A la recherche du goût perdu : l’écriture mélodramatique comme reconnexion au sensible dans Les délices de Tokyo

Isabelle Labrouillère

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Isabelle Labrouillère, « A la recherche du goût perdu : l’écriture mélodramatique comme reconnexion au sensible dans Les délices de Tokyo », Tropics [En ligne], 13 | 2023, mis en ligne le 01 juillet 2023, consulté le 09 mai 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/2488

Cet article interroge la façon dont Naomi Kawase, qui construit au fil de sa filmographie un cinéma de l’éphémère, se saisit de la représentation du goût dans Les délices de Tokyo (2015). Ce film, qui raconte la rencontre de Tokue, 75 ans et de Sentaro, un vendeur de pâtisseries japonaises, est considéré comme une réalisation mineure au sein de l’œuvre kawasienne. Ainsi, alors que de nombreux critiques reprochent à Kawase de recourir dans cet opus à une écriture mélodramatique au pathos indigeste, il s’agira de montrer ici que l’emprunt au mélodrame dans Les délices de Tokyo est l’expression même d’un questionnement sur le temps au cœur de la subtilité de l’esthétique kawasienne et de la représentation du goût.

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This article examines how Naomi Kawase, who builds a cinema of the ephemeral throughout her filmography, grapples with the representation of taste in Tokyo Delights (2015). This film, which recounts the encounter between 75-year-old Tokue and Sentaro, a Japanese pastry seller, is considered a minor achievement in Kawase's oeuvre. While many critics criticize Kawase for resorting to indigestible melodramatic pathos in this opus, the aim here is to show that the borrowing of melodrama in Tokyo Delights is the very expression of a questioning of time at the heart of the subtlety of Kawasian aesthetics and the representation of taste.

Dans « Eloge de Naomi Kawase », Erik Bullot interroge le travail de la réalisatrice japonaise en ces termes : « comment s’approcher du lointain, de ce qui s’estompe, de ce qui fuit ? Comment filmer celui qui s’absente, se dérobe, se dissimule ? »1. Ces questions, prennent tout leur sens à l’aune de la filmographie Kawasienne qui construit, œuvre après œuvre, un cinéma de l’éphémère, du fugitif et de la perte particulièrement sensible à l’évanescence de la perception en jeu dans la représentation du goût. Composant une œuvre où sont pensées ensemble la signification (les effets de sens) et les sensations (l’effet des sens), la production de la réalisatrice ne cesse d’interroger la question du sens dans son double versant esthésique et sémiotique. Dans la forêt de Mogari s’ouvre ainsi sur les propos suivants : « Etre vivant, ça a deux sens. Un de ces sens, c’est manger ». Si le cinéma de Kawase est parcouru de nombreuses scènes de préparation et de consommation de repas, la représentation du goût n’est jamais abordée de façon aussi centrale que dans Les délices de Tokyo où Tokue, 75 ans, convainc Sentaro, un vendeur de pâtisseries japonaises, de l’embaucher après lui avoir fait goûter la pâte de haricot rouge dont elle garnit ses dorayakis.

Pour qui connaît l’œuvre de Naomi Kawase, ce « tiers cinéma »2 sinuant entre documentaire et fiction, projet expérimental et œuvre grand public, Les délices de Tokyo fait figure de film mineur. On a pu ainsi reprocher au film la conventionalité d’une intrigue qui renoue, au fil de son déroulement, avec les effets appuyés d’une écriture mélodramatique. Pour Quentin Legoff par exemple, le film de Kawase glisse, après le départ de Tokue, vers une « dramaturgie qui s’articule sur des tunnels de dialogues et une utilisation de la voix off, procédés lourds et finalement assez peu élégants en comparaison de tout ce qu’elle parvient à communiquer simplement par l’image (et le mixage son) »3. Jean-Baptiste Morain pour sa part, relève un certain nombre de pesanteurs stylistiques en rupture avec l’épure et la fragilité dépouillée de l’écriture kawasienne :

L’émotion intense que procuraient ses mélodrames familiaux naissait de l’absence absolue de pathos sirupeux. […] On aurait presque envie de nettoyer le film de ses mots et de ses petites notes de musique, de tout ce qui nous empêche de profiter pleinement de ses moments les plus beaux, qui n’ont pas besoin d’exhausteur de goût4.

Dans cette citation, la question du goût n’est abordée que par l’entour métaphorique (« pathos sirupeux », « exhausteur de goût »), pour mieux en faire, selon une perspective kantienne, un jugement esthétique sur l’œuvre elle-même. Selon l’auteur, Les délices de Tokyo, film entravé par les afféteries de style, mettrait en crise la représentation du goût dans un récit rendu indigeste par les effets de napp(ag)e sonore (voix off, dialogues et musique empathique) et de surenchère expressive qui en verrouillent l’accès.

Il faut bien reconnaître que le dorayaki, cette pâtisserie bon marché composée de galettes fourrées à la pâte de haricot rouge, manque, pour le spectateur coutumier des chefs-d’œuvre visuels de l’artification culinaire5, singulièrement de photogénie. Pareille à l’exhausteur de goût destiné à augmenter artificiellement l’intensité de la perception, la mélodramatisation de l’écriture viendrait donc pimenter le récit pour pallier la fadeur du mets, quitte à entrer en contradiction avec la simplicité de l’histoire et du dessert préparé dans le film. A l’instar de l’empois qui fixe sous le glacis les matières qu’il recouvre, le « coulis mélodramatique » viendrait déposer une taie sur l’œil d’un spectateur tenu à distance du profilmique.

Comment alors susciter le goût qui suppose un rapport haptique, c’est-à-dire tactile, au plus près du mets préparé ? L’écriture mélodramatique serait-elle la marque d’un cinéma devenu bavard aux antipodes du « tremblement de réalité » « sans autre consistance … que lui-même »6 propre à l’écriture kawasienne ? Le recours au mélodrame est-il la cause de cette rencontre ratée avec les délices promis par le film ou peut-on voir dans cette proposition faussement programmatique, une des causes du malentendu dont le film est l’objet ? En effet, ne peut-on envisager, dans un renversement radical de la pensée, le recours au mélodrame comme l’expression d’un questionnement sur le temps au cœur de la représentation du goût comme d’une écriture kawasienne hantée par la question des origines ?

