Incendies de Wajdi Mouawad : une réécriture d’Œdipe-Roi

Sandrine Montin

Citer cet article

Référence électronique

Sandrine Montin, « Incendies de Wajdi Mouawad : une réécriture d’Œdipe-Roi », Tropics [En ligne], 3 | 2016, mis en ligne le 01 décembre 2016, consulté le 26 avril 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/477

L’art appelle l’art

À la question « Pourquoi Sophocle ? » posée à Wajdi Mouawad lors de sa mise en scène de l’intégrale des tragédies de Sophocle, le dramaturge et metteur en scène libano-canadien répond : « De tous les auteurs, c’est celui qui m’a le plus instinctivement ému »1. Il évoque « la fin de l’enchantement » vécue par les personnages entre deux âges de Sophocle2, et leur « soif insatiable de l’infini »3. Il souligne « la prudence » de Sophocle, se gardant de prendre position sur la démesure avec laquelle les personnages s’opposent les uns aux autres. Puis, il raconte ce qu’il appelle sa « collision » avec Sophocle :

C’est l’auteur que j’ai lu et relu et qui m’a donné envie de faire comme lui. […] On ne fait pas de l’art parce qu’on a souffert. On fait de l’art parce qu’on a vu de l’art. L’art appelle l’art. […] Au départ un artiste devient un artiste parce qu’il rencontre un autre artiste. Cette collision pour moi est vraiment fondamentale. Chez moi elle s’est passée, entre autres, à travers Sophocle : c’est-à-dire l’envie de faire comme lui, l’envie d’écrire moi aussi une tragédie, l’envie de bouleverser comme j’ai été bouleversé, l’envie d’appartenir à ça4.

Ce bref témoignage nous renseigne (on songe au titre du recueil de Gracq, En lisant en écrivant) : l’écriture est une réponse à une écriture antérieure, en ce sens déjà, donc, réécriture. C’est aussi, chez un écrivain de l’exil, marqué par la guerre qui a frappé le Liban à partir de 1975 et fait fuir sa famille, d’abord à Paris, puis à Montréal, l’envie de s’introduire dans une république imaginaire, une histoire des œuvres et des bouleversements, une succession de « chocs esthétiques » comme autant de réponses aux chocs du monde. Mais que l’œuvre trouve pour origine la rencontre avec celle de Sophocle n’explique pas pour autant le choix de citations manifestes, visibles, dans le tissu du texte.

Des sept tragédies de Sophocle qui nous sont parvenues, c’est en particulier Œdipe-Roi (430 ou 420 avant notre ère) que l’on découvre au cœur de l’écriture d’Incendies (2003/2009), le deuxième volet de la tétralogie de Wajdi Mouawad, Le Sang des promesses. Incendies évoque, sans jamais nommer les pays ni les acteurs historiques du conflit, la guerre du Liban : l’afflux de réfugiés palestiniens, l’invasion du Sud-Liban par l’armée israélienne, le rôle des milices et celui de la résistance à l’invasion, les déplacements de population, les camps, la prison, l’enchaînement d’exactions et de représailles. L’Histoire est narrée à travers celle, fictive, d’une famille. Bien que l’intrigue s’écarte de celle d’Œdipe, elle emprunte plusieurs motifs au mythe : naissance maudite, condamnation et sauvetage clandestin des nourrissons, intervention providentielle d’un berger, enfance et jeunesse loin des parents biologiques, inceste du fils et de la mère, reconnaissance tardive de l’enfant perdu. Et le motif central de l’aveuglement, comme métaphore de la démesure, signe de la tragédie, est commun aux deux pièces. Surtout, Mouawad reprend à Sophocle une construction singulière, celle de l’enquête sur les faits passés, où l’horreur ne s’accomplit pas sous nos yeux, au présent : c’est à l’histoire de sa révélation que nous assistons. Le présent n’est pas celui des crimes mais de leur récit.

Quoique la trame narrative d’Incendies diverge de celle d’Œdipe-Roi (l’affrontement du père et du fils, au cœur du mythe œdipien, n’a pas lieu), la réappropriation des motifs d’Œdipe-Roi et de la forme de l’enquête saute aux yeux. Or la question de l’appartenance au genre tragique se pose à propos d’Incendies. Dans la pièce de Mouawad, la quête des protagonistes trouve sa résolution dans une (re)connaissance apaisée, réconciliée. Point de mutilation, d’exil ni d’autopunition au dénouement de la pièce, contrairement à Œdipe-Roi. Et la « pluie torrentielle » par laquelle elle s’achève, métaphore transparente des larmes que spectateurs et personnages sont invités à partager au moins à travers ce signe médiatisé, libère une émotion complexe dans laquelle la gratitude, la joie, l’espérance, le partagent à la pitié. Alors, si le trajet accompli par la pièce diffère de celui d’Œdipe-Roi, pourquoi Wajdi Mouawad a-t-il eu besoin de Sophocle ? pourquoi, au moment d’évoquer la guerre du Liban, tisser si manifestement son histoire à celle de la tragédie d’Œdipe ? Wajdi Mouawad écrit, dans un cahier de répétition inédit : « Le plus important est de sortir du drame pour tomber tête première dans la Tragédie »5. Il y a là une piste (peut-être piégée), mais pas encore une réponse : la déclaration mérite qu’on s’y arrête et qu’on la comprenne.

Réécrire Œdipe : la stratégie de Wajdi Mouawad

Dans Œdipe-Roi, le juge, l’enquêteur et le criminel ne forment qu’un. Le tyran de Thèbes, Œdipe, découvre petit à petit qu’il est l’assassin de son propre père, l’époux de sa mère et, par conséquent, le frère de ses fils et de ses filles. Dans Incendies, le dispositif complexe fait intervenir plusieurs « enquêteurs » à des niveaux temporels différents, qui parfois coexistent sur scène. En effet, à Montréal, les dernières volontés de leur mère Nawal conduisent les jumeaux Simon et Jeanne à entreprendre malgré eux une enquête pour retrouver un père qu’ils croyaient mort et un frère dont ils n’ont jamais entendu parler. Encouragés par le notaire de leur mère, Jeanne et Simon se rendent dans le pays d’origine de Nawal. L’enquête des jumeaux croise alors, dans l’espace-temps feuilleté du plateau, celle de leur mère. Quoique morte, Nawal apparaît sur scène, revenant du passé. On la voit elle aussi enquêter, à plusieurs étapes de sa vie (à 19 ans, à 40 ans, à 60 ans), à la recherche du fils qu’elle a eu à 15 ans, né de son amour pour un « réfugié ». Cet amour et la grossesse de Nawal ayant « déshonoré » sa famille, l’enfant lui a été enlevé à la naissance, au moment où éclatait la guerre civile. De leur côté, bien des décennies plus tard (mais les enquêtes se croisent sur le plateau) Jeanne et Simon découvrent progressivement l’histoire de leur mère et de leur propre origine : ils apprennent que, au cœur de la guerre civile, Nawal a été emprisonnée après avoir tué le chef des miliciens, qu’en prison elle a été violée à répétition par le bourreau Abou Tarek, et qu’ils sont eux-mêmes nés de ces viols ; que, condamnés à être jetés à la rivière, ils ont été confiés par le concierge de la prison à un berger et sauvés. Cherchant leur frère, ils finissent par apprendre qu’Abou Tarek n’est autre que Nihad, l’enfant enlevé à Nawal 25 ans avant leur naissance. Ni la mère ni le fils ne se sont reconnus, arrachés, emportés, aveuglés par la guerre, la haine, l’horreur. Jeanne et Simon sont les enfants de leur propre frère, lui-même bourreau de sa mère.

On le voit, les parallélismes entre l’intrigue d’Incendies et celle d’Œdipe-Roi sont évidents, or Wajdi Mouawad ne manque pas de les souligner dans son propre texte. Relisons ainsi le passage où Chamseddine, l’ancien « chef spirituel de toute la résistance de la région du sud »6, révèle à Simon né Sarwane que son père, le bourreau Abou Tarek, et son frère Nihad, l’enfant perdu de Nawal, ne font qu’un :

Le ciel tombe, Sarwane. Tu comprends bien : il a torturé ta mère et ta mère, oui, fut torturée par son fils et le fils a violé sa mère. Le fils est le père de son frère, de sa sœur. Tu entends ma voix, Sarwane ? On dirait la voix des siècles anciens. Mais non, Sarwane, c’est d’aujourd’hui que date ma voix. Et les étoiles se sont tues en moi une seconde, elles ont fait silence lorsque tu as prononcé le nom de Nihad Harmanni tout à l’heure. Et je vois que les étoiles font silence à leur tour en toi. En toi le silence, Sarwane, celui des étoiles et celui de ta mère. En toi7.

Quelle est la stratégie poursuivie ici par l’auteur ? Il semble que la réécriture reconnaissable du mythe d’Œdipe, soulignée par les allusions à l’héritage littéraire (« On dirait la voix des siècles anciens ») permette à Wajdi Mouawad de rapprocher le plus lointain (l’ailleurs oriental, cette lointaine guerre du Liban), du plus familier, du plus enraciné dans la culture européenne, et par extension, « occidentale ». Le témoignage de Souha Bechara, prisonnière à la prison de Khiam, dans le Sud-Liban, et l’invasion du Sud-Liban par l’armée israélienne, sont les points de départ de l’écriture d’Incendies. Mais « [l]’événement politique de l’invasion israélienne ne sera […] pas apparent »8. Malgré les noms et la toponymie arabes, « [l]es pays ne seront pas nommés »9. Le mythe d’Œdipe joue le rôle de témoin pour transmettre quelque chose du « cauchemar libanais »10 à un public canadien et européen : non, la violence, le crime et le malheur humains ne sont pas réservés aux autres, là-bas, à ce Moyen-Orient en guerre, et Œdipe est un allié de choix dans ce passage entre trois continents, Orient, Europe, Amérique. Articuler si nettement Incendies à Œdipe, c’est signifier que l’histoire de Nawal et Nihad s’enracine dans une histoire ancienne dont les mythes grecs portent la trace. Le jeu temporel (aujourd’hui / siècles anciens) double le tissage spatial (ailleurs oriental / Europe), et le « début du monde » est à la fois l’origine des temps et la source lointaine du conflit. Ce jeu relève d’un équilibre délicat, où la reconnaissance du mythe antique doit être activée sans mettre en danger la crédibilité et la vraisem­blance de la nouvelle fiction. C’est sans doute pourquoi Mouawad fait préciser à Chamseddine : « Mais non, Sarwane, c’est d’aujourd’hui que date ma voix ».

Cette référence aux temps anciens ne se limite d’ailleurs pas à Œdipe. C’est « la guerre de cent ans » qui est évoquée par Nawal11, et l’humanité apparaît parfois maudite, marquée d’une tare originelle, du sceau d’Abel et Caïn. Ainsi le médecin interpellé par Nawal et son amie Sawda est sommé d’expliquer l’horreur. A la question « Pourquoi ? » il répond :

Pour se venger. Il y a deux jours, les miliciens ont pendu trois adolescents réfugiés qui se sont aventurés hors des camps. Pourquoi les miliciens ont-ils pendu trois adolescents ? Parce que deux réfugiés du camp avaient violé et tué une fille du village de Kfar Samira. Pourquoi ces deux types ont-ils violé cette fille ? Parce que les miliciens avaient lapidé une famille de réfugiés. Pourquoi les miliciens l’ont-ils lapidée ? Parce que les réfugiés ont brûlé une maison près de la colline du thym. Pourquoi les réfugiés ont-ils brûlé la maison ? Pour se venger des miliciens qui avaient détruit un puits d’eau foré par eux. Pourquoi les miliciens ont-ils détruit le puits ? Parce que des réfugiés avaient brûlé une récolte du côté du fleuve au chien. Pourquoi ont-ils brûlé la récolte ? Il y a certainement une raison, ma mémoire s’arrête là, je ne peux pas monter plus haut, mais l’histoire peut se poursuivre encore longtemps, de fil en aiguille, de colère en colère, de peine en tristesse, de viol en meurtre, jusqu’au début du monde12.

Dans le récit enchaîné des représailles, remontant le temps d’un acte de violence à celui qui l’a précédé, le médecin fait preuve d’une obstination non dénuée d’humour noir et finit par buter sur un ultime pourquoi. La fable des origines (« les frères tirent sur leurs frères »13 dit aussi le médecin) répond à la question sans réponse, pallie les manques du récit, les trous de l’histoire, tout en donnant à l’intrigue l’épaisseur du palimpseste. En ce qui concerne plus particulièrement Œdipe, le mythe migre, se déplace, tout comme les jumeaux de Nawal, nés à Kfar Rayat sous les noms de Janaan et Sarwane, leurs noms plus tard effacés, réécrits à Montréal, et le spectateur comprend que la tragédie qui lui est racontée est aussi la sienne, ou que les tragédies qu’il croyait siennes sont aussi celles des autres. Il y a bien une intention didactique, une stratégie de la réécriture chez Mouawad, en somme ce qu’on pourrait se risquer à appeler, sur le modèle des tactiques géopolitiques, une « géo-poétique », si le terme n’était l’objet de polé­miques et d’appropriations. En découvrant dans le palimpseste une profondeur multiséculaire, on découvre dans le conflit géographiquement lointain une histoire soudain familière, des racines connues14.

