La Religieuse, une zone grise bien noire, ou le paradoxe du consentement chez Diderot

Lydia Vázquez

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Lydia Vázquez, « La Religieuse, une zone grise bien noire, ou le paradoxe du consentement chez Diderot », Tropics [En ligne], 12 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 08 novembre 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/2358

La Religieuse de Diderot tourne autour du topos du consentement féminin : Suzanne ne veut pas devenir religieuse mais trompée, pressée, obligée de manière progressive par les différentes instances sociales, se voit obligée à consentir : à entrer dans un couvent, à y prendre l’habit de novice, à faire profession et même à devenir un objet sexuel. Est-ce ce consentement la zone grise qui, comme autorités religieuses, juridiques et parentales le lui rappellent, l’empêche de renoncer à ses vœux puisqu’elle a bel et bien consenti ? L’architecture de ce roman, toute dans la progression jusqu’au paroxysme, permet à Diderot de dénoncer par une gradation apparemment paradoxale, cette zone grise comme une zone noire où on veut piéger, pour la réduire au silence, la voix des femmes soumises au système patriarcal de l’Ancien Régime.

Diderot’s La Religieuse revolves around the topos of female consent: Suzanne does not want to become a nun, but deceived, pressured, and gradually forced by the various social authorities, she is forced to consent: to enter a convent, to take the novice's habit, to make profession, and even to become a sexual object. Is this consent the grey area which, as religious, legal and parental authorities remind her, prevents her from renouncing her vows since she has indeed consented? The architecture of this novel, all in the progression to the climax, allows Diderot to denounce, by an apparently paradoxical gradation, this grey zone as a black zone where one wants to trap, to reduce to silence, the voice of women subjected to the patriarchal system of the Ancien Régime.

Mon père, aussi ma mère
Ont juré par leur foy
Qu’ils me rendront nonnette
Tout en dépit de moy
(Chanson populaire du XVIe siècle)1

La Religieuse, un roman paradoxal

Nombreux sont les spécialistes qui ont insisté sur la pensée paradoxale de Diderot servant à structurer ses œuvres parmi lesquelles, aussi, La Religieuse (posthume, 1796). Jacques Proust le premier, montrant le paradoxe comme « réellement consubstantiel à l’œuvre. Il en commande la structure, les "figures", le style ; il en est la forme ; il lui donne son sens »2. Christophe Martin, en tête de sa réflexion sur ce roman, place un chapitre intitulé « La Religieuse, roman du paradoxe »3. Marco Menin, dans sa remarquable étude sur « Les larmes de Suzanne », souligne le paradoxe de la représentation de la corporéité dans La Religieuse, fondée sur l’importance de la dimension physiologique dans la construction du corps de Suzanne, alors qu’il s’agit bel et bien « d’un corps absent »4. En somme, force est de constater que le paradoxe préside à ce roman tout autant qu’à la réflexion diderotienne sur le comédien. Ce n’est donc pas étonnant que ceci ait été maintes fois signalé. Mais il est certain aussi que l’éventail des paradoxes formels et thématiques semble quasiment infini à l’intérieur de cet ouvrage, allant des traditionnels de l’esthétique post-baroque (humour/colère, rire/larmes)5 ou encore de la littérature érotico-pornographique (« couvent/libertinage »)6 aux plus « modernes » : en effet, on est obligé d’admettre une sorte d’extravagance dans la genèse même de ce roman si pathétique mais dont les origines sont mystificatrices et ludiques ; on voudrait voir aussi, avec Alice M. Laborde, une contradiction entre la réalité avérée de la dégradation morale de l’être humain « s’il réprime constamment les impulsions de sa propre nature » et le fait de l’incorruptibilité de Suzanne7 ; ou encore, avec Jacques Proust, nous amuser à repérer tous les paradoxes scripturaux qu’enferme ce récit8 ; on pourrait se demander pourquoi Diderot voulut garder ce texte dans un tiroir alors que son écriture l’intéressa au point de l’émouvoir et de revenir sur elle à maintes reprises9 ; enfin, on pourrait se questionner sur la cruauté esthétique de Diderot romancier qui, comme le souligne à juste titre Florence Lotterie, veut avant tout provoquer chez le lecteur un effet de plaisir né du frisson10.

L’infantilisation de Suzanne

À la suite, donc, de ces réflexions sur l’essence dialectique, voire contradictoire, de La Religieuse de Diderot, je voudrais ajouter un nouveau paradoxe à cette déjà abondante liste dressée par celles et ceux qui m’ont précédée : ce roman peut être lu comme un plaidoyer féministe en faveur de la liberté du consentement féminin, mais, pour ce faire, Diderot part des différents consentements de Suzanne pour les invalider un à un en tant que fruits de la coercition ou l’aliénation11. En effet, seul le consentement d’un être libre doit être considéré tel. Et c’est pour mieux illustrer ce fait, qui met en branle toute prétendue acceptation de son sort par une femme dans une société où elle n’est rien12, que Diderot écrit ce roman, sous forme de déclaration écrite par une femme enfin devenue libre (et par conséquent maîtresse de ses actes comme de ses paroles).

Rien de moins étonnant donc que cette innocence affichée par la jeune Suzanne, fille obéissante, novice ingénue, religieuse candide car le manque de liberté qu’elle subit, passant d’une autorité parentale tyrannique à une domination despotique à l’intérieur de l’espace conventuel, l’empêche d’atteindre véritablement l’âge de raison13. C’est sans doute pour cela que Diderot commence son histoire à la manière bien connue d’un conte perraultien14, faisant de Suzanne une pauvre bâtarde échappée de l’univers féérique où elle avait été conçue le siècle précédent. En effet, les ressemblances de La Religieuse avec Cendrillon ou La petite pantoufle de verre – 1697 – sont évidentes15. Ainsi, le lecteur reconnaîtra le personnage, l’histoire, et sera d’autant plus persuadé, dès le début du récit, qu’il est face au drame d’une enfant mais, surtout, d’une enfant démunie, jetée, malgré elle, dans la gueule du loup.

Par ailleurs, d’autres indices rangent Suzanne dans l’univers enfantin, malgré ses « seize ans et demi » (LR : 13). Or, ceci est justement la preuve de l’infantilisation des jeunes filles qui, alors, restaient enfermées chez leurs familles ou dans les couvents dans la plus totale ignorance de la vie. Comme l’Églé de Marivaux (La Dispute, 1744 : scène 4), le jour de son entrée en noviciat, elle vit le « stade du miroir » (LR : 17), se reconnaissant, et reconnaissant comme vraies les « flatteries » dont elle avait été l’objet pendant la cérémonie de la part des autres religieuses. Son incapacité à mentir la classe aussi dans ce monde puéril où la vérité ne saurait être déguisée ni le mensonge imaginé.

Approche du concept de consentement

Le consentement féminin est le topos qui déclenche l’intrigue puisqu’il est à l’origine de l’aventure cauchemardesque et cloîtrée de Suzanne Simonin, forcée par sa famille à une vie religieuse qu’elle n’a pas choisie. Pour l’aborder, et illustrer ainsi ce que Benoît Malbranque a dénommé « les bornes du consentement »16, il faudrait auparavant sinon délimiter, du moins nuancer le concept de consentement. Si, de nos jours, le terme est devenu une des notions-clés de l’éthique de la sexualité et même le centre d’une controverse qui oppose philosophes, sociologues, groupes féministes, partis politiques, et même les juristes entre eux17, la question du consentement féminin est objet de réflexion dès l’Antiquité : ainsi, le rapt d’Europe par Zeus, selon l’auteur classique qui le relate ou l’écrivain ou le peintre qui le recrée par la suite, est perçu, soit comme une faveur divine, soit comme un viol. Qu’il nous suffise ici d’évoquer deux toiles du XVIIIe siècle : L’Enlèvement d’Europe de Boucher (1747) où l’on voit une Europe ravie dans les deux sens du terme, et le tableau du même nom de Bernard d’Agesci (1785) où le visage de la princesse phénicienne exprime la terreur et le désespoir de la victime de la violence divine. Cet épisode de la mythologie grécolatine est d’autant plus représentatif de la complexité du consentement qu’il sépare le désir (Europe désire s’approcher du taureau blanc, le caresser, s’asseoir sur sa croupe) de la volonté (mais elle ne veut pas partir avec lui, quitter sa patrie et les siens), distinction sur laquelle insistait déjà Descartes (Les Passions de l’âme, 1649) et qui actuellement fonde en grande partie le litige entre abolitionnistes et légalistes18. Si aujourd’hui l’ONU admet que « le consentement est indifférent » lorsqu’il existe « menace », « recours à la force ou à d’autres formes de contrainte », « enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité », ou « offre ou acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne »19, il n’en était pas de même du temps de Marguerite Delamarre, jeune femme qui inspira le récit de Diderot, où les filles étaient éduquées dans « l’obéissance absolue », « l’humilité » et « la soumission »20. On est encore loin de l’association chère à Kant du consentement au libre arbitre et à la dignité humaine, au point de se demander s’il est légitime de se poser la question du consentement féminin au XVIIIe siècle ou s’il s’agit d’un anachronisme puisqu’il ne saurait y avoir, dans cette société profondément patriarchale, une femme qui soit vraiment libre de consentir ou, pire, de ne pas consentir. C’est sans doute la raison pour laquelle Diderot, dans l’article « Consentement » de l’Encyclopédie (vol. IV) insiste sur le fait que certains individus, entre autres les enfants, ne peuvent être considérés comme des sujets consentants. Et, par conséquent, ils ou elles ne peuvent être ni considérés fautifs ