nez en alambic ; à l’anatomie, l’index en scalpel ; aux mécaniques, les bras en lime ou en scie, etc. »74. Ce peuple est mieux fait que celui de Brama où « tel qui ne voit non plus qu’une taupe, passe sa vie à faire des observations, c’est-à-dire à une profession qui demande des yeux de lynx »75. Certes, l’image a une valeur morale et fustige ces aveugles qui croient voir ou ces sourds qui croient entendre, image que l’on trouve aussi bien sous la plume de Diderot76 que de Voltaire77. Mais ces fictions narratives qui font varier la forme des corps en fonction de sens aiguisés ont une fonction cognitive, comme en témoigne l’insertion d’une hypothèse similaire dans la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient :

L’aveugle du Puisieux […] apprécie à merveille les poids des corps et les capacités des vaisseaux ; et il s’est fait de ses bras des balances si justes, et de ses doigts des compas si expérimentés, que dans les occasions où cette espèce de statique a lieu, je gagerais toujours pour notre aveugle, contre vingt personnes qui voient78.

Ces images participent ainsi à la démonstration matérialiste : le principe moteur de notre organisme change en fonction des circonstances et de la manière dont nous exerçons nos membres. Or pris dans le mouvement quotidien, nous ne nous rendons plus compte des perceptions que nous recevons simultanément, nous ne séparons plus les sensations. Seule la fiction expérimentale nous permet de distinguer ce que la vie nous donne de manière confuse. Elle est donc un outil cognitif pour passer à l’abstraction, que Diderot définit ainsi : « l’abstraction ne consiste qu’à séparer par la pensée les qualités sensibles des corps, ou les unes des autres, ou du corps même qui leur sert de base ; et l’erreur naît de cette séparation mal faite, ou faite mal à propos »79. Dès lors, les contes de Diderot transmettent bien un savoir : sans doute moins une vérité, qu’un mode d’accès à la connaissance.

En conclusion, les deux contes orientaux de Diderot mettent en évidence l’entremêlement de la fiction littéraire et de la réflexion scientifique, au XVIIIe siècle. Ils mettent notamment en scène l’affrontement entre la philosophie théorique et conceptuelle (cartésienne) et la démarche expérimentale (newtonienne), au profit explicitement de la seconde. Tout d’abord, le déplacement des structures de la société parisienne dans un cadre oriental, renforcé par la structure enchâssée, met en lumière le processus de création et de diffusion des discours de vérité. Une telle critique a pour effet, en particulier, de saper la doctrine des idées innées. Fustigeant les discours dogmatiques, Diderot a donc recours à d’autres modalités pour transmettre sa conception de l’acquisition de la connaissance, à savoir l’allégorie et l’analogie. Ces deux figures conduisent le lecteur à mettre en rapport des éléments éloignés et transférer les situations fictives, à sa propre situation, à l’image des personnages-auditeurs. En outre, la structure emboîtée vient brouiller l’équation entre le signifié et le signifiant, que l’allégorie établit. Le lecteur est donc placé dans une situation de doute permanent et de quête du sens. Le conte philosophique diderotien ne transmet donc pas une vérité, mais une méthode d’acquisition du savoir. Cette dernière nécessite la stimulation simultanée de la raison et des sens, ce que le lecteur peut à la fois vivre et conceptualiser, grâce à ces fictions. Ces dernières ont dès lors un rôle similaire aux variations imaginaires des traités philosophiques : elles permettent d’imaginer des possibles et ainsi de conceptualiser des paradoxes et des situations philosophiques complexes. Par conséquent, le conte philosophique se présente bien comme une enquête épistémologique, et ce pour trois raisons : non seulement il met en scène les débats scientifiques de son époque, mais il est lui-même un outil de connaissance et un lieu de réflexion sur la connaissance elle-même, au même titre qu’un traité philosophique. La fiction, et le conte philosophique en particulier, apparaît donc comme partie prenante de l’élaboration philosophique et épistémologique.

