Introduction

Guilhem Armand

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Guilhem Armand, « Introduction », Tropics [En ligne], 12 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 24 avril 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/2121

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Armand (Guilhem)

Si pour le lecteur actuel, du fait sans doute du pli scolaire, c’est Jacques le fataliste qui vient tout de suite à l’esprit lorsque l’on évoque le roman diderotien, force est de reconnaître que ce texte étrange marque justement les esprits parce qu’il contrevient à la plupart des lois du genre. Par un effet de l’approche historienne de la littérature, on a souvent tendance à repérer davantage les hapax et, dans le genre narratif, les antiromans1. Or, parmi toute la production romanesque de Diderot, La Religieuse étonne et détonne. Ce n’est pas simplement un roman de Diderot, mais peut-être bien le roman de Diderot, celle des œuvres narratives de l’auteur qui s’apparente le plus aux canons du genre pratiqué par Richardson et ses contemporains : une œuvre romanesque dans tous les sens du terme. Loin de la forme dialoguée si récurrente sous la plume diderotienne, La Religieuse relève des deux modalités les plus pratiquées par le roman à la première personne en ce début de seconde moitié du XVIIIe siècle : le roman-mémoires et le roman épistolaire.

À leur parution conjointe et posthume en 1796, La Religieuse connaît une réception un peu plus favorable que Jacques le fataliste, du moins la double modalité de l’épistolaire et du roman-mémoires a peut-être rassuré un public au goût encore assez classique2. Son sujet enflamme une critique marquée par la suppression des ordres monastiques par l’Assemblée Constituante, le 27 février 1790. Les journalistes de gauche y voient une histoire qui soutient leur combat contre la superstition et les abus du clergé en général. La droite n’y voit que le pamphlet antimonastique et antireligieux d’un dangereux athée, fondé sur une « religieuse imaginaire »3. Résumant en quelque sorte les commentaires les plus négatifs sur l’œuvre, La Harpe fustige « une peinture fausse et monstrueuse », un ouvrage « mal conçu et mal fait » sans « intérêt ni vraisemblance »4 où la voix de l’auteur se confond avec celle de son personnage : « C’est Suzanne qui raconte et souvent Diderot qu’on entend ». Mais il reproche aussi le manque de cohérence interne de cette « satyre de la religion » qui met en scène une mère ayant « beaucoup de piété et de religion, sans ignorance et sans hypocrisie » et qui ne peut donc détester sa fille ; ainsi qu’une « sainte » abbesse, ce qui est d’une grave inconséquence au regard de la visée de l’œuvre : « le romancier veut intéresser et ne s’embarrasse pas de démentir le philosophe », dit-il. Si La Harpe préfère « passer sous silence les obscénités qui remplissent une partie de l’ouvrage avec une abondance de détails où l’auteur semble se complaire », d’autres contemporains vilipendent le romancier pour cela. La critique est donc clairement orientée idéologiquement : trouver des qualités littéraires à un tel texte reviendrait à admettre les thèses qu’il sous-tend. Aussi le parti adverse ne se montre-t-il pas moins partial, reconnaissant dans le roman les qualités symétriques : naturel, simplicité, vraisemblance. Point d’obscénité dans la peinture des amours saphiques de la dernière supérieure, mais un portrait subtil qui, loin de révolter, suscite la compassion pour cette nouvelle Phèdre qu’y voit Arnault5, de concert avec Andrieux : « Ce n’est pas du libertinage, c’est de l’amour le plus ardent, le plus emporté ; c’est Sapho ; c’est Phèdre ; C’est Vénus tout entière à sa proie attachée »6. Le clan des antimonastiques loue enfin le caractère entier de Suzanne, dont la cohérence et la vraisemblance psychologiques guident l’ensemble de l’œuvre : un être de raison et de sensibilité attaché à la liberté plus que tout. Il ne manque que d’en faire une Marianne des couvents.

De nos jours, La Religieuse suscite certainement moins d’engagements passionnés7 ; mais, quoique déliés de tels partis pris idéologiques, les critiques universitaires n’ont eu de cesse de se poser d’analogues questions. Nombre d’entre eux ont recensé les différentes incohérences narratives qui émaillent le roman, ou ce qui en semble le « rattrapage après-coup ». La plupart relèvent de problèmes de chronologie, à l’instar de l’âge de Suzanne qui, durant une histoire s’étalant sur près de dix ans, semble ne quasiment pas vieillir. L’exemple le plus frappant est certainement constitué par la dernière lettre de Mme Simonin postée avant même d’avoir été écrite8. Plus discrètes, les demandes à Croismare de sauver aussi Sainte Ursule se trouvent corrigées par l’expression du regret de sa mort (LR, 65), marquant une étrange distorsion entre je narré et je narrant9, qui déjà s’esquissait au tout début quand Suzanne évoquait les doutes concernant sa naissance. La narratrice chercherait-elle à faire ressentir l’ignorance première de son personnage ? Ce mémoire sincère a quelque couleur de construction romanesque qui fait glisser le doute sur l’innocence même de cette rédactrice ignorante jusqu’au bout du lesbianisme de sa supérieure, et pose la question de la vraisemblance psychologique.