Représenter le goût à l’écran est une gageure même si l’image est un vecteur privilégié de la figuration de la saveur au point que se sont développés, à côté des mots du goût, toute une imagerie et un imaginaire de la cuisine sous forme de photographies culinaires7. André Holley rappelle ainsi que « des mécanismes de production d’"images sensorielles" » intervenant « de la sensation à la perception gustative », la figuration iconique semble le prolongement naturel de l’image mentale du goût8. Lorsque s’y adjoignent le son et le toucher par la capacité haptique de l’image à donner une impression d’immédiateté et de proximité avec l’objet cadré, le fondement polysensoriel de l’image semble alors sans égal pour exprimer la dimension synesthésique du goût. Cependant, si Jean-Jacques Boutaud souligne « la relation indicielle [existant] entre une sensation qui fait image et l’image de la sensation »9, l’expression du goût par l’image n’en est pas moins tiraillée entre ces versants synesthésique et cénesthésique. En effet, si le goût fait signe par le jeu de la synesthésie c’est-à-dire de correspondances sensorielles visibles ou dicibles, il se manifeste également par le jeu de la cénesthésie formée de « sensations internes riches mais non communicables »10.

Par conséquent, la vue, le goût ou encore le toucher étant des sens complémentaires, la représentation du goût par l’image demeure un défi, celle-ci ne pouvant saisir la saveur que dans son entour, à la manière d’une tournure périphrastique. L’image ne peut au mieux qu’être un décalque, l’imitation d’un faussaire génial dont l’apparente coïncidence avec l’objet manifeste pourtant l’inaccessibilité. C’est d’ailleurs dans son incapacité à rendre le parfum d’un mets qu’elle nous rappelle la mise à distance qu’elle présuppose en prétendant placer sous nos yeux un plat situé dans un autre espace/temps que celui du spectateur. L’image et le goût ont ceci de commun qu’ils sont tous deux intrinsèquement liés à la perte, à l’évanescence d’une expérience que l’individu cherche à renouveler et à prolonger. Or, la capacité figurale de l’image court le risque de figer dans la précision du contour et la rigueur du cadre, la fugacité de la saveur, parangon de l’éphémère, de l’évocation à sa disparition. La captation sensorielle par l’image prétend donc rendre compte d’une parole singulière (celle résultant de l’intimité produite par l’expérience gustative) par le biais d’une équivalence dont l’existence même suppose l’altérité. La représentation du goût est donc bien affaire de traduction, non seulement des sens mais aussi du sens, question portée à un point d’incandescence par le film de Naomi Kawase.

Ainsi, dans les propos de Jean-Baptiste Morain cités plus haut, la rhétorique utilisée est significative tant par ce qu’elle souligne que par ce qu’elle occulte. Si les accents hyperboliques du titre français (« Les délices de Tokyo ») font du film un objet de partage autour de la commensalité, pas un mot de l’article n’est consacré à l’expression de la sapidité qui en constitue pourtant le sujet. Le film de Naomi Kawase pose ainsi d’entrée de jeu un problème de traduction, non seulement gustative, la représentation du goût supposant la migration et la transposition d’un sens (le palais, l’odorat, le toucher) à l’autre (l’œil et l’oreille), mais aussi linguistique. Si le film est sorti à l’étranger sous le nom de Sweet Bean, assez proche de l’intitulé original an, du nom de la pâte dont les dorayakis sont fourrés, les distributeurs français du film ont choisi de remplacer celui-ci par Les délices de Tokyo, titre sous lequel le roman dont le film est l’adaptation, a été publié en France.

Alors que la mention de la pâte an dans le titre japonais projette le spectateur occidental dans un univers exotique et inconnu, le caractère déclamatoire et emphatique du titre français place le spectateur dans la sphère du connu par la verbalisation de l’effet produit (« Les délices »). Cette traduction procède donc à un glissement de l’objet (an), délaissant son opacité signifiante première au profit de la lisibilité des sensations qui y sont attachées. Le titre français prétend donc balayer un des enjeux eidétiques de la figuration du goût en réduisant la singularité propre à la pâtisserie traditionnelle japonaise à un terme générique et consensuel destiné à ramener nos papilles occidentales vers des rivages connus. Par opposition, dans le film, si les personnages qualifient à plusieurs reprises les dorayakis de délicieux, le spectateur sait qu’il s’agit d’un point de vue assujetti à un individu au sein d’une culture donnée et non un principe universel. Comme le souligne Caroline Champion, « si, comme les mots, les images ont le pouvoir de faire revivre un goût passé, et de réactiver les souvenirs d’un précédent repas en allant puiser dans sa mémoire ; de la même façon, les évocations photographiques [ou iconiques] d’un plat ne fonctionnent que si elles peuvent faire appel à un souvenir, à un référent gustatif qu’elles ne feront que réactiver »11. L’effet de déterritorialisation provoqué par la mention de la pâte an se voit donc ici abandonné, la traduction française niant le trajet de la découverte d’un goût inédit au profit d’une grammaire, par définition figée, de l’exotisme aux allures de label promotionnel. En ce sens, le titre du film choisit de substituer à l’expérience culturelle proposée par Kawase l’idée d’une universalité du goût, transférable et communicable à tous, au sein d’une production transnationale12. Ce faisant, il peine à masquer le fait que le goût, plus que tout autre sens, se traduit difficilement d’un pays et d’une culture à l’autre. Le glissement opéré ici s’inscrit donc dans une stratégie culturelle concurrentielle à celle du film. En recourant à une rhétorique hyperbolique, Les délices de Tokyo jouent sur l’horizon d’attente du spectateur français en accord avec l’image mentale qu’il se fait des délices culinaires selon les codes de sa propre culture. Ce titre programmatique substitue donc à une tradition peu connue du spectateur français, son propre héritage culinaire lui laissant entrevoir un univers peuplé de merveilles gustatives indexé sur son propre savoir.

Or, dans le film de Naomi Kawase, la pâte an n’offre aucune qualité plastique susceptible de photogénie. Si la photographie et par extension, l’image filmique, est une « surface de projection gustative », « les longues cuissons et les plats mijotés tendent à réduire les contrastes entre le cru et le cuit, association photogénique s’il en est, « au profit d’une compénétration, d’une con-fusion des saveurs qui en deviennent immontrables »13. Dans le film, la concaténation des aliments forme une pâte couleur brique que l’image peu contrastée tend à noyer dans des dégradés de gris et de brun. La pâte an semble ainsi faire partie de ces goûts qui ne se laissent pas saisir à l’œil nu : la subtilité de la forme et de la saveur de chaque aliment semble s’éclipser au profit d’une texture privilégiant le compact et le collant au risque d’entraîner la « disqualification visuelle »14 de la saveur et de rendre le goût intransmissible au spectateur. L’image prend même le risque de susciter le dégoût en inscrivant au premier plan les mains bosselées de Tokue déformées par la lèpre. Sentaro lui-même jettera dans un premier temps la préparation qu’elle lui apporte sans y avoir goûté, bousculant les règles les plus élémentaires de la mise en appétit préalable à la représentation du goût.