1 D. Diderot, « Système des connaissances humaines », Prospectus de l’Encyclopédie, dans Œuvres complètes, t. V, éd. John Lough et Jacques Proust

2 Ibid., p. 116.

3 Ibid., p. 118.

4 D. Diderot, article « leçon », dans Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des techniques, vol. I, t. IX, Paris, Briasson/

5 D. Diderot, Réflexions sur le livre De L’Esprit, par M. Helvétius, dans Œuvres complètes de Diderot  : revues sur les éditions originales.... Étude

6 Ibid., p. 273.

7 Voltaire, article « Imagination », Encyclopédie, vol. I, t. VIII, ouvr. cit., p. 561.

8 Ibid.

9 Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, 1999, p. 58.

10 Ibid., p. 179.

11 Ibid., p. 156.

12 Ibid.

13 J. Barchilon, Le conte merveilleux français, de 1690 à 1790, cent ans de féerie et de poésie ignorée de l’histoire littéraire, Paris, H. Champion

14 C. Ginzburg, A distance, Neuf essais sur le point de vue en histoire, Occhiacci di legno, nove riflessioni, trad. Pierre-Antoine Fabre, Paris

15 Ibid., p. 36.

16 Lettres sur les sourds et muets à l’usage de ceux qui voient et de ceux qui entendent, éd. Marian Hobson et Simon Harvey, Paris, Flammarion, p. 93.

17 Les lecteurs contemporains ont assimilé Mirzoza à Madame de Pompadour et Mangogul à Louis XV et ont reconnu notamment la dispute entre les ramistes

18 Ibid., p. 28.

19 Les Bijoux indiscrets, dans Contes et romans, éd. Michel Delon, Paris, Gallimard, 2004, p. 24.

20 Ibid., note 2, p. 929.

21 Ibid., p. 38.

22 On a pu en effet déceler des allusions aux personnages du temps (Polychresta, qu’épouse Génistan, a la même différence d’âge avec le prince que

23 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 108.

24 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1457.

25 Dans ce conte, les deux voyageurs interplanétaires trouvent bien vaine la discussion philosophique entre le cartésien, le partisan de Locke, le

26 Voltaire, « Discours aux Welches », Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire, Première édition, Genève, Cramer, 1756, p. 130. Dans le

27 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 25.

28 Ibid., p. 24-25.

29 Dictionnaire de l’académie, cinquième édition, t. II, Paris, Smits, 1798, p. 188.

30 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 25.

31 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1457-1458.

32 Ibid., p. 1473.

33 L’abbé Mallet, « Allégorie », Encyclopédie, vol. 1, t. I, p. 280.

34 Ibid.

35 George May, « Diderot et l’allégorie », Studies on Voltaire and the eighteenth century, vol. 89, Oxford, Voltaire foundation, 1972, p. 1049-1076.

36 Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître, éd. Yvon Belaval, Paris, Gallimard, 1973, p. 57.

37 Jean-Baptiste Dubos, Réflexions critiques sur la poësie et sur la peinture, Première partie, section XXV, Genève, Slatkine, 1967, p. 227.

38 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 109.

39 Ibid., p. 110.

40 Ibid., note 2, p. 948.

41 Dumarsais utilise la même image dans l’article « philosophe » de l’Encyclopédie : « le philosophe dans ses passions mêmes, n’agit qu’après la

42 « […] le temps a renversé jusqu’aujourd’hui presque tous les édifices de la philosophie rationnelle. Le manœuvre poudreux [c’est-à-dire la

43 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 111.

44 « Voilà ce que Platon enseignait à ses disciples. Quand il eut fini de parler, l’un d’eux lui dit : Et puis vous vous réveillâtes. » Voltaire, Le

45 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1471 et 1473.

46 Le Chevalier de Jaucourt, article « Vérité », Encyclopédie, vol. II, t. 17, ouvr. cit., p. 72.

47 Ibid., p. 71.

48 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, t. I, La Haye et Rotterdam, A. et R. Leers, 1690, p. 95.

49 Dictionnaire de l’Académie française, première édition, Paris, J. B. Coignard, 1694, p. 38.

50 Dictionnaire de L’Académie française, quatrième édition, Paris, B. Brunet, 1762, p. 70.

51 D. Diderot, Le rêve de d’Alembert, éd. Colas Duflo, Paris, Flammarion, 2002, p. 73.

52 A. B. Maurseth, « La règle de trois  : l’analogie dans Le Rêve de D’Alembert », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, avril 2003, p. 

53 J.-M. Schaeffer, ouvr. cit., p. 243.

54 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 63.

