Portrait de l’artiste en bagnard : Gauguin lecteur de Hugo et de Balzac

Isabelle Malmon

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Isabelle Malmon, « Portrait de l’artiste en bagnard : Gauguin lecteur de Hugo et de Balzac », Tropics [En ligne], 6 | 2019, mis en ligne le 01 juillet 2019, consulté le 26 avril 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/1150

Fin septembre 1888, l’artiste Paul Gauguin (1848-1903) exécute à Pont-Aven une toile intitulée Autoportrait avec portrait d’Émile Bernard. Les Misérables1. A l’occasion de son second séjour dans ce village du Finistère, il vient de réaliser des tableaux qui marquent un tournant dans son œuvre et lui valent l’engouement de toute une avant-garde. Ainsi La Vision du sermon2 rompt définitivement avec l’Impressionnisme de ses débuts pour exalter son ambition artistique, pétrie de refus du réalisme et de priorité donnée à l’imagination. L’autoportrait sous-titré Les Misérables est exécuté peu après cette peinture fondatrice et répond à une requête de Vincent Van Gogh. Installé en Arles, le Hollandais souhaitait faire de sa Maison Jaune le siège d’une sorte de phalanstère pictural, l’Atelier du midi, sur le modèle de celui qui s’était instauré dans les faits à Pont-Aven. Le portrait de Gauguin devait orner les murs de ce logis, en attendant la venue de son auteur ardemment sollicité.

Parallèlement à l’exécution de cette commande, Gauguin rédige une lettre à Vincent, dans laquelle il délivre une explication de son autoportrait : « Je me sens le besoin d’expliquer ce que j’ai voulu faire, non pas que vous ne soyez apte à le deviner tout seul mais parce je ne crois pas y être parvenu dans mon œuvre »3. Une semaine plus tard, il adresse une missive à Émile Schuffenecker, son ancien collègue de la bourse, lui-même peintre à ses heures ; dans cette lettre, illustrée d’une esquisse d’après le tableau, il ressent de nouveau le besoin de commenter sa peinture, affirmant : « C’est je crois une de mes meilleures choses »4. Si le sous-titre de la composition suggère une identification à Jean Valjean, le personnage principal du roman de Victor Hugo Les Misérables, les commentaires de Gauguin, tout en validant cette piste, insinuent une confusion entre le héros hugolien et un autre forçat en rupture de ban, le Vautrin de Balzac, à qui Gauguin vouait une tout aussi grande admiration. Pour le peintre, cette revendication d’une figure allégorique et fictionnelle correspond à ce que José-Luis Diaz a désigné sous l’appellation de « scénographie auctoriale » : il s’agit d’une représentation de son moi artiste, projet conscient adopté dans le dessein de se construire une légitimité et une réputation5. Cette auto-figuration participe en outre de toute une mise en scène de l’artiste dans un « champ » (Bourdieu) ou sur une « scène » (Diaz), où il convient de jouer un rôle pour se distinguer.

Par une analyse symétrique de la toile et des interprétations conférées par Gauguin à son sujet, notre article se propose d’interroger la signification et l’originalité de cette identification à la figure du bagnard. Nous essaierons également de comprendre la fonction de cet autoportrait dans l’itinéraire artistique du peintre : Gauguin, qui pose alors en Bretagne les prodromes de son art, est en pleine quête de son identité d’artiste, que les étiquettes de « sauvage » et d’« indien », déclinées au même moment dans sa correspondance, établissent comme une protestation de dissidence par rapport au système idéologique et esthétique de l’Europe. Ainsi, nous nous demanderons en quoi la figure du bagnard – ou du repris de justice – amorce, pour Gauguin, son désir d’indigénisation conflictuelle, qui radicalise à la fin du XIXe siècle l’image de l’artiste maudit.

Du rôle individuel à la scénographie collective

Commençons par constater que le portrait de l’artiste en criminel s’insère dans une attitude historique que Gauguin reprend et adapte. Van Gogh, à qui il dédicace sa toile, avait lui aussi recours à l’image du bandit pour métaphoriser l’artiste persécuté par ses contemporains : il estimait en effet que la jeune avant-garde était composée aux yeux du monde de « fous ou malfaiteurs »6. De telles équivalences étaient dans l’air du temps. Ainsi, le livre de Thomas de Quincey De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, initialement paru en 1854, venait d’être traduit en français dans le supplément littéraire du Figaro du 5 mai 1888, sous la plume de Théodor de Wyzéwa, responsable de la célèbre Revue wagnérienne7. De Quincey imagine les réunions périodiques d’une société de connaisseurs en meurtre, assemblés pour apprécier quelques crimes célèbres ayant marqué l’Histoire, et ce afin de les évaluer sous leur aspect esthétique.

En outre, quelques procès célèbres contribuaient à créer une image valorisante, ou tout au moins ambigüe, du criminel. Dans un compte-rendu de l’ouvrage de J-B. Lancelot, Le Manuel du parfait assassin, Albert Aurier, le critique des symbolistes, avait d’ailleurs souligné la fascination qu’exerçaient sur l’opinion ces « assassins sympathiques »8. Quant à la presse chargée de rendre compte de ces procès, elle mettait fréquemment en exergue des similitudes entre les expériences des assassins et celles des artistes, en raison de leur statut d’êtres asociaux, s’éprouvant différents de leurs contemporains. Au moment où Gauguin réalise son autoportrait, c’est le criminel Stanislas Prado qui fait les gros titres des journaux : soupçonné de nombreux délits, il est alors jugé pour l’assassinat d’une courtisane à la mode, égorgée pour le vol de ses bijoux. Or, le destin et la personnalité de Prado avaient de quoi retenir l’attention de Gauguin, en raison des nombreux points communs qu’ils offraient avec sa propre existence. Bel homme de trente-cinq ans, séducteur patenté et habile manipulateur aux nombreux pseudonymes, Prado était d’origine espagnole et avait parcouru le monde. On le disait fils d’un général péruvien, il avait vécu à Lima et il était qualifié de « rastaquouère », terme péjoratif suggérant son métissage. Or, comme nous le redirons plus bas, Gauguin s’enorgueillissait d’ancêtres amérindiens, voire incas, probablement chimériques : ayant passé sa petite enfance à Lima dans le palais d’un grand-oncle maternel, il partageait surtout avec Prado des extractions hispaniques. Deux autres points communs entre l’assassin et le peintre étaient l’activité d’espionnage qu’ils avaient un temps exercée pour le compte d’une faction politique espagnole, ainsi qu’un emploi antérieur dans le domaine de la finance.

Transmettant les appels à la clémence de l’accusé, les journalistes rapportaient enfin que ce dernier lisait en prison les œuvres de Victor Hugo contre la peine de mort. Le bref récit Claude Gueux, paru en 1834, mérite ici une mention particulière dans la mesure où le romancier s’était inspiré d’un fait divers pour échafauder l’image d’un criminel dépeint, comme Jean Valjean, en victime malheureuse de l’injustice sociale. Claude Gueux avait en effet été incarcéré suite à un vol commis pour nourrir sa famille, qui mourait de froid et de faim. Il avait finalement été exécuté après le meurtre du directeur du pénitencier, un homme autoritaire et sadique qui avait multiplié humiliations et privations à son égard.

Quant à Prado, il fut lui aussi condamné à la peine capitale en novembre 1888 et passa sur l’échafaud le 28 décembre de la même année. On sait que Gauguin fit tout pour assister à cette exécution en place publique, scène qu’il relata minutieusement dans son carnet Avant et Après, soulignant ses efforts pour observer le chef tranché du condamné avant qu'il ne soit lavé de son sang9. Une céramique de cette époque, présentant sa propre tête avec le cou ensanglanté, témoigne des relations possibles que l’artiste a pu tisser, consciemment ou non, entre Prado et lui-même10. Quoiqu’il en soit, cette affaire a pu participer de sa construction identitaire en bagnard, en lui permettant de nouer avec le mythe de l’artiste martyr, dont le seul crime est l’originalité.

L’artiste imaginaire en repris de justice : marginalité sociale et rupture esthétique

Examinons plus précisément la toile que nous avons choisi d’étudier11. La commentant dans sa lettre à Vincent12, Gauguin parle de « Jean Valjean que la société opprime, mis hors la loi » et compare ce personnage à « un impressionniste d’aujourd’hui » : « Et en le faisant sous mes traits, vous avez mon image personnelle, ainsi que notre portrait à tous, pauvres victimes de la société nous en vengeant en faisant le bien »13. Dans son message à Schuffenecker, il renchérit : « Tête de bandit au premier abord, un Jean Valjean (Les Misérables) personnifiant aussi un peintre impressionniste déconsidéré et portant toujours une chaîne pour le monde »14. De fait, l’identification exposée sur cette toile entre Gauguin et le héros hugolien témoigne d’une situation ressassée par la période romantique et exacerbée à la fin du siècle : l’exclusion sociale de l’artiste.

Tout d’abord, l’impression d’aliénation ressentie par Gauguin s’insère, d’après ses dires, dans un ostracisme collectif des artistes impressionnistes, terme générique utilisé à l’époque pour désigner la peinture d’avant-garde. Au XIXe siècle, la plainte était récurrente dans les milieux artistiques, effarés par le nouvel ordre social mis en place par le positivisme ambiant. Les nouveaux dominants, qui avaient constitué des fortunes colossales grâce à l’expansion industrielle du second Empire, étaient le plus souvent des parvenus sans culture. Pour autant, ils cherchaient, écrit Pierre Bourdieu, à « faire triompher dans toute la société les pouvoirs de l’argent et leur vision du monde profondément hostile aux choses intellectuelles »15, notamment par le contrôle des instruments de légitimation tels que les Salons ou la presse. Industriels, banquiers, négociants instaurent ainsi une société où l’art et la culture sont méprisés et mercantilisés, au profit des scientifiques jugés seuls « utiles » à la marche du progrès. À la fin du siècle, l’autorité à laquelle il s’agit de s’opposer, complète Nathalie Heinich,

… ne sera plus seulement synonyme d’« académie » ou de « tradition », comme c’était encore le cas pour les Impressionnistes, mais prendra la forme d’une antériorité floue, où se confondront tour à tour le mauvais goût bourgeois et l’inculture populaire, la mauvaise foi des critiques et l’incompétence des non-spécialistes, la sclérose des aînés et la médiocrité des contemporains, le provincialisme et le parisianisme, le philistinisme et la mode, l’incomplétude du passé et l’impureté du présent16.

Du même coup, « être artiste », être un artiste véritable, c’est afficher son exclusion, sa « malédiction », vivre la fameuse vie de bohème, faite de misère matérielle et morale. Gauguin qui, dans ses fonctions préalables d’agent de change, jadis fortuné et mécène, avait étroitement fréquenté le « champ du pouvoir », connaissait mieux que quiconque les rouages de la « subordination structurale » (Bourdieu) alors imposée aux artistes par le biais du marché, de la critique d’art et des salons officiels. Et c’est une véritable répugnance qu’il éprouve pour toutes ces nouvelles formes de domination qui accompagnent le capitalisme triomphant. En atteste cet extrait de sa correspondance : « Une terrible épreuve se prépare en Europe pour la génération qui vient : le royaume de l'or. Tout est pourri, et les hommes et les arts »17. Les ratés de son existence, où il accumule les déconvenues, les privations et les vexations depuis qu’il a décidé de rompre avec ce mode d’existence « philistin » pour ne vivre que de son art, ont probablement amplifié cet écœurement de la morale bourgeoise et de son culte de l’argent. Boudée par le public et les galéristes, sa peinture lui a surtout valu la faillite de son couple : depuis 1884, ne supportant plus ce mari désargenté qui l’avait accoutumée à un train de vie élevé, son épouse danoise Mette est retournée vivre à Copenhague avec leurs cinq enfants. La famille ne reprendra plus jamais vie commune, Mette reprochant incessamment à son mari de ne pas subvenir aux soins de ses enfants18. Il s’agit donc aussi, par ses commentaires sur son autoportrait, de suggérer et de regretter un sentiment personnel de malédiction, conséquence d’une prise de risque en matière artistique.

Dès lors, la figure de Jean Valjean fait office de foyer d’identification parce qu’elle permet à Gauguin de se positionner dans un rôle de dissident du système capitaliste, et de légitimer sa distance à l’égard de l’art bourgeois, accusé de véhiculer une certaine doxa éthique et politique. Tout d’abord, rappelons que le héros hugolien a été arrêté et condamné au bagne pour avoir dérobé un pain, n’ayant rien pour subsister. Sa pauvreté explique donc son geste qui, pour Hugo, est la conséquence inévitable d’un ordre social inégalitaire : la spoliation généralisée des pauvres par les riches occasionne la misère des premiers qui n’ont d’autre choix que le vol pour se nourrir. Or, Gauguin, qui tire le diable par la queue depuis quelques années, se sent en osmose avec cette population démunie évoquée dans le roman hugolien. En outre, bien qu’ayant purgé sa peine, Jean Valjean endure une réprobation générale en raison de son statut d’ancien forçat, matérialisé par le passeport jaune qu’il doit présenter dans chaque ville où il débarque. Cet opprobre collectif dont il est la victime trouve lui aussi des résonances dans la situation personnelle de Gauguin, dont le statut de peintre novateur a déterminé l’abandon par sa famille et le rejet par « le système marchands-critiques »19.

Enfin, lorsque sous l’influence de l’évêque Mgr Myriel, Jean Valjean renonce aux larcins, on le croit responsable du vol d’une pièce de quarante sous : désormais considéré comme récidiviste et risquant la prison à vie, il est pourchassé dans tout le roman par le policier Javert et doit dissimuler son identité. En dépit des extraordinaires qualités morales et humaines dont l’ancien forçat fait preuve, Javert met toute son énergie à le retrouver. Le prisonnier en fuite est donc un être incompris, qui doit lutter avec opiniâtreté contre une société mauvaise pour faire reconnaître sa loyauté et son bon droit. Tel est également le sentiment de Gauguin qui se sent injustement proscrit en raison de sa passion irrépressible pour l’art. Dans ses explications, le peintre souligne cette antithèse entre la méchanceté de la société et « la noblesse et la douceur intérieure » de Jean Valjean. Concernant sa propre image, reflet de la condition plus générale des artistes, il parle de « virginité artistique », symbolisée par le papier peint fleuri de l’arrière-plan : « Le petit fond de jeune fille avec des fleurs enfantines est là pour attester notre virginité artistique »20, « Le tout sur un fond chrome parsemé de bouquets enfantins. Chambre de jeune fille pure »21. La virginité, la pureté sont autant de termes laudatifs pour qualifier les audaces stylistiques des peintres avides d’innovations, dont la facture, dira Gauguin, n’est pas souillée par « le baiser putride des Beaux-Arts »22. Comme Jean Valjean est injustement accusé pour un geste par lequel il s’est mis malgré lui hors-la-loi, Gauguin se sent condamné de façon arbitraire parce qu’il a choisi un art hérétique, hors-norme, qui manifeste son refus de l’ordre social.

La dimension agonistique de cette scénographie auctoriale du bagnard est alors évidente. Comme Jean Valjean s’oppose à Javert, incarnation d’une justice rigide et inique, Gauguin est en lutte contre les canons en vigueur, déclinés sur les cimaises par les artistes académiques, seuls autorisés par le « bon goût » bourgeois. Ces peintres reconnus, pompiers et réalistes, tels Meissonier ou Bastien-Lepage, enseignent à l’école des Beaux-Arts, ils exposent dans les salons officiels et les grandes galeries et vendent leurs œuvres à une clientèle fortunée. Ils ont pignon sur rue, ou plus exactement sur l’avenue de Villiers qui, avec la place Malesherbes et les quartiers chics aux alentours, accueille leurs œuvres. A l’inverse, Gauguin fréquente le « petit boulevard »23, plus au nord, autour des quartiers des Batignolles, de Clichy et de la butte Montmartre, repaire des peintres de l’avant-garde qui, sans succès et sans argent, sont en rupture avec le Paris bourgeois des premiers. Son autoportrait en criminel souligne avec fermeté ce tempérament artistique qui revendique l’excentricité et l’innovation, et s’invente de façon conflictuelle, dans la rupture avec les codes ordinaires, l’autorité des prédécesseurs et les critères traditionnels des valeurs communes, reproduites par l’apprentissage académique. En témoigne tout ce vocabulaire du combat qui ne cessera d’ensemencer ses écrits jusqu’au terme de sa vie. L’année de l’exécution de son autoportrait en Jean Valjean, il confirme à Vincent Van Gogh : « J’ai comme un besoin de lutte ; de tailler à coup de massue »24. Peindre, dira-t-il l’année suivante, c’est « rager, se battre avec toutes ces difficultés ; même terrassé, dire encore, toujours et toujours »25. Pour cet homme qui aimait se vanter de son adresse dans des sports virils tels que l’escrime ou la boxe, l’identification à Jean Valjean, lui-même décrit dans le roman comme possédant une force physique hors du commun, procède par conséquent d’une stratégie rassurante de glorification d’un Moi héroïque et puissant. Il s’agit de s’octroyer une figure gratifiante de combattant contre les forces sociales opprimantes et d’accepter courageusement la souffrance et les épreuves comme une forme de purification.

Belliqueuse, la posture du bagnard est donc aussi paratopique. L’artiste, individu décalé, se définit une place décalée de parole, d’où il fait entendre sa voix, et qui s’oppose à un espace imaginaire, cette conformité sociale et idéologique de laquelle il s’exclut. L’effigie de Gauguin en Jean Valjean se réfère, selon la terminologie de J.-L. Diaz, à une « paratopie de la transgression », menée par un artiste révolté, impétueux, qui « passe les bornes », n’accepte pas les limites imposées, les normes, le carcan des interdits. Jean Valjean devrait être au bagne, à l’aune d’une logique sociale partiale ; or, bien décidé à ne pas retourner en prison, il doit demeurer hors-la-loi, en dehors des seuils imposés. Il ne peut donc avoir ni identité stable, ni lieu de vie définitif, il est constamment en fuite, en mouvement. C’est aussi le cas de Gauguin qui, à partir du moment où il a décidé de ne plus transiger avec son art, ne cesse de changer d’adresse, à la recherche d’endroits où le coût de la vie serait moins élevé et les motifs picturaux plus novateurs. Encore en famille, il abandonne Paris pour Rouen, s’installe un temps à Copenhague, revient seul à Paris avec un de ses fils, file à Dieppe, à Pont-Aven, puis à Panama et en Martinique, avant de revenir en France, entre la Bretagne et la capitale, logeant chez des amis, à l’hôtel ou dans de brèves locations. Il en est là au moment de l’exécution de son autoportrait en Jean Valjean. La terre de Bretagne lui donne alors le sentiment d’être ce lieu où son moi créateur pourra s’épanouir, car il y ressent cette sauvagerie et cet archaïsme qu’il cherche à imprimer à ses créations. Pourtant, on sait que ses pérégrinations le mèneront bientôt à l’autre bout du monde, en Océanie.

La « face sauvage » de Jean Valjean

Revenons à son autoportrait pour noter que, dans les commentaires adressés à ses correspondants, Gauguin souligne l’importance accordée aux couleurs auxquelles il a eu recours pour mettre en valeur ses yeux : « Les tons en feu de forge qui enveloppent les yeux indique la lave de feu qui embrase notre âme de peintre »26, « La couleur est une couleur loin de la nature ; figurez-vous un vague souvenir de la poterie tordue par le grand feu – tous les rouges les violets, rayés par les éclats de feu comme une fournaise rayonnant aux yeux, siège des luttes de la pensée du peintre »27. Il nous explique de la sorte qu’il a opté pour des teintes qui se rapprochent de celles générées par la cuisson à haute température de la céramique. Lui qui pratiquait parallèlement la sculpture, était fasciné par la métamorphose que la chaleur du four manifestait sur le grès, dont les couleurs initiales et brutes se trouvaient alors exaltées. Le peintre compare donc son visage à une poterie dont la cuisson aurait laissé des traces de « fournaise », de « lave de feu » au niveau des globes oculaires, la métaphore ayant pour visée de magnifier « l’âme » du peintre, sa « pensée » en lutte. Reprenant la même image dix ans plus tard, Gauguin écrira à son ami Daniel de Monfreid :

Où commence l'exécution d'un tableau, où finit-elle ? Au moment où des sentiments extrêmes sont en fusion au plus profond de l'être, au moment où ils éclatent, et que toute la pensée sort comme la lave d'un volcan, n'y a-t-il pas là une éclosion de l'œuvre soudainement créée, brutale si l'on veut, mais grande et d'apparence surhumaine ? Les froids calculs de la raison n'ont pas présidé à cette éclosion, mais qui sait quand au fond de l'être l'œuvre a été commencée ? Inconsciente peut-être28.

Au moyen des teintes ignifères enrobant les yeux du modèle, l’autoportrait en Jean Valjean expose donc un artiste qui n’en est encore qu'à l'exécution mentale de son œuvre, ce moment de réflexion, précédant l’élan créateur, « où des sentiments extrêmes sont en fusion au plus profond de l'être »29. L’incandescence chromatique est donc le signe d’une ébullition intime qui signale une inspiration latente, enfouie dans les abimes de l’être, un bouillonnement intérieur, une effervescence qui, comme la lave en fusion au cœur du volcan, est dissimulée dans les tréfonds de la psyché. Il semble qu’il y ait ici objectivation de ce que Gauguin nommera ailleurs « l’œil qui écoute » : il écrira en effet que la couleur est le « langage de l'œil qui écoute, de sa vertu suggestive (dit A. Delaroche) propre à aider l'essor imaginatif, décorant notre rêve, ouvrant une porte nouvelle sur l'infini et le mystère ». Par cette formule de « l’œil qui écoute », nous dit Patrick Vauday, « Gauguin invente l'œil aux aguets qui capte l'étrangeté au cœur du familier, l'invisible au cœur du visible ; plus encore que vibrante, la couleur est résonnante, écho à l'écoute de ce qui ne laisse pas appréhender directement »30. Le phénomène igné enveloppant les yeux nous semble mettre l’accent sur cette focalisation caractéristique du peintre, avide de capter l’inconnu, les mystères de la nature, ce monde étrange bruissant de paroles incomprises.

En outre, dans la lettre à Monfreid, on ne peut manquer de souligner l’homologie établie entre éruption et éjaculation, volcan et phallus, ce qui renvoie à la description de son autoportrait pour lequel, écrit-il, « le sang en rut inonde le visage ». La même image revient à la même époque, dans une lettre adressée depuis Pont-Aven à son ami Émile Schuffenecker : « Les musiciens jouissent de l'oreille, mais nous, avec notre œil insatiable et en rut, goûtons des plaisirs sans fin »31. Par cette analogie, le regard du peintre se trouve doté d’une inextinguible qualité érectile, d’un regard sexé qui cherche à pénétrer le monde et à s’y répandre. Ainsi « les tons en feu de forge qui enveloppent les yeux » et « le sang en rut qui inonde le visage » métaphorisent la même idée : la couleur du visage, et spécifiquement du contour des yeux, reflète l’activité ardente et bouillonnante de sa pensée créatrice, qui par le truchement de l’œil, s’efforce de s’approprier le monde afin de jouir de lui.

Or, il nous semble que dans cette description, Jean Valjean n’est pas loin non plus. Dans Les Misérables, son premier portrait à Dignes le présente avec un « visage brûlé par le soleil et le hâle ». Puis, l’image du feu se manifeste à nouveau pour le caractériser au moment de sa rencontre avec un ramoneur savoyard d'une dizaine d'années nommé Petit Gervais : celui-ci va l’accuser de lui avoir volé une pièce de monnaie, alors que l’ancien forçat ignore que le sou a glissé sous son pied. On lit alors la phrase suivante : « L'enfant tournait le dos au soleil qui lui mettait des fils d'or dans les cheveux et qui empourprait d'une lueur sanglante la face sauvage de Jean Valjean »32. Une fois le garçon parti, Jean Valjean voit la pièce, et essaie, en vain, de retrouver Petit Gervais pour lui restituer son argent. Cet épisode est suivi d'une intense crise de conscience où retentit l'écho des paroles de Mgr Myriel : « Jean Valjean, mon frère, vous n'appartenez plus au mal, mais au bien. ». Suite à cet événement, et bien que soupçonné du vol de cette pièce, le héros hugolien deviendra définitivement un honnête homme. Par conséquent, l’instant de son revirement moral est souligné dans son portrait par le rougeoiement du soleil couchant qui enflamme son visage. C’est un moment de concentration soutenue, qui débouchera sur une intégrité irrévocable, sur l’exaltation d’un « cœur en or ». De la même façon, le visage embrasé de Gauguin réfléchit les sensations qui bouillonnent en lui avant que cette intensité contenue ne fuse du moi profond pour donner naissance à cet autre « bien », l’œuvre : « Et en le faisant sous mes traits, vous avez mon image personnelle, ainsi que notre portrait à tous, pauvres victimes de la société nous en vengeant en faisant le bien »33.

Dans le portrait ci-dessus mentionné de Jean Valjean à l’occasion de sa rencontre avec Petit Gervais, l’expression « face sauvage » fait également écho à l’auto-figuration de Gauguin. De fait, le syntagme échafaude l’image d’un être vierge, brut, qui prouve l’innocence dans laquelle le héros hugolien se trouve à cet instant précis : il n’a aucune conscience de sa faute alors même qu’il sera accusé du vol de la pièce de quarante sous. La grossièreté « sauvage » de son visage est le reflet de sa crise de conscience d’où émanera sa pureté morale, ce que Gauguin nomme sa « virginité ». Jean Valjean est le « sauvage » au sens rousseauiste, le « bon sauvage », originel et pur, l'être d'avant la Chute qui ne connaît pas le péché. Or, en convoquant chromatiquement les « tons en feu de forge » de la céramique durcie par la cuisson, c’est aussi « un masque de sauvage »34 que Gauguin entend présenter de lui. Comme l’ont expliqué ses exégètes, cette référence à la poterie lui permet d’inscrire son moi artiste dans une double origine, celle des civilisations préchrétiennes chez qui elle fait office d’art35, celle aussi de son enfance au Pérou, qui lui a donné le goût pour les artefacts confectionnés par les Indiens36. À la même période où il exécute ce portrait pour l’envoyer à Vincent, sa correspondance ressasse déjà les étiquettes de « sauvage » et de « primitif » dont il ne cessera de se prévaloir jusqu’à sa mort. Par exemple, à Émile Schuffenecker, il se présente « comme un sauvage du Pérou » ; en Bretagne, il affirme vivre « comme un paysan sous le nom de sauvage » ou encore, asserte-t-il, « Moi, je me promène en sauvage en cheveux longs et je ne fais rien »37. Par ailleurs, comme déjà signalé, il se prévaut d’une ascendance d’indien du Pérou, voire d’inca, ce qu’il magnifie dans ses autoportraits en accentuant la courbure de son nez et en amplifiant la matité de son teint. L’autoportrait en Jean Valjean, comme on le constate, n’échappe pas à cette règle et participe de cette même volonté d’indigéniser son visage, de le primitiviser, pour lui donner un aspect plus barbare, ce qu’Alain Buisine nomme, en une brillante formule, « une opération de poterie esthétique »38. Or cette généalogie fantasmatique réfère aussi à des images ignées, Gauguin se prétendant « fils du Soleil » : « L’Inca est selon la légende venu tout droit du soleil et j’y retournerai. Mais tout le monde n’est pas venu du soleil »39. L’identification à Jean Valjean et à sa « face sauvage » incendiée par l’astre du jour, convoque donc implicitement ces autres scénarios auctoriaux par lesquels Gauguin cherche alors à verbaliser son statut d’artiste.

La physionomie du déviant

Néanmoins, il faut rappeler qu’à son époque ces autodésignations sont totalement stigmatisantes. En cette période de conquête coloniale, la France de la seconde moitié du XIXe siècle, certaine de la supériorité de ses formes de civilisation, a réduit l'indigène au rang de « non-civilisé », de « sous-humain » frustre et violent, à qui l'on doit imposer les « lumières » de la « civilisation » occidentale et de la grâce chrétienne contre « les ténèbres de la barbarie ». En conséquence, s’identifier à un originaire de ces terres nouvellement colonisées, ou encore marquer une admiration tacite pour les arts premiers avec la référence à la poterie amérindienne, relèvent d’attitudes pour le moins politiquement incorrectes. Se reconnaître dans un homme du peuple à l’égal de Jean Valjean, en dépit des qualités morales dont Victor Hugo dote son héros, n’est guère plus valorisant dans une société fondée sur l’exclusion et l’infériorisation de l’Autre, qu’il soit social – l’ouvrier – ou exotique – l’indigène. C’est d’ailleurs dans le même mépris que les théories scientifiques naissantes maintiennent ces deux types d’individus. Ainsi, du darwinisme et de la sélection naturelle, l'imaginaire de la seconde moitié du siècle ne retient que l'idée d'une inégalité et d’une typologie entre les races et entre les classes sociales : mis à jour par les travaux de Darwin, le substrat animal de l'homme est récupéré pour démontrer l'infériorité des classes laborieuses comme des peuples lointains, tous unis dans le même dédain et la même certitude que l'animalité, latente en tout individu, est particulièrement marquée chez ceux-ci. Voyez ce qu’en dit Bernard Terramorsi dans un article sur Paul Gauguin :

La critique déshistorisée n’a pas pris en compte qu’au moment où Gauguin projette un « Atelier des Tropiques », la crise de la société française exacerbe les conflits de classes. L’essor de l’industrialisation, les restructurations d’un capitalisme européen conquérant et agressif, provoquent un exode rural massif : apparaissent des ghettos, des concentrations de main d’œuvre ouvrière privée de toute protection sociale. Cette « populace » est tenue en marge d’une société qu’elle enrichit ; les classes dirigeantes la stigmatisent comme violente, dépravée, sale. Au milieu du XIXe siècle, le peuple est conçu comme une sous-humanité exploitable à l’envi, et souvent animalisée par les discours dominants appuyés sur la Médecine hygiéniste et l’Église40.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement le forçat, on sait que le XIXe siècle positiviste se polarise sur son corps dans la mesure où ce dernier est considéré comme susceptible de révéler des dissemblances par rapport à l’homme ordinaire, mais aussi de mettre en lumière la part obscure de la subjectivité criminelle. L’objectif est de dresser des classifications de malfaiteurs, taxinomies censées prévenir et contrôler le « mal » dont ils souffrent. Sylvie Châles-Courtine le confirme :

Les différences physiques étant considérées comme la clé « objective » des distinctions entre les races, entre les classes sociales, entre les hommes, la morphologie, l’anatomie, la craniologie, la physionomie et tous leurs dérivés deviennent les outils privilégiés pour identifier le caractère propre aux criminels41.

À l’aune d’un rapport inéluctable entre les traits extérieurs et l’être interne, la carte d’identité anatomique et physiologique des prisonniers est dès lors minutieusement prise en note par le personnel pénitentiaire puis épluchée par les experts juridiques et médicaux, de façon à décoder le langage corporel du criminel, révélateur ou symptôme d’une psychologie hors-norme. La physionomie du prisonnier, objet de sciences spécifiques telles que la phrénologie et la physiognomonie, est tout particulièrement étudiée. Dans Claude Gueux, Victor Hugo se fait le porte-parole des propos de son époque :

Allez dans les bagnes, appelez autour de vous toute la chiourme. Examinez un à un tous ces damnés de la loi humaine. Calculez l’inclination de tous ces profils, tâtez tous ces crânes. Chacun de ces hommes tombés a au-dessous de lui son type bestial ; il semble que chacun d’eux soit le point d’intersection de telle ou telle espèce animale avec l’humanité. Voici le loup-cervier, voici le chat, voici le singe, voici le vautour, voici l’hyène. Or, de ces pauvres têtes mal conformées, le premier tort est à la nature sans doute, le second à l’éducation. La nature a mal ébauché, l’éducation a mal retouché l’ébauche…42

Comme on le constate, cette description présente le malfaiteur comme un être hybride, mi-homme mi-animal, à l’image des démons et autres créatures engendrées par Satan dans l’iconographie séculaire du christianisme. S’y révèle l’opinion commune selon laquelle la part animale de l’homme est le signe du démon et que s’y abandonner revient à se damner. Diffusé de tout temps par l’Église, ce leitmotiv est repris au XIXe siècle par des pseudo-scientifiques réinterprétant les théories de Darwin. Concédons cependant que le narrateur hugolien impute en partie la faute de cette disgrâce physique à l’éducation inculquée à ces individus. Quelques années plus tard, dans Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac, passant en revue les accusés retenus à la Conciergerie, constate conjointement leur appartenance aux basses classes de la société et leurs physionomies « ignobles ou horribles »43. Marion Ardourel Croisy commente ainsi cette mise en relation entre l’origine sociale de ces détenus et leur apparence physique :

La laideur de l’âme trouve, semble-t-il, à s’exprimer à travers celle du corps, et Balzac pose ici l’existence d’une harmonie entre l’origine sociale, la physionomie et la dépravation morale de l’accusé, transformant finalement la physiognomonie morale en physiognomonie sociale, ou du moins rendant la distinction entre les deux difficile à effectuer44.

Évoqué ci-dessus, l’assassin Prado avait quant à lui exigé, le jour de sa décapitation, que son corps soit enterré et ne soit pas remis à la faculté de médecine de Paris à des fins de recherche scientifique. Il avait ainsi ouvertement contesté les prétentions de ses contemporains à lire une essence biologiquement criminelle dans ses propriétés anatomiques. En l’absence d’un protocole relatif à une telle déclaration, un différend éclata dans le cimetière entre un policier, un prêtre et un fonctionnaire lésé de l’École de médecine. Le dernier souhait de Prado, finalement exaucé, fit les gros titres pendant les quelques jours qui suivirent son exécution.

Mais revenons à Gauguin. En alléguant son identification à Jean Valjean, en accentuant aussi la sauvagerie de son visage, la coloration dermique de son teint, la courbure de son nez, la dureté de son regard et l’amertume du pli de ses lèvres, le peintre multiplie sur son visage les signes de son appartenance à une population marginale. Il s’insère de manière hyperbolique dans ce qui apparaît à son époque comme les normes physiques de la « déviance ». En considération du déterminisme physiologique de son temps, son faciès reflète son « crime », à savoir sa passion pour un art réfractaire, vilipendé de tous. Parce qu’il revendique cette « anormalité » au lieu d’en éprouver de la honte ou de chercher à la masquer, Gauguin ne fait rien de moins que dénoncer la violence d’un discours idéologique qui stigmatise physiquement et socialement une partie de sa population. Parallèlement, il retourne ce discours de haine et d’exclusion en se considérant, à l’égal de Jean Valjean, comme un être pur, injustement banni.

D’un bagnard l’autre

Les gloses rédigées par l’artiste pour décrire son autoportrait nous donnent également à penser qu’il établit peut-être une confusion, volontaire ou inconsciente, entre le héros de Victor Hugo et un autre bagnard littéraire, le Vautrin de Balzac, pour qui il déclare son admiration à Paul-Émile Colin45. Dans Le Père Goriot, Vautrin, de son vrai nom Jacques Collin, l’un des pensionnaires de Mme Vauquer, est un ancien forçat évadé du bagne de Toulon. Or, les points communs entre le héros romanesque et Gauguin sont nombreux. Impressionnant par sa force physique, débordant d’énergie, Vautrin est aussi doté d’une grande détermination morale, que l’on devine, écrit Balzac, dans son « regard profond plein de résolution ». C’est aussi un être libéré des carcans et des faux-semblants sociaux :

Souvent une boutade digne de Juvénal, et par laquelle il semblait se complaire à bafouer les lois, à fouetter la haute société, à la convaincre d'inconséquence avec elle-même, devait faire supposer qu'il gardait rancune à l'état social, et qu'il y avait au fond de sa vie un mystère soigneusement enfoui46.

Qui plus est, la scène de son arrestation est l’occasion de dresser de lui le portrait suivant :

Accompagnées de cheveux rouge brique et courts qui leur donnaient un épouvantable caractère de force mêlée de ruse, cette tête et cette face, en harmonie avec le buste, furent intelligemment illuminées comme si les feux de l’enfer les eussent éclairées. Chacun comprit tout Vautrin, son passé, son présent, son avenir, ses doctrines implacables, la religion de son bon plaisir, la royauté que lui donnaient le cynisme de ses pensées, de ses actes, et la force d’une organisation faite à tout. Le sang lui monta au visage, et ses yeux brillèrent comme ceux d’un chat sauvage. Il bondit sur lui-même par un mouvement empreint d’une si féroce énergie, il rugit si bien qu’il arracha des cris de terreur à tous les pensionnaires. À ce geste de lion, et s’appuyant de la clameur générale, les agents tirèrent leurs pistolets47.

Puis, dans Splendeurs et misères des courtisanes, Jacques Collin réapparait sous l’identité de l’abbé Carlos Herrera qu’il a assassiné : il est finalement arrêté, soupçonné de meurtre et d’escroquerie. Durant le trajet qui le mène jusqu’à la Conciergerie, certaines expressions perceptibles dans ses yeux trahissent son être véritable que son visage, modifié à l’aide de réactifs chimiques, ne dévoile plus : « les yeux du prévenu brillaient à travers la grille comme deux escarboucles », « ces yeux flamboyants parlaient un langage si clair qu’un juge d’instruction habile […] aurait reconnu le forçat dans le sacrilège »48. Vautrin-Jacques Collin est donc, là aussi, décrit en termes physiognomoniques : l’éclat de son regard permet de conclure sur son caractère moral et son statut de criminel. Il est son signus diaboli.

Il est notable que dans ces descriptions, le visage de Vautrin injecté de sang, ses yeux étincelants, évoquent presque mot pour mot les remarques de Gauguin sur son autoportrait en Jean Valjean. Dès lors les caractéristiques que Balzac attribue à son personnage (« un épouvantable caractère de force mêlée de ruse », « ses doctrines implacables », « la religion de son bon plaisir », « la royauté que lui donnaient le cynisme de ses pensées, de ses actes, et la force d’une organisation faite à tout », « une si féroce énergie ») ne pouvaient-elle pas connaître des résonances dans l’esprit du peintre, qui a décidé de ne plus transiger avec ses désirs, au risque de se mettre à dos sa famille et toute la société ? Gauguin d’ailleurs se qualifiera souvent en des termes qui rappellent Vautrin, évoquant par exemple la force de sa volonté, sa résolution sans faille : « Les conditions dans lesquelles je travaille sont défavorables et il faut être un colosse pour faire ce que je fais dans ces conditions », écrira-t-il à son épouse en mars 189249, confirmant dans le Cahier pour Aline, « Avec beaucoup d’orgueil, j’ai fini par avoir beaucoup d’énergie, et j’ai voulu vouloir »50. Quant à la comparaison effectuée par le narrateur entre Vautrin et un lion, elle correspond bien à l’idéal de sauvagerie farouche de Gauguin, à sa posture d’artiste « fauve », instinctif et jouissif. Nous pouvons rappeler également que dans Le Père Goriot, Vautrin masquera sous une perruque sa rousseur capillaire pour éviter d’être reconnu ; en même temps c’est son caractère doublement félin et diabolique qu’il tente de dissimuler. Cette bestialité qu’il ressent en lui, Gauguin à l’inverse s’en glorifiera : « L’animalité qui est en nous n’est pas tant à mépriser qu’on veut bien le dire – ces satanés Grecs qui ont tout compris ont imaginé Antée qui reprenait ses forces en touchant terre. La terre, c’est notre animalité, croyez-le bien ! »51. Et, comme déjà mentionné, c’est cette sauvagerie, cette primitivité semblable à la poterie amérindienne, qu’il s’efforce de révéler sur son visage. Il se crée en quelque sorte « le physique de l’emploi » conformément aux critères scientifiques de l’époque.

Ainsi, au moyen de ce tableau, ce n’est pas simplement l’image d’un artiste dissident que Gauguin veut donner de lui, mais aussi celle d’un être « en énergie », tumultueux, prométhéen. Par cette toile, il se pose comme une force en attente, « volcanique », recélant une violence en ébullition, une sourde puissance menaçant d’exploser. Le visage brut qu’il se forge, comme pétri dans la glaise, est celui d'un individu forcément transgressif – le bagnard, le sauvage –. Il exhibe une menace sociale, idéologique, esthétique au sein de cet ordre bourgeois qui refuse l’hubris au nom d’une aseptisation des différences. Pourtant, aux yeux du « bon Vincent » à qui cette peinture était destinée, se prévaloir de Vautrin était sans doute moins gratifiant que de s’identifier à Jean Valjean. Même si le forçat balzacien se fait souvent le porte-parole de son créateur dans sa dénonciation de l’immoralisme profond d’une société corruptrice, Vautrin n’en demeure pas moins un assassin. Et le criminel est à cette époque une figure bien plus inquiétante que celle du voleur, plus familière et plus sympathique.

Une posture programmatique

Enfin, il nous semble qu’en se posant au repris de justice ensauvagé, Gauguin annonce dans ce tableau son ambition artistique. Au moment où il le compose, le sol granitique de Bretagne éveille pour la première fois en lui des résonances de l'art qu’il convoite. Pour autant, il n’a pas trouvé entièrement sa voie en peinture. Il s’est détaché de l’impressionnisme de ses débuts et cherche son style dans le japonisme, le cloisonnisme, le synthétisme, le symbolisme, autant de courants qui formeront les germes de ce que l’on nommera son primitivisme. Ainsi, avant même son départ pour l’Océanie et l’exécution de toutes les créations novatrices qui lui permettront de se démarquer et de fonder son absolue singularité, cet autoportrait lui permet de se demander qui être en tant qu’artiste pour ensuite savoir comment peindre, comment créer. L’exhibition de cet ethos, donné dans et par le discours pictural, précède donc une praxis picturale spécifique : l’identité auctoriale fantasmatique aboutira finalement à une traduction plastique, à savoir des choix esthétiques significatifs qui seront conformes à cette « posture » (Meizoz52). Voyez ce qu’en dit Alain Buisine :

Tout se passe donc comme si Gauguin commençait par se faire picturalement le visage qui conviendra au devenir de sa peinture, par se faire la tête de l’emploi si j’ose dire. Et c’est avec une tête de sauvage qu’il se désire. […] Son visage ne sera jamais suffisamment farouche, violent, exotique à son goût et Gauguin réalise projectivement des autoportraits « sauvagisants » (comme on dit « japonisant »), auxquels l’avenir de sa peinture devra s’identifier. C’est dire à quel point chez lui le primitivisme commence par s’ancrer dans la singularité de l’individu. […] Pour le dire plus précisément, de façon plus complexe encore, Gauguin produit, projette des effigies sauvages auxquelles il lui faudra biographiquement s’identifier pour réaliser, réussir sa peinture. À la limite ce sont ses autoportraits qui feront de lui un indien exilé en Europe et l’amèneront à partir en Océanie pour retrouver ses origines. Le peintre commence par imaginer et exécuter une figure picturale de lui-même, figure qui en viendra par la suite à le programmer et à décider de son destin53.

De fait, certains des propos de l’artiste concernant l’autoportrait en Jean Valjean résonnent comme des manifestes. Ainsi écrit-il à Vincent que « le dessin des yeux et du nez semblables aux fleurs dans les tapis persans résume un art abstrait et symbolique », précisant auprès de Schuffenecker : « Le dessin en est tout à fait spécial, abstraction complète. Les yeux, la bouche, le nez sont comme des fleurs de tapis persan, personnifiant aussi le côté symbolique »54. Dans ce désir d’« abstraction », de « symbolisation », qui l’amène à figurer les parties de son visage à la manière d’éléments décoratifs, on lit bien sa volonté de rompre avec le réalisme académique qui caractérise les peintres officiels. Précédemment, nous avons aussi évoqué son allusion à la cuisson de la poterie, référence à ces arts premiers qu’il souhaitait imiter à une époque où ils étaient globalement méprisés. Nous avons noté enfin qu’il se produit déjà là un effort d’indigénisation conflictuelle qui se manifestera de plus en plus dans ses travaux ultérieurs : il y a surgissement, derrière le bagnard, de ce que Gauguin nommera son « malgré moi de sauvage »55. Dans ce masque qu’il s’attribue, dardant sur le spectateur un regard lourd derrière lequel bouillonne l’intensité de son imagination, comment ne pas lire en effet les prémisses de son « Devenir sauvage »56, cette puissance créatrice en marche tout entière tournée vers son aboutissement jubilatoire ?

Pour conclure…

Jean Valjean, auquel Gauguin se compare explicitement dans son autoportrait, aussi bien que Vautrin, qui convoque des assimilations implicites, sont deux personnages dont le tempérament conjugue un idéal de force volontariste et conquérante à la rébellion contre l’ordre imposé et les systèmes dominants. Tous deux sont des héros solaires, capables de maîtriser leurs peurs, de les surmonter avec courage. Doublement exclus car hommes du peuple et bagnards, ils portent les stigmates de leur marginalisation sur leurs visages durs et sanguins ou dans leur regard de feu. On comprend que, par ces auto-figurations de type prométhéen, Gauguin, qui se prétend « fils du soleil », trahit un Moi qui s’hypertrophie, s’idéalise, car avide de se remotiver face à l’adversité. Cette construction fantasmatique de soi en bagnard a donc une fonction stratégique. Se poser en paria témoigne d’un désir de provocation, de bravade, d’une volonté de revanche, sans doute aussi du sentiment profond d’une différence irréductible. Il s’agit d’afficher son non-conformisme, de s’octroyer par conséquent un rôle social consistant à clamer sa rupture par rapport à cette « Europe pourrie et méchante »57 que l’artiste finira par quitter définitivement. Et, comme nous l’avons dit, il est intéressant de noter que dans ce cas précis, la posture identitaire précède l’accomplissement d’une esthétique inédite : elle pose les éléments d’une quête narcissique qui, en plaçant l’art sous les auspices d’une exclusion mythique, lui permettra de s’épanouir.

Cette image constitue donc un des possibles auctoriaux par lesquels Gauguin tente de définir son identité d’artiste à ce moment de sa carrière. Seules les étiquettes de « sauvage », d’« inca », de « primitif » poursuivront par la suite les efforts de mise en scène de sa légende d’« indien du Pérou », « inadaptable à l’Europe industrielle et appelé par un outre-mer salvateur »58. Autant que sociale et esthétique, la dissidence gauguinienne sera dès lors plus ouvertement idéologique, à l’encontre d’une Europe expansionniste certaine de sa supériorité ethnique et assurée de la primauté de ses arts visuels.

Comme celle de l’indigène bafoué par la colonisation, la figure du bagnard, sous les dehors d’une identité assumée, témoigne pourtant d’une situation instable. Se risquer hors de la barrière protectrice des conventions, c’est aussi s’engager sur des terres inconnues. Jean Valjean, Vautrin, sans cesse pourchassés, emprisonnés, souffrent de leur marginalisation. Ils parviennent néanmoins à faire accepter leur rédemption. Le héros hugolien sauve la vie de Javert qui se suicide, écartelé entre sa conscience professionnelle et sa gratitude envers le bagnard : dès lors ce dernier pourra mener une vie beaucoup plus apaisée jusqu’à sa mort. Quant à Vautrin, on apprend, à la fin de Splendeurs et Misères des courtisanes, qu’il a changé de camp : il est devenu chef de la Sûreté, avant de prendre sa retraite. Fort de ces références, Gauguin ne songe-t-il pas, en exécutant son tableau, que sa position solitaire et périlleuse de réprouvé, nécessaire à son émancipation, à la possibilité d’« oser le droit de tout oser »59, finira bien par aboutir un jour à la consécration sociale et culturelle de son art ?

1 Paul Gauguin, Autoportrait dédié à Vincent Van Gogh. Les Misérables, 1888, huile sur toile, Van Gogh museum, Amsterdam.

2 Id., La Vision du sermon, 1888, huile sur toile, National Gallery of Scotland, Édimbourg.

3 Id., lettre à Vincent Van Gogh, 1er octobre 1888, lettre 166, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, sous la direction de Victor

4 Id., lettre à Émile Schuffenecker, Quimperlé, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, recueillies, annotées et préfacées par Maurice

5 Voir José-Luiz Diaz, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, 2007.

6 Vincent Van Gogh, lettre à Théo Vang Gogh, 9 août 1888, Correspondance complète de Vincent Van Gogh, Paris, Gallimard/Grasset, 1960, p. 521.

7 Supplément littéraire du Figaro du 5 mai 1888, p. 70-71.

8 G.-Albert Aurier, « Assassins sympathiques », Œuvres posthumes, Paris, Mercure de France, 1893, p. 445-450.

9 Voir Paul Gauguin, Avant et Après, Papeete, Éditions Avant et Après, 2003, p. 157-159.

10 Id., Pot en forme de tête. Autoportrait, 1889, céramique en grès flammé, Kunstindustrimuseet, Copenhague. Les commentateurs soulignent en outre l

11 Cette toile est exposée au musée Van Gogh, à Amsterdam. Pour la voir ou la revoir, on pourra consulter cette page : https://www.vangoghmuseum.nl/

12 Dans cet article, la mention « Vincent » fait référence à Vincent Van Gogh, ce dernier signant fréquemment ses travaux par son seul prénom.

13 Paul Gauguin, lettre à Vincent, 1er octobre 1888, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, op. cit., p. 234.

14 Id., lettre à Émile Schuffenecker, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 159.

15 Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 90.

16 Nathalie Heinich, Être artiste. Les transformations du statut des peintres et des sculpteurs, Paris, Klincksieck Études, 1996, p. 45.

17 Paul Gauguin, Lettre à J.F.Willumsen, Bretagne, automne 1890, dans Oviri. Écrits d'un sauvage, choisis et présentés par Daniel Guérin, Paris

18 « L’isolement le plus complet, naturellement pour la famille je suis un monstre de ne pas gagner d’argent, à notre époque on n’estime que celui

19 L’expression est de Harrison et Cynthia White, La Carrière des peintres au XIXe siècle. Du système académique au marché des impressionnistes

20 Paul Gauguin, lettre à Vincent Van Gogh, 1er octobre 1888, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, op. cit., p. 234.

21 Id., lettre à Émile Schuffenecker, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 159.

22 Idem : « L’impressionniste est un pur, non souillé encore par le baiser putride des Beaux-Arts (École) ».

23 L’expression est de Vincent Van Gogh, dans une lettre à Gauguin d’octobre 1888, citée dans Paul Gauguin, Lettres à sa femme et à ses amis, op. 

24 Paul Gauguin, Lettre à Vincent Van Gogh, 24/25 juillet 1888, 45 lettres de Gauguin à Vincent, Théo et Jo Van Gogh, présenté par Douglas Cooper

25 Id., Lettre à Émile Bernard, sd, Pont-Aven, début septembre 1889, in Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 187.

26 Id., lettre à Vincent, 1er octobre 1888, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, op. cit., p. 234.

27 Id., lettre à Émile Schuffenecker, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 159.

28 Id., Lettre à Daniel de Monfreid, mars 1898, dans Oviri, op. cit., p. 217.

29 Idem.

30 Patrick Vauday, « Une déterritorialisation de la peinture : Paul Gauguin », dans La Décolonisation du tableau, Paris, Le Seuil, 2006, p. 86. « "L

31 Paul Gauguin, Lettre à Émile Schuffenecker, septembre 1888, in Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 216.

32 Victor Hugo, Fantine : Les Misérables (tome 1), Paris, Le Livre de poche 2003, p. 111.

33 Paul Gauguin, lettre à Vincent, 1er octobre 1888, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, op. cit., p. 234.

34 « Masque de sauvage » est le titre donné à une céramique émaillée de Gauguin, présentant son visage. Datant de 1894-1895, elle se trouve au musée

35 « La céramique n’est pas une futilité. Aux époques les plus reculées, chez les Indiens de l’Amérique, on trouve cet art constamment en faveur.

36 Sa mère, raconte-t-il, en avait rapportés de Lima. Son tuteur Gustave Arosa disposait aussi d’une collection importante de poteries

37 Paul Gauguin, lettre à Émile Schuffenecker, 8 juillet 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 151/ Ibid., Lettre à Mette, fin juin

38 Alain Buisine, Passion de Gauguin, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2012, p. 171.

39 Paul Gauguin, lettre à Émile Schuffenecker, 20 décembre 1888, date du 22, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p.170 et p. 238.

40 Bernard Terramorsi, « Paul Gauguin et le démon des Tropiques », dans Aux confins de l’ailleurs : voyages, altérité et utopie, M.-F. Bosquet, S.

41 Sylvie Châles-Courtine, « Le corps criminel dans les Archives d’anthropologie criminelle », Criminocorpus [En ligne], Histoire de la criminologie

42 Victor Hugo, Claude Gueux, Paris, Flammarion, 2002, p. 70.

43 Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, Paris, Le Livre de poche, 2008., p. 578.

44 Marion Ardourel Croisy, « Corps du prisonnier et images du corps : une représentation de la déviance au XIXsiècle », TRANS- [En ligne], 13 | 

45 Charles Chassé, Gauguin et son temps, Paris, La Bibliothèque des Arts, 1955, p. 82 : « Il avait la plus grande admiration pour le personnage de

46 Balzac, Le Père Goriot, Paris, Le Livre de Poche, 2007, p. 65.

47 Ibid., p. 266.

48 Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, Paris, Le Livre de poche, 2008, p. 410.

49 Paul Gauguin, lettre à Mette, Tahiti, mars 1892, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 253.

50 Id., Cahier pour Aline cité par Victor Segalen, « Hommage à Gauguin », Essai sur l'exotisme. Une esthétique du divers, Paris, Le Livre de Poche

51 Id., Lettre à Georges-Daniel de Monfreid du 25 août 1902, Lettres de Paul Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid, Paris, Georges Crès, 1918, p. 343

52 Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Paris, Slatkine, 2007.

53 Alain Buisine, Passion de Gauguin, op. cit., p. 171-172.

54 Paul Gauguin, lettre à Émile Schuffenecker, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 159.

55 « [...] je suis un sauvage. Et les civilisés le pressentent : car dans mes œuvres il n'y a rien qui surprenne, déroute, si ce n'est ce « 

56 Olivier Apert, Gauguin. Le dandy sauvage, Paris, Infolio, 2012, p. 15.

57 Paul Gauguin, lettre à Schuffenecker, Le Pouldu, août 1890, citée par Bernard Terramorsi, « Paul Gauguin et le démon des Tropiques », op. cit., p

58 Bernard Terramorsi, « Paul Gauguin et le démon des Tropiques », op. cit., p. 90.

59 Id., lettre à Daniel de Monfreid, octobre 1902 Lettres de Paul Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid, op. cit., p. 348.

1 Paul Gauguin, Autoportrait dédié à Vincent Van Gogh. Les Misérables, 1888, huile sur toile, Van Gogh museum, Amsterdam.

2 Id., La Vision du sermon, 1888, huile sur toile, National Gallery of Scotland, Édimbourg.

3 Id., lettre à Vincent Van Gogh, 1er octobre 1888, lettre 166, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, sous la direction de Victor Merlhès, Paris, Fondation Singer-Polignac, 1984, p. 234.

4 Id., lettre à Émile Schuffenecker, Quimperlé, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, recueillies, annotées et préfacées par Maurice Malingue, Paris, Grasset, 1992, p. 159.

5 Voir José-Luiz Diaz, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, 2007.

6 Vincent Van Gogh, lettre à Théo Vang Gogh, 9 août 1888, Correspondance complète de Vincent Van Gogh, Paris, Gallimard/Grasset, 1960, p. 521.

7 Supplément littéraire du Figaro du 5 mai 1888, p. 70-71.

8 G.-Albert Aurier, « Assassins sympathiques », Œuvres posthumes, Paris, Mercure de France, 1893, p. 445-450.

9 Voir Paul Gauguin, Avant et Après, Papeete, Éditions Avant et Après, 2003, p. 157-159.

10 Id., Pot en forme de tête. Autoportrait, 1889, céramique en grès flammé, Kunstindustrimuseet, Copenhague. Les commentateurs soulignent en outre l’influence de l’automutilation que Vincent Vang Gogh s’était infligée, au moment de la brouille entre les deux peintres : en décembre 1888, présageant le départ de Gauguin de sa Maison jaune en Arles, Vincent se sectionne l’oreille. Le jugement de Prado correspond d’ailleurs au moment de la cohabitation arlésienne et les deux artistes ne se privent pas de commenter abondamment le procès, comme Gauguin le rapporte dans sa correspondance. Van Gogh avait aussi, semble-t-il, assimilé son ami à un criminel, lorsqu’il lui remit, la veille de son départ, avant de se couper l’oreille, un entrefilet arraché dans un journal avec ces mots : « Le meurtrier en fuite », faisant allusion à un fait-divers sanglant survenu à Arles quelques jours plus tôt. Le fait que Vincent lui ait tendu cet article « constituait une mise en accusation, impliquant que Gauguin était responsable de la douleur de son ami et qu’il avait déterminé symboliquement son automutilation » (Douglas W. Druick et Peter Kort Zegers, Van Gogh et Gauguin. L’Atelier du midi, Paris, Gallimard, 2002, p. 265).

11 Cette toile est exposée au musée Van Gogh, à Amsterdam. Pour la voir ou la revoir, on pourra consulter cette page : https://www.vangoghmuseum.nl/en/collection/s0224V1962 ; ou celle-ci : https://www.wikiart.org/en/paul-gauguin/self-portrait-dedicated-to-vincent-van-gogh-les-mis%C3%A9rables-1888

12 Dans cet article, la mention « Vincent » fait référence à Vincent Van Gogh, ce dernier signant fréquemment ses travaux par son seul prénom.

13 Paul Gauguin, lettre à Vincent, 1er octobre 1888, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, op. cit., p. 234.

14 Id., lettre à Émile Schuffenecker, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 159.

15 Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 90.

16 Nathalie Heinich, Être artiste. Les transformations du statut des peintres et des sculpteurs, Paris, Klincksieck Études, 1996, p. 45.

17 Paul Gauguin, Lettre à J.F.Willumsen, Bretagne, automne 1890, dans Oviri. Écrits d'un sauvage, choisis et présentés par Daniel Guérin, Paris, Gallimard, 1997, p. 67-68.

18 « L’isolement le plus complet, naturellement pour la famille je suis un monstre de ne pas gagner d’argent, à notre époque on n’estime que celui qui réussit ». Paul Gauguin, Lettre à Émile Schuffenecker, 24 mai 1885, Copenhague, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 68.

19 L’expression est de Harrison et Cynthia White, La Carrière des peintres au XIXe siècle. Du système académique au marché des impressionnistes, Paris, Flammarion, 1991.

20 Paul Gauguin, lettre à Vincent Van Gogh, 1er octobre 1888, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, op. cit., p. 234.

21 Id., lettre à Émile Schuffenecker, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 159.

22 Idem : « L’impressionniste est un pur, non souillé encore par le baiser putride des Beaux-Arts (École) ».

23 L’expression est de Vincent Van Gogh, dans une lettre à Gauguin d’octobre 1888, citée dans Paul Gauguin, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 161.

24 Paul Gauguin, Lettre à Vincent Van Gogh, 24/25 juillet 1888, 45 lettres de Gauguin à Vincent, Théo et Jo Van Gogh, présenté par Douglas Cooper, Lausanne, la Bibliothèque des Arts, 1983, p.

25 Id., Lettre à Émile Bernard, sd, Pont-Aven, début septembre 1889, in Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 187.

26 Id., lettre à Vincent, 1er octobre 1888, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, op. cit., p. 234.

27 Id., lettre à Émile Schuffenecker, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 159.

28 Id., Lettre à Daniel de Monfreid, mars 1898, dans Oviri, op. cit., p. 217.

29 Idem.

30 Patrick Vauday, « Une déterritorialisation de la peinture : Paul Gauguin », dans La Décolonisation du tableau, Paris, Le Seuil, 2006, p. 86. « "L’œil qui écoute" de Gauguin, à rebours du regard qui fixe la réalité et la réduit à son aspect immédiat, est l’organe d’une perception accrue qui en enregistre et en déploie les résonances multiples », écrit aussi Patrick Vauday (Gauguin. Voyage au bout de la peinture, Louvain-la-Neuve, Academia Brylant, 2010, p. 112).

31 Paul Gauguin, Lettre à Émile Schuffenecker, septembre 1888, in Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 216.

32 Victor Hugo, Fantine : Les Misérables (tome 1), Paris, Le Livre de poche 2003, p. 111.

33 Paul Gauguin, lettre à Vincent, 1er octobre 1888, Correspondance de Paul Gauguin : documents, témoignages, op. cit., p. 234.

34 « Masque de sauvage » est le titre donné à une céramique émaillée de Gauguin, présentant son visage. Datant de 1894-1895, elle se trouve au musée Léon-Dierx, à Saint-Denis de la Réunion.

35 « La céramique n’est pas une futilité. Aux époques les plus reculées, chez les Indiens de l’Amérique, on trouve cet art constamment en faveur. Dieu fit l’homme avec un peu de boue. Avec un peu de boue on peut faire du métal, des pierres précieuses, avec un peu de boue et aussi un peu de génie ! N’est-ce donc point là une matière intéressante ? », Paul Gauguin, « Notes sur l’art à l’exposition universelle », Le Moderniste Illustré, 4 et 11 juillet 1889, repris dans Oviri, op. cit., p. 50.

36 Sa mère, raconte-t-il, en avait rapportés de Lima. Son tuteur Gustave Arosa disposait aussi d’une collection importante de poteries précolombiennes.

37 Paul Gauguin, lettre à Émile Schuffenecker, 8 juillet 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 151/ Ibid., Lettre à Mette, fin juin 1889, p. 181/ Ibid., lettre à Émile Bernard, Le Pouldu, août 1890, p.224.

38 Alain Buisine, Passion de Gauguin, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2012, p. 171.

39 Paul Gauguin, lettre à Émile Schuffenecker, 20 décembre 1888, date du 22, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p.170 et p. 238.

40 Bernard Terramorsi, « Paul Gauguin et le démon des Tropiques », dans Aux confins de l’ailleurs : voyages, altérité et utopie, M.-F. Bosquet, S. Meitinger et B. Terramorsi (éd.), Paris, Klincksieck, 2008, p. 96.

41 Sylvie Châles-Courtine, « Le corps criminel dans les Archives d’anthropologie criminelle », Criminocorpus [En ligne], Histoire de la criminologie, 2. Thématiques et théories, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 06 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/124

42 Victor Hugo, Claude Gueux, Paris, Flammarion, 2002, p. 70.

43 Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, Paris, Le Livre de poche, 2008., p. 578.

44 Marion Ardourel Croisy, « Corps du prisonnier et images du corps : une représentation de la déviance au XIXsiècle », TRANS- [En ligne], 13 | 2012, mis en ligne le 28 mai 2012, consulté le 18 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/trans/548 ; DOI : 10.4000/trans.548.

45 Charles Chassé, Gauguin et son temps, Paris, La Bibliothèque des Arts, 1955, p. 82 : « Il avait la plus grande admiration pour le personnage de Vautrin, dans la Comédie humaine et l’idée qu’en d’autres temps et circonstances et dépourvu de l’amour de l’art, il aurait pu être le frère de celui-ci, vous effleurait l’esprit. L’énergie se dégageait de toute sa personne ; il semblait couver un travail énorme ».

46 Balzac, Le Père Goriot, Paris, Le Livre de Poche, 2007, p. 65.

47 Ibid., p. 266.

48 Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, Paris, Le Livre de poche, 2008, p. 410.

49 Paul Gauguin, lettre à Mette, Tahiti, mars 1892, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 253.

50 Id., Cahier pour Aline cité par Victor Segalen, « Hommage à Gauguin », Essai sur l'exotisme. Une esthétique du divers, Paris, Le Livre de Poche, 1999, p. 120.

51 Id., Lettre à Georges-Daniel de Monfreid du 25 août 1902, Lettres de Paul Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid, Paris, Georges Crès, 1918, p. 343.

52 Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Paris, Slatkine, 2007.

53 Alain Buisine, Passion de Gauguin, op. cit., p. 171-172.

54 Paul Gauguin, lettre à Émile Schuffenecker, 8 octobre 1888, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 159.

55 « [...] je suis un sauvage. Et les civilisés le pressentent : car dans mes œuvres il n'y a rien qui surprenne, déroute, si ce n'est ce « malgré-moi-de-sauvage » ; C’est pourquoi c’est inimitable. L’œuvre d'un homme, c'est l'explication de cet homme » Id., lettre à Charles Morrice, Atuana, avril 1903, Lettres à sa femme et à ses amis, op. cit., p. 369.

56 Olivier Apert, Gauguin. Le dandy sauvage, Paris, Infolio, 2012, p. 15.

57 Paul Gauguin, lettre à Schuffenecker, Le Pouldu, août 1890, citée par Bernard Terramorsi, « Paul Gauguin et le démon des Tropiques », op. cit., p. 90.

58 Bernard Terramorsi, « Paul Gauguin et le démon des Tropiques », op. cit., p. 90.

59 Id., lettre à Daniel de Monfreid, octobre 1902 Lettres de Paul Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid, op. cit., p. 348.

Isabelle Malmon

Isabelle Malmon est agrégée de Lettres Modernes et docteure en Littérature comparée, chercheuse associée au laboratoire DIRE de l’Université de La Réunion. Elle est l’auteure d’une thèse intitulée Le tupapau et le génie à capuche : étude d’une figure entêtante dans l’œuvre de Paul Gauguin (Université de La Réunion, juin 2017) et d’un essai Gauguin et la dame en noir (Complicités, 2018). Elle a été invitée au colloque « Gauguin, le droit de tout oser » du musée d’Orsay en octobre 2017 et communique régulièrement sur l’œuvre de l’artiste dans le cadre d’articles et de journées d’étude.

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