« Faire du chaos un monde habitable » : le défi du récit des origines dans la science de la Terre au xviiie siècle

Nathalie Vuillemin

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Nathalie Vuillemin, « « Faire du chaos un monde habitable » : le défi du récit des origines dans la science de la Terre au xviiie siècle », Tropics [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 01 décembre 2013, consulté le 30 décembre 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/111

La question de la valeur cognitive de la fiction se trouve aujourd’hui au cœur d’un débat théorique souvent très polémique : à l’heure où les études littéraires souffrent d’une désaffection certaine, la justification de leur utilité face, notamment, aux sciences humaines, semble devoir passer par une revalorisation du « fait littéraire », envisagé au sens très large du terme, dont on revendique la compétence à produire un savoir à part entière1. On oublie souvent, dans ces discussions, que la mise en perspective des rapports entre la production d’une connaissance et l’activité de création littéraire, est ancienne – aussi ancienne, peut-être, que cette dernière. Elle entre en tous les cas dans une phase particulièrement cruciale au moment où se dessine la conception moderne de la science, lorsque connaître le monde suppose désormais en observer et en enregistrer les phénomènes. Le pouvoir très spécifique de la fiction, réfléchi dans l’art romanesque même, se définit à la même époque a contrario comme la capacité de déplacer le lecteur dans un espace nouveau, à la fois lié à la réalité et parfaitement détaché d’elle. Or cette potentialité de l’écriture sera vastement exploitée par les savants et les philosophes : on la verra à l’œuvre chaque fois que la réflexion se meut dans des espaces où l’observation s’avère difficile, impossible, ou impartageable2. Le discours, en s’appuyant sur la comparaison ou l’analogie, bascule alors dans une représentation qui se substitue à une réalité physique absente, recréant l’intelligibilité manquante sur le plan de faits et nourrissant l’imagination là où la description n’a plus prise. Certaines fictions heuristiques émergent ainsi d’observations effectives, auxquelles il s’agit de donner corps pour en tenter une interprétation ; dans d’autres cas, on ne saurait avoir accès qu’à une représentation mentale des phénomènes, acceptable si on en accepte les prémisses, mais parfaitement inconciliable avec l’expérience.

Si le procédé est fort répandu, on sent, progressivement s’installer, depuis la fin du xviisiècle, une certaine méfiance face à tout système dont le style trop imagé nuirait à la transparence philosophique, ou qui donnerait trop d’espace à l’expérience de pensée, la laissant prendre le pas sur l’observation. Ainsi qualifiera-t-on volontiers, entre autres, la théorie des tourbillons de Descartes, ou celle des germes préexistants soutenue par Charles Bonnet, de « romans », dans un sens péjoratif.

J’examinerai ici comment certains savants, contraints de recourir à ces constructions hypothétiques pour combler l’impossibilité de l’observation directe, proposent eux-mêmes une réflexion sur la valeur de la fiction dans le contexte d’une réflexion philosophique. Aux xviie et xviiie siècles, la reconstitution des origines de la Terre fait partie de ces discours où faits et fictions s’imbriquent, au risque de se confondre, dans la quête d’une représentation. Le problème est ici d’autant plus délicat, on le sait, qu’il fallait tenter d’accorder les analyses scientifiques au récit de la Genèse fable par excellence, dans un système épistémologique basé sur une relation directe aux faits, qui pouvait toutefois difficilement, pour des raisons aussi bien idéologiques que culturelles, être explicitement envisagée de la sorte. Plusieurs études se sont concentrées sur la manière dont fut exploité par les savants l’épisode du Déluge3. On a en revanche été moins attentif au traitement du chaos.

En amont de toute histoire et de toute la narration qu’inaugure l’action créatrice de Dieu, cet état élémentaire s’offrait – et s’offre encore aux théologiens contemporains – comme une énigme sur le plan de la représentation4 : « La terre était déserte et vide, et la ténèbre à la surface de l’abîme ; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux »5. Les poètes qui, dans d’autres traditions, évoquaient le chaos primitif, jouaient sur l’impossibilité de soumettre ce moment fondateur à la logique ordinaire des catégories et du langage. Ovide, dans les Métamorphoses, parlait d’une « masse informe et confuse », amas d’éléments où sont certes présents la terre, les eaux et l’air, mais confondus et méconnaissables6. Tout y est instable et mêlé : « Le froid livrait bataille au chaud, l’humide au sec, / Au dur le tendre, au lourd la substance sans masse »7. Beaucoup plus tard, Du Bartas reprendra cette rhétorique du paradoxe pour l’appliquer à l’évocation du chaos biblique :

Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D’abismes un abisme, un corps mal compassé,
Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé :
Où tous les elemens se logeoyent pesle-mesle :
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaud,
Le dur avec le mol, le bas avec le haut,
L’amer avec le doux : bref durant ceste guerre
La terre estoit au ciel et le ciel en la terre8.

C’est le récit mosaïque lui-même qui suggère, derrière la sécheresse de la description élémentaire, cette idée d’un désordre absolu. Car l’acte par lequel Dieu commence son œuvre est d’abord opération de nomination et de distinction pour parvenir à la mise en place des éléments « actuels », lisibles littéralement, qui établissent une véritable géographie des premiers temps : la lumière est appelée, distinguant le jour de la nuit, puis de la masse initiale sont démêlés le ciel, les eaux, et enfin la terre9.

Que font les philosophes de cet instant textuel fondateur et de sa mystérieuse temporalité, minimale dans le récit mais inconnaissable par excellence ? L’évoquer, dans une logique scientifique, c’est en tenter une explication qui suppose nécessairement, à l’instar du travail opéré par les poètes, un développement, fictif à double titre, du récit biblique : parce qu’il construit une représentation par-dessus un vide référentiel, et parce qu’il récrit un texte qui, aussi obscur soit-il, fait autorité. Sur quelles bases, dans ce contexte, les savants distinguent-ils l’entreprise scientifique et rationnelle du jeu fictionnel qu’elle exige ? Ma lecture se concentrera sur les lectures du chaos que proposent Thomas Burnet et Buffon, dans des ouvrages qui, à près d’un siècle de distance, instaurent avec l’Écriture un dialogue explicite10. Aucune considération sur la valeur scientifique réelle de ces traitements, ni sur leur caractère polémique ne sera développée. Mon intention est plutôt de montrer comment un théologien et un naturaliste, au sein d’une histoire de la Terre qu’ils souhaitent savante, par opposition au mythe, développent parallèlement une réflexion sur les fondements du savoir, lorsque celui-ci se fait reconstitution hypothétique d’une histoire inaccessible. Or penser le savoir, c’est, ici, mettre en scène une écriture.

La Telluris theoria sacra (1681), traduite en anglais et augmentée en 1684 sous le titre de The Sacred Theory of the Earth, se présente comme la tentative de prouver qu’une lecture scientifique de l’histoire du globe peut corroborer le récit de la Genèse. L’ouvrage deviendra rapidement une référence, face à laquelle prendront position tous les théoriciens de la Terre au xviiisiècle11. Dès les premières pages, Burnet met en place un discours apologétique louant le plaisir d’imaginer, dans la recherche des causes, la formation progressive du monde :

Depuis le jour où je fus enclin à la contemplation de la nature, et pris plaisir à déduire les causes des effets, et la dépendance entre une chose et une autre dans la Création visible, j’ai toujours eu, me semble-t-il, une curiosité particulière à revenir aux premières sources et à l’origine des choses ; et à me représenter dans mon esprit, autant que j’en étais capable, les débuts et les progrès d’un monde émergeant. (Ma traduction)12

Pour Burnet, l’Écriture a certes avant tout le devoir de révéler un message religieux, mais elle conserve également en elle, providentiellement, la trace d’événements si lointains que « ni l’Histoire, ni les lumières de la nature ne peuvent les récupérer »13. La compétence spécifique du savant théologien est d’identifier ces indices, pour en offrir une traduction en termes cosmogoniques. La description des premiers temps dans la Genèse est l’un d’eux ; elle conduit à envisager la Terre primitive comme fondamentalement différente du monde postdiluvien. Issue d’un chaos – on verra par la suite l’importance de cette vision – que Burnet envisage comme une masse fluide de particules, elle dut d’abord, au moment de sa première solidification, présenter un profil régulier et uniforme, sans montagnes ni mers. Le grand paradoxe, dit Burnet, est de parvenir à accepter cette vision non-conventionnelle, cette Terre qui nous serait parfaitement étrangère et qui resta telle pendant des centaines d’années, avant d’évoluer progressivement vers celle que nous habitons14. Admettre cette vérité, admirer ce processus, c’est atteindre la véritable contemplation :

Il n’est peut être pas si compliqué que nous l’imaginons à première vue, de faire d’un Chaos un monde habitable ; il y a au moins un plaisir particulier à voir les choses dans leur état originel, et par quels degrés et changements successifs elles se sont élevées à cet ordre et à cet état que nous leur voyons par la suite, une fois achevées.15

Cette transformation en spectacle d’une histoire par définition impénétrable est fondamentale dans la production d’un savoir à partir du texte biblique : c’est dans l’écart creusé entre ce que dit ce dernier, et la manière dont le savant le figure, que peut être réellement mesurée la valeur de la Création. La « fiction », d’un point de vue technique, est tout entière contenue dans la représentation des deux étapes pré-diluviennes – chaos, et terre paradisiaque parfaitement lisse. La première phase, qui nous intéresse ici, semble pouvoir être reconstituée dans un laboratoire imaginaire, où Burnet nous invite à fondre toutes les sortes de métaux connus en une masse indistincte. Une fois l’image souhaitée obtenue, on remplacera mentalement les métaux par des particules d’air, d’eau et de terre16. Tel dut être le chaos. En toute logique, les composantes les plus lourdes ont dû descendre pour former une masse solide au centre du globe, les autres se réunir en fonction de leur densité en eau et en air. Le savoir scientifique aide donc à accéder à une représentation (très concrètement livrée sous forme de schémas). Les extraits de la Bible sont à la fois les indices de la traduction à laquelle s’est livrée Burnet et les garants de la pertinence des hypothèses : les longs processus que décrit le philosophe le conduisent à postuler une seconde formation solide par mélange des particules de l’eau les plus légères, remontant progressivement à la surface, et des corpuscules les plus lourds de l’air, descendant au contraire vers cette couche oléagineuse intermédiaire, qui constitue, en se durcissant, la surface terrestre. Certains versets complexes des Psaumes attestent, pour Burnet, cette vision des faits qui, en retour, résout les obscurités du texte17.

The Sacred Theory of the Earth devait être reçue avec réticence aussi bien de certains théologiens soucieux de voir transformé le texte sacré en traité physico-chimique métaphorique, que de savants condamnant une vision qui tenait trop peu compte de faits concrets et s’avérait donc fantaisiste à leurs yeux. La référence à l’ouvrage dans l’Encyclopédie, est particulièrement intéressante dans la perspective d’une interrogation sur le statut de certains énoncés perçus comme fictionnels en contexte scientifique. Le nom de Burnet apparaît en effet dans plusieurs articles relatifs au chaos primitif18. Il permet notamment de soutenir l’affirmation que la Terre dut subir, au cours de son histoire, des révolutions importantes, et présenter à son origine une forme sans rapport aucun avec celle qu’on lui connaît désormais. L’évocation du chaos dans l’Encyclopédie étant systématiquement prétexte à l’exposé de théories matérialistes19, il semble que le recours fréquent à The Sacred Theory of the Earth permette de jouer sur l’ambiguïté, introduite par Burnet lui-même, d’une récriture du texte biblique sinon scandaleuse, du moins très problématique dans une perspective apologétique. Mais bien au-delà de la compréhension réelle qu’il offre des origines, Burnet ouvre une réflexion sur le savoir. Dans Mosaïque et chrétienne, Philosophie, après avoir exposé son système, Diderot le commente ainsi par une formule à double entente révélatrice de l’intérêt qu’il porte à la démarche du philosophe anglais : « si l’on veut oublier quelques observations qui ne s’accordent point avec l’hypothèse de Burnet, on conviendra qu’il était difficile d’imaginer rien de mieux. C’est une fable qui fait beaucoup d’honneur à l’esprit de l’auteur. »20 L’œuvre séduit, indépendamment de la valeur réelle du contenu, puisqu’il faut pour l’accepter passer par-dessus quelques invraisemblances et négliger l’observation. L’imagination peut certes désigner ici l’ars inveniendi, et la fable une « chose feinte & inventée pour instruire et pour divertir »21, intégrant une méthode d’investigation par l’esprit telle que la pratique Descartes. Mais il peut également s’agir d’une pure fiction22, dont la valeur première est le plaisir qu’elle procure en rendant visible, par la mise en œuvre de stratégies purement rhétoriques, ce qui ne saurait l’être. En ce sens, Diderot se montrerait fidèle à toute une dimension du texte que Burnet, nous l’avons vu, revendique dès les premières lignes.

Un bref examen d’un autre ouvrage du théologien23 permettra d’affiner cette hypothèse. Il s’agit d’une dissertation dans laquelle l’auteur compare sa théorie de la Terre à de nombreux écrits anciens : la Genèse, mais également des mythes antiques ou des légendes médiévales, envisagés comme autant de « témoignages ». Ici, le problème du rapport au visible est explicité en des termes qui permettent de distinguer clairement les récits savant et mythique. Dans le second chapitre, consacré à Genèse i, on démontre que la représentation du monde issue du texte mosaïque est basée sur un certain nombre de postulats inacceptables d’un point de vue rationnel : la Terre est placée au centre de l’univers ; son émergence du chaos originel en un tout organisé et cohérent pose la question de la formation des autres planètes : quand furent-elles créées ? Quelle fut leur genèse ? Comment comprendre, en outre, des images telles que le « firmament au milieu des eaux » (Genèse i, 6) ?

Toutes ces interrogations donnent lieu à un certain nombre d’hypothèses qui, selon Burnet, doivent rendre justice à la Toute-Puissance divine. Il faut envisager que chaque planète ait eu son émergence particulière à partir d’un chaos, chacune présentant une structure et une atmosphère propres24. La terre est soit la plus jeune, soit contemporaine du reste de la création. De plus, affirme Burnet, son histoire ne saurait être réduite à six mille ans, comme le veut la chronologie biblique25. Le texte de Moïse est donc inexact, car il s’agit d’un récit simplifié, qui relaie la vision des « common People »26 : il a fallu que l’homme acquière progressivement un savoir pour comprendre les mécanismes de la Création. La Genèse se concentre sur la description de phénomènes visibles, et traduit en des termes métaphoriques des mécanismes inaccessibles à l’entendement des premiers hommes, parce qu’ils étaient du domaine de l’invisible27. Ainsi la séparation des eaux en supérieures et inférieures conduit-elle à l’idée de l’existence d’un réservoir qui expliquerait la formation des pluies, à une époque où l’on ne peut concevoir les phénomènes d’évaporation et de condensation28. Moïse aurait « adapt[é] son histoire de la Création aux capacités et aux usages des gens communs. »29 Il appartient au philosophe moderne de rendre visible ce qui était inconnaissable dans les temps anciens, de démêler, à l’instar de Dieu débrouillant le chaos primitif, les images où se superposent de manière incompréhensible des phénomènes que la science a pour vocation d’analyser et d’exposer dans une succession claire.

Les deux textes de Burnet opèrent implicitement une distinction importante entre les édifices philosophiques et les mythes, à partir des mécanismes d’admiration pour la création qu’ils mettent en place : il ne saurait y avoir fiction à proprement parler lorsque le philosophe projette sur les origines une représentation guidée par des connaissances issues des sciences de la nature. Si chaque terme est compréhensible, si chaque élément peut intégrer l’édifice sans en contredire aucune autre pièce, l’histoire, sans être vraie, peut être vraisemblable. La contemplation surgit de la complexité et de la perfection logique de l’ensemble, que l’homme peut appréhender sans recourir à des effets surnaturels30. En revanche, l’intervention de motifs relevant du merveilleux ou de la codification métaphorique dénonce l’incapacité à expliquer les phénomènes. La fable, entendue négativement, se constitue comme un spectacle qui tient l’homme en respect parce qu’elle l’oblige à renoncer à la compréhension. Au sens positif, elle est une trame qui déroule les événements postulés en un spectacle admirable d’un point de vue rationnel.

Une évaluation semblable du texte mosaïque ressort des Époques de la nature de Buffon : le récit biblique sert à instruire un peuple « encore très ignoran[t] » qui ne peut accéder aux « vérités astronomiques et physiques »31. Mais en acquérant des connaissances, l’homme s’est donné les moyens d’accéder à ce qui, de l’univers, lui fut initialement caché. Et « toute raison, toute vérité venant également de Dieu, il n’y a pas de différence entre les vérités qu’il nous a révélées et celles qu’il nous a permis de découvrir par nos observations et nos recherches »32. Ces principes sont posés dans un passage du discours introductif où le savant, après avoir résumé le but de son ouvrage – reconstituer l’histoire de la terre sur la base de faits et de monuments qui permettent d’établir une nouvelle chronologie33 –, se dédouane de toute accusation d’irréligion en tentant une interprétation non contradictoire de la Genèse. L’Écriture, affirme-t-il, doit être soumise à une lecture littérale, sauf lorsque de toute évidence « la lettre tue, c’est-à-dire quand elle paraît directement opposée à la saine raison et à la vérité de la Nature »34. Or si le texte pose parfois problème, c’est sans doute qu’on le comprend mal...

En reprenant l’argumentaire d’une dissertation de Dom Calmet35, Buffon feint d’accorder une attention scrupuleuse au caractère très particulier de la langue hébraïque. Il examine le récit de la Création en révisant, d’une part, le sens précis de certains termes : le « ciel » et la « terre » ne peuvent être les mêmes réalités qui nous apparaissent aujourd’hui,

puisqu’il est dit immédiatement après, que la terre était informe ; et que le soleil, la lune et les étoiles ne furent placées dans le ciel qu’au quatrième jour de la création. On rendrait donc le texte contradictoire à lui-même, si l’on voulait soutenir qu’au commencement Dieu créa le ciel et la terre tels qu’ils sont. Ce fut dans un temps subséquent qu’il les rendit en effet tels qu’ils sont, en donant la forme à la matière, et en plaçant le soleil, la lune & les étoiles dans le ciel. Ainsi pour entendre sainement ces premières paroles, il faut nécessairement suppléer un mot qui concilie le tout, et lire : Au commencement Dieu créa LA MATIÈRE du ciel et de la terre.36

De même le mot « créer » est-il ambigu dans la Genèse, l’hébreu bara signifiant également « former » ou « faire ». Or « créer est tirer une substance du néant ; former ou faire, c’est la tirer de quelque chose sous une forme nouvelle »37. L’idée de jour, enfin, ne saurait se voir attribué le sens courant qu’on lui applique en français. Il s’agit là d’un mot utilisé « faute d’autres expressions »38, désignant une durée impossible à définir.

Mais d’autre part, le savant souligne également l’importance de certaines expressions qui doivent être lues à la lettre. Ainsi, la succession rapide des événements dans ce premier chapitre conduit-elle trop facilement à négliger la valeur durative des imparfaits, dans l’évocation du chaos, par exemple. Car « [s]i cet état informe, si cette face ténébreuse de l’abyme n’eussent existé qu’un jour, si même cet état n’eût pas duré longtemps, l’Écrivain sacré, ou se serait autrement exprimé, ou n’aurait fait aucune mention de ce moment de ténèbres »39. Cette volonté d’introduire une temporalité longue dans la syntaxe précipitée du texte va évidemment dans le sens général des Époques. Dans le même état d’esprit, Buffon se plaît à considérer le jugement de la lumière (« Dieu vit que la lumière était bonne ») non comme une action ponctuelle, mais comme une évaluation de longue haleine40. A l’inverse, des conjonctions comme « Or Dieu dit » sont soulignées pour la valeur de rupture qu’elles introduisent dans le texte41. Il s’agit donc d’articuler les épisodes en distinguant radicalement les actions modificatrices, des états qu’elles introduisent. Le récit de la Création participe, dans la Genèse, d’une entreprise de glorification de la Toute-Puissance divine. Ce sont donc les faits de Dieu qui importent et que le texte appuie. Dans la logique de Buffon, l’accent est mis sur le long processus qui permet le passage progressif d’un état à un autre. La narration et la description des différentes phases se verront donc amplifiées, éliminant le geste créateur en tant que tel.

Le chaos, instant impalpable du texte mosaïque, occupe dans cette nouvelle histoire un temps distendu à l’extrême, soit deux époques, « trente ou trente-cinq mille ans »42 durant lesquels la Terre, d’abord masse de matière en fusion, se durcit pour acquérir une forme primitive dont témoigneraient encore certains reliefs. Mettre en scène ce monde méconnaissable passera par l’imposition d’un discours hypothétique qui construit une réalité radicalement étrangère, tout en recourant à une imagerie pleinement accessible :

[...] dans ces premiers temps, où les planètes brillaient de leurs propres feux, elles devaient lancer des rayons, jeter des étincelles, faire des explosions, et ensuite souffrir, en se refroidissant, différentes ébullitions, à mesure que l’eau, l’air et les autres matières qui ne peuvent supporter le feu, retombaient à leur surface : la production des éléments, et ensuite leur combat, n’ont pu manquer de produire des inégalités, des aspérités, des profondeurs, des hauteurs, des cavernes à la surface et dans les premières couches de l’intérieur de ces grandes masses ; et c’est à cette époque que l’on doit rapporter la formation des plus hautes montagnes de la Terre, de celles de la Lune et de toutes les aspérités ou inégalités qu’on aperçoit sur les Planètes.43

En émaillant cette description imaginaire d’indices renvoyant à des lois naturelles apparemment évidentes (« ébullitions » issues du contact entre chaud et froid, émergence d’irrégularités physiques dans des périodes de grands bouleversements), Buffon construit un paysage parfaitement acceptable dans la perspective d’une longue continuité entre les événements des premiers temps et la réalité actuelle. Cette méthode est appliquée tout au long du texte, l’auteur prenant soin de mener l’exposé des phénomènes physico-chimique, souvent mis en scène par analogie grâce à des observations dans le monde actuel44, vers une peinture dramatique de la lutte des éléments dans la progressive formation d’un monde habitable. Il s’agit non seulement de démontrer, mais surtout de montrer, la raison étant en quelque sorte soutenue par la vision que produit le naturaliste. Ainsi le moment ponctuel et décisif de la distinction des éléments, qui marque la fin du chaos dans le texte biblique, est-il ici figuré dans une longue description tourmentée qui joue sur la représentation sensible d’un très long processus, en accentuant la dimension désordonnée plutôt que le miracle de sa résolution45 :

[...] reprenons ces temps antérieurs, où les eaux jusqu’alors réduites en vapeurs, se sont condensées et ont commencé de tomber sur la Terre brûlante, aride, desséchée, crevassée par le feu : tâchons de nous représenter les prodigieux effets qui ont accompagné et suivi cette chute précipitée des matières volatiles, toutes séparées, combinées, sublimées dans le temps de la consolidation et pendant le progrès du premier refroidissement. La séparation de l’élément de l’air et de l’élément de l’eau, le choc des vents et des flots qui tombaient en tourbillons sur une terre fumante ; la dépuration de l’atmosphère, qu’auparavant les rayons du Soleil ne pouvaient pénétrer ; [...] le bouillonnement continuel des eaux tombées et rejetées alternativement ; enfin la lessive de l’air [...] : quels mouvements, quelles tempêtes ont dû précéder, accompagner et suivre l’établissement local de chacun de ces éléments ! Et ne devons-nous pas rapporter à ces premiers moments de choc et d’agitation, les bouleversements, les premières dégradations, les irruptions et les changements qui ont donné une seconde forme à la plus grande partie de la surface de la Terre ? Il est aisé de sentir que les eaux qui la couvraient alors presque tout entière, étant continuellement agitées par la rapidité de leur chute, par l’action de la Lune sur l’atmosphère et sur les eaux déjà tombées, par la violence des vents, etc. auront obéi à toutes ces impulsions, et que dans leurs mouvements elles auront commencé par sillonner plus à fond les vallées de la Terre, par renverser les éminences les moins solides, rabaisser les crêtes des montagnes, percer leurs chaînes dans les points les plus faibles ; et qu’après leur établissement, ces mêmes eaux se seront ouvert des routes souterraines, qu’elles ont miné les voûtes des cavernes, les ont fait écrouler, et que par conséquent ces mêmes eaux se sont abaissées successivement pour remplir les nouvelles profondeurs qu’elles venaient de former : les cavernes étaient l’ouvrage du feu : l’eau, dès son arrivée, a commencé par les attaquer ; elle les a détruites, et continue de les détruire encore : nous devons donc attribuer l’abaissement des eaux à l’affaissement des cavernes, comme la seule cause qui nous soit démontrée par les faits.46

Faire sentir, mettre en scène un paysage hypothétique, puis déduire les faits : aux représentations anciennes se substitue une nouvelle fiction qui, sur des bases scientifiques, permet de transformer l’ellipse sémantique de l’Écriture en un spectacle inouï. La démarche est d’autant plus intéressante au vu de la place occupée par l’homme dans la cosmogonie buffonienne. Son apparition à la surface du globe est tardive : après les grands animaux et à l’issue des bouleversements qui ont modifié l’apparence de la Terre au début de son histoire, l’homme aurait été créé, peut-on lire dans la Cinquième époque, pour être « le témoin intelligent, l’admirateur paisible du grand spectacle de la Nature et des merveilles de la création. »47 Mais lorsque la septième époque met en scène ce spectateur, c’est non dans la sérénité d’une nature achevée et stable, comme le laissait supposer la première évocation, mais en être terrorisé, « ayant encore sous [les] yeux les ravages des inondations, les incendies des volcans, les gouffres ouverts par les secousses de la Terre »48. De là, selon Buffon, toutes les représentations et tous les mythes basés sur l’existence d’êtres maléfiques, Titans, déluges ou cataclysmes punitifs : l’homme, incapable de comprendre la nature qui l’entoure, crée des fictions qui lui permettent d’expliquer la puissance des éléments. Ce n’est qu’en dominant la nature qu’il apprendra à maîtriser sa peur, conquérant ainsi son bonheur en modelant progressivement son environnement à ses besoins. A la passivité du premier homme soumis à ses superstitions s’oppose la capacité de l’homme désormais savant à agir, sur la base d’observations rationnelles.

Cette histoire aboutit donc à une distinction claire entre une fiction des origines répondant à une situation d’ignorance, et une représentation vraisemblable de l’histoire, basée sur l’application d’une méthode49. Le premier homme décrit par Buffon partage avec le destinataire du texte mosaïque la même incapacité à apprivoiser les phénomènes. L’homme moderne en revanche, instruit par le savant, n’a pour sa part plus lieu de craindre les scènes épouvantables qu’on lui décrit. Il peut même, avec l’écrivain, en jouir et s’y complaire : le recours à l’esthétique du sublime consacre le passage de l’événement subi au tableau contemplé. Buffon rappelle lui-même à plusieurs reprises à son lecteur qu’il lui permet d’accéder à une dimension de l’histoire volontairement soustraite au témoignage humain : « heureusement, ces anciennes scènes, les plus épouvantables de la Nature, n’ont point eu de spectateurs [...] et nous remercierons le Créateur de n’avoir pas rendu l’homme témoin de ces scènes effrayantes et terribles, qui ont précédé, et pour ainsi dire annoncé la naissance de la Nature intelligente et sensible » 50. Il revenait au savant de révéler ce texte-là.

A l’article Chaos de l’Encyclopédie, Diderot établit une liste de précautions à respecter dans toute réflexion sur le sujet. L’un des points prévoit « [q]u’il ne doit être permis aux Philosophes de faire des hypotheses, que dans les choses sur lesquelles la Genese ne s’explique pas clairement »51. Burnet et Buffon s’attellent précisément à cette tâche, en remplissant les silences du Texte, en prenant le relais là où la connaissance est arrêtée ou rendue impossible. Il est du devoir du savant, dans un monde désormais dominé par l’exigence de l’observation et de l’expérience, de donner à voir et à sentir ce qui même échappe a priori à tout représentation. Or seule l’acquisition préalable d’un certain savoir autorise cet exercice d’écriture périlleux : la fable, pour être acceptable, doit intégrer un processus explicatif et non se substituer à celui-ci. Malgré les différences essentielles qui séparent les pensées de Burnet et Buffon, la volonté commune de faire spectacle d’une histoire fondamentalement inquiétante, en sa qualité non représentable, est donc affirmation d’une victoire de l’esprit humain sur la part mystérieuse de la nature. Mais elle est également la revendication d’une destination humaine de l’univers, comme le souligne le recours ambigu à la rhétorique apologétique dans ces textes. C’est dès lors qu’elles peuvent être vues, réfléchies, et signifiées, que la nature et son histoire prennent sens. Car

si l’on bannit l’homme ou l’être pensant & contemplateur de dessus la surface de la terre ; ce spectacle pathétique & sublime de la nature n’est plus qu’une scene triste & muette. L’univers se tait ; le silence & la nuit s’en emparent. Tout se chance en une vaste solitude où les phénomènes inobservés se passent d’une maniere obscure et sourde.52

1 De très nombreux travaux sont consacrés au sujet. L’ouvrage de R. Schusterman et J.-J. Lecercle, L’Emprise des signes. Débats sur l’expérience

2 C’est le cas notamment lorsqu’il s’agit de communiquer des observations réalisées avec des instruments particuliers, télescope et microscope.

3 Voir par exemple M. S. Seguin, Science et religion dans la pensée française du xviiisiècle : le mythe du déluge universel, Paris, Champion, 2001 ;

4 Voir à ce propos G. von Rad, La Genèse, Genève, Labor et Fiedes, 1949/1968, p. 44-45.

5 Genèse, i. 2, La Bible, traduction œcuménique, Paris, Cerf, 2011, p. 55.

6 Ovide, Métamorphoses, i, v. 5-20, éd. G. Lafaye et O. Sers, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 5.

7 Ibid., v. 18-20.

8 G. Du Bartas, La Sepmaine ou Creation du monde, éd. J. Céard (dir.) et al., Paris, Classiques Garnier, 2011, 3 vol., t. I, v. 223-232. La

9 Genèse, i. 3-10.

10 Les ouvrages examinés seront principalement T. Burnet, The Sacred Theory of the Earth [1691], Carbondale, Southern Illinois University Press, 1965 

11 Voir à ce propos J. Roger, « La théorie de la Terre au xviie siècle », Revue d’histoire des sciences, n° 26-1, 1973, p. 23-48.

12 T. Burnet, op. cit., I. 1, p. 23 : « Since I was first inclin’d to the Contemplation of Nature, and took pleasure to trace out the Causes of

13 Ibid., p. 25 : « It seems to me very reasonable to believe, that besides the precepts of Religion, which are the principal subject and design of

14 Ibid., p. 53 : « [...] the face of the Earth before the Deluge was smooth, regular, and uniform ; without Mountains, ans without a Sea. [...] And

15 Ibid., p. 54 : « Neither is it perhaps such an intricate thing as we imagine at first sight to trace a Chaos into an habitable World ; at least

16 Ibid., p. 53-54.

17 Burnet cite les Psaumes suivants : xxiv, 3-4 : « C’est lui qui l’a [la terre] fondée sur les mers / et la tient stable sur les flots »  ; cxxxvi, 6

18 Par exemple Chaos, Chaologie, Création, Déluge, Mosaïque et chrétienne philosophie.

19 Voir à ce propos mon article « Aux confins de la nature : l’idée de chaos dans la pensée scientifique du xviiisiècle », dans Dix-huitième Siècle

20 Diderot, Mosaïque et chrétienne, Philosophie, Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc.,Neuchâtel, Société

21 Dictionnaire de l’Académie française, 1762 (4ème édition).

22 Ibid. : « FABLE signifie aussi, Fausseté, chose controuvée. »

23 T. Burnet, Archaeologiae Philosophicae, Or The Ancient Doctrine Concerning the Originals of Things, London, Fisher, 1736. Il s’agit de la version

24 Ibid., p. 35.

25 Ibid., p. 36-38.

26 Ibid., p. 38.

27 Ibid., p. 39 : « [...] [Moses] proposed to himself to relate in his Hexaemeron invisible abstruse Things which were of no Use when known : He in

28 Ibid., p. 40-41.

29 Ibid., p. 41 : « this is the best way to keep up the Dignity of Moses, if whenever he deviates forme the Physical Truth, we suppose him to do it [.

30 L’une des thèses fortes de The Sacred Theory of the Earth est ainsi la lecture du Déluge comme phénomène naturel, et non comme miracle divin.

31 Buffon, Des Époques de la nature, op. cit., p. 1214.

32 Ibid., p. 1213.

33 L’âge de la Terre admis par l’Église était estimé à 6000 ans. Buffon lui donnera pour sa part 75000 ans.

34 Buffon, op. cit., p. 1213. Italiques de l’auteur.

35 Voir à ce propos l’introduction de Jacques Roger à son édition critiques des Époques de la nature (Paris, Muséum national d’histoire naturelle

36 Buffon, op. cit., p. 1210.

37 Ibid., p. 1212.

38 Ibid., p. 1213.

39 Ibid., p. 1210.

40 Ibid., p. 1211-12.

41 Ibid., p. 1211.

42 Ibid., p. 1246 : « A la date de trente ou trente-cinq mille ans de la formation des planètes, la Terre se trouvait assez attiédie pour recevoir les

43 Ibid., p. 1227.

44 Sur la méthode analogique de Buffon dans les Époques, voir B. de Baere, La Pensée cosmogonique de Buffon, Paris, Champion, 2004 ainsi que T. Hoquet

45 Buffon donne, dans la quatrième époque, le chiffre de « quinze ou vingt mille ans » pour la chute, puis le retrait des eaux (ibid., p. 1287).

46 Ibid., p. 1248-1249. Je souligne.

47 Ibid., p. 1305.

48 Ibid., p. 1327. D’après Jacques Roger, cette représentation serait tirée des Anecdotes de la Nature de Nicolas Antoine Boulanger. Voir J. Roger, op

49 Il s’agit de la méthode historique, Buffon cherchant dans la géographie et les connaissances physiques actuelles les « Monuments » et les « Faits »

50 Buffon, op. cit., p. 1289-90.

51 Diderot, art. Chaos, Encyclopédie, t. 3, 1754.

52 Diderot, art. Encyclopédie, Encyclopédie, t. 5, 1755.

1 De très nombreux travaux sont consacrés au sujet. L’ouvrage de R. Schusterman et J.-J. Lecercle, L’Emprise des signes. Débats sur l’expérience littéraire (Paris, Seuil, « Poétique », 2002), a l’avantage de présenter ces questionnements sous la forme d’un dialogue entre une vision cognitiviste de la littérature, et l’affirmation, au contraire que « [c]’est [...] parce que la fiction ne sait rien, qu’elle peut, à sa manière, faire quelque chose ». (p. 214, italiques originaux.)

2 C’est le cas notamment lorsqu’il s’agit de communiquer des observations réalisées avec des instruments particuliers, télescope et microscope.

3 Voir par exemple M. S. Seguin, Science et religion dans la pensée française du xviiisiècle : le mythe du déluge universel, Paris, Champion, 2001 ; A. V. Carozzi (éd.), Les Plis du temps : mythe, science et H.-B. de Saussure, Genève, Musée d'ethnographie/Annecy, Conservatoire d’Art et d’Histoire, 1998 ; M. J. Rudwick, Bursting The Limits of Time : The Reconstruction of Geohistory in the Age of Revolution, Chicago, University Press, 2005.

4 Voir à ce propos G. von Rad, La Genèse, Genève, Labor et Fiedes, 1949/1968, p. 44-45.

5 Genèse, i. 2, La Bible, traduction œcuménique, Paris, Cerf, 2011, p. 55.

6 Ovide, Métamorphoses, i, v. 5-20, éd. G. Lafaye et O. Sers, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 5.

7 Ibid., v. 18-20.

8 G. Du Bartas, La Sepmaine ou Creation du monde, éd. J. Céard (dir.) et al., Paris, Classiques Garnier, 2011, 3 vol., t. I, v. 223-232. La description du chaos est développée jusqu’au vers 258. Jean-Pierre Cavaillé propose une belle analyse de ce passage dans Descartes : la fable du monde, Paris, EHESS/Vrin, 1991, p. 280sq.

9 Genèse, i. 3-10.

10 Les ouvrages examinés seront principalement T. Burnet, The Sacred Theory of the Earth [1691], Carbondale, Southern Illinois University Press, 1965 ; Buffon, Des Époques de la nature (Histoire naturelle, Supplément, t. V, 1778, p. 1-254), dans Œuvres, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 2007, p. 1191-1342.

11 Voir à ce propos J. Roger, « La théorie de la Terre au xviie siècle », Revue d’histoire des sciences, n° 26-1, 1973, p. 23-48.

12 T. Burnet, op. cit., I. 1, p. 23 : « Since I was first inclin’d to the Contemplation of Nature, and took pleasure to trace out the Causes of Effects, and the dependance of one thing upon another in the visible Creation, I had always, methought, a particular curiosity to look back into the first Sources and ORIGINAL of Things ; and to view in my mind, so far as I was able, the Beginning and Progress of a RISING WORLD. »

13 Ibid., p. 25 : « It seems to me very reasonable to believe, that besides the precepts of Religion, which are the principal subject and design of the Books of holy Scripture, there may be providentially conserv’d in them the memory of things and times so remote, as could note be retriev’d, either by History, or by the light of Nature ».

14 Ibid., p. 53 : « [...] the face of the Earth before the Deluge was smooth, regular, and uniform ; without Mountains, ans without a Sea. [...] And this is [...] the great Paradox which we offer to be examin’d, and which we affirm, That the Earth in its first rise and formation from a Chaos, was of the form here describ’d, and so continu’d for many hundred of years. »

15 Ibid., p. 54 : « Neither is it perhaps such an intricate thing as we imagine at first sight to trace a Chaos into an habitable World ; at least there is a particular pleasure to see things in their Origin, and by what degrees and successive changes they rise into that Order and state we see them in afterwards, when completed. »

16 Ibid., p. 53-54.

17 Burnet cite les Psaumes suivants : xxiv, 3-4 : « C’est lui qui l’a [la terre] fondée sur les mers / et la tient stable sur les flots »  ; cxxxvi, 6 : « affermissant la terre sur les eaux ».

18 Par exemple Chaos, Chaologie, Création, Déluge, Mosaïque et chrétienne philosophie.

19 Voir à ce propos mon article « Aux confins de la nature : l’idée de chaos dans la pensée scientifique du xviiisiècle », dans Dix-huitième Siècle, 45, 2013, p. 443-449, sous presse.

20 Diderot, Mosaïque et chrétienne, Philosophie, Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc., Neuchâtel, Société typographique, t. 19, 1765.

21 Dictionnaire de l’Académie française, 1762 (4ème édition).

22 Ibid. : « FABLE signifie aussi, Fausseté, chose controuvée. »

23 T. Burnet, Archaeologiae Philosophicae, Or The Ancient Doctrine Concerning the Originals of Things, London, Fisher, 1736. Il s’agit de la version traduite d’un texte publié en latin en 1692.

24 Ibid., p. 35.

25 Ibid., p. 36-38.

26 Ibid., p. 38.

27 Ibid., p. 39 : « [...] [Moses] proposed to himself to relate in his Hexaemeron invisible abstruse Things which were of no Use when known : He in that only traces the Phoenomena of the visible World, which strike upon the Eyes of all People, and make them sensible that there must be a Creator ; wheras those Things which are no way apparent, as they need no Author, so neither do they require any Explanation. »

28 Ibid., p. 40-41.

29 Ibid., p. 41 : « this is the best way to keep up the Dignity of Moses, if whenever he deviates forme the Physical Truth, we suppose him to do it [...] by adapting his History of the Creation to the Capacity and Use of the common People. »

30 L’une des thèses fortes de The Sacred Theory of the Earth est ainsi la lecture du Déluge comme phénomène naturel, et non comme miracle divin.

31 Buffon, Des Époques de la nature, op. cit., p. 1214.

32 Ibid., p. 1213.

33 L’âge de la Terre admis par l’Église était estimé à 6000 ans. Buffon lui donnera pour sa part 75000 ans.

34 Buffon, op. cit., p. 1213. Italiques de l’auteur.

35 Voir à ce propos l’introduction de Jacques Roger à son édition critiques des Époques de la nature (Paris, Muséum national d’histoire naturelle, 1962), p. ci.

36 Buffon, op. cit., p. 1210.

37 Ibid., p. 1212.

38 Ibid., p. 1213.

39 Ibid., p. 1210.

40 Ibid., p. 1211-12.

41 Ibid., p. 1211.

42 Ibid., p. 1246 : « A la date de trente ou trente-cinq mille ans de la formation des planètes, la Terre se trouvait assez attiédie pour recevoir les eaux sans les rejeter en vapeurs. Le chaos de l’atmosphère avait commencé à se débrouiller [...] ».

43 Ibid., p. 1227.

44 Sur la méthode analogique de Buffon dans les Époques, voir B. de Baere, La Pensée cosmogonique de Buffon, Paris, Champion, 2004 ainsi que T. Hoquet, Buffon : histoire naturelle et philosophie, Paris, Champion, 2005, chap. IX-X.

45 Buffon donne, dans la quatrième époque, le chiffre de « quinze ou vingt mille ans » pour la chute, puis le retrait des eaux (ibid., p. 1287).

46 Ibid., p. 1248-1249. Je souligne.

47 Ibid., p. 1305.

48 Ibid., p. 1327. D’après Jacques Roger, cette représentation serait tirée des Anecdotes de la Nature de Nicolas Antoine Boulanger. Voir J. Roger, op. cit., p. lxxvi-lxxix.

49 Il s’agit de la méthode historique, Buffon cherchant dans la géographie et les connaissances physiques actuelles les « Monuments » et les « Faits » qui témoignent des progressives transformations de la Terre. Voir, sur ce point, B. De Baere, op. cit., troisième partie : « La cosmogonie, l’histoire, et le vraisemblable. »

50 Buffon, op. cit., p. 1289-90.

51 Diderot, art. Chaos, Encyclopédie, t. 3, 1754.

52 Diderot, art. Encyclopédie, Encyclopédie, t. 5, 1755.

Nathalie Vuillemin

Université de Neuchâtel
Professeur assistante en littérature. Ses recherches, consacrées essentiellement à l’histoire des représentations scientifiques (XVIIIe-XIXe siècles) et aux rapports entre littérature et savoirs, ont donné lieu à la publication, en 2009, d’un ouvrage intitulé Les Beautés de la nature à l’épreuve de l’analyse (Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle), ainsi qu’à un collectif en codirection avec Adrien Paschoud : Penser l’ordre naturel, 1680-1810 (Oxford, SVEC). Elle travaille actuellement sur les carnets de voyageurs savants en Amérique du Sud et sur les différentes représentations du chaos dans les sciences des XVIIe et XVIIIe siècles