55 Dans son Traité du clavecin oculaire (1735), le père Castel imagine une machine capable de produire une harmonie de couleurs, sur le modèle de la

56 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 60.

57 Dans un long article de l’Encyclopédie, Diderot décrit également l’objet imaginaire, comme s’il s’agissait d’une machine réelle dont il aurait fait

58 Lettre sur les sourds et muets, ouvr. cit. p. 99.

59 Le moment le plus théâtral de Rodogune (où Antiochus porte la coupe à ses lèvres et où Timagène s’exclame : « Ah seigneur ! ») déclenche une

60 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1464.

61 Ibid., p. 1465. (je souligne)

62 Ibid., p. 1446.

63 J.-M. Schaeffer, ouvr. cit., p. 159.

64 Ibid., p. 122.

65 J. Starobinski, « Du pied de la favorite au genou de Jacques », dans Anne-Marie Chouillet, Colloque international Diderot (1713-1784)  : Paris

66 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1443-1444.

67 A. Gaillard, « Contage et sexualité, le récit à double entente de Diderot, L’Oiseau blanc, conte bleu », dans Le conte en ses paroles  : la

68 P. Cassou-Noguès, Mon zombie et moi, la philosophie comme fiction, Paris, Seuil, 2010, p. 338.

69 Ibid., p. 24.

70 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 96.

71 Ibid., p. 102.

72 R. Descartes à Meyssonnier, 29 janvier 1640, Œuvres, Adam et Tannery, III, p. 19, cité par P. Cassou-Noguès, ouvr. cit., p. 20.

73 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 102-103.

74 Ibid., p. 58.

75 Ibid., p. 58-59.

76 Le prince Génistan dit lui-même : « il n’y a pas de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre » ; auquel répond la sultane : « Il n’y a pas

77 « Un sourd, en lisant cette petite histoire, avoua que les aveugles avaient eu tort de juger des couleurs ; mais il resta ferme dans l’opinion qu’

78 Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, ouvr. cit., p. 36.

79 Ibid., p. 42.

1 D. Diderot, « Système des connaissances humaines », Prospectus de l’Encyclopédie, dans Œuvres complètes, t. V, éd. John Lough et Jacques Proust, Paris, Hermann, 1976, p. 108.

2 Ibid., p. 116.

3 Ibid., p. 118.

4 D. Diderot, article « leçon », dans Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des techniques, vol. I, t. IX, Paris, Briasson/David/Le Breton/ Durand, 1751, p. 332 (je souligne).

5 D. Diderot, Réflexions sur le livre De L’Esprit, par M. Helvétius, dans Œuvres complètes de Diderot  : revues sur les éditions originales.... Étude sur Diderot et le mouvement philosophique au XVIIIe siècle. Tome 2, éd. J. Assézat, et Maurice Tourneux, Paris, Garnier frères, 1875, p. 267-274.

6 Ibid., p. 273.

7 Voltaire, article « Imagination », Encyclopédie, vol. I, t. VIII, ouvr. cit., p. 561.

8 Ibid.

9 Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, 1999, p. 58.

10 Ibid., p. 179.

11 Ibid., p. 156.

12 Ibid.

13 J. Barchilon, Le conte merveilleux français, de 1690 à 1790, cent ans de féerie et de poésie ignorée de l’histoire littéraire, Paris, H. Champion, 1975, p. 139.

14 C. Ginzburg, A distance, Neuf essais sur le point de vue en histoire, Occhiacci di legno, nove riflessioni, trad. Pierre-Antoine Fabre, Paris, Gallimard, 2001.

15 Ibid., p. 36.

16 Lettres sur les sourds et muets à l’usage de ceux qui voient et de ceux qui entendent, éd. Marian Hobson et Simon Harvey, Paris, Flammarion, p. 93.

17 Les lecteurs contemporains ont assimilé Mirzoza à Madame de Pompadour et Mangogul à Louis XV et ont reconnu notamment la dispute entre les ramistes et les lullistes dans la querelle entre Uremifasolasiututut (Rameau) et Utmiutsol (Lully) (chapitre XIII).