D’autres moments de la narration reposent sur une distorsion plus discrète de la vraisemblance, comme l’a fait remarquer Christophe Martin : quand Suzanne se souvient de ses transes ou de ce qui se passait durant son sommeil10. Alors Diderot « semble oublier le principe de l’écriture mémorialiste »11, mais aussi que, selon Diderot philosophe, les transes excluent toute lucidité : dans ces épisodes le romancier démentirait-il en effet le philosophe ? Ces traces d’une présence autre derrière la plume de Suzanne se font plus sensibles quand le lecteur croit entendre à travers la voix de la narratrice celle de l’auteur, comme le dénonçait La Harpe qui y voyait une grossière erreur technique : la retranscription du plaidoyer de Manouri, en dépit des guillemets, s’insère sur le mode du glissement d’une parole à l’autre à tel point que, selon George May, on ne sait plus qui parle ; on le sait d’autant moins que certains de ses arguments sont proches de ceux auxquels Diderot et les encyclopédistes nous ont habitués12. Or, cette voix que l’on croit reconnaître, Suzanne en critique le style et le manque d’efficacité, comme si la narratrice, personnage fictif, remettait en question son auteur. Plus qu’un second degré auquel inviterait l’épisode selon Dominique Jullien, il y a là un phénomène complexe où la superposition des voix – Suzanne, Manouri, Diderot – intègre un dispositif plus large de prise en compte des différentes réceptions : celle des juges, celle du public, celle de Suzanne elle-même, celle de Diderot philosophe des Lumières s’opposant à cette infamie que sont les cloîtres, et celle de Diderot lecteur – le même qui réapparaît à la fin – interrogeant la portée de cette parole et peut-être même de tout discours d’indignation13 visant à réformer la société. Si l’écriture au second degré vise en général l’ironique remise en question de la fiction – laquelle était originellement une mystification –, cet entrelacement du discours et du métadiscours intégrant une herméneutique de la réception n’invite pas à un simple surplomb sarcastique du lecteur en ce moment d’intense indignation – un recul qui se résumerait à une pose ou une pause. Il crée au contraire un doute qui n’est ni le doute todorovien ni le doute philosophique cartésien, mais une posture ambiguë et instable à la fois sensible et rationnelle, reposant sur l’adhésion aux arguments de Manouri, l’identification à Suzanne qui les critique, une invitation à prolonger la réflexion (sur une condition) et la lecture (sur un être). L’autre grand moment où résonne encore plus nettement la voix de l’auteur, c’est dans cette célèbre rêverie de Suzanne sur « la bizarrerie des têtes de femmes » (LR, 137). « Un instant philosophe »14, Suzanne fait dériver ce propos, d’emblée marqué par un recul généralisant sur les femmes, vers une réflexion sur les effets de la retraite. Là encore, comme le démontre Colas Duflo, ce « passage dissertatif […] a peut-être plus pour fonction de poser des problèmes que de suggérer des pistes comme autant de pierres d’attente, que d’énoncer une thèse qui viendrait éclairer le roman et donner un sens définitif au comportement alternativement violent ou érotique des nonnes. Son objet n’est pas tant de clore le travail de l’intelligence du lecteur en lui donnant des réponses que de l’encourager à poursuivre ses réflexions en le stimulant »15. Et cette stimulation se trouve accrue par l’effet d’étrangeté de la voix16 à ce moment charnière d’un récit globalement réaliste – relativement à la production romanesque de Diderot. Marc Hersant analyse ici cet écart entre les deux plumes du roman-mémoires : celle de la mémorialiste qui cherche a priori à ne pas attirer le soupçon et celle du romancier qui joue à rendre possible une attitude critique du lecteur. Comparativement aux œuvres de Prévost ou de Marivaux, Diderot renouvelle la poétique du narrateur indigne de confiance par une écriture qui, paradoxalement, affermit le soupçon tout en reposant sur « un extrême investissement émotionnel dans l’acte créateur » renforçant le processus d’identification.

Par ailleurs, ces effets tiennent aussi au dispositif global de l’œuvre qui, contrairement à un certain nombre de romans-mémoires17, est signé du nom de son auteur véritable, romancier notoirement malicieux et philosophe aussi connu qu’assumé. L’œuvre tient de la lettre (qui attend une réponse du marquis de Croismare qui devra « fournir […] les premières lignes de ce récit », LR, 11) et du roman-mémoires. Mais les « mémoires de la sœur Suzanne sont interrompus » (LR, 184) et suivent des « réclames », des fragments qu’un éditeur dit « transcrire » ; pause étrange puisque le texte s’enchaîne parfaitement avec ce qui précède : « Après cette confession… ». Après une page au rythme plus précipité (où un paragraphe correspond à une phrase), la narration reprend son tempo jusqu’à la « scène dans le fiacre » (LR, 189) à peine esquissée mais projetée (« c’est ici que je peindrai… ») : par l’auteur ou par la narratrice ? Lieu commun romanesque rappelant les romans de Marivaux, la scène à faire est en quelque sorte déjà jouée : il est inutile de la peindre, elle s’est déjà re-présentée aux yeux du lecteur. Après un post-scriptum de la narratrice, le récit s’interrompt à nouveau et est suivi par cette préface-annexe étrangement placée à la fin, qui, contrairement à une postface ne clôt pas véritablement le roman car, après avoir narré la mystification, elle en introduit les pièces, aggravant le doute qu’elle fait porter désormais sur les réponses de Croismare. Mais à ce moment, l’histoire de Suzanne reprend avec l’accueil de Mme Madin et sa fin tragique, tandis qu’en parallèle, est narrée comme un roman celle de la mystification où le dédicataire initial devient un personnage principal : désormais épistolier de Suzanne et victime du clan des malicieux parisiens et peut-être même objet d’une mystification seconde à l’égard de l’auteur de tout cet ensemble. Cette fin qui n’en finit jamais vraiment peut provoquer le vertige. Franck Salaün s’intéresse ici à ces « réclames » qui semblent venir contredire le contrat de lecture initial, afin de les analyser dans une perspective plus large, en les mettant en perspective avec d’autres textes de Diderot, parfois à l’état de projet, notamment autour de la rédaction du Salon de 1767 (à propos de La Chaste Suzanne de Lagrenée). Il soulève notamment un autre problème de chronologie qui se pose cette fois au niveau des lettres, présentées comme postérieures au roman et dont le hiatus avec les mémoires (ce que Diderot appelle des « contradictions légères entre ce récit et les mémoires ») agit comme un révélateur de la manière d’écrire de Diderot, et donc de le lire.

Ces deux contributions posent aussi, chacune à sa façon, la question de la réception du roman entre identification et détachement, plaisir des larmes et recul réflexif. Si la critique a déjà largement commenté la posture finale d’un Diderot pleurant sur un conte qu’il se fait, cet épisode constitue le dernier d’une longue série de mises en abyme de la réception du roman au fil de la narration. Ainsi, le marquis de Croismare, bon père, juste et pieux, incarne au propre et au figuré la réception attendue18 de l’histoire de Suzanne, celle à partir de laquelle est élaboré l’ethos de l’héroïne : une pieuse victime d’une mère injuste, une demoiselle vraiment innocente, dont la séduction est aussi involontaire que non-maîtrisée. Mais la retenue du marquis, devenu pleinement personnage à partir de la préface-annexe, insinue un doute quant à la véracité de cette histoire. Florence Lotterie le décrit certes en « bon chrétien »19 estimé des philosophes, mais aussi en bon lecteur capable de décrypter des signes de littérarité dans une liaison épistolaire qui ne semble d’abord dangereuse que pour son autrice : le vrai marquis de Croismare a-t-il perçu le jeu de séduction empruntant aux modèles libertins20 qui anime – non pas le personnage de Suzanne mais – la poétique du roman à la première personne ? D’un autre côté, Manouri sert une objectivation de la réception, alliant l’indignation des Lumières à la rhétorique judicaire. Néanmoins chacune des mères supérieures – et même « maman Madin » – peut aussi figurer une des réceptions (féminines ?) possibles de ce roman de l’innocence persécutée. Sœur Sainte-Christine et Mme*** personnifient autant les manifestations que peut prendre l’hystérie féminine soumise à la contrainte du cloître que la réception d’une sensibilité pervertie à l’extrême par le code religieux. À l’inverse, Mme de Moni incarne une réception qui, quoique pieuse, est sensible au pathos, s’en laisse submerger et finit bouche bée21. Si elle le suscite, elle ne partage pas le plaisir des larmes et signale peut-être, par son impuissance rendue ici totale, les limites de la portée politique d’une œuvre sensible. Parmi cette galerie des personnages, Antonia Zagamé a choisi de s’intéresser non plus à une figure isolée mais à un groupe : celui des blanchisseuses dont la patronne refuse de s’apitoyer sur cette « mauvaise religieuse » qui « était bien où elle était » (LR, 192). Cette communauté travailleuse, peu lettrée, représente une grande part de l’opinion publique, et dit clairement « l’inconséquence du jugement public de nos actions particulières », en écho à ces moments de dépit du philosophe face à l’ampleur de la tâche qu’il s’est fixée d’éclairer ses semblables. C’est cette ambiguïté fondamentale qu’interroge Emmanuelle Sempère dans sa contribution qui porte sur ce que l’on pourrait appeler la poétique de la réception de Diderot dans La Religieuse, revenant sur la portée de l’empathie, dans la continuité des travaux de Thierry Belleguic22, étudiant cette fois les postures de Suzanne victime sensible et de Suzanne avatar de philosophe opprimé. Sous cet angle, le roman ne serait plus une simple « satire des couvents » mais une satura des registres et des postures de lecteurs qui dit d’une autre façon que Le Neveu de Rameau l’impuissance du discours philosophique le plus fondé à agir sur le réel. Florence Magnot s’intéresse aux mêmes questions, qu’elle concentre sur une scène-clé du roman, la prononciation des vœux à Longchamp (LR, 40-50), pour montrer à travers une microlecture attentive comment se superposent les postures de lecteur auxquelles invite ici Diderot, jouant à la fois sur le pathétique des vœux forcés, la satire religieuse, mais aussi les déceptions du texte – notamment celles que provoque la mère de Moni –, ses hiatus : comme si l’auteur jouait à rendre son texte bancal avec la plus parfaite maîtrise.

Ainsi se trouve interrogé à nouveaux frais ce paradoxe fondamental de Diderot romancier et admirateur de Richardson qui ne cesse – et plus encore ici qu’ailleurs – de fissurer, pour ne pas dire plus, l’illusion réaliste qu’il s’efforce de créer. La « Question aux gens de Lettres » (LR, 223) qui clôt l’ouvrage (reprenant les mêmes formules que celles utilisées à propos d’un tableau de Greuze23) évoque ce final surprenant des Deux Amis de Bourbonne, où il explique, au terme d’un récit des plus réalistes, comment il suffit d’ajouter quelques détails précis pour faire vrai. Pourtant, dans l’Éloge de Richardson, il évoque son incapacité à suivre les leçons du maître24 qui sait se faire oublier au profit de ses personnages : c’est ainsi que ce deus absconditus crée un monde vrai, émeut son lecteur et « porte le flambeau au fond de la caverne »25. Diderot, lui, se fait au mieux Dieu malicieux dans les interstices de l’œuvre, voire réclame clairement la paternité de la fiction à son terme. Or, au niveau de la diégèse, la question de la paternité, aussi fugitive et rapidement évacuée soit-elle au début du roman, est bien essentielle en ce qu’elle définit pour toujours Suzanne comme une bâtarde. Tandis que succèdent à l’indigne Mme Simonin les substituts maternels, positifs ou négatifs mais systématiquement inefficaces, décevants voire effrayants, les figures paternelles sont rares, hormis Croismare. Certes, le portrait fait de ce dernier, qui insiste sur le père veuf qui prend soin de ses enfants et aimé en retour par ceux-ci, contraste fortement avec celui de la mère de Suzanne, ainsi qu’avec ceux de Monsieur Simonin et même de son géniteur, figure à peine esquissée d’un séducteur inconséquent. Ce père de substitution, ce sauveur souhaité, rêvé par Suzanne, plane donc sur l’ensemble du roman. Il est pour elle l’incarnation d’un espoir, et en cela il s’oppose aux deux autres pères de Suzanne (l’officiel et le géniteur). Mais il demeure physiquement absent et, sur ce point, il les rejoint. Et même dans les réclames, le récepteur premier de la lettre ne devient qu’un acteur bien en retrait de la diégèse. La Religieuse est le roman tragique d’une jeune femme qui attend un père qui n’arrive pas, au contraire de Dorval, dans Le Fils naturel, qui ne l’attendait pas, et le voit arriver et le sauver. La bâtardise, ou plus largement les questions de paternité et de filiation parcourent l’ensemble de l’œuvre de Diderot26 d’une façon plus prégnante que s’il s’agissait d’un simple topos romanesque ou théâtral. Aussi pourrait-on postuler que cette mise en avant de sa paternité auctoriale dans ce roman qui est pourtant le plus « richardsonien » de tous fait sens encore autrement. Car, quand « finit l’histoire de l’infortunée Suzanne » (LR, 222), que reste-t-il de la correspondante du marquis de Croimare ? Pour ce dernier, une femme enterrée à la fosse commune, pour Diderot, un être de papier auquel il n’aurait su substituer aucune actrice susceptible de l’incarner si Croismare s’était décidé à se déplacer. Ne subsistent d’elle – et pour des siècles – qu’un auteur et des lecteurs et lectrices.

C’est que Suzanne est peut-être plus qu’un personnage de roman. Christophe Martin, revenant sur le travail de peintre que réalise Diderot dans ce roman, en relation avec la notion capitale chez l’auteur de simulacre27, montre comment s’articulent les tableaux et leur fabrique, comment ces tableaux s’animent par l’effet de leur décomposition orchestrée non pas tant par le peintre que par le personnage de Suzanne. C’est en ce sens que Suzanne devient simulacre, un relai de l’impression sensible, comme ce phénomène que produit l’acteur sur scène en étant le personnage imaginé par l’auteur que Diderot appelle le « grand fantôme », d’où sa nécessaire disparition dans le roman, comme lors d’un tombé de rideau. Ainsi, explique-t-il, Diderot retourne contre elle-même la puissance de la religion catholique, qui consiste justement dans des rituels reposant sur des simulacres. Aurélia Gaillard revient à son tour sur cet art du peintre qui repose sur une conception de l’image comme simulacre, en se concentrant sur la question du coloris. Partant du clair-obscur, elle démontre que la symbolique de la lumière et des ténèbres n’est pas celle attendue. Loin d’être opérante, la métaphore philosophique semble s’effacer derrière le tableau religieux et dans un jeu tout en contrastes subtils et en dégradés harmonieux, l’obscurité du cloître peut paraître préférable aux éblouissantes lumières des cierges. Mais cette ambiguïté contamine l’ensemble des couleurs de l’œuvre, et Aurélia Gaillard montre comment la séduction produite par le coloris déborde les cadres étroits des symboles qui lui sont ordinairement associés. Hélène Cussac, quant à elle, associe, dans son étude scénographique de la nuit du couvent, la question de la couleur – a priori sombre – et celle de l’acoustique – a priori silencieuse. Elle montre combien ces moments dans ce lieu de solitude sont propices à la stimulation de l’imagination, dont la manifestation, chez Suzanne, fait tableau, un tableau sonore. Mais la nuit dans le cloître est pleine de bruissements réels ou imaginaires, propres à susciter la terreur, tandis que la souffrance de Suzanne ne se fait pas entendre, qu’elle marche sur des « verres cassés » (LR, 87) ou qu’elle crie pour sa liberté.

Prédominance de la nuit, couvent, bruits étranges et apparitions, La Religieuse a bien quelques traits du roman gothique qui naît dans ces années en Europe. Une esthétique du clair-obscur, une terreur récurrente, un doute obsédant sur la véracité des faits tels que la narratrice les rapporte : on pourrait presque croire que, dans ce roman où le lecteur entend par endroits une étrange voix familière, Diderot réinvestit à sa manière les éléments constitutifs du fantastique – mais que l’on ne connaît pas encore28. Suzanne, parfois perçue comme maudite29 par certains critiques, agit toutefois bien comme un révélateur – à l’instar du Neveu, ce « grain de levain » – et ce dès la rencontre avec Mme de Moni qui en perd sa voix et son don. Serait-ce que la sainte femme, la douce prophétesse, atteinte d’hystérie mystique n’en avait pas réellement ? Suzanne apparaît donc bien au sein de chaque couvent comme une « irruption de l'inadmissible au sein de l'inaltérable légalité quotidienne », créant une « rupture de l’ordre reconnu », pour reprendre mutatis mutandis la célèbre formule de Roger Caillois. Sans aller jusqu’à dire que, comme dans un roman fantastique, Suzanne ferait mourir ses supérieures, elle n’en est pas moins cernée par la mort – ce qui accentue sa destinée tragique –, comme le montre ici Clarisse Chapel. C’est que la peinture de l’espace claustral est celle d’un lieu mortifère, niant la nature de l’homme, être sentant, pensant et donc libre – dirait Orou dans cette fiction qui est le « complément » heureux30 de La Religieuse. La mort y prend toutes les formes possibles (sociale, physique, mentale), dans cette fiction conçue comme une sorte de laboratoire permettant d’expérimenter les dérives du religieux. Articulant paradoxalement la narration par une pieuse et innocente jeune fille au combat du philosophe pour une morale athée – jamais énoncée ici – Diderot concentre dans cette parole même feinte – et même prise dans ses contradictions – une force de vie et de volonté individuelle. S’intéressant à cette question de l’expression de la personne dans le roman, Charles Vincent concentre ici son étude de La Religieuse sur de la question du rapport entre individu et communauté, deux notions centrales dans le roman et en particulier dans le roman-mémoires du XVIIIe siècle. Il s’intéresse bien sûr à la communauté religieuse mais aussi à tout ce qui peut faire communauté (ou qui ne le fait pas) : la famille, le « monde », ainsi que le groupe d’amis philosophes complices de la supercherie mais habités par de grands idéaux. À ces réseaux s’ajoute l’entrelacement (entre opposition et complicité) des voix masculines et féminines. Car au monde auquel Suzanne veut désespérément échapper, s’oppose un envers qui n’en est pas nécessairement l’inverse. Charles Vincent montre bien que la portée philosophique de cette réflexion qui sous-tend l’œuvre ne porte pas tant sur un contrat social – acte collectif par définition – que sur un aspect essentiel : le renoncement ou la résiliation qui constitue le lieu de l’affirmation de l’individu. Enfin, Lydia Vazquez se penche justement sur cette notion centrale de consentement qui semble valoir pour un contrat définitif. Dans une étude prenant à la fois en compte le contexte de l’œuvre (notamment en la rapprochant de La Religieuse malgré elle de Brunet de Brou) et les réflexions récentes. Elle souligne comment, à partir du pseudo-consentement de Suzanne, la gradation du roman construit une réflexion sur cette idée même et en souligne le paradoxe : c’est parce qu’elle est enfant qu’elle doit consentir à un choix fait pour elle ; c’est parce qu’elle est enfant qu’elle ne devrait pas avoir à s’engager à vie dans une telle voie.

1 Sur ce point, voir l’analyse par Colas Duflo de Jacques le fataliste comme un « antiroman du lecteur » : Les Aventures de Sophie. La philosophie

2 Voir l’introduction d’Alan J. Freer de : Jacques le fataliste et La Religieuse devant la critique révolutionnaire (1796-1800), J. Th. De Booy et

3 Dans L’Accusateur public, n° 32, 10 juillet 1797, p. 23, in Alan J. Freer, op. cit. p. 269.

4 Ibid. p. 264-267. Notons que La Harpe avait écrit une Mélanie, ou Les Vœux forcés en 1770, qu’Andrieux se plaît à comparer au roman de Diderot, au

5 « Enfin, cette passion désordonnée, qui n’est que l’amour, est peinte par Diderot, comme elle l’a été par Racine. Phèdre n’est pas plus tendre, plus

6 Ibid., p. 130.

7 Il n’est qu’à comparer la réception de l’adaptation cinématographique de Jacques Rivette en 1967 et le scandale qu’elle a suscité, à celle de

8 Diderot, La Religieuse, Florence Lotterie (éd.), Paris, Flammarion, « GF », 2009, p. 48-50. Cette édition (abrégée en LR) est celle de référence

9 Pour une analyse plus précise de cet écart entre je narrant et je narré dans le roman, voir la préface de Florence Lotterie : La Religieuse, éd. cit

10 Voir, par exemple, la scène de prière (LR,68), ou encore lorsque Mme de Moni pénètre dans la cellule de Suzanne alors que celle-ci n’est pas « 

11 Christophe Martin, La Religieuse de Diderot, Paris, Folio, coll. « Foliothèque », 2010, p. 145.

12 Voir, par exemple, l’article « Vœux de religion » de l’Encyclopédie (1765, vol. 17, p. 412, reproduit dans LR, p. 232).

13 Sur la question de l’indignation dans l’écriture diderotienne, voir notamment : Girolamo Imbruglia, « Droits de l’homme et indignation », L’édition

14 Voir l’analyse très éclairante de Colas Duflo sur ce passage : « Problèmes du récit : Suzanne un instant philosophe », Les Aventures de Sophie. La

15 Ibid., p. 136.

16 Sur la question plus générale des effets de brouillage des voix chez Diderot, voir notamment : Jacques Proust, «  « Cantate de l’innocent (à propos

17 Rappelons que l’un des tout premiers romans réalistes – novel par opposition à romance –, à l’origine de ce que Ian Watt a nommé The Rise of the

18 Sur les destinataires du texte de la Religieuse, voir : Anne Coudreuse, « Pour un nouveau lecteur : La Religieuse de Diderot et ses destinataires »

19 « Croyant éclairé, animé d’une piété douce et tolérante, Croismare incarnait sans doute, pour les philosophes, le "bon" chrétien, loin des

20 Nous ne revenons pas ici sur la question de la séduction de Suzanne. À ce sujet, la bibliographie est conséquente et les interprétations sont

21 « Je ne sais, me dit-elle, ce qui se passe en moi ; il me semble quand vous venez que Dieu se retire et que son esprit se taise ; c’est inutilement

22 Thierry Belleguic, « Suzanne ou les avatars matérialistes de la sympathie : figures de la contagion dans La Religieuse », dans T. Belleguic, É. Van

23 Au sujet du Fils puni, on peut en effet lire à la fin : « De deux lettres, par exemple d’une mère à sa fille, l’une pleine de beaux grands traits d

24 « L’intérêt et le charme de l’ouvrage dérobent l’art de Richardson à ceux qui sont le plus faits pour l’apercevoir. Plusieurs fois j’ai commencé la

25 Ibid., p. 157.

26 Sur ces questions, je me permets de renvoyer à : Guilhem Armand, Le Père, le fils et Diderot. Enquête sur la question de la paternité et de la

27 Sur ce point, voir : « Diderot et les simulacres humains », dir. Aurélia Gaillard et Marie-Irène Igelmann, Lumières, n°31, 2018

28 Au sujet du fantastique du XVIIIe siècle, voir l’ouvrage d’Emmanuelle Sempère : De la merveille à l’inquiétude : le registre du fantastique dans la

29 « "Vous me ferez mourir" s’écrie Mme *** ; la malédiction de Suzanne l’entraîne à causer la mort de sa mère naturelle et de ses mères spirituelles.

30 Colas Duflo analyse La Religieuse comme « le complément noir de l’utopie joyeuse du Supplément au Voyage de Bougainville » (Diderot philosophe

1 Sur ce point, voir l’analyse par Colas Duflo de Jacques le fataliste comme un « antiroman du lecteur » : Les Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman au XVIIIe siècle, Paris, CNRS éditions, « Biblis », 2013, p. 125-140.

2 Voir l’introduction d’Alan J. Freer de : Jacques le fataliste et La Religieuse devant la critique révolutionnaire (1796-1800), J. Th. De Booy et Alan J. Freer (éd.), Oxford, Voltaire Foundation, SVEC, 2017 [1965], p. 37 et sq.

3 Dans L’Accusateur public, n° 32, 10 juillet 1797, p. 23, in Alan J. Freer, op. cit. p. 269.

4 Ibid. p. 264-267. Notons que La Harpe avait écrit une Mélanie, ou Les Vœux forcés en 1770, qu’Andrieux se plaît à comparer au roman de Diderot, au détriment du premier.

5 « Enfin, cette passion désordonnée, qui n’est que l’amour, est peinte par Diderot, comme elle l’a été par Racine. Phèdre n’est pas plus tendre, plus brûlante, plus combattue de remords, plus égarée par le désespoir, que cette abbesse infortunée, qui finit par expirer dans le délire. » op. cit., p. 293.

6 Ibid., p. 130.

7 Il n’est qu’à comparer la réception de l’adaptation cinématographique de Jacques Rivette en 1967 et le scandale qu’elle a suscité, à celle de Guillaume Nicloux en 2013.

8 Diderot, La Religieuse, Florence Lotterie (éd.), Paris, Flammarion, « GF », 2009, p. 48-50. Cette édition (abrégée en LR) est celle de référence pour cette introduction et les articles suivants.

9 Pour une analyse plus précise de cet écart entre je narrant et je narré dans le roman, voir la préface de Florence Lotterie : La Religieuse, éd. cit., p. XXI-XXIV.

10 Voir, par exemple, la scène de prière (LR, 68), ou encore lorsque Mme de Moni pénètre dans la cellule de Suzanne alors que celle-ci n’est pas « encore éveillée », ne l’entend point, mais décrit parfaitement tous les gestes de la supérieure (LR, 44).

11 Christophe Martin, La Religieuse de Diderot, Paris, Folio, coll. « Foliothèque », 2010, p. 145.

12 Voir, par exemple, l’article « Vœux de religion » de l’Encyclopédie (1765, vol. 17, p. 412, reproduit dans LR, p. 232).

13 Sur la question de l’indignation dans l’écriture diderotienne, voir notamment : Girolamo Imbruglia, « Droits de l’homme et indignation », L’édition du dernier Diderot, G. Goggi et D. Kahn (dir.), Paris, Hermann, 2007, p. 125-176 ; Franck Salaün, « Indignez-vous, citoyens ! Diderot penseur engagé », Le Langage politique de Diderot, F. Salaün (dir.), Paris, Hermann, « essais », 2014, p. 279-300.

14 Voir l’analyse très éclairante de Colas Duflo sur ce passage : « Problèmes du récit : Suzanne un instant philosophe », Les Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman au XVIIIe siècle, Paris, CNRS éditions, « Biblis », 2013, p. 125-140.

15 Ibid., p. 136.

16 Sur la question plus générale des effets de brouillage des voix chez Diderot, voir notamment : Jacques Proust, «  « Cantate de l’innocent (à propos de La Religieuse »), in L’Objet et le texte, Genève, Droz, 1981, p. 147-156 ; William F. Edmiston, « Narrative voice and cognitive privilege in Diderot’s "La Religieuse" », French Forum, may 1985, vol. 10, n° 2, p. 133-144 ; J. E. Fowler, « Suzanne at Ste Eutrope: Negation and Narration in "La Religieuse" », Diderot Studies, 1998, vol. 27, p. 83-96 ; Jean-Christophe Abramovici, « Des graphes et des voix. Les maléfices de l’écriture dans La Religieuse », Réseau Canopé, « Cahiers philosophiques », 2015/1, n° 140, p. 43-51.

17 Rappelons que l’un des tout premiers romans réalistes – novel par opposition à romance –, à l’origine de ce que Ian Watt a nommé The Rise of the Novel, La Vie et les aventures surprenantes de Robinson Crusoé est paru de façon si anonyme que son éditeur reçut des lettres adressées à son auteur fictif.

18 Sur les destinataires du texte de la Religieuse, voir : Anne Coudreuse, « Pour un nouveau lecteur : La Religieuse de Diderot et ses destinataires », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, n° 27, 1999, p. 43-57.

19 « Croyant éclairé, animé d’une piété douce et tolérante, Croismare incarnait sans doute, pour les philosophes, le "bon" chrétien, loin des manifestations de fanatisme et de superstition qu’ils s’étaient donné pour tâche de dénoncer et de combattre. », LR, p. XV.

20 Nous ne revenons pas ici sur la question de la séduction de Suzanne. À ce sujet, la bibliographie est conséquente et les interprétations sont nombreuses. On pourra ainsi comparer la lecture de Dominique Jullien (« Locus hystericus : l’image du couvent dans La Religieuse de Diderot », French Forum, May 1990, n° 15-2, p. 133-148) à celle de Christophe Martin (« Innocence et séduction. Les aventures de la voix féminine dans La Religieuse de Diderot », Diderot et le roman, Colas Duflo (dir.), Littérature n° 171, sept. 2013, p. 39-53) ou encore à celle de Marco Menin (« Les larmes de Suzanne. La sensibilité entre morale et pathologie dans La Religieuse de Diderot », RDE 51 – 2016, p. 19-39).

21 « Je ne sais, me dit-elle, ce qui se passe en moi ; il me semble quand vous venez que Dieu se retire et que son esprit se taise ; c’est inutilement que je m’excite, que je cherche des idées, que je veux exalter mon âme ; je me trouve une femme ordinaire et bornée ; je crains de parler. – Ah chère mère, lui dis-je, quel pressentiment ! Si c’était Dieu qui vous rendît muette ? » (LR, 42)

22 Thierry Belleguic, « Suzanne ou les avatars matérialistes de la sympathie : figures de la contagion dans La Religieuse », dans T. Belleguic, É. Van der Schueren, S. Vervacke (dir.), Les Discours de la sympathie : enquête sur une notion, de l’âge classique à la modernité, Québec, Presses de l’Université Laval, 2007, p. 257-324.

23 Au sujet du Fils puni, on peut en effet lire à la fin : « De deux lettres, par exemple d’une mère à sa fille, l’une pleine de beaux grands traits d’éloquence et de pathétique sur lesquels on ne cesse de se récrier, mais qui ne font illusion à personne, l’autre simple, naturelle, et si naturelle et si simple que tout le monde s’y trompe et la prend pour une lettre réellement écrite par une mère à sa fille, quelle est la bonne et même quelle est la plus difficile à faire ? » Salon de 1765, Œuvres, t. IV, L. Versini (éd.), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1996, p. 393.

24 « L’intérêt et le charme de l’ouvrage dérobent l’art de Richardson à ceux qui sont le plus faits pour l’apercevoir. Plusieurs fois j’ai commencé la lecture de Clarisse pour me former ; autant de fois j’ai oublié mon projet à la vingtième page […] » Éloge de Richardson, Œuvres, t. IV, éd. cit., p. 163.

25 Ibid., p. 157.

26 Sur ces questions, je me permets de renvoyer à : Guilhem Armand, Le Père, le fils et Diderot. Enquête sur la question de la paternité et de la filiation dans l’œuvre littéraire et philosophique de Denis Diderot, Paris, Honoré Champion, « Les Dix-huitièmes siècles », n°222, [à paraître : janvier 2023].

27 Sur ce point, voir : « Diderot et les simulacres humains », dir. Aurélia Gaillard et Marie-Irène Igelmann, Lumières, n°31, 2018

28 Au sujet du fantastique du XVIIIe siècle, voir l’ouvrage d’Emmanuelle Sempère : De la merveille à l’inquiétude : le registre du fantastique dans la fiction narrative au XVIIIe siècle, Presses Universitaires de Bordeaux, « Mirabilia », 2009.

29 « "Vous me ferez mourir" s’écrie Mme *** ; la malédiction de Suzanne l’entraîne à causer la mort de sa mère naturelle et de ses mères spirituelles. Suzanne va de mère en mère en répétant la faute de sa naissance » (Dominique Jullien, « Locus hystericus : l’image du couvent dans La Religieuse de Diderot », French Forum, May 1990, no 15-2, p. 138).

30 Colas Duflo analyse La Religieuse comme « le complément noir de l’utopie joyeuse du Supplément au Voyage de Bougainville » (Diderot philosophe, Paris, Honoré Champion, « Philosophie », 2003, p. 437).

Guilhem Armand

MCF HDR, Université de La Réunion, DIRE

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