La mer et ses représentations dans les discours de promotion touristique : le cas de l’île de La Réunion

Morgane Andry

Citer cet article

Référence électronique

Morgane Andry, « La mer et ses représentations dans les discours de promotion touristique : le cas de l’île de La Réunion », Tropics [En ligne], 15 | 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 08 octobre 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/2906

Cet article explore la représentation de la mer dans la promotion touristique de l’île de La Réunion. Malgré la survenue d’événements tragiques tels que les attaques de requins, la mer reste un argument pour promouvoir la destination. Les discours touristiques endogènes et exogènes s’accordent sur la mise en avant de la mer pour cristalliser l’image exotique de l’île éloignée, tant symboliquement que physiquement, de la France hexagonale. Cette étude tente donc de comprendre comment les discours des promoteurs s’articulent dans cet espace qui connait un conflit entre besoin d’exotisme et de sécurité.

This article explores the representation of the sea in the tourism promotion of Reunion Island. Despite the occurrence of tragic events such as shark attacks, the sea remains an argument to promote the destination. Endogenous and exogenous tourist discourses agree on the emphasis on the sea to crystallize the exotic image of the island - remoted symbolically and physically from France. This study therefore attempts to understand how the discourses of promoters are articulated in spite of the conflict between the need for exoticism and security.

DOI : 10.61736/NVGK1563

Introduction

Au sein de la promotion touristique endogène et exogène de l’île de La Réunion, la mer joue un rôle prépondérant dans la représentation de ce morceau de terre française perdu dans l’océan Indien. D’après Carpanin Marimoutou, « l’île est ainsi propre à occuper dans les imaginaires européens la place d’un Eden [car] dans la Bible, ce dernier est déjà défini comme une terre entourée d’eau » (2018 : 5). La mer fait partie intégrante des images relatives à l’insularité notamment grâce au œuvres cinématographiques (l’île aux trésors de Byron Haskin), à la littérature (Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre) et même les mangas japonais (par exemple One Piece de Eiichirō Oda qui s’inspire par ailleurs de la légende du pirate La Buse ayant écumé les eaux de l’océan Indien). Plus qu’un simple décor, la mer est une entité à part entière indissociable de la terre insulaire. Elle devient le théâtre où se déroulent des récits captivants, suscitant autant la fascination que la crainte. La mer n’est pas seulement un élément pittoresque, mais un acteur dynamique dans la vie insulaire. Elle incarne un puissant vecteur d’émotions contrastées, contribuant ainsi à forger la curiosité et l’appréhension des visiteurs.

Pourtant, le monde du tourisme a été secoué par les accidents liés aux attaques de requins dont se sont emparées les arènes médiatiques, altérant ainsi la représentation collective de l’insularité. À La Réunion, trente-six attaques ont eu lieu entre 1980 et 2011. Le nombre d’attaques a évolué de manière croissante au fil des années. Selon l’Institut de Recherche pour le Développement1, « le nombre d’attaques a été de 5 pour la décennie 1980-90, de 17 en 1990-00 et de 8 en 2000-10. En revanche, l’année 2011 concentre à elle seule 7 attaques » (2012 : 7). Il est tout de même important de noter que les Mascareignes (La Réunion, l’île Maurice et Rodrigues) ne sont pas les régions du monde les plus touchées par la rencontre entre l’Homme et le requin. Depuis 1580, les États-Unis ont connu 1564 attaques, l’Australie en a enregistré́ 682 et l’Afrique du Sud en a comptabilisé 2582.

Compte tenu de la croissance des attaques et leur récurrence au sein de la station balnéaire de La Réunion3, on peut se demander comment s’articulent alors aujourd’hui les discours de promotion touristique en lien avec la mer. Comment peut-elle être encore un argument promotionnel malgré ce « risque requin » (Thiann-Bo Morel & Duret : 2013) ?

Pour répondre à ces questions, nous analyserons un corpus composé des généralités (Viallon, Gaham : 2011) de trois guides touristiques – le Petit Futé, le GéoGuide et le LonelyPlanet publiés entre 2018 et 2021 ainsi que des discours promotionnels de l’Ile de La Réunion Tourisme (IRT) qui, depuis 2007, « gère le suivi de l’observation touristique » et « la coordination et la gestion des actions de promotion touristique de la destination Réunion sur les marchés locaux, nationaux et internationaux »4.