18 Ibid., p. 28.

19 Les Bijoux indiscrets, dans Contes et romans, éd. Michel Delon, Paris, Gallimard, 2004, p. 24.

20 Ibid., note 2, p. 929.

21 Ibid., p. 38.

22 On a pu en effet déceler des allusions aux personnages du temps (Polychresta, qu’épouse Génistan, a la même différence d’âge avec le prince que Marie Leszczynska avec Louis XV) et à des familiers de l’auteur (son épouse, son amie Mme de Puisieux, son fils), A. Defrance, notice de L’Oiseau blanc, conte bleu, dans Contes, éd. A. Defance et J.-Fr. Perrin, Paris, Champion, 2008, p. 1430. (Toutes les notes renvoient à cette édition).

23 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 108.

24 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1457.

25 Dans ce conte, les deux voyageurs interplanétaires trouvent bien vaine la discussion philosophique entre le cartésien, le partisan de Locke, le défenseur d’Aristote, celui de Malebranche et celui de Leibniz et ils y répondent par « ce rire inextinguible qui, selon Homère, est le partage des dieux ». Voltaire, Micromégas, dans Contes en vers et en prose, éd. Sylvain Menant, Paris, Bordas, 1992, p. 81.

26 Voltaire, « Discours aux Welches », Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire, Première édition, Genève, Cramer, 1756, p. 130. Dans le Dictionnaire philosophique (1764), ou dans Le Philosophe ignorant (1766), Voltaire développe l’idée que les connaissances humaines sont bornées et quiconque tenterait d’expliquer l’origine et la nature de l’âme humaine et de Dieu ne pourrait qu’échafauder des « romans » philosophiques.

27 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 25.

28 Ibid., p. 24-25.

29 Dictionnaire de l’académie, cinquième édition, t. II, Paris, Smits, 1798, p. 188.

30 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 25.

31 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1457-1458.

32 Ibid., p. 1473.

33 L’abbé Mallet, « Allégorie », Encyclopédie, vol. 1, t. I, p. 280.

34 Ibid.

35 George May, « Diderot et l’allégorie », Studies on Voltaire and the eighteenth century, vol. 89, Oxford, Voltaire foundation, 1972, p. 1049-1076.

36 Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître, éd. Yvon Belaval, Paris, Gallimard, 1973, p. 57.

37 Jean-Baptiste Dubos, Réflexions critiques sur la poësie et sur la peinture, Première partie, section XXV, Genève, Slatkine, 1967, p. 227.

38 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 109.

39 Ibid., p. 110.

40 Ibid., note 2, p. 948.

41 Dumarsais utilise la même image dans l’article « philosophe » de l’Encyclopédie : « le philosophe dans ses passions mêmes, n’agit qu’après la réflexion ; il marche la nuit, mais il est précédé d’un flambeau », article « Philosophe », Encyclopédie, vol. II, t. 12, ouvr. cit., p. 509.

42 « […] le temps a renversé jusqu’aujourd’hui presque tous les édifices de la philosophie rationnelle. Le manœuvre poudreux [c’est-à-dire la philosophie expérimentale] apporte tôt ou tard, des souterrains où il creuse en aveugle, le morceau fatal à cette architecture élevée à force de tête ; elle s’écroule, et il ne reste que des matériaux confondus pêle-mêle, jusqu’à ce qu’un autre génie téméraire en entreprennent une combinaison nouvelle. Heureux philosophe systématique à qui la Nature aura donné, comme autrefois à Épicure, à Lucrèce, à Aristote, à Platon, une imagination forte, une grande éloquence, l’art de présenter ses idées sous des images frappantes et sublimes ! l’édifice qu’il a construit pourra tomber un jour ; mais sa statue restera debout au milieu des ruines. » Pensées sur l’interprétation de la nature, chap. XXI, ouvr. cit., p. 72-73.

43 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 111.

44 « Voilà ce que Platon enseignait à ses disciples. Quand il eut fini de parler, l’un d’eux lui dit : Et puis vous vous réveillâtes. » Voltaire, Le songe de Platon, dans Contes en vers et en prose, éd. Sylvain Menant, Paris, Bordas, 1992, p. 54.

45 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1471 et 1473.

46 Le Chevalier de Jaucourt, article « Vérité », Encyclopédie, vol. II, t. 17, ouvr. cit., p. 72.

47 Ibid., p. 71.

48 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, t. I, La Haye et Rotterdam, A. et R. Leers, 1690, p. 95.

49 Dictionnaire de l’Académie française, première édition, Paris, J. B. Coignard, 1694, p. 38.

50 Dictionnaire de L’Académie française, quatrième édition, Paris, B. Brunet, 1762, p. 70.

51 D. Diderot, Le rêve de d’Alembert, éd. Colas Duflo, Paris, Flammarion, 2002, p. 73.

52 A. B. Maurseth, « La règle de trois  : l’analogie dans Le Rêve de D’Alembert », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, avril 2003, p. 165-183.

53 J.-M. Schaeffer, ouvr. cit., p. 243.

54 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 63.

55 Dans son Traité du clavecin oculaire (1735), le père Castel imagine une machine capable de produire une harmonie de couleurs, sur le modèle de la musique.

56 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 60.

57 Dans un long article de l’Encyclopédie, Diderot décrit également l’objet imaginaire, comme s’il s’agissait d’une machine réelle dont il aurait fait l’expérience. Il insiste aussi sur le rapport établi entre les couleurs et les sons : « La musique oculaire a donc dans ses principes un fondement analogue à la musique auriculaire. » Diderot, Article « clavecin oculaire », dans Encyclopédie, vol. I, t. III, ouvr. cit., p. 511.

58 Lettre sur les sourds et muets, ouvr. cit. p. 99.

59 Le moment le plus théâtral de Rodogune (où Antiochus porte la coupe à ses lèvres et où Timagène s’exclame : « Ah seigneur ! ») déclenche une multitude de sensations et de pensées : « quelle foule d’idées et de sentiments ce geste et ce mot ne font-ils pas éprouver à la fois ! », ibid., p. 97.

60 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1464.

61 Ibid., p. 1465. (je souligne)

62 Ibid., p. 1446.

63 J.-M. Schaeffer, ouvr. cit., p. 159.

64 Ibid., p. 122.

65 J. Starobinski, « Du pied de la favorite au genou de Jacques », dans Anne-Marie Chouillet, Colloque international Diderot (1713-1784)  : Paris, Sèvres, Reims, Langres, 4-11 juillet 1984  : actes, Paris, Aux amateurs de livres, 1985, p. 366.

66 L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1443-1444.

67 A. Gaillard, « Contage et sexualité, le récit à double entente de Diderot, L’Oiseau blanc, conte bleu », dans Le conte en ses paroles  : la figuration de l’oralité dans le conte merveilleux du Classicisme aux Lumières, éds. A. Defrance et J.-Fr. Perrin, Paris, Desjonquères, 2007, p. 200.

68 P. Cassou-Noguès, Mon zombie et moi, la philosophie comme fiction, Paris, Seuil, 2010, p. 338.

69 Ibid., p. 24.

70 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 96.

71 Ibid., p. 102.

72 R. Descartes à Meyssonnier, 29 janvier 1640, Œuvres, Adam et Tannery, III, p. 19, cité par P. Cassou-Noguès, ouvr. cit., p. 20.

73 Les Bijoux indiscrets, ouvr. cit., p. 102-103.

74 Ibid., p. 58.

75 Ibid., p. 58-59.

76 Le prince Génistan dit lui-même : « il n’y a pas de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre » ; auquel répond la sultane : « Il n’y a pas de pires endormies que celles qui ne veulent pas se réveiller, ni de pires éveillées que celles qui ne veulent pas s’endormir », L’Oiseau blanc, conte bleu, ouvr. cit., p. 1469.

77 « Un sourd, en lisant cette petite histoire, avoua que les aveugles avaient eu tort de juger des couleurs ; mais il resta ferme dans l’opinion qu’il n’appartient qu’aux sourds de juger de la musique », Voltaire, Petite digression sur les Quinze-Vingts, fragment du Philosophe ignorant (1766), dans Contes et romans, éd. F. Deloffre, Paris, Gallimard, p. 280.

78 Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, ouvr. cit., p. 36.

79 Ibid., p. 42.

Magali Fourgnaud

Université Michel de Montaigne – Bordeaux III, SPH (EA 4574)
Agrégée de lettres modernes et enseignante en lycée à Pessac, actuellement doctorante à Bordeaux III, sous la direction d’Aurélia Gaillard. Sa thèse porte sur Le conte à visée morale et philosophique. Elle a déjà publié un certain nombre d’articles sur le conte (http://feeries.revues.org/709) et en particulier sur Diderot