La catharsis tragique : craindre la démesure

Réécrire la tragédie, c’est aussi se réapproprier une forme esthétique, et les effets qui en sont attendus. Le dramaturge a évoqué lui-même souvent et précisément la leçon qu’il a tirée des tragiques grecs, et de Sophocle en particulier :

J’ai eu la chance de découvrir ces textes au bon moment. Je n’ai pas vécu le « tragique » dans toute l’ampleur du mot, mais l’ai frôlé sans le savoir. Et à force de lire ces auteurs, j’ai entendu leur message : « Ne présume pas de toi. Ne dis pas : Jamais, je ne commettrai d’acte épouvantable. » Car tous leurs héros ne cessent de claironner leur vertu et sont pourtant rattrapés, à la fin… Que serais-je devenu, moi, chrétien maronite d’origine, si j’étais resté au Liban ? Serais-je entré dans les milices responsables des massacres de Sabra et Chatila ? Je n’en sais rien. La fréquentation des tragiques grecs m’a rendu très modeste face à cette question. J’applique leur « connais-toi toi-même » – que j’ai mis quelques années à dégager de la gangue psychanalytique dans laquelle le XXe siècle l’a enfermé. Il s’agit de « connaître » sa mesure : si tu penses que tu es un dieu, c’est démesuré. Si tu crois que tu n’es rien, c’est sous-évalué. Entre le rien et le dieu, où es-tu, toi ? Le héros tragique agit avec démesure en pensant qu’il est un dieu. L’Ajax de Sophocle, par exemple, tutoie Athéna et s’apprête à tuer sous ses yeux tous les généraux grecs dont Ulysse, le protégé de la déesse ! Ce type de dérapage existe dans l’actualité d’aujourd’hui, chez les hommes politiques, par exemple. Quand Athéna montre ensuite à Ajax sa démesure, il devient aussitôt un héros tragique : sa vérité lui apparaît avec une telle clarté qu’il en est ébloui mais dévasté. Le tragique est une lumière douloureuse qui révèle aux hommes l’aveuglement dans lequel ils sont. Ajax ne supporte pas la vérité et se tue15.

La tragédie, c’est la révélation de la démesure chez l’homme, de cet aveuglement qui le conduit à se croire dans son droit alors même qu’il l’excède. Relire Sophocle, c’est regarder en face les risques de l’aveuglement : reconnaître les forces obscures qui nous agissent, haine, ignorance, peur, et les contraindre à lâcher leur empire. Réécrire une tragédie, c’est reposer la question du destin, montrer, avec des mots contemporains, les pièges de ce qu’on peut appeler à nouveau le destin : non pas fatalité ni déterminisme, mais croisement, rencontre de la liberté et d’un enchaînement mécanique de violences, de représailles, de haines transmises16. Ce n’est pas un hasard si Nawal fait allusion à la croisée des routes, lorsqu’elle tente de faire comprendre à Sawda devant quel choix essentiel elles se trouvent :

Je te le dis, Sawda, notre génération est une génération « intéressante », si tu vois ce que je veux dire. Vu du haut, ça doit être très instructif, nous voir nous débattre à essayer de dire ce qui est barbare, ce qui ne l’est pas. Oui. « Intéressante ». Une génération nourrie à la honte, je te jure. Vraiment. A la croisée des chemins17.

Cette croisée des routes rappelle celle où Œdipe se trouve face à un choix. Confronté à l’orgueil belliqueux du voyageur, le roi son père, comment doit-il agir : répondre à la provocation par une surenchère ? tuer ? dénouer le conflit ? bref laisser agir à travers soi la parole de l’oracle, c’est-à-dire la haine obscure, la rivalité entre père et fils, ou bien défaire la force tragique, opposer à la provocation haineuse de l’étranger, à la tentative de meurtre de l’enfant par le père, modération et mesure18 ?

Dans la lignée des Grecs, Incendies montre comment le choc du monde est susceptible de transformer tout être humain en monstre. La pièce est tendue par l’espoir que le spectateur, malmené par la violence du récit, apprenne à craindre la mécanique tragique et les pièges du destin : le témoignage de l’auteur, cité plus haut, suggère que c’est bien là un des horizons de son travail. Or comme on sait, dans la tragédie, la crainte de la démesure s’accompagne de compassion. La construction de la pièce comme une enquête, sur le modèle d’Œdipe-Roi, est de ce point de vue très efficace.

Enquête et procès : le récit a posteriori des faits et le recours à la compassion

Le personnage de Nihad – Abou Tarek, le bourreau, est lui-même le produit d’une histoire d’une infinie violence : enlevé à sa mère, arraché à son orphelinat, entraîné dans un camp puis dans le camp ennemi, il est le « sourire de l’horreur ». Or ce n’est que tardivement dans la pièce que le spectateur découvre l’identité du fils perdu Nihad et du bourreau Abou Tarek19. Entre temps, le spectateur s’est approprié les mots d’amour de Nawal à son enfant, cette promesse qu’elle lui a faite : « Quoiqu’il arrive, je t’aimerai toujours ». Même les scènes terribles dans lesquelles le jeune tireur, orphelin de tout, (« Pas de cause, pas de sens ! »20), se joue à lui-même la comédie de l’art, revendique de tirer sur des enfants (« Yes, yes, I kill children. No problème. Is like Pigeon, you know »21), fait parler les morts, identifie ses meurtres à des poèmes, dévoyant toute valeur, renversant la poésie en meurtre, le théâtre en cérémonie macabre, nous horrifient en même temps qu’elles forcent la pitié22. Car si Nihad se transporte, par une horrible comédie dont il est le seul acteur, et dont l’homme qu’il a tué est l’interlocuteur muet et le spectateur unique, dans un ailleurs futur où, star invitée à la radio, il chante des chansons d’amour, c’est bien parce qu’il n’a jamais connu cet amour et l’appelle de tout son délire. Le spectateur devine, dans ce tueur auto-proclamé poète, le double tordu de l’auteur, le miroir renversé de l’artiste. Son fantasme d’amour, de célébrité artistique et de paix, quoique révoltant, est aussi pathétique. Lorsque les deux identités de Nihad et Abou Tarek fusionnent, l’horreur pour le bourreau n’efface pas tout à fait la compassion pour l’orphelin devenu fou, héros aveugle.

Or, comme Œdipe dans la pièce de Sophocle, le criminel est le dernier à découvrir l’étendue de ses propres crimes. Alors que tout le monde (Nawal, Simon et Jeanne, le notaire Lebel et le spectateur) sait désormais qu’il a donné des enfants à sa propre mère qu’il a violée et torturée, Nihad lui-même ne le découvre qu’à l’avant-dernière scène. Ce temps d’avance du spectateur sur le personnage a permis au public de formuler déjà son jugement, son indignation contre le crime. Certes, expliquer n’est pas justifier, comprendre n’est pas absoudre, et la forme du procès, dont on sait à quel point elle est liée à la naissance de la tragédie, est reprise par Mouawad. Nawal, lors de son témoignage au procès d’Abou Tarek, évoque la cellule qui l’attend. Mais, lors de cette ultime révélation, précisément parce que le jugement du public a déjà eu lieu, le spectateur peut aussi compatir à la douleur du personnage, à la violence de la lumière projetée sur ses crimes. Et le procès devient moins le lieu d’une accusation-défense, l’opposition d’un droit à un autre dans ce débat juridique qu’est en partie la tragédie grecque, que celui de la révélation et de la lumière, de la pitié23.

Ecrire Incendies, c’est donc transmettre, face à la violence aveuglante de l’Histoire contemporaine, l’héritage tragique, la révélation de la démesure, et produire chez les spectateurs les effets cathartiques de cette révélation : outre la mise en garde et la compassion, la réaffirmation de la volonté de vivre par la comparaison de sa propre vie avec les douleurs hyperboliques des héros. Une certaine solennité de l’écriture, le lyrisme de Mouawad contribuent à la vertu consolatrice de sa pièce. Chez Sophocle, c’est le Chœur qui exprime sa peine et témoigne de celle des héros. Mouawad ne conserve pas le principe du chœur dans son écriture, mais en transpose la poésie dans les adresses frontales de plusieurs répliques qui jouent de la double énonciation, et en particulier dans les lettres de Nawal qui ouvrent et ferment la pièce : le « tu » et le « vous » de Nawal, au-delà de ses enfants, s’adressent à la communauté des spectateurs et c’est elle que visent ses injonctions : « À présent, il faut reconstruire l’histoire. / L’histoire est en miettes. / Doucement / Consoler chaque morceau / Doucement / Guérir chaque souvenir / Doucement / Bercer chaque image »24.

Dira-t-on pour autant qu’Incendies est une tragédie contemporaine ? Comme nous l’avons dit en introduction, le trajet de la pièce, de la colère à son apaisement, est inverse au mouvement d’Œdipe-Roi, qu’Aristote considérait comme le modèle tragique par excellence25. La pièce de Sophocle fait passer le protagoniste de l’état le plus enviable (héros de Thèbes, tyran respecté, époux de Jocaste et père de deux fils et deux filles, supplié à genoux par son peuple) à l’état le plus misérable (criminel parricide et régicide, époux incestueux contemplant le corps pendu de sa mère et épouse, condamné par ses propres mots à la mort ou l’exil, aveuglé de ses propres mains, bientôt mendiant errant sur les routes). Dans Incendies, la démesure est révélée, la punition évoquée mais non montrée : au dénouement des œuvres, nulle mort ni mutilation, séparation, ou ostracisme. La pièce de Mouawad conduit de la colère à l’apaisement, de la haine à la consolation, de l’aliénation et l’errance à la réunion paradoxale des protagonistes, morte et vivants. Bien loin des larmes de sang d’Œdipe, c’est précisément sur la pluie, c’est sur cette « berceuse » que s’achève la pièce.

Certes, plusieurs tragédies antiques se concluent sur une forme d’apaisement : c’est la fin d’Œdipe à Colone, où la mort d’Œdipe enlevé par les dieux promet la prospérité et la paix à Athènes. Cependant, cette intervention surnaturelle ne résout pas la plupart des conflits internes à la pièce. Peu avant sa mort, Œdipe a continué à maudire son beau-frère Créon et ses fils, et le public sait combien est vain le souhait d’Antigone par quoi s’achève la pièce, de barrer « la route au Meurtre qui déjà marche vers nos deux frères »26. Les tragédies consacrées par Eschyle et Euripide à Oreste s’achèvent aussi sur des paroles de paix. Ainsi Les Euménides voient finalement le triomphe de « Persuasion » « contre le refus sauvage », la victoire de « Zeus orateur » sur la colère et « la sanglante rançon de l’égarement »27, selon les mots d’Athéna, bref la victoire du logos contre la fureur tragique. Mais cette paix est le fruit d’un procès et d’une négociation menée par Athéna. Dans la pièce d’Euripide, Oreste, il faut aussi l’intervention d’un dieu, Apollon, pour rétablir par un coup de théâtre la paix : Hélène mourante, à demi-assassinée par le fils d’Agamemnon, est enlevée dans les cieux, et Oreste est sommé par le dieu d’épouser Hermione dont il tenait la gorge sous son couteau. Ce coup de théâtre lors des dernières répliques conclut la pièce sous le signe de la Concorde, mais au prix d’un artifice d’autant plus visible qu’oracles et dieux ont été régulièrement mis en cause dans le cours de la pièce. Dans ces deux pièces consacrées à Oreste, la paix imposée d’en haut supplée à la volonté humaine28. La question de savoir par quels processus et avec quelles forces les hommes peuvent résister à l’hybris ne se pose pas. En revanche, si l’apaisement et la berceuse sont possibles dans Incendies, c’est qu’il y a, à côté de la stratégie « tragique » de Mouawad, en contrepoint, un autre ressort.

Casser le fil tragique

Lorsque Nawal, la mère tout juste morte, s’adresse à ses enfants par le biais de lettres posthumes, puis par de véritables dialogues entre morte et vivants, le spectateur reconnaît un personnage courant de la scène tragique : le spectre. Pourtant, le spectre ne vient ici ni torturer la conscience du coupable, ni exiger vengeance. Bien au contraire, tout le sens de la quête de Nawal, de son vivant et, pourrait-on dire, de sa mort, consiste à apaiser la tragédie, à « casser le fil » de la colère. Comme le dit la grand-mère Nazira à Nawal :

Nous, notre famille, les femmes de notre famille, sommes engluées dans la colère depuis si longtemps : j’étais en colère contre ma mère et ta mère est en colère contre moi, tout comme toi, tu es en colère contre ta mère. Toi aussi tu laisseras à ta fille la colère en héritage. Il faut casser le fil29.

Ce fil, c’est celui de l’horreur qui s’engendre elle-même et se répète, c’est le passé qui revient hanter les vivants, parler et agir à leur place, comme le marionnettiste tire les fils de son pantin : c’est la logique tragique de l’erreur subie et choisie en même temps, aveuglément. Casser ce fil, interrompre « la suite des crimes »30, c’est recouvrer la liberté. Or, l’arme à trancher le fil de la colère, Mouawad est parfaitement clair sur ce point, c’est le mot : le mot comme connaissance, poésie, pensée. Nazira émet un diagnostic sur l’origine du mal (tristesse, colère, haine), c’est « la misère ». Le mot dans sa généralité laisse entendre des acceptions économique, morale, mais aussi esthétique, c’est la pauvreté du verbe et de la pensée laissant tout le champ à la haine :

Tout ceci nous arrive de la misère, Nawal. Pas de beauté autour de nous. Que la colère d’une vie dure et blessante. Les indices de la haine à chaque coin de rue. Personne pour parler doucement aux choses31.

Aussi avant de mourir la vieille dame analphabète exige-t-elle de sa petite-fille : « Apprends à lire, à écrire, à compter, à parler : apprends à penser. Nawal. Apprends »32. C’est un diagnostic comparable que fait Sawda, la future amie de Nawal, lorsque cette dernière revient au village après avoir appris à lire et écrire :

On m’indique le monde et le monde est muet. Et la vie passe et tout est opaque. J’ai vu les lettres que tu as gravées et j’ai pensé : voici un prénom. Comme si la pierre était devenue transparente. Un mot et tout s’éclaire33.

Osons la formule, l’origine du mal tient dans une lacune poétique. La thématique de l’aveuglement et de la révélation s’articule au binôme de l’opacité du monde et de la transparence du mot, écho d’une longue tradition du verbe comme lumière. En nommant le monde, la parole donne sens et beauté, et fait reconnaître aux autres la beauté à laquelle ils sont aveugles. C’est ainsi que dans un état antérieur de la pièce, Mouawad fait dire par Mathilde (Nawal) à Sadeq (Wahab), à propos de l’enfant qu’elle porte : « Si je savais parler, j’aurais su nous défendre, je saurais leur apprendre la beauté que je porte »34. Dans la version définitive, c’est sa grand-mère qui enseigne à Nawal la nécessité d’apprendre à parler, Nawal à ce moment de la pièce ne peut pas encore avoir cette conviction. Mais on voit bien que c’est cette même foi qui légitime le parcours de la pièce. Savoir parler change le cours du destin en modifiant le regard du monde sur l’événement. Ce sont les mots écrits de Nawal dans les trois dernières lettres (lettre au père, lettre au fils, lettre aux jumeaux) qui permettent la reconnaissance (des crimes, de la violence, de l’amour et de la beauté partageable) et l’apaisement. En ce sens, Incendies propose un infléchissement de la tragédie classique : c’est dans l’intrigue même (et non seulement à son dénouement, par la vertu d’une négociation ou d’un coup de théâtre) que le dramaturge dote ses personnages des moyens poétiques de lutter contre la démesure et l’aveuglement.

A côté des mots de Nawal, qui recollent les morceaux de l’histoire, reliant l’individu au macrocosme, ciel, étoiles, monde, le comique langagier de Hermile Lebel trace, lui, les contours d’un espace pacifique possible. Désignant sans cesse le lieu théâtral comme passage (« Entrez, entrez, entrez, ne restez pas dans le passage », « Entrez, entrez, entrez ! Ne restez pas dans le passage enfin, c’est un passage ! », « Sortez, sortez, sortez, restez pas dans la maison, enfin, c’est la canicule. Venez dans le jardin »35), le notaire est une sorte de passeur entre les mondes. Déplaçant les expressions figées (« Regarde-moi bien dans le flanc des yeux ! ») comme on dérape dans une vie, son comique (involontaire ?) semble accueillir sans jugement les erreurs et les errances, les parcours que la guerre a déroutés, ceux de Nawal, Nihad, comme celui de « Trinh Xiao Feng, il était général dans l’armée vietnamienne, il a fini vendeur de burgers sur le boulevard Curé-Labelle »36. Il dessine la banlieue de Montréal comme une Zone d’Apaisement Cordial, espace mondialisé un brin surréaliste où les contraires se rapprochent, les cultures s’entrechoquent doucement, donnant de curieux mariages. A la « pizzeria indienne », il est possible de commander des pizzas « all dressed sans pepperoni » mais « avec le spécial : liqueurs, frites et barre de chocolat »37, et les anciens ennemis irréductibles s’associent idéalement aux Burgers du Vietcong. Dans cet espace imaginaire et incongru, surgi d’une poétique du dérapage et du recyclage propre à Lebel, c’est un vaste mouvement de migration, c’est l’histoire des vio­lences contemporaines qui trouve ses droits esthétiques, son humour, contrepoint nécessaire au tragique de la pièce38.

Bien sûr, le pouvoir des mots est fragile. Ceux de Nawal, lorsqu’elle enseigne à Sawda ce qu’elle sait, sont ambigus : « Ça c’est l’alphabet. Il y a vingt-neuf sons. Vingt-neuf lettres. Ce sont tes munitions. Tes cartouches. Tu dois toujours les connaître »39. Certes, il s’agit ici d’une métaphore. Nawal elle-même d’ailleurs a fait usage de son arme, peu avant, à son retour au village quand un homme lui a craché dessus : « Tu sais écrire mais tu ne sais pas te défendre. » Nawal raconte : « J’ai pris le livre que j’avais dans la poche. J’ai frappé si fort que la couverture s’est pliée, il est tombé assommé. J’ai continué ma route »40. La parabole parle d’elle-même, le livre est une arme qui permet de tracer son destin. La parole est ce couteau qui permet de retirer celui qui est « planté dans la gorge », une arme qui sert à se défendre, à opposer à l’ignorance un autre monde possible, à l’héritage la liberté. Mais à plusieurs reprises, la pièce offre l’exemple d’un retournement pervers de la métaphore. La funèbre mascarade de Nihad en est le signe dans la pièce, comme la torture d’une vieille mère par un milicien qui lui impose de prononcer un nom, le nom d’un seul de ses fils, avant de tuer les deux autres.

Pourtant, le débat central, « à la croisée des chemins », entre Nawal et Sawda dans la scène intitulée « Amitiés » oppose à la puissance de la colère chez Sawda la résistance verbale et esthétique de Nawal. « Œil pour œil, dent pour dent, ils n’arrêtent pas de le crier ! » répète Sawda pour justifier sa colère, son refus de réfléchir, de se consoler. Face à elle, Nawal fait comme le médecin et comme l’auteur tragique, elle démonte la mécanique tragique, « ce jeu d’imbéciles [qui] se nourrit de la bêtise et de la douleur qui t’aveuglent »41 et en appelle au chant :

Réfléchis, Sawda ! Tu es la victime et tu vas aller tuer tous ceux qui seront sur ton chemin, alors tu seras le bourreau, puis après, à ton tour tu seras la victime ! Toi tu sais chanter, Sawda, tu sais chanter !42

Ce qui est intéressant, c’est que Nawal incarne ici non seulement le suspens réflexif avant l’action, mais aussi l’expression du doute. Face à la colère de Sawda et du monde qui s’embrase, elle ne prétend pas orgueilleusement savoir comme Œdipe (« Je ne peux pas te répondre, Sawda, parce qu’on est démunies. Pas de valeurs pour nous retrouver, alors ce sont des petites valeurs de fortune »43), mais au moins prendre le temps de démonter les faux raisonnements que tient la colère, comme Tirésias tente de le faire face au prétendu savoir d’Œdipe : « Tu me reproches d’être aveugle ; mais toi, toi qui y vois, comment ne vois-tu pas à quel point de misère tu te trouves à cette heure ? »44. Le pouvoir des mots peut bien être à double tranchant, ambigu, comme dans la tragédie grecque qui fait de cette ambiguïté sa caractéristique même45, mais dans Incendies la foi plusieurs fois réaffirmée dans les mots, le chant, la beauté, est aussi promesse, sinon d’amour, au moins de ciel et d’horizon :

[…] j’ai fait une promesse, une promesse à une vieille femme d’apprendre à lire, à écrire et à parler, pour sortir de la misère, sortir de la haine. Et je vais m’y tenir, à cette promesse. Coûte que coûte. Ne haïr personne, jamais, la tête dans les étoiles, toujours. Promesse à une vieille femme pas belle, pas riche, pas rien de rien, mais qui m’a aidée, s’est occupée de moi et m’a sauvée46.

Derrière le personnage de Nawal, on devine alors aussi celui d’Antigone, à qui Sophocle fait dire « Je suis de ceux qui aiment, non de ceux qui haïssent »47, et à qui déjà dans Littoral Mouawad comparait son personnage de Joséphine48. Mais Nawal serait une Antigone qui finirait par faire triompher l’amour en sommant depuis l’au-delà ses enfants de transmettre au père et au fils ses mots.

Geste de désir et fait de langage, l’écriture-réécriture, par essence dialogique, porte en creux, manifestes ou non, les écritures antérieures. Il y a avec la réécriture de Sophocle dans Incendies la volonté, non seulement d’appartenir à une lignée, mais d’inviter les spectateurs à la relecture, à la mémoire des textes anciens, à leur beauté : à un réveil. « [S]ortir du drame pour tomber tête première dans la Tragédie », cette indication que Mouawad s’est donnée à lui-même résume le projet de l’auteur : éviter à tout prix l’anecdote singulière et les pièges de l’Histoire au profit d’une exemplarité tragique des erreurs et des malheurs humains. La réécriture de la tragédie, en particulier celle d’Œdipe Roi, relève d’une intention didactique et d’une conquête d’un public a priori éloigné des événements à l’origine de l’écriture. De même que les personnages et leur auteur, le mythe et les formes de la tragédie migrent à travers la stratégie « géo-poétique » de Mouawad. Il s’agit de ne pas essentialiser le conflit, en l’occurrence la guerre du Liban, et de mettre à distance toute inscription politique : « Surtout pour ne pas parler politique. Au contraire. Utiliser une langue incompréhensible à la politique »49. La réécriture de la tragédie grecque ouvre ainsi la possibilité d’un lyrisme. En mettant en lumière les mécanismes tragiques intemporels, la répétition de la haine, de l’aveuglement et de l’erreur, Incendies recourt aux effets cathartiques de la tragédie, expression de la crainte et de la pitié, réaffirmation de la beauté du monde. Mais « tomber tête baissée dans la Tragédie », c’est aussi se confronter à elle. Pour faire en sorte que la promesse adressée au fils (« Quoiqu’il arrive je t’aimerai toujours ») soit dite et prenne un sens, il faut que la lumière soit faite sur leur histoire par les jumeaux et par leur père et frère, que des mots soient transmis par-delà la mort. Pour casser le fil qui meut les héros aveuglés comme des pantins, Mouawad affirme hautement sa confiance en les mots, malgré leur possible duplicité : il écrit aussi « tout contre » la tragédie, donnant en exemple à ses contemporains une fiction où la vertu des mots (connaissance, poésie, pensée) résiste au cœur même de l’action à la mécanique de l’emportement tragique.

1 Rencontre avec Wajdi Mouawad et Robert Davreu, animée par Constantin Bobas et Maxence Cambron, Université de Lille 3, mise en ligne 24 janvier

2 Cet « entre deux âges » renvoie à un double aspect : il désigne une époque de transition entre Eschyle et Euripide, où les dieux sont encore

3 Selon une expression de Lautréamont, comme le souligne Mouawad. Rencontre avec Wajdi Mouawad et Robert Davreu, ibid.

4 Rencontre avec Wajdi Mouawad et Robert Davreu, ibid.

5 Cité par Charlotte Farcet, « postface », in Wajdi Mouawad, Incendies, Actes Sud / Léméac, « Babel », 2009, p. 157-158. Les mots de « drame » et de

6 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 111.

7 Ibid., p. 124.

8 Document de travail de Wajdi Mouawad cité dans la postface de Charlotte Farcet à Incendies, op. cit., p. 151.

9 Ibid.

10 Cette expression de Wajdi Mouawad apparaît dans un document de travail cité par Charlotte Farcet, Incendies, op. cit., p. 152, et dans Le Sang

11 « J’ai bien réfléchi. Nous sommes au début de la guerre de cent ans » (Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 76).

12 Ibid., p. 61.

13 Ibid., p. 60.

14 Il serait sans doute pertinent d’étudier cette « géo-poétique » à partir de la pièce de Mouawad Le Soleil ni la mort ne peuvent se regarder en

15 « Wajdi Mouawad sauvé par Sophocle », propos de Wajdi Mouawad rapportés par Emmanuelle Bouchez, entretien publié le 02/07/2011, mis à jour le 25/

16 Comme l’écrit Jacqueline de Romilly, « […] dans l’ensemble, la fatalité grecque n’efface pas la responsabilité humaine comme le mot, en français

17 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 76.

18 On pourra opposer à cette lecture d’inspiration freudienne, le contre-argument de Jean-Pierre Vernant dans « Œdipe sans complexe » [1967] (

19 Il s’agit de la scène 35, « La voix des siècles anciens ».

20 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 123.

21 Ibid., p. 116.

22 Il s’agit des scènes 31, « L’homme qui joue » et 33, « Les principes d’un franc-tireur ».

23 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 103. Sur les liens du théâtre et du procès, voir par exemple les actes du colloque dirigé par Christian

24 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 130-131. Comme l’écrit Wajdi Mouawad dans « Incohérentes pensées » (texte écrit pour la re-création de

25 Œdipe offre la plus belle reconnaissance (« la reconnaissance – son nom même l’indique – est le retournement qui conduit de l’ignorance à la

26 Sophocle, Œdipe à Colone, traduction de Paul Mazon, Tragédies complètes, Paris, Gallimard, « Folio », 1973, p. 409.

27 Eschyle, Les Euménides, traduction de J. Grosjean, Tragiques grecs. Eschyle, Sophocle, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1967, p. 408.

28 D’ailleurs ceux-là même qui fustigent le meurtre sont emportés par la colère. Ainsi de Tyndare, le grand-père d’Oreste. Il accuse Oreste de

29 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 42.

30 Selon l’expression de Tyndare dans Oreste, op. cit., p. 1144.

31 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 38.

32 Ibid., p. 42.

33 Ibid., p. 52.

34 Le Sang des promesses. Puzzle, racines et rhizomes, op. cit., p. 38.

35 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 13, 14, 68, avec bien sûr le clin d’œil possible sur le sens scénique du mot « jardin ».

36 Ibid., p. 114.

37 Ibid., p. 69.

38 Les différentes langues (celles de Lebel, de Simon – langue mâtinée d’anglais et d’expressions québécoises, langue migrante elle aussi, passage

39 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 57.

40 Ibid., p. 49.

41 Ibid., p. 87.

42 Ibid., p. 84.

43 Ibid., p. 87.

44 Sophocle, Œdipe Roi, traduction de Paul Mazon, Tragédies complètes, Paris, Gallimard, « Folio », 1973, p. 199.

45 Comme l’a montré par exemple Jean-Pierre Vernant dans « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’Œdipe Roi », Œdipe et ses

46 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 89.

47 Sophocle, Antigone, traduction de Paul Mazon, Tragédies complètes, Paris, Gallimard, « Folio », 1973, p. 102. Antigone répond à la réplique de

48 « Wazâân, l’aveugle, m’a dit que je sauvais une mémoire. Il m’a appelée par un nom que je n’avais jamais entendu. Il m’a dit "Bonne route

49 Il s’agit d’untexte de Wajdi Mouawad publié dans Le Devoir, 25 juillet 2006, repris sous le titre « Un cri pour le Liban : la courbature », par

1 Rencontre avec Wajdi Mouawad et Robert Davreu, animée par Constantin Bobas et Maxence Cambron, Université de Lille 3, mise en ligne 24 janvier 2012, http://live3.univ-lille3.fr/video-etudes/rencontre-mouawad_davreu.html, 11e à 18e min.

2 Cet « entre deux âges » renvoie à un double aspect : il désigne une époque de transition entre Eschyle et Euripide, où les dieux sont encore présents mais relativement indifférents au sort des hommes, et renvoie aussi à l’âge des protagonistes chez Sophocle, que Mouawad situe près d’une adolescence idéale, espérant encore un absolu qui tend à devenir inaccessible : « Sophocle décrit aussi un monde qui prend conscience de son désenchantement. La chute du monde homérique au siècle de Périclès produit un fracas qui donne naissance à la démocratie, à la philosophie et au théâtre. Le siècle de Sophocle comprend que le monde est souffrance, douleur et indifférence des dieux. Évoquer la chute des innocences me touche profondément, tant elle me semble au cœur des chagrins de notre époque » (Entretien avec Wajdi Mouawad par Jean-François Perrier, reproduit dans le programme du 65e festival d’Avignon, pour les spectacles mis en scène par Mouawad, Des femmes : Les Trachiniennes, Antigone, Electre, des 20-25 juillet 2011).

3 Selon une expression de Lautréamont, comme le souligne Mouawad. Rencontre avec Wajdi Mouawad et Robert Davreu, ibid.

4 Rencontre avec Wajdi Mouawad et Robert Davreu, ibid.

5 Cité par Charlotte Farcet, « postface », in Wajdi Mouawad, Incendies, Actes Sud / Léméac, « Babel », 2009, p. 157-158. Les mots de « drame » et de « Tragédie » sont employés par Mouawad sans plus de définition, mais on peut d’ores et déjà poser l’hypothèse qu’ici le « drame » s’inscrit peu ou prou dans une esthétique réaliste, qu’il a partie liée avec le fait historique, voire avec le fait-divers, et que, conformément à son acception journalistique, il a pour vocation la production d’une émotion immé­diate, inflammable, recherchée pour elle-même. La « Tragédie », dont la noblesse est soulignée par la majuscule, construite à partir du mythe, suppose une distance à l’histoire et en particulier à l’histoire contemporaine, et une grandeur des héros tragiques sur laquelle Jacqueline de Romilly insiste : « Une situation peut être triste, horrible, dramatique : dans ce cas elle inspire la pitié pour celui qui s’y trouve. On dit qu’elle est tragique lorsqu’il se fait une sorte de recul, grâce auquel elle apparaît comme une preuve des souffrances que l’homme peut avoir à subir, sans solution et sans recours. » […] « […] il y a toujours en eux [les héros tragiques] une sorte d’innocence. Et même lorsqu’ils nous sont présentés comme coupables, même lorsque leurs passions les entraînent, ils ne le sont que parce que l’erreur est le lot de l’homme, ou parce qu’ils répondent à des souffrances qui sont également le lot de l’homme. On parle d’un traître de mélodrame : on ne parle pas d’un traître de tragédie. Et la tragédie ne peut retenir aucune petitesse. » […] « Et surtout, comment ne pas reconnaître que même les personnages les plus engagés dans la tragédie, les plus mêlés à l’action, et à l’action horrible, y conservent une grandeur qui émerveille et encourage » (Jacqueline de Romilly, La Tragédie grecque, Paris, PUF, « Quadrige » (1970), 1982, p. 173 et 177).

6 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 111.

7 Ibid., p. 124.

8 Document de travail de Wajdi Mouawad cité dans la postface de Charlotte Farcet à Incendies, op. cit., p. 151.

9 Ibid.

10 Cette expression de Wajdi Mouawad apparaît dans un document de travail cité par Charlotte Farcet, Incendies, op. cit., p. 152, et dans Le Sang des promesses. Puzzle, racines, et rhizomes, Actes Sud / Léméac, 2009, p. 38, où Mouawad détaille les événements historiques à l’origine de l’écriture, le « déclencheur ».

11 « J’ai bien réfléchi. Nous sommes au début de la guerre de cent ans » (Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 76).

12 Ibid., p. 61.

13 Ibid., p. 60.

14 Il serait sans doute pertinent d’étudier cette « géo-poétique » à partir de la pièce de Mouawad Le Soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face (Leméac / Actes Sud-Papiers, 2008), réécriture du mythe de Cadmos, fondateur de Thèbes et porteur de l’alphabet, et de sa sœur Europe. La pièce s’ouvre sur l’enlèvement d’Europe, originaire de Tyr… c’est-à-dire du Sud-Liban.

15 « Wajdi Mouawad sauvé par Sophocle », propos de Wajdi Mouawad rapportés par Emmanuelle Bouchez, entretien publié le 02/07/2011, mis à jour le 25/07/2011, et disponible à l’adresse : http://www.telerama.fr/scenes/wajdi-mouawad-sauve-par-sophocle,70687.php

16 Comme l’écrit Jacqueline de Romilly, « […] dans l’ensemble, la fatalité grecque n’efface pas la responsabilité humaine comme le mot, en français, pourrait le sug­gérer » : « Dire qu’une chose était voulue par le destin, c’est dire qu’elle est, tout simplement. C’est constater l’échec de l’homme. C’est montrer qu’il se heurte à un univers auquel il ne peut commander. » (La Tragédie grecque, op. cit., p. 171-173).

17 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 76.

18 On pourra opposer à cette lecture d’inspiration freudienne, le contre-argument de Jean-Pierre Vernant dans « Œdipe sans complexe » [1967] (Vernant et Vidal-Naquet, Œdipe et ses mythes, éditions Complexe, 1988, p. 15-16), le fait qu’Œdipe ignore l’identité du vieillard qu’il croise, qu’il ignore celle de son père. Toutefois, remarquons qu’Œdipe se doute, depuis qu’un homme l’a traité d’enfant supposé, que ses parents ne sont pas les roi et reine de Corinthe, Polybe et Mérope. C’est la raison même pour laquelle il quitte Corinthe et consulte l’oracle : il souhaite avoir des renseignements sur son origine. L’oracle s’étant gardé de lui répondre et ayant affirmé qu’il tuerait son père et épouserait sa mère, il semble qu’Œdipe obéisse à cette voix (expression des forces obscures qui nous agissent), en tuant le premier vieillard qu’il rencontre et en épousant une femme qui a l’âge d’être sa mère. Nous abordons cette question à propos du film de Pasolini, Edipo Re, dans l’article « Œdipe de Sophocle à Pasolini : l’héritage en question », disponible à l’adresse : http://revel.unice.fr/loxias/ ?id =8272.

19 Il s’agit de la scène 35, « La voix des siècles anciens ».

20 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 123.

21 Ibid., p. 116.

22 Il s’agit des scènes 31, « L’homme qui joue » et 33, « Les principes d’un franc-tireur ».

23 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 103. Sur les liens du théâtre et du procès, voir par exemple les actes du colloque dirigé par Christian Biet et Laurence Schifano, Représentations du procès : droit, théâtre, littérature, cinéma, Université Paris X Nanterre, coll. « Représentations », 2003.

24 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 130-131. Comme l’écrit Wajdi Mouawad dans « Incohérentes pensées » (texte écrit pour la re-création de Littoral, février 2008), in Le Sang des promesses : puzzle, racines, et rhizomes, op. cit., p. 26 : « Dans une Amérique "nordesque" où règne une irresponsabilité grandissante face aux mots et face aux symboles, le théâtre peut, comme toutes les formes de beauté, devenir un espace où l’éveil est encore possible, où il est encore permis de s’arracher, ensemble, spectateurs et acteurs, au sommeil de la quotidienneté. » Mais cet éveil, souvent violent, provoqué par les pièces de Mouawad serait inacceptable sans son contrepoint, sa berceuse ou consolation.

25 Œdipe offre la plus belle reconnaissance (« la reconnaissance – son nom même l’indique – est le retournement qui conduit de l’ignorance à la connaissance ») car « elle s’accompagne d’une péripétie », c’est-à-dire du « retournement de l’action en sens contraire ». De plus, pour produire crainte et pitié, la tragédie doit offrir « le cas d’un homme qui, sans être incomparablement vertueux et juste, se retrouve dans le malheur non à cause de ses vices ou de sa méchanceté, mais à cause de quelque erreur […] comme Œdipe » (Aristote, Poétique, chapitres XI et XIII, traduction de Michel Magnien, Paris, Le Livre de poche, 1990, p. 101 et 103).

26 Sophocle, Œdipe à Colone, traduction de Paul Mazon, Tragédies complètes, Paris, Gallimard, « Folio », 1973, p. 409.

27 Eschyle, Les Euménides, traduction de J. Grosjean, Tragiques grecs. Eschyle, Sophocle, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1967, p. 408.

28 D’ailleurs ceux-là même qui fustigent le meurtre sont emportés par la colère. Ainsi de Tyndare, le grand-père d’Oreste. Il accuse Oreste de contribuer par le meurtre de Clytemnestre à une chaîne infinie de meurtres, à laquelle la longue liste du médecin d’Incendies offre une sorte d’écho. « Alors qu’il la tenait coupable cependant, avec raison, / en la tuant il s’est rendu plus criminel qu’elle ne fut. / Voici, Ménélas, la seule question que je te ferai : / la femme qu’il épousera, qu’elle le tue, / que son fils à son tour assassine sa mère, / et qu’alors le fils de ce fils exige sang / pour sang, où s’arrê­tera la suite des crimes ? / Nos pères autrefois en ont sagement décidé. / L’homme souillé de sang, on lui interdisait / de paraître aux regards, de rencontrer les autres hommes. / On le purifiait par l’exil, sans exiger meurtre pour meurtre, ce qui chaque fois aurait exposé un homme à la mort, / de qui la main se serait souillée la dernière. » Aussi convaincante et raisonnable que paraisse l’argumentation, ce n’est pourtant pas l’exil que réclame Tyndare pour son petit-fils. Emporté lui aussi par la colère, oubliant toute mesure, celui qui se présente comme le champion de la loi affirme désormais parler au nom de « la haine des dieux » pour Oreste, et exige la lapidation du matricide (Euripide, Oreste, traduction de Marie Delcourt-Curvers, Tragédies complètes II, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1962, p. 1144-1145).

29 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 42.

30 Selon l’expression de Tyndare dans Oreste, op. cit., p. 1144.

31 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 38.

32 Ibid., p. 42.

33 Ibid., p. 52.

34 Le Sang des promesses. Puzzle, racines et rhizomes, op. cit., p. 38.

35 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 13, 14, 68, avec bien sûr le clin d’œil possible sur le sens scénique du mot « jardin ».

36 Ibid., p. 114.

37 Ibid., p. 69.

38 Les différentes langues (celles de Lebel, de Simon – langue mâtinée d’anglais et d’expressions québécoises, langue migrante elle aussi, passage, de Nawal, de Nihad, la langue mathématique de Jeanne), leur diversité même au sein de la pièce, ne relèvent pas seulement de la nécessité de définir chaque personnage. Elles sont les signes formels de la confiance de Mouawad dans les capacités d’accueil, de mobilité, d’appropriation et de réinvention de la langue.

39 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 57.

40 Ibid., p. 49.

41 Ibid., p. 87.

42 Ibid., p. 84.

43 Ibid., p. 87.

44 Sophocle, Œdipe Roi, traduction de Paul Mazon, Tragédies complètes, Paris, Gallimard, « Folio », 1973, p. 199.

45 Comme l’a montré par exemple Jean-Pierre Vernant dans « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’Œdipe Roi », Œdipe et ses mythes, Paris, éditions Complexe, 1988.

46 Wajdi Mouawad, Incendies, op. cit., p. 89.

47 Sophocle, Antigone, traduction de Paul Mazon, Tragédies complètes, Paris, Gallimard, « Folio », 1973, p. 102. Antigone répond à la réplique de Créon « L’ennemi même mort n’est jamais un ami ».

48 « Wazâân, l’aveugle, m’a dit que je sauvais une mémoire. Il m’a appelée par un nom que je n’avais jamais entendu. Il m’a dit "Bonne route, Antigone !" » (Wajdi Mouawad, Littoral, Leméac / Actes Sud-Papiers, 1999, 2009, p. 118).

49 Il s’agit d’un texte de Wajdi Mouawad publié dans Le Devoir, 25 juillet 2006, repris sous le titre « Un cri pour le Liban : la courbature », par la revue numérique Remue.net ; texte disponible à l’adresse : http://remue.net/spip.php ?article1728.

Sandrine Montin

Université de Nice Sophia-Antipolis
Maître de conférences en Littérature générale et comparée. Après une thèse sur la poésie du début du vingtième siècle (Rentrer dans le monde : parcours d’une inquiétude chez les poètes Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Federico Garcia Lorca, T.S. Eliot et Hart Crane), ses travaux actuels portent sur le « Cinéma, opérateur poétique » ou les rapports du cinéma muet et de la poésie dans le premier tiers du vingtième siècle (direction du numéro Charlot ce poète, revue Loxias 49, juin 2015) et sur le théâtre et ses réécritures (« Le fantôme de Shakespeare », colloque La Haine de Shakespeare, « Œdipe de Sophocle à Pasolini », Loxias 51). Elle a fondé la compagnie L’Observatoire pour laquelle elle écrit et joue

Articles du même auteur