Au carrefour des sciences du langage et des sciences de l’information et de la communication, cette démarche consistera d’abord à exposer une étude qualitative centrée sur une analyse lexicométrique, adoptant une approche déductive qui partira des généralités des guides pour aboutir à une analyse détaillée des discours sur une station balnéaire réunionnaise. Par la suite, une étude quantitative sera présentée, englobant cent cinq publications de l’IRT (Ile de La Réunion Tourisme) publiées sur Instagram entre le 30 novembre 2020 et le 11 mars 2021. À ce propos, l’ensemble des publications comprenant les images, le texte et les emojis sera traité car, selon Marie-Anne Paveau, « l’iconisation du discours comme un processus de production de sens dans lequel l’image joue un rôle important, voire dominant, car elle pilote le sens des énoncés, dans le cadre d’une énonciation matérielle visuelle nativement numérique » (2021 : 5844).

L’identification des termes axiologiques (Kerbrat-Orecchioni : 2014) servira à comprendre les affects et jugements que les promoteurs portent sur le monde marin inhérent à cet espace insulaire.

Enfin, l’utilisation du logiciel Sketch Engine5, un gestionnaire de corpus et un logiciel d’analyse de texte développé par Lexical Computing Limited, lors de ces différentes analyses, nous permettra de mettre en lumière les cooccurrences pertinentes associées au monde marin.

Entre fascination et crainte, les eaux réunionnaises sont porteuses de multiples représentations et participent ainsi à la construction socio-discursive de l’image de La Réunion. L’enjeu de cette contribution sera donc de présenter un état des lieux des représentations endogènes et exogènes de la mer et de ses acteurs de manière synchronique.

Contextualisation de la représentation de l’île de La Réunion dans les discours touristiques

Entre terre fantasmée et redoutée, l’île de La Réunion est vue comme une destination française exotique par les touristes venant de France hexagonale ou d’Europe. D’après les données du rapport sur la fréquentation touristique de l’IRT publié en 2018, La Réunion a accueilli « 534 630 touristes extérieurs en 2018 dont 486 336 touristes de loisirs (91% des touristes extérieurs) » (2018 : 3). Parmi eux, les croisiéristes constituent une minorité parmi les visiteurs extérieurs de l’île, ne représentant seulement que 7% de cette population.

Ses plages de sable fin et ses paysages « de cartes postales » figurent souvent dans l’imaginaire touristique de ce territoire. Bien que sur-représentée dans les imaginaires touristiques, la mer est régulièrement au centre de débats entre les protecteurs de l’environnement et ses actants - notamment les surfeurs. L’espace maritime devient alors victime d’un conflit paradoxal entre les « valeurs du surf encensant la nature et la nécessité de sa protection » (Thiann-Bo Morel & Duret, 2013 : 33).

Avant de nous concentrer sur la représentation de la mer, il est nécessaire de redéfinir les discours touristiques sur l’île de La Réunion.

Les résultats de ma thèse de doctorat (Andry, 2022) ont montré l’importance de l’océan qui est un élément de l’Histoire et de la représentation de l’île comme le suggèrent Carpanin Marimoutou et Françoise Vergès :

l’appréhension de notre terre intègre l’océan. La notion de seascape, intraduisible en français, se prête à notre propos : l’océan est paysage mental, immense et vide, espace de la traite, de l’engagisme, de la déportation et du lien. Lieu du crime, de ce qui sépare, mais aussi lieu d’une première transformation, d’une première créolisation qui réunit les diversités (2005 : 25).

L’image insulaire est régulièrement rappelée par les promoteurs par différents termes qui deviennent presque synonymes dans les discours. On retrouvera notamment « océan », « lagon » et « plage » retrouvés dans les trois guides touristiques composant notre corpus. De plus, « la mer apparaît comme une dimension non-négociable du bilan d’image de la destination Réunion et les touristes considèrent les activités de la mer comme le cœur des loisirs offerts à La Réunion » (Brulhart & Lassalle, 2021 : 74).

Pourtant, certains guides, comme le Petit Futé (2018 : 132), affirment que « même si La Réunion est une île plus tournée vers la terre que l’océan, les activités sont nombreuses ». Le Lonely Planet, quant à lui, présente sa catégorie « sports et activités » avec, en introduction, « on aurait pu s’attendre à ce qu’une île réserve ses plus beaux souvenirs côté mer. Dans les faits, c’est souvent l’intérieur des terres qui procure les plus belles poussées d’adrénaline » (2018 : 31).