Pourtant, si l’on compare Les délices de Tokyo à Tampopo (Juzo Itami, 1985) qui raconte la quête par une restauratrice de la recette ultime des ramens, il est clair que les dorayakis sont plus aptes à stimuler nos papilles occidentales que des tranches de porc immergées dans un bouillon emperlé de graisse. Comme le rappelle Kawase : « Je suis japonaise et j’utilise donc des éléments de ma propre culture. Mais je me considère d’abord comme une citoyenne du monde, je travaille avec des idées japonaises tout en recherchant une signification universelle »15. En accord avec la traduction française du titre qui escamote et transpose la spécificité du titre original (an), notre regard d’occidental s’attache essentiellement aux petites pâtisseries dorées qui emprisonnent la pâte de haricot et convoque une tradition culinaire qui nous est familière, à base de crêpes et de blinis. En effet, alors que la pâte an est destinée à disparaître entre les deux galets composés par les pancakes, ceux-ci sont plus susceptibles de déclencher le souvenir et l’appétence d’un spectateur familier des crêpes et autres douceurs occidentales. Notre appétit est d’autant plus stimulé que la caméra cadre à plusieurs reprises en plan serré les petites galettes à la rotondité parfaite, soigneusement alignées sur la plaque chauffante ou harmonieusement installées dans leur écrin. Le film obéirait donc à une sorte de syncrétisme destiné à réconcilier un sujet propre à la culture japonaise et une ambition transnationale pour ne pas dire universelle, quitte à passer à côté de l’expression de cette sapidité singulière. Pourtant, c’est bien la préparation de la pâte an qui accapare tout l’art de Tokue, pâte dont la simplicité n’a d’égal que le soin requis pour son élaboration. Notre œil d’occidental appâté par la théâtralisation du goût promise par l’hyperbole du titre et par l’artification culinaire à laquelle il associe la cuisine française comme japonaise, semble ainsi devoir se rabattre sur la seule préparation qui lui paraît familière.

En effet, si « [l’]univers des douceurs japonaises » n’a encore que peu franchi nos frontières, elle repose elle aussi « sur une très forte "artification" »16 répandue dans les livres de recettes et l’image publicitaire. La pâtisserie, qui sert moins à sustenter qu’à réjouir le palais, se prête particulièrement à l’inventivité plastique et formelle. Si l’artification culinaire qui procéde à la transfiguration esthétique de l’aliment, est omniprésente dans l’hypermodernité culinaire17, elle puise ses sources dans une tradition française faisant écho à ce que Roland Barthes appelait déjà en 1957, la « Cuisine ornementale »18. Ainsi, en recourant à un lexique peu en accord avec la simplicité des dorayakis, la traduction française du titre crée chez le spectateur un horizon d’attente en accord avec les principes d’artification culinaire qui lui sont familiers. C’est pourquoi nous souhaiterions, afin de saisir la singularité de la proposition kawasienne et le renversement paradigmatique qu’elle opère, faire un détour par Le festin de Babette de Gabriel Axel, film qui propose une célébration de la cuisine patrimoniale19 et s’inscrit en droit fil de l’artification culinaire.

Comme son titre l’indique, Le festin de Babette culmine avec la préparation et la dégustation d’un repas préparé par Babette Hersant, une Française réfugiée au Danemark en 1871, qui décide de remercier son village d’adoption en préparant un festin digne du Café anglais, le meilleur restaurant parisien dont elle était le chef. Ici, la cuisine, placée sous l’égide de l’hyperbole et du baroque, est un hommage appuyé à l’art culinaire français de la fin du XIX° siècle sous la forme de cailles en sarcophage fourrées aux truffes et au foie gras, et de mets doublement enfouis sous le glacis de l’image et le nappé des sauces. La préparation du repas obéit ainsi à une véritable scénographie, Gabriel Axel jouant de la photogénie propre à l’artification culinaire dans une volonté de concurrencer les Beaux-Arts visuels20. L’image et les cadrages de Gabriel Axel s’inspirent en effet des maîtres hollandais du XVIe siècle, de la tradition de la nature morte ainsi que du peintre intimiste danois Vilhelm Hammershoi. L’esthétique picturale, en inscrivant les mets dans l’éternité du tableau, tend à faire basculer l’image mouvante vers la logique de l’image fixe, celle du tableau qui capte en figeant, comme celle du cliché photographique, qui fige en répétant. L’écriture par la lumière (la photographie) frôle ici la thanatographie en risquant de geler, sous la précision du trait et de l’autorité de la référence interpicturale, la fugacité de la saveur, et ainsi d’en nier l’existence. La mise en scène et la photogénie des aliments lors de la préparation puis la dramaturgie régnant sur la scène de repas tendent alors à éclipser le fonctionnement essentiellement dynamique du sensible et du goût et avec lui, la possibilité pour l’image en mouvement d’en rendre compte au plus près.

Si cette artification du rituel culinaire dans le film peut donc paraître sclérosante, elle reste le préalable à la sacralisation de la rencontre entre le mets et le palais, la cuisine faisant office de coulisses à la mise-en-scène du repas. Le réalisateur traite ainsi le sujet du repas pour mieux traiter le spectateur : il l’invite à sa table et lui propose le festin en partage en un geste commensal. Le crescendo sur lequel s’édifie le film culmine ainsi dans la symbiose qui nous est proposée au cours du repas, entre la sophistication des mets (cathédrales de fromages, cascades de fruits etc.) et la béatitude grandissante des convives. Le film remplit donc le contrat annoncé par son titre tout en gratifiant le spectateur de moments drôles et touchants nés de cette rencontre inattendue entre ces papilles puritaines et cette débauche gustative.

La séquence du banquet fait ainsi de la rencontre avec le goût le moyen de renouer avec les plaisirs de la chère/chair comme la joie nostalgique du souvenir et c’est sans surprise que le film construit la séquence autour d’un fonctionnement proustien du souvenir. Le festin cuisiné par Babette déclenche les souvenirs d’un des convives, le général Löwenhielm, ancien habitué du Café anglais et amoureux éconduit de la maîtresse de maison. La puissance évocatrice des aliments est explicitement conditionnée à leur inscription dans la mémoire du sujet : le souvenir du Café anglais est convoqué par une série de sensations dont l’activation par le palais permet la remontée de l’objet devenu signe, vers le référent. Dans sa volonté de rendre compte d’une saveur exceptionnelle, le film recourt ainsi aux deux alliés de la mémoire gustative que sont le langage, « qui permet de fixer un goût présent, de le nommer, de l’identifier en fonction de nos souvenirs, comme pour le retenir » et les images « sous la forme de ces "images mentales" que sont les "goûts" »21.