Ces assertions sont souvent accompagnées de notes sur les « risques requin ». La mer ne semble donc plus être au coeur de la promotion touristique insulaire. Cette représentation de l’île s’éloigne donc du cliché de l’héliotropisme (Andrieu, 2004) en privilégiant le coeur de La Réunion par exemple avec ses randonnées, le « Somin Volcan » (Germanaz, 2019) et les « Hauts » de manière générale. L’inscription du Parc National de La Réunion au patrimoine mondial de l’Unesco en 2010 a sûrement eu un rôle important dans la promotion touristique tournée vers les pitons, cirques et remparts de l’île.

Ainsi, nous pouvons nous demander s’il existe une régularité entre les discours des promoteurs exogènes (les guides touristiques) et endogènes (notamment par le biais de l’IRT) à propos des eaux réunionnaises.

La représentation exogène de la mer et des activités nautiques

La mer dans les généralités des guides touristiques

Afin d’appréhender la manière dont la mer est présentée dans un contexte touristique, il est essentiel d’examiner ce qui est associé à elle, notamment ses diverses activités. Nous allons dans un premier temps nous attarder sur les généralités des trois guides c’est-à-dire les pages d’introduction consacrées aux activités proposées à La Réunion qui sont évoquées par le Petit Futé, le Géoguide et le LonelyPlanet.

Le Petit Futé et le Géoguide consacrent chacun quatre pages à la mer dans leurs généralités.

Le Petit Futé présente quelques activités nautiques dans son introduction sur les sports et loisirs à La Réunion : « sur l’eau, entre les sorties baleines ou dauphins, le parachute ascensionnel, le jet-ski, mais aussi sous l’eau avec la plongée » (p. 129). Le Petit Futé reste le guide le plus complet sur la diversité d’activités nautiques (comprenant mer et rivière) avec la présentation de vingt-et-une disciplines dont quatorze activités marines : nautisme, sorties en mer, sorties baleines, canyoning et escalade, pêche au gros, windsurf et kitesurf, plongée sous-marine, rafting, canoë, randonnée aquatique, balades en rivière, jet-ski, parachute ascensionnel, flyboard, surf et bodyboard, vague statique, paddle-board, parcs aquatiques.

Le Géoguide est plutôt focalisé sur la plongée. Il dresse d’ailleurs une liste de quinze sites relatifs à cette activité (p. 58-59) qu’il est le seul à présenter aussi finement avec des données telles que la profondeur, le niveau de difficulté ainsi que l’intérêt biologique de la sortie. Il ne fait cependant pas mention d’autres activités nautiques dans son introduction.

Enfin, le Lonely Planet reste le guide qui argumente le moins sur les zones littorales valorisant plutôt l’intérieur de l’île avec seulement deux pages consacrées aux activités nautiques. Il établit une courte liste de six activités : Canyoning, plongée, paddle, kitesurf, nage avec baleines et dauphins et pêche sportive. Les trois guides évoquent le risque requin et prodiguent des conseils de sécurité.

Ces extraits ont été analysés par le biais de Sketch Engine, un gestionnaire de corpus et un logiciel d’analyse de texte, afin de mettre en lumière les tendances linguistiques émergentes et les schémas récurrents liés à la perception du risque requin et aux mesures de sécurité préconisées.
Le premier tableau qui suit présente un relevé lexicométrique. Il recense les cinq termes ayant la plus haute fréquence au sein du corpus ainsi que leurs concordances (c’est-à-dire le rapport entre deux termes en contexte) :

Tableau 1 : Extrait de l’analyse menée avec Sketch Engine sur les généralités des guides touristiques concernant le « risque requin »

Image 10000201000002F00000039A59BF7457029083D5.png

Image 10000201000002ED000003E3F81F9B614E1FC1F1.png

En prenant en considération notre liste d’activités aquatiques présentées par les guides touristiques et ce relevé lexicométrique, nous pouvons déjà tirer quelques conclusions.

Le Petit Futé, par exemple, qui recensait le plus d’activités, n’évoque pas la « baignade » dans son texte sur les attaques de requin. Cette omission pourrait suggérer que le guide préfère se concentrer sur d’autres aspects de la vie marine ou qu’il considère la baignade comme une activité qui ne nécessite pas de présentation.

D’autre part, le GéoGuide, centré sur la plongée sous-marine, n’emploie jamais le terme « attaque ». En contraste, le Petit Futé associe, dès le titre de sa catégorie, le surf aux attaques de requin, suggérant une sensibilisation particulière à ce risque spécifique dans le contexte de cette activité. Cette mise en relation (« surf et attaques de requins ») par le Petit Futé peut influencer les perceptions des touristes et souligne l’importance accordée à la sécurité dans le contexte du surf dans ce guide en particulier. Nous pourrions penser que le GéoGuide préfère ainsi délaisser le surf au profit de la plongée qui pourrait présenter moins de risque – bien qu’il l’évoque une fois à titre informatif dans « un arrêté préfectoral (constamment reconduit) interdit par ailleurs la baignade et les sports de glisse comme le surf en dehors des zones surveillées et du lagon ».

Enfin, le Lonely Planet se distingue en étant le seul guide qui intègre chacun des termes sélectionnés dans notre relevé lexicométrique. Cela suggère une approche plus exhaustive et équilibrée dans la présentation du risque requin et des conseils de sécurité en lien avec les activités aquatiques. En couvrant l’ensemble des termes identifiés, le Lonely Planet semble fournir une vue globale plus complète, soulignant potentiellement une volonté de fournir une information exhaustive aux voyageurs.

Il est important de noter que les adjectifs axiologiques sont peu nombreux dans les textes sur la mer. Omniprésents dans les parties axées sur la gastronomie des guides touristiques (Andry, 2022 : 136), les « jugements évaluatifs d’appréciation » (Kerbrat-Orecchioni, 2014 : 86) ou de dépréciation sont inexistants dans la présentation des activités nautiques.

Cependant, une observation intéressante réside dans la connotation négative des verbes utilisés par les guides pour décrire les activités marines. Des termes tels que « éviter » (quatre occurrences), « interdire » (trois occurrences) et « braver » (deux occurrences) suggèrent une tonalité préventive et soulignent une certaine prudence recommandée aux lecteurs.

Cette analyse de la représentation de la mer en contexte touristique permet donc d’établir un premier constat. Chaque guide adopte une approche distincte, mettant en lumière des activités diverses et un traitement discursif particulier de la « crise requin ».

Le corpus montre les nuances entre chaque guide et leur façon de promouvoir les eaux réunionnaises. Nous pouvons ainsi relever différents degrés de promotion. Le Lonely Planet semble œuvrer pour une promotion plus « verte » de l’île (Germanaz & Sicre, 2012). Le GéoGuide préfère créer une focale sur la beauté et la diversité des fonds marins par le biais de la plongée sous-marine. En mettant en avant cette activité, le guide semble mettre en exergue non seulement l’aspect esthétique de la vie sous-marine, mais aussi son engagement en faveur de la préservation écologique. La plongée sous-marine, en permettant aux visiteurs d’explorer les profondeurs de l’océan Indien sans perturber l’environnement, peut être perçue comme une approche respectueuse de la biodiversité. Le choix du GéoGuide de privilégier cette activité peut refléter une volonté de promouvoir un tourisme plus durable et conscient des enjeux environnementaux.

Toutefois, comme le rappelle Virginie Duvat « le tourisme [n’entretient] qu’un lien ténu avec l’environnement, l’importance de celui-ci se limitant, dans la plupart des cas, à offrir un cadre physique global » (2006 : 11). Bien que certains traits écologiques puissent être mis en avant dans les guides, ils étaient encore très minoritaires en 2018. Dans tous les cas, la plongée semble suggérer deux types d’approches : la découverte de la flore et la faune marine de manière respectueuse et aussi l’aspect sécuritaire de cette activité.

Enfin, le Petit Futé même s’il reste le guide le plus complet, n’est pas forcément le plus objectif. Son exhaustivité peut parfois être accompagnée d’une subjectivité, où les choix éditoriaux peuvent influencer la manière dont le risque requin est présenté et toujours associé à la pratique du surf – ce qui n’est pas le cas pour les deux autres guides du corpus.

Cette première approche ouvre donc la voie à une autre question. Ces différences entre les trois guides touristiques sont-elles aussi prégnantes sur une unité plus petite telle qu’une étude de cas d’une station balnéaire ?

La représentation de la mer dans une station balnéaire de La Réunion : le cas de Saint-Gilles Les Bains

Cette étude se base sur une approche déductive, il nous paraissait donc important de réaliser une étude de cas pour mieux comprendre la représentation de la mer dans un contexte touristique.

Nous avons ainsi regroupé les lieux et activités conseillés par les trois guides touristiques dans le tableau qui suit :

Tableau 2 : Relevé des lieux et activités conseillés par les guides touristiques à Saint-Gilles Les Bains

Tableau 2 : Relevé des lieux et activités conseillés par les guides touristiques à Saint-Gilles Les Bains

Une représentation des pratiques nautiques émerge déjà de ce relevé. En effet, le GéoGuide et le Lonely Planet s’accordent sur la présentation d’activités plutôt sécurisantes et ne nécessitant pas forcément d’aller directement dans l’eau sauf pour la plongée mentionnée par le GéoGuide.
Le Petit Futé, quant à lui, reste toujours assez exhaustif dans la liste des activités.

Une régularité discursive se dessine dans la présentation de la station balnéaire. Les trois guides convergent sur quatre activités : la visite de l’aquarium de Saint-Gilles, les sorties en mer, les croisières et les expéditions en visiobule. La promotion de la mer par les guides se concentre donc sur la sécurité et sur des activités plutôt familiales accessibles à un public large. Elles ne nécessitent pas de connaissances ou une forme physique particulières. La priorité accordée à la sécurité transparaît dans la sélection d’activités, suggérant une volonté de promouvoir des expériences plaisantes tout en minimisant les risques.

L’analyse des discours des guides touristiques sur la mer montre donc que, contrairement à l’imaginaire collectif relatif à l’insularité, l’héliotropisme ne semble plus régner dans la promotion de l’île de La Réunion. Bien qu’elle reste un argument touristique, la mer est ainsi représentée comme un cadre favorisant l’exotisme et accentuant l’éloignement, physique et symbolique (Gauthier, 2008 : 49), à la France hexagonale.

La promotion endogène suit-elle cette même ligne directrice ? Les discours du principal promoteur de La Réunion ne donnent-ils pas plus de place à la mer et aux activités nautiques malgré le « risque requin » ?

La représentation endogène de la mer et des activités nautiques

Présentation et analyse des photographies du corpus

Afin de comprendre la promotion endogène de l’île, nous avons sélectionné cent cinq publications du compte Instagram de l’IRT entre le 30 novembre 2020 et le 11 mars 2021. Il nous semble important de comprendre la communication de l’IRT pendant la pandémie mondiale de Covid 19. Il est essentiel de se demander comment s’effectue la promotion touristique d’une île en pleine crise sanitaire alors que les déplacements deviennent de plus en plus restreints. Le principal promoteur de La Réunion produisait-il des publications en lien avec l’imaginaire insulaire, notamment les littoraux de l’île, les plages et les activités nautiques afin d’attirer les touristes ?

Nous avons classé ces publications en six catégories comme l’indique le graphique suivant :

Graphique 1 : Catégorisation des publications de l’IRT sur Instagram

Graphique 1 : Catégorisation des publications de l’IRT sur Instagram

Les paysages représentent donc 59% des publications (soit soixante-deux) de l’IRT pour cette période. Cependant, une analyse plus détaillée de ce contenu, menée par le biais d’une approche micro, montre que les publications consacrées aux littoraux et aux plages ne prédominent pas dans la catégorie « paysages », comme le montre ce second graphique :

Graphique 2 : Répartition géographique des publications de l’IRT

Graphique 2 : Répartition géographique des publications de l’IRT

Seulement 29% du corpus, équivalant à dix-huit publications, met en scène les littoraux et les plages de l’île. Ces photographies, prises en plan large, invitent à la contemplation et à la détente comme le montrent ces exemples :

Photographies 1, 2 et 3 : Publications de l’IRT en lien avec les littoraux réunionnais

Photographies 1, 2 et 3 : Publications de l’IRT en lien avec les littoraux réunionnais

© IRT

En ce qui concerne les autres catégories de publication, les références au monde maritime sont plutôt rares. On compte seulement :

  • quatre photographies d’animaux marins (deux de poissons, une de baleine et une de dauphins)

  • une photographie de cocotiers

  • une photographie de plongée

  • une photographie de kayak

  • une photographie de dessin sous l’eau

Finalement, sur les cent cinq publications analysées, seules vingt-six se réfèrent au monde maritime. De surcroît, ces photographies s’accompagnent fréquemment d’une description typographique encourageant à la farniente ou à la contemplation d’un coucher de soleil en bord de mer.
Les rares photographies illustrant des activités nautiques ne sont pas les plus sportives (aucune publication ne mentionne la pratique du surf par exemple).

Photographies 4 et 5 : Publications relatives aux activités nautiques

Photographies 4 et 5 : Publications relatives aux activités nautiques

© IRT

Comme le montrent ces deux publications, les activités nautiques sont présentées en eaux claires et peu profondes afin d’accentuer la représentation sécurisante de la mer malgré la « crise requin ». Contrairement aux guides touristiques, l’IRT ne communique pas explicitement à propos de l’existence de ce potentiel danger. Dans le cadre de ma thèse de doctorat, j’avais également pris en compte l’analyse du site internet de l’IRT. Une seule mention au risque requin avait été repérée : « le préfet de La Réunion recommande la plus grande vigilance à tous les usagers de la mer, et aux pratiquants des activités nautiques particulièrement exposées au risque requin (surfeurs, body boardeurs) qui font l’objet d’une réglementation spécifique »6.

Ainsi, aucune de ces activités nautiques ne sont représentées sur le compte Instagram de l’IRT.

En outre, ce réseau social se base particulièrement sur des photographies. Mais, des descriptions peuvent être ajoutées sur la base de courts textes et d’émoji. Nous procéderons à l’analyse détaillée de ces descriptions selon la méthodologie de la description structurale de Roland Barthes qu’il définit comme voulant « saisir le rapport de ces éléments en vertu du principe de solidarité des termes d’une structure » (1964 : 43) dans la partie suivante.

Les descriptions des publications de l’IRT

Toutes les publications Instagram de l’IRT relatives à la mer ne comptent pas de textes descriptifs ou explicatifs. Sur les vingt-six publications mentionnant les eaux réunionnaises, seize décrivent les lieux ou les activités. Les autres sont plutôt des adresses et des conseils aux lecteurs par exemple « prenez le temps » ou « seize the day ». Nous pouvons d’ailleurs noter l’utilisation fréquente de l’anglais par le principal promoteur de l’île

Concernant les textes qui accompagnent les publications, nous trouvons trois descriptions évoquant les « sunset » ou le « coucher de soleil » observables depuis la plage. Par ailleurs, la côte ouest est la zone la plus promue par l’IRT avec cinq publications faisant référence à « Boucan Canot », « l’Ermitage », la « plage des Brisants » ou encore le « lagon » (deux occurrences). Une seule photographie du sud sauvage est mise en avant pour montrer « le contraste entre le bleu intense de l’océan et le vert généreux de la flore », comme l’indique la description. C’est peut-être aussi que, selon l’IRT, « le sud sauvage apparaît comme un lieu indomptable »7. L’espace ne correspondrait pas à l’image bucolique tant recherchée par les guides.

L’utilisation des émoji fait partie intégrante de la communication de l’IRT. En effet, sur cent cinq publications, nous trouvons cent neuf émoji. L’utilisation de ces images électroniques semble suivre la même tendance des catégories de publications partagées par l’IRT.

Graphique 3 : Répartition des émoji utilisés par l’IRT sur Instagram

Graphique 3 : Répartition des émoji utilisés par l’IRT sur Instagram

Comme le montre ce graphique, vingt-six émoji en référence à la mer sont utilisés par l’IRT. Les références au soleil participent à la cristallisation de cette représentation de la mer comme lieu privilégié pour l’observation du coucher du soleil et pour la détente.
Les émoji représentant la faune marine correspondent aux animaux précédemment cités : poissons, baleine et dauphins.

Les objets en lien avec la plage sont divers : bateau, masque et tuba et chapeau. Les émoji représentant l’île et les vagues peuvent s’apparenter à ce que Christian Germanaz nomme la « nomenclature typifiante » relative à l’insularité. En effet, il explique que « certains “mots” de la géographie sont aussi des invitations au paysage exotique : l’atoll, le lagon, le reg, l’oued, et peut-être plus modestement, le pack, la banquise » (2018 : 5). Nous retrouvons ainsi des éléments de cette nomenclature typifiante autant dans les textes que dans le choix des émoji utilisés par l’IRT.

Ces éléments iconographiques ajoutent une dimension visuelle et émotionnelle aux descriptions, renforçant l’association de la plage aux activités nautiques et aux moments de détente. Cette utilisation stratégique des émoji par l’IRT contribue à façonner une image spécifique de la mer et de ses environs dans le discours du promoteur. La représentation visuelle de l’environnement marin reste riche et positive.

La combinaison de textes descriptifs, de photographies et d’émoji dans les publications de l’IRT contribue ainsi à façonner une représentation émotionnellement riche et accessible de la mer, mettant en avant son caractère paisible, sécurisant mais aussi polyvalent. Cette stratégie semble être en cohérence avec l’objectif de l’IRT de promouvoir l’île de La Réunion comme une destination touristique attrayante et diversifiée.

Conclusion

Au terme de ces analyses, nous pouvons donc confirmer l’existence d’une régularité discursive des représentations de la mer dans les discours des promoteurs endogènes et exogènes de l’Île de La Réunion. Les guides, plus ou moins exhaustifs dans leur présentation des activités aquatiques, semblent converger majoritairement vers des propositions familiales qui peuvent s’adresser au plus grand nombre.

Cependant, une nuance entre les discours exogènes et endogènes intervient autour du sujet des requins. En effet, le « risque requin » est évoqué par les ouvrages qui donnent des conseils aux touristes. L’IRT, principal promoteur de l’île, ne laisse aucune place à ce potentiel danger dans ses publications sur Instagram. La promotion endogène de La Réunion évite donc d’évoquer les dangers de la mer en privilégiant une représentation plus bucolique et paisible.

De plus, la représentation de la mer comme épicentre de la violence de la déportation d’êtres humains durant la traite négrière et par la suite durant l’engagisme n’apparaît pas dans les discours de promotion touristique, ne contribuant donc pas à la reconnaissance de la mémoire coloniale.

Bien que l’ouest de l’île ait été le théâtre majeur des attaques de requin, c’est aussi la zone la plus plébiscitée par les promoteurs, autant endogènes qu’exogènes, pour promouvoir le littoral réunionnais comme le montrent notre étude de cas sur la station balnéaire mais aussi les publications de l’IRT sur Instagram.

La mer reste donc prisonnière d’un conflit paradoxal entre les impératifs de sécurité et l’attrait du monde du tourisme pour ses profondeurs.

Cette étude avait pour ambition de comprendre comment la mer demeurait un argument central dans la promotion touristique de l’île de La Réunion. Il semblerait donc que, contrairement à d’autres marqueurs de l’identité réunionnaise comme sa gastronomie, son patrimoine ou sa culture, la mer se retrouve dans un conflit qui engage deux postures : soit la transparence de la promotion qui assume la réalité des risques, soit l’exclusion totale de ce danger. Ces deux tendances se manifestent dans les discours des promoteurs. La première posture est adoptée par les guides tandis que la seconde est privilégiée par l’IRT. Cette tension éthique nécessiterait ainsi une réflexion approfondie sur la manière dont la promotion touristique pourrait être davantage honnête à propos des dangers inhérents à la mer tout en maintenant l’attractivité de l’île.

1 Le document du programme « Charc » est disponible en ligne : https://habiter-la-reunion.re/wp-content/ uploads/ 2017/02/4_Statistiques_des_donnees_

2 Selon les données de l'International Shark Attack File (ISAF), le Florida Museum a établit une carte interactive recensant toutes les attaques

3 Selon ce même rapport, sur trente-six attaques entre 1980 et 2011, quatorze d’entre elles ont eu lieu dans l’ouest de l’île.

4 https://www.reunion.fr/qui-sommes-nous/ (consulté le 23 janvier 2023).

5 https://www.sketchengine.eu/#login (consulté le 23 janvier 2023).

6 D’après le site internet de l’IRT : https://www.reunion.fr/organisez/conseils-de-voyage/conseils-pour-vos-vacances/ conseils-pour-la-mer/ (consulte

7 https://www.reunion.fr/decouvrez/la-reunion-une-ile-sept-ambiances/la-cote-sud-ambiance-de-territoire/

Andrieu, B., « Tourisme solaire : Néocolonialisme ou Eco-développement ? », in Cahiers Internationaux du tourisme, n°3, 2009, p. 53-74.

Andry, M., Analyse sociolinguistique des représentations de La Réunion dans les discours de promotion touristique, Thèse de doctorat, Université de La Réunion, 2022.

Barthes R., « Rhétorique de l’image », in Communications, n°4, 1964, p. 40-51.

Brulhart, F. & Lassalle, F., « “Jaws Vs. Blue ocean” : créer un “océan bleu” pour contrer la “crise requin” à l’île de La Réunion », Management & Avenir, 123, 2021, p. 67-89, https://doi.org/10.3917/ mav.123.0067

Duret, P. & Augustini, M., « Sans l’imaginaire balnéaire, que reste-t-il de l’exotisme à la Réunion ? », Ethnologie française, n°91(3). 2002, p. 439-446.

Duvat, V., « Mondialisation touristique et environnement dans les petites îles tropicales », in Les Cahiers d’Outre-Mer, n°236, 2006, p. 513-539.

Gauthier, L., « L’occident peut-il être exotique ? De la possibilité d’un exotisme inversé », in Le Globe. Revue genevoise de géographie, tome 148, L’exotisme, 2008, p. 47-64.

Germanaz, C. Sicre, M., « Du bleu au vert, quand l’île tente de tourner le dos à la mer », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Hors-série 14, 2012, URL : https://journals.openedition.org/vertigo/12435

Germanaz, C., « Du pittoresque exotique de “l’ailleurs” au sublime identitaire de “l’ici” », in Carnets de recherches de l’océan Indien, n°2, 2018, URL : https://carnets-oi.univ-reunion.fr/224

Kerbrat-Orecchioni, C., L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, Colin, 1980.

Marimoutou, C., « Carrefour de nulle part : l’utopie d’une île créole », Carnets de recherches de l’océan Indien, n°2, 2018, URL : https://hal.univ-reunion.fr/hal-02474938/file/01-Marimoutou.pdf

Paveau, M., « Le gif, outil d’iconisation du discours sur Twitter », Fórum Lingüístico, vol. 18, 2021, p. 5843-5864.

Thiann-Bo Morel, M. & Duret, P., « Le risque requin, mise en risque de la pratique du surf à La Réunion », Staps, n°99, 2013, p. 23-36.

Viallon, P. & Gaham, D., « Territoire, culture et représentation : une approche communicationnelle des guides touristiques sur la Suisse », Mondes du Tourisme [En ligne], n°3, 2011, URL : https://journals.openedition.org/tourisme/512

1 Le document du programme « Charc » est disponible en ligne : https://habiter-la-reunion.re/wp-content/ uploads/ 2017/02/4_Statistiques_des_donnees_historiques_des_attaques_a_La_Reunion_depuis_1980.pdf

2 Selon les données de l'International Shark Attack File (ISAF), le Florida Museum a établit une carte interactive recensant toutes les attaques depuis 1580 qui indique l’espèce impliquée et l’année de l’attaque : https://www.floridamuseum.ufl.edu/shark-attacks/maps/world-interactive/

3 Selon ce même rapport, sur trente-six attaques entre 1980 et 2011, quatorze d’entre elles ont eu lieu dans l’ouest de l’île.

4 https://www.reunion.fr/qui-sommes-nous/ (consulté le 23 janvier 2023).

5 https://www.sketchengine.eu/#login (consulté le 23 janvier 2023).

6 D’après le site internet de l’IRT : https://www.reunion.fr/organisez/conseils-de-voyage/conseils-pour-vos-vacances/ conseils-pour-la-mer/ (consulté le 13 janvier 2022).

7 https://www.reunion.fr/decouvrez/la-reunion-une-ile-sept-ambiances/la-cote-sud-ambiance-de-territoire/snack-5-photos-spectaculaires-de-locean-sauvage/

Tableau 2 : Relevé des lieux et activités conseillés par les guides touristiques à Saint-Gilles Les Bains

Tableau 2 : Relevé des lieux et activités conseillés par les guides touristiques à Saint-Gilles Les Bains

Graphique 1 : Catégorisation des publications de l’IRT sur Instagram

Graphique 1 : Catégorisation des publications de l’IRT sur Instagram

Graphique 2 : Répartition géographique des publications de l’IRT

Graphique 2 : Répartition géographique des publications de l’IRT

Photographies 1, 2 et 3 : Publications de l’IRT en lien avec les littoraux réunionnais

Photographies 1, 2 et 3 : Publications de l’IRT en lien avec les littoraux réunionnais

© IRT

Photographies 4 et 5 : Publications relatives aux activités nautiques

Photographies 4 et 5 : Publications relatives aux activités nautiques

© IRT

Graphique 3 : Répartition des émoji utilisés par l’IRT sur Instagram

Graphique 3 : Répartition des émoji utilisés par l’IRT sur Instagram

Morgane Andry

Morgane Andry est docteure en sciences du langage et chercheuse associée au sein du LCF (laboratoire sur les espaces créoles et francophones). Au carrefour des sciences du langage, des sciences de l’information et de la communication et de la sociologie, ses travaux portent principalement sur les processus de représentation de l’altérité et de l’insularité dans les discours promotionnels et médiatiques. Elle s’intéresse aussi à l’analyse des discours dans les jeux vidéo et sur les réseaux socio-numériques.