Cependant, si le plaisir gustatif ne peut être transmis par l’image qu’à l’instant où elle réactive un souvenir par la vue, le toucher et/ou l’odorat, la plupart des préparations culinaires sophistiquées présentées par le film sont désormais étrangères au spectateur. La représentation ne peut en effet activer le goût que s’il présentifie une expérience passée et produit une collision d’espaces et de temporalités disjoints par la grâce d’une bouchée faisant revivre, l’espace d’un instant, un ça-a-été réinvesti par le personnage. Si certains mets représentés ici sont toujours familiers au spectateur, les têtes de perdrix aux yeux cavés disposées dans les bouchées que le Général suce goulûment, la soupe de tortue, ou encore l’association complexe des saveurs par la concaténation des aliments et des nappages, composent une cuisine patrimoniale à laquelle le spectateur actuel risque d’être peu sensible, ces aliments ne faisant partie ni de ses habitudes ni de son panthéon gustatifs. Les préparations culinaires savantes déployées par Le festin de Babette déclinent un territoire désormais peu connu du spectateur, les recettes faisant appel « à l’imaginaire culturel d’une époque »22. Si les mots et les images ont en commun avec nos sens de pouvoir faire revivre le passé, l’éveil du goût chez l’énonciataire ne peut donc prendre place qu’à la condition expresse que ce référent gustatif existe dans sa mémoire dans l’attente d’être réactivé.

En outre, le film semble escamoter la double temporalité éidétique du goût dans la mesure où il privilégie la progression dramatique à l’expression fugitive de la saveur. A l’évidence, la caméra qui s’attarde sur le visage des convives parvient à capter l’ici-maintenant propre à la dégustation : le temps s’étire et le plaisir de la gustation se lit d’autant mieux sur les visages auparavant austères, qu’elle est commentée par les échanges dialogués et les effets de champ/contrechamp. Cependant, le film privilégie à la rencontre haptique du spectateur avec l’aliment et au temps suspensif d’une dégustation singulière, une rencontre chorale orchestrée autour des personnages. L’objectif de la séquence, en multipliant les gros plans sur les visages, n’est pas de capter le mouvement allant de la tension produite par notre appétence pour l’aliment à la suite d’éclosions et d’effacements gustatifs en jeu dans l’esthésie. La séquence privilégie donc la progression dramatique et l’identification aux personnages plutôt que ce que Jean-Yves et Marc Tadié qualifient « [d]’extraordinaire remontée de la sensation »23 dont Marcel Proust écrira qu’elle « monte lentement » dans « la rumeur des distances traversées »24.

Si Le festin de Babette ne rend pas pleinement compte de la fugacité du goût, c’est que la dégustation des mets a pour enjeu ultime d’une part, des effets de double entente permettant à Lorens de dévoiler ses sentiments amoureux, d’autre part, le déliement des langues donnant lieu à des effets contrapuntiques comiques. La gratification du spectateur ne passe pas tant désormais par le déclenchement de son appétence pour les mets représentés que par le maelstrom d’émotions partagées. Il s’agit bien en effet ici de passer « de la saveur des aliments à la saveur du lien social », le sens gourmand, selon les propos de J.J. Boutaud, faisant de l’esthésique (les « sensations liées aux perceptions sensorielles et aux émotions gustatives ») le point de départ d’une esthétique (les « relations mises en scène autour de la table dans leurs diverses formes ») et d’une éthique (« les valeurs, les codes, les normes qui inspirent les deux niveaux précédents ») du goût25. Plus que la rencontre de tel convive avec telle saveur particulière ou l’expression d’un goût singulier, l’enjeu ici est de faire coïncider le climax diégétique avec l’artification du repas26. Le cinéaste a en effet conçu la séquence du festin comme une symphonie « où les petits instruments terminent en un "forte" final »27 et où toutes les familles d’instruments de l’orchestre seraient réunies. S’il existe bien une dynamique de la dégustation dans la scène du repas, c’est que le travail du montage et les jeux de circulation entre les visages produisent une écriture du mouvement (une choré/graphie) destinée à faire du repas un activateur dramatique. La picturalité des plats lors de la préparation s’efface ainsi derrière la théâtralisation du temps de la dégustation et la dramatisation du goût lors du repas. Bien plus que l’expression du goût dans sa dynamique sensible, c’est la mutation alchimique entre la cuisine et l’art qui est l’enjeu du film28. En convoquant, dans la lignée de l’art total, le théâtre, la musique, la sculpture et la peinture, le film n’explore pas tant la qualité eidétique du cinéma comme écriture par et dans le mouvement qu’il met sa pluralité expressive au service d’une représentation exceptionnelle du goût.

A bien des titres, le film de Gabriel Axel offre une porte d’entrée en forme de contre-fil à l’univers de Naomi Kawase. Aux antipodes de cette représentation monumentale, Les délices de Tokyo propose une esthétique de l’ordinaire et de l’accessoire : le dorayaki est un en-cas que l’on avale entre deux repas, en deux bouchées goulues, le plus souvent sans l’accompagner du rituel du thé. Ici, pas d’érection d’édifices sucrés et salés ni d’autels votifs tendus de dentelles blanches. A la verticalité et à l’enchâssement des compositions sophistiquées de Babette, succède l’horizontalité des dorayakis de Sentaro et Tokue. Or, cette planéité conférée par le caractère anodin de la pâtisserie n’est-elle pas la forme d’un goût plat, à savoir « sans épaisseur, et sans nuances » voire « sans caractère [et] sans arôme » ?29

Si Le festin de Babette prend in fine le risque d’une cuisine désormais moins consensuelle qu’à l’époque de sa sortie, les dorayakis des Délices de Tokyo semblent promouvoir une esthétique de la fadeur au service d’un goût qui, en se voulant universel, en deviendrait sans objet. Si le haricot rouge règne sans partage sur la préparation culinaire, la crêpe qui le contient nous est si familière et manque à ce point de marqueur gustatif qu’elle est consommée dans différentes déclinaisons (blinis, pancakes etc.) sous toutes les latitudes. Si l’image d’une crêpe est susceptible de stimuler l’appétit du spectateur occidental, c’est que son goût est d’autant plus exportable qu’il manque de spécificité et d’identité. Faut-il donc voir dans l’insipidité du plat la raison de la rencontre manquée entre l’expression du goût et le spectateur ? Le rendez-vous tant attendu avec le temps de la dégustation lui est en effet refusé. La caméra ne s’attarde guère sur les visages et le tourbillon sensoriel que l’on serait en droit d’attendre cède le pas à une écriture de la litote voire de l’évitement. Les corps sont fragmentés par le montage et les visages filmés de profil voire de trois-quarts dos échappent à notre quête de la sensation. Seuls nous sont donnés à saisir quelques commentaires appréciatifs de le part des collégiennes, un sourire esquissé sur le visage de Sentaro, les yeux fermés de Tokue savourant le dessert, quelques compliments de part et d’autre, la file continue des clients à l’extérieur de l’échoppe. Le film ne s’attarde pas sur les effets gustatifs et le spectateur peut se sentir frustré de ne pas être davantage convié à ce moment de partage qui a demandé tant de soins et de délicatesse.

On comprend alors que cette esquive de la part du film ait pu être perçue comme la marque d’un déséquilibre narratif et esthétique, le refus du temps de la dégustation étant brutalement contrebalancé par la rhétorique ampoulée du discours mélodramatique. A l’image des nappages qui emprisonnent la subtilité du goût sous une coque de glace, Jean-Baptiste Morain reproche ainsi à la réalisatrice « de tout surligner, de tout expliquer, voire de tout surexpliquer sans cesse, parfois plusieurs fois, à coups de petites musiques tristes, de dialogues inutiles et répétitifs qui ne font que décrire ce que l’image montre si bien : qu’un cerisier en fleurs filmé par Kawase, c’est beau, par exemple, et qu’il n’y a aucune nécessité à le faire dire par un personnage… On dirait que le surfilmage admirable de ses débuts a peu à peu laissé place à un surdiscours étouffant »30. En ce sens, la banalité de l’expérience gustative proposée par les dorayakis, le recours à une représentation lisible où tout serait donné d’emblée, aurait la même fonction lénifiante que les plans de cerisiers en fleurs, symbole de la japonité, qui ponctuent le récit. La récurrence de ces vues instituées en motifs semble ainsi flirter avec la logique du cliché, celui, pelliculaire, d’une esthétique de carte postale qui rythme les séquences, celui, rhétorique, d’une figure de style démonétisée. Le mélodrame qui s’empare du film au moment du départ de Tokue, serait alors la touche ultime d’une logique portée à son comble : le grossissement du trait, l’expression outrée du pathos par l’accumulation de péripéties accablantes corsèterait l’écriture filmique au sein d’une grammaire codifiée de l’émotion. Loin du tremblé de l’image dont Kawase a fait sa marque, le figement propre à la stéréo/typie du genre ferait s’effacer la fragilité de la saisie kawasienne, « la vulnérabilité du matériau cinéaste »31 derrière une image convenue. Le spectateur rétif aux afféteries de l’image et du mélodrame, se verrait alors comme anesthésié, incapable de ressentir, à l’instar des doigts gourds de Tokue, ou bien au contraire, condamné, sous l’injonction à s’émouvoir, à verser des larmes de glycérine32.

Si l’on poursuit cette logique, les effets de sens et la symbolique propres à la rencontre entre Tokue, Sentaro et les haricots se feraient bien au détriment de l’expression des sens. Non seulement Naomi Kawase déplace le curseur de la dégustation à l’élaboration du plat, mais elle fait du haricot un personnage à part entière jouant un rôle de premier plan dans l’initiation de Sentaro. Alors que Le festin de Babette met en regard la sophistication de la préparation et la photogénie des plats, ici l’apparente simplicité du dessert et la rapidité avec laquelle il est consommé contrastent avec la délicatesse de sa conception33.

Si dans le cinéma de Kawase, le trajet prime toujours sur la destination, le traitement expéditif du temps de la gustation montre à quel point les enjeux de la préparation se situent ailleurs. Ainsi, même au cours de la préparation, le spectateur n’a pas l’occasion de s’absorber dans la contemplation des aliments. Si l’hypotypose, cette figure rhétorique qui crée « un état de fusion » où « l’image tient lieu de la chose » est essentielle à l’expression de la saveur34, jamais le spectateur n’a ici accès à une image « en suspens » dans laquelle se perdre, nourrissant le fantasme d’un rapport non médié au réel. Alors que l’expression du goût repose en grande partie sur le caractère indiciel de l’image, celle-ci n’entretient pas un rapport de contiguïté avec l’objet cadré donnant l’illusion au spectateur que l’aliment se tient devant lui dans toute la force de sa présence. Ici au contraire, la vision partielle, le mouvement empêché dans l’espace contraint de la cuisine entrave la proximité du spectateur avec la préparation culinaire. Les aliments sont toujours inscrits dans l’économie d’un geste au service de la préparation et le regard du spectateur est toujours médié, soit par l’inscription dans le plan du corps des personnages, soit par leur discours sur les aliments. Dans ce dernier cas cependant, la poétisation de la parole lors de la préparation n’est pas destinée à « mobiliser les ressources combinées d’un mot et d’une image »35 pour mieux susciter l’appétit. Le refus d’une image haptique comme point d’entrée et courroie de transmission du goût vient plutôt traduire l’impossibilité d’un rapport direct, immédiat au monde. Kawase nous propose ainsi, à partir de la ritualisation du quotidien instituée par Tokue, non seulement une expérience métaphysique mais un questionnement politique du monde. En refusant au spectateur d’entrer en contact avec le monde des sens qu’est l’esthésie, la séquence engage, selon nous, un geste véritablement politique qui trouvera un premier point d’acmé dans la lecture de la lettre envoyée par Tokue à Sentaro après son départ. Ce geste se déploie en deux mouvements conjoints : d’une part, il opère une bascule sur le plan épistémique afin de révéler l’asthénie du monde, d’autre part, il dessine une esthétique de la consolation par le biais de la « dynamique »36 mélodramatique.

Ce changement de paradigme qui consiste à voir dans l’écriture kawasienne non pas la marque du stéréotype et d’un état de conformité à la pensée dominante, mais l’expression de sa singularité et de sa labilité, suppose d’opérer un bouleversement épistémique à l’image de celui qui nous semble entrepris par la réalisatrice ici. Selon nous en effet, Kawase recourt dans le film à un renversement de perspective qui n’est pas sans rappeler l’approche delignyenne de l’autisme. Dans ses écrits, Fernand Deligny entreprend de malmener nos paradigmes ordinaires en substituant à l’expertise des parlants sur le monde mutique, une démarche destinée à interroger le lieu d’où ceux-ci questionnent le monde37. L’autiste quitte alors sa position marginale et nous guide pour inventer une cartographie du territoire connue de lui seul. De la même façon, dans l’espace de la cuisine, la discrète Tokue devenue figure tutélaire, chavire le monde en bousculant les coordonnées spatio-temporelles : elle échange avec les haricots, les écoute frémir, discerne ce que nul autre ne peut voir, sent l’odeur de la vapeur se modifier, et vit au rythme imposé par la rencontre des ingrédients. En ce sens, Kawase comme Deligny nous invitent, non pas à considérer ces sujets (l’enfant autiste, la vieille femme handicapée) comme des êtres frappés d’incomplétude, mais à interroger les raisons qui font que notre monde est devenu étranger au leur. Ainsi, dans un bouleversement épistémique comparable à celui de Deligny, Kawase nous interpelle, autour de l’expérience culinaire, non pas sur la défection visible du corps de Tokue mais sur l’asthénie plus feutrée qui frappe les corps entravés, voire catatoniques, de Sentaro et Wakana.

Le premier, au visage marmoréen, semble frappé d’agueusie : alcoolique, il est indifférent à la préparation et au goût des dorayakis, quant à Wakana, cette jeune fille effacée toujours en marge du groupe des collégiennes, semble d’abord privée de parole, à l’instar de son canari interdit de chant. Face à eux, Tokue, dont l’incomplétude physique s’impose au regard, est la seule capable d’établir un système de correspondances à la fois inter et intrasensorielles. Elle compense ainsi sa paralysie haptique par la caresse du soleil ou du vent sur sa joue et est la seule à entendre le chant des haricots comme à percevoir la métamorphose de la vapeur d’eau. Devant les capacités perceptives suraigües de Tokue, le monde révèle son ataraxie. Ainsi, la diskinésie dont sont affligées ses mains est bien moins invalidante que l’atonie qui a gagné le corps de Sentaro, incapable de ressentir le monde et de l’éprouver. En effet, dans ce renversement des paradigmes qui fait du sujet valide le sujet infirme, l’écriture kawasienne orchestre la rencontre entre le toucher et l’être touché.

Sous l’impulsion conjuguée de Tokue et Kawase, l’apathie déserte ainsi peu à peu les corps : Wakana imite le chant du canari et le visage statue de Sentaro se fend d’un sourire puis se plisse et grigne pour laisser s’échapper les larmes trop longtemps contenues. Au sein d’une écriture du mouvement symbolisée par la pâte an à la fois liant narratif et symbolique, le corps de Sentaro devenu pâte à modeler, se redessine. Le film nous fait ainsi passer d’un corps pétrifié au sein de ce que l’on peut prendre pour un Japon de carte postale, à un corps pétri, de la stase au mouvement, dans une image toute bachelardienne de la création.

Parallèlement à cette métamorphose des corps, le territoire des personnages se redessine pour se transformer à son tour en espace où règnent et l’amalgame (l’hétérogène) et l’harmonie. Les maladresses des deux personnages peu habitués à la présence de l’autre, les bousculades dans l’espace étroit de la cuisine font entrer le hasard et l’accident dans un espace jusqu’alors contraint, l’aléa devenant une pulsion vitale, une respiration malmenant la sclérose environnante. Alors qu’auparavant, le corps de Sentaro était pris dans une économie de la répétition à l’identique, le corps hésitant et vieillissant de Tokue se manifeste dans sa gaucherie qui lui fait renverser la pâte, la ténuité de ses gestes faisant écho à l’imperceptible pulsation du monde désormais accessible. Le bruissement des feuilles dans la rue, la caresse du soleil ou du vent sur la joue de Tokue, les signes de la main qu’elle leur adresse sont autant d’appels à la synesthésie qui culmineront avec la lecture de sa lettre. Son évocation par Sentaro sur des plans de paysage nous amène à la chercher partout, dans le frémissement des arbres et l’oscillation des frondaisons. Quant au visage de celui-ci, sa présence dans chaque plan nous invite à le réexaminer à l’aune de cette association inattendue avec le végétal.

Il ne s’agirait donc pas pour le film de privilégier l’expression du sens aux dépens des sens mais de souligner, par leur dissociation première, leur rapport eidétique. Avant l’arrivée de Tokue, la séparation du sens et du sensible était la marque d’un univers déserté par le goût. Or, comme le rappelle Paul Ricoeur dans La métaphore vive « le langage poétique [présentant] une certaine "fusion" entre le sens et les sens »38, c’est par la poésie que nous renouons in fine avec lui. En faisant de la représentation du goût un enjeu philosophique, Naomi Kawase transforme un film grand public en manifeste esthétique et politique.

De plus, dans le film, Kawase rend à l’expression du goût tout son sens en en proposant un prolongement singulier par le biais d’une réflexion sur le temps. L’impossible expression de la saveur est en effet la trace de la catatonie d’individus frappés d’amnésie. La pétrification des corps dans la fiction semble bien symptomatiser l’apathie d’êtres incapables de se réconcilier avec le/ur passé : alors que Sentaro, incarcéré au moment du décès de sa mère, noie ses souvenirs dans l’alcool, Wakana rompt avec sa mère en fuguant de chez elle. On comprend pourquoi l’art de Tokue se manifeste avant tout dans l’expression du goût, le plus temporel de tous les sens. Si Tokue dont l’inscription dans l’espace fait éclater les cadres, crée partout où elle passe des espaces de circulation, elle permet avant tout de rompre avec l’éternité du présent.

En effet, l’arrivée de Tokue arrache les personnages à la tyrannie du « présent perpétuel » qui caractérise la temporalité surmoderne japonaise dont l’emblème serait la figure de l’amnésique, « cet être au présent », « sans passé ni avenir »39. Pourvoyeuse de mémoire et présentification du passé, Tokue, stérilisée de force dans sa jeunesse, incarne les oubliés d’une société dont la mise au ban n’a pris fin qu’en 1996. Son corps déformé peut d’ailleurs évoquer d’autres fantômes issus de la mémoire honteuse du pays, les corps mutilés et atomisés d’Hiroshima et Nagasaki. L’arrivée de Tokue40 provoque alors, chez les personnages comme le spectateur, une remontée des souvenirs qui met un terme à « l’amnésie confortable »41 du Japon d’après-guerre, et au rêve de la modernité nippone d’un corps collectif témoignant de « l’unicité du peuple japonais »42.

Alors que Sentaro et Wakana sont aux prises avec un quotidien marqué par un présent sans cesse reconduit, Tokue apparaît au moment de la floraison des cerisiers, marque de l’éphémère, et du « mujô », terme cher à Kawase désignant l’impermanence des choses43. En outre, en réconciliant les personnages avec le goût, compris au sens large d’expression de la sapidité des aliments et de la saveur du monde, Tokue permet aux autres de renouer avec le trajet propre à la mémoire affective. Or, ce trajet passe par l’inscription de la fiction dans la dynamique du mélodrame qui nous invite à « lire le récit comme un parcours, une traversée, plus que comme un tableau »44. Ainsi, lorsque le visage de l’impassible Sentaro se laisse gagner par les larmes, il échappe tout à coup à l’éternité de la statue. La larme qui s’échappe de l’œil parcourt la peau d’une caresse salée qui vient mourir sur les lèvres : en unissant la vue, le toucher et le goût, la synesthésie comme trajectoire dynamique apparaît enfin.

Selon nous en effet, le mélodrame produit une surexpression thymique qui ne fige pas les images derrière un glacis sirupeux mais est la marque d’un é/mouvoir, c’est-à-dire d’un geste véritablement politique renouant avec les origines du genre45. Comme le rappelle Françoise Zamour46, le mélodrame est fait par et pour le peuple : la vibration que Tokue inscrit dans le monde crée ainsi la communauté des exclus qu’elle fait sortir de la catatonie et de la marge. Pas à pas, par la captation de l’éphémère et de l’insignifiant, Les délices de Tokyo, comme en écho à l’appel de Jacques Rancière dans Les temps modernes, nous propose de « construire un nouveau sens commun, un nouveau tissu sensible où les activités prosaïques reçoivent la valeur poétique qui en fait les éléments d’un monde commun »47.

Ce qui sur le plan narratif peut passer pour une rupture, une versée brutale dans l’esthétique du mélodrame, nous semble au contraire intimement lié à la représentation du goût littéralisée dans la première partie du film par la préparation des dorayakis puis saisie au prisme de l’écriture kawasienne. Le deuxième mouvement du film qui coïncide avec le départ de Tokue transpose en effet le trajet de l’expérience gustative à l’échelle du film. Alors que la temporalité du goût, cet instant suspendu, opère le passage de l’extérieur à l’intérieur, de l’universel au singulier, Kawase engage le spectateur dans un mouvement en ressac où l’expression du singulier et de l’intime engendre une émotion donnée en partage, une pensée du commun. Il ne s’agit plus de voir dans l’adresse à chacun la finalité de la représentation du goût mais de la concevoir comme la porte d’entrée à la création d’une communauté, celle des exclus, invités désormais à réinvestir l’espace social48 dans une fraternité de la pensée.

1 Erik Bullot, « Eloge de Naomi Kawase », Cinéma, n°08, automne 2004, p. 44.

2 Vincent Dieutre cité par Erik Bullot, op. cit., 44.

3 Quentin Legoff, « De la contemplation », https://www.critikat.com/actualite-cine/critique/les-delices-de-tokyo-2/ Consulté le 19 février 2022.

4 Jean-Baptiste Morain, « Les délices de Tokyo », https://www.lesinrocks.com/cinema/delices-de-tokyo-21436-22-01-2016/ Consulté le 27 février 2022.

5 On pourra lire à ce sujet L’Artification du culinaire, Sociétés & Représentations, n°34, automne 2012, p. 88.

6 Jacques Kermabon, Jacques, « Naomi Kawase, la métaphysique des pâquerettes », Le Film-essai ou l’œil sauvage, 24 images n°159, octobre–novembre 2012

7 Caroline Champion, « Une proposition d’analyse de la représentation du goût dans la photographie culinaire », Exploratrice des saveurs : les carnets

8 Jean-Jacques Boutaud, « L’esthésique et l’esthétique. La figuration de la saveur comme artification du culinaire », L’Artification du culinaire

9 Ibidem, p. 89.

10 Boutaud, « Sémiotique de la représentation visuelle du goût », Images du goût, Champs Visuels, Paris, L’Harmattan, mai 1997, p. 53.

11 Champion,op. cit.

12 Le film est une co-production franco-germano-japonaise.

13 Caroline Champion, op. cit.

14 Champion, op. cit.

15 Frédéric Strauss, « Les nouveaux délices du cinéma de Naomi Kawase »,Télérama, https://www.telerama.fr/cinema/

16 Sylvie Guichard-Anguis, « Les douceurs du Japon, évocations éphémères de la « Beauté japonaise » (Nihon no bi) », L’Artification du culinaire

17 Boutaud, op. cit., p. 92.

18 Roland Barthes, « Cuisine ornementale », Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 128-130.

19 Le film valut au réalisateur d’être élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur pour sa promotion de la gastronomie française.

20 Cette aspiration à ce que nous appellerons ici la muséification de la cuisine reste très présente de nos jours où « les assiettes construites comme

21 Champion, op. cit.

22 Champion, op. cit.

23 Jean-Yves et Marc Tadié, Le sens de la mémoire, Paris, Gallimard, 1999, p. 197.

24 « Je ne sais ce que c’est » écrit Proust, « mais cela monte lentement ; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées. »

25 Boutaud, Le sens gourmand. De la commensalité - du goût - des aliments, Paris, Jean-Paul Rocher éditeur, 2005, p. 14.

26 Expression que nous entendons ici comme processus de transformation d’un objet en œuvre d’art.

27 Minou, Petrowski, (1989). « Gabriel Axel ». Séquences, n°139, mars 1989, p. 39. https://id.erudit.org/iderudit/50530acConsulté le 28 janvier 2022.

28 « Ce repas, c’est le symbole de l’art. Que ce soit l’art culinaire ou l’art sculptural ». Petrowski, Ibidem, p. 39.

29 https://www.cnrtl.fr/definition/platConsulté dimanche 13 février 2022.

30 Morain, op. cit.

31 Stéphane Caillet, « La poésie documentaire », Critikat, 16 octobre 2012. https://www.critikat.com/panorama/retrospective/naomi-kawase/ Consulté le

32 La critique du film parue dans L’humanité, bien qu’élogieuse signale ainsi que la « sensibilité exacerbée [du film] confine parfois à la

33 Naomi Kawase renverse la proposition du design culinaire en nous offrant un plat simple à la préparation sophistiquée plutôt qu’une absence de

34 Boutaud, op. cit., 91.

35 Ibidem.

36 Zamour, op. cit., p. 19.

37 Voir à ce titre de film de Renaud Victor écrit par Fernand Deligny, Ce gamin-là, 1975 ainsi que l’article de Daniel Terral, « La varlope des mots 

38 Ricoeur, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 265.

39 Thomas, Le cinéma japonais d’aujourd’hui. Cadres incertains, Collection « Le spectaculaire », Rennes, PUR, 2009, p. 87.

40 Tokue peut en outre représenter la grand-mère de la réalisatrice que celle-ci a perdue peu avant le tournage du film.

41 Ibidem, p. 13.

42 Ibidem, p. 10-12.

43 Kernabon, op. cit., p. 159.

44 Françoise Zamour, Le Mélodrame dans le cinéma contemporain. Une fabrique de peuples, collection « Le spectaculaire », Rennes, PUR, 2015, p. 10.

45 Comme le rappelle Françoise Zamour cependant, cette terminologie demande à être discutée. Op. cit., p. 21-28.

46 Op. cit., p. 18.

47 Jacques Rancière, Les Temps modernes. Temps, art, politique, Paris, La Fabrique, 2018, p. 61.

48 On se rappelle qu’à la fin du film, Wakana a réintégré le collège et que Sentaro, souriant, appelle à pleins poumons les nombreux badauds d’un parc

Barthes, Roland « Cuisine ornementale », Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 128-130.

Boutaud, Jean-Jacques, « L’esthésique et l’esthétique. La figuration de la saveur comme artification du culinaire », L’artification du culinaire, Sociétés & Représentations, n°34, automne 2012, p. 85-98.

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Zamour, Françoise, Le mélodrame dans le cinéma contemporain. Une fabrique de peuples. Collection « Le spectaculaire », Rennes, PUR, 2015.

1 Erik Bullot, « Eloge de Naomi Kawase », Cinéma, n°08, automne 2004, p. 44.

2 Vincent Dieutre cité par Erik Bullot, op. cit., 44.

3 Quentin Legoff, « De la contemplation », https://www.critikat.com/actualite-cine/critique/les-delices-de-tokyo-2/ Consulté le 19 février 2022.

4 Jean-Baptiste Morain, « Les délices de Tokyo », https://www.lesinrocks.com/cinema/delices-de-tokyo-21436-22-01-2016/ Consulté le 27 février 2022. Nous soulignons.

5 On pourra lire à ce sujet L’Artification du culinaire, Sociétés & Représentations, n°34, automne 2012, p. 88.

6 Jacques Kermabon, Jacques, « Naomi Kawase, la métaphysique des pâquerettes », Le Film-essai ou l’œil sauvage, 24 images n°159, octobre–novembre 2012, p. 17. https://www.erudit.org/fr/revues/images/2012-n159-images0348/67799ac.pdf Consulté le 12 janvier 2022.

7 Caroline Champion, « Une proposition d’analyse de la représentation du goût dans la photographie culinaire », Exploratrice des saveurs : les carnets, https://exploratricedesaveurs.com/2010/05/27/comment-montrer-un-gout-une-proposition-de-la-photographie-culinaire/ Consulté le 15 mars 2022.

8 Jean-Jacques Boutaud, « L’esthésique et l’esthétique. La figuration de la saveur comme artification du culinaire », L’Artification du culinaire, Sociétés & Représentations, n°34, automne 2012, p. 88.

9 Ibidem, p. 89.

10 Boutaud, « Sémiotique de la représentation visuelle du goût », Images du goût, Champs Visuels, Paris, L’Harmattan, mai 1997, p. 53.

11 Champion, op. cit.

12 Le film est une co-production franco-germano-japonaise.

13 Caroline Champion, op. cit.

14 Champion, op. cit.

15 Frédéric Strauss, « Les nouveaux délices du cinéma de Naomi Kawase »,Télérama, https://www.telerama.fr/cinema/les-nouveaux-delices-du-cinema-de-naomi-kawase,137535.php Consulté le 19 février 2022.

16 Sylvie Guichard-Anguis, « Les douceurs du Japon, évocations éphémères de la « Beauté japonaise » (Nihon no bi) », L’Artification du culinaire, Sociétés et Représentations, n°34, automne 2012, p. 138.

17 Boutaud, op. cit., p. 92.

18 Roland Barthes, « Cuisine ornementale », Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 128-130.

19 Le film valut au réalisateur d’être élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur pour sa promotion de la gastronomie française.

20 Cette aspiration à ce que nous appellerons ici la muséification de la cuisine reste très présente de nos jours où « les assiettes construites comme des tableaux fonctionnent comme des totalités achevées, mises en scène à l’extrême ». Champion, op.cit. Sur ce sujet, on pourra également lire avec profit : Hors d’œuvre. Essai sur les relations entre arts et cuisine, Chartres, Menu Fretin, 2010.

21 Champion, op. cit.

22 Champion, op. cit.

23 Jean-Yves et Marc Tadié, Le sens de la mémoire, Paris, Gallimard, 1999, p. 197.

24 « Je ne sais ce que c’est » écrit Proust, « mais cela monte lentement ; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées. » Ibidem, p. 197.

25 Boutaud, Le sens gourmand. De la commensalité - du goût - des aliments, Paris, Jean-Paul Rocher éditeur, 2005, p. 14.

26 Expression que nous entendons ici comme processus de transformation d’un objet en œuvre d’art.

27 Minou, Petrowski, (1989). « Gabriel Axel ». Séquences, n°139, mars 1989, p. 39. https://id.erudit.org/iderudit/50530ac Consulté le 28 janvier 2022.

28 « Ce repas, c’est le symbole de l’art. Que ce soit l’art culinaire ou l’art sculptural ». Petrowski, Ibidem, p. 39.

29 https://www.cnrtl.fr/definition/plat Consulté dimanche 13 février 2022.

30 Morain, op. cit.

31 Stéphane Caillet, « La poésie documentaire », Critikat, 16 octobre 2012. https://www.critikat.com/panorama/retrospective/naomi-kawase/ Consulté le 03 mars 2022.

32 La critique du film parue dans L’humanité, bien qu’élogieuse signale ainsi que la « sensibilité exacerbée [du film] confine parfois à la sentimentalité pure et simple et l’on se prend souvent à essuyer une larme. » « Au Japon, ce n’est pas la fin des haricots », https://www.humanite.fr/culture-et-savoirs/japon/au-japon-ce-nest-pas-la-fin-des-haricots-597128 Consulté le 12 janvier 2022.

33 Naomi Kawase renverse la proposition du design culinaire en nous offrant un plat simple à la préparation sophistiquée plutôt qu’une absence de préparation au profit d’un maximum d’effet.

34 Boutaud, op. cit., 91.

35 Ibidem.

36 Zamour, op. cit., p. 19.

37 Voir à ce titre de film de Renaud Victor écrit par Fernand Deligny, Ce gamin-là, 1975 ainsi que l’article de Daniel Terral, « La varlope des mots ou la visualité du langage chez Fernand Deligny », La langue : enjeu de pouvoir ou désir de création ?, Empan, N°88, 2012, p. 76-79. https://www.cairn.info/revue-empan-2012-4.htm Consulté le 30 mars 2022.

38 Ricoeur, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 265.

39 Thomas, Le cinéma japonais d’aujourd’hui. Cadres incertains, Collection « Le spectaculaire », Rennes, PUR, 2009, p. 87.

40 Tokue peut en outre représenter la grand-mère de la réalisatrice que celle-ci a perdue peu avant le tournage du film.

41 Ibidem, p. 13.

42 Ibidem, p. 10-12.

43 Kernabon, op. cit., p. 159.

44 Françoise Zamour, Le Mélodrame dans le cinéma contemporain. Une fabrique de peuples, collection « Le spectaculaire », Rennes, PUR, 2015, p. 10.

45 Comme le rappelle Françoise Zamour cependant, cette terminologie demande à être discutée. Op. cit., p. 21-28.

46 Op. cit., p. 18.

47 Jacques Rancière, Les Temps modernes. Temps, art, politique, Paris, La Fabrique, 2018, p. 61.

48 On se rappelle qu’à la fin du film, Wakana a réintégré le collège et que Sentaro, souriant, appelle à pleins poumons les nombreux badauds d’un parc en pleine floraison, à venir déguster ses dorayakis.

Isabelle Labrouillère

Isabelle Labrouillère est maîtresse de conférences à l’ENSAV (Ecole Nationale Supérieure d’AudioVisuel), école interne à l’Université Toulouse II Jean Jaurès (Laboratoire Lara-Seppia). Titulaire d’un doctorat sur la représentation du monstrueux, elle vient de publier un ouvrage coordonné avec Claire Parkinson, A Critical Companion to Christopher Nolan, aux éditions Lexington. Ses dernières publications questionnent la figuration du corps et du sujet chez des réalisateurs et réalisatrices aussi différent.e.s que David Fincher, Terence Fisher, Jordan Peele, Su Friedrich et Barbara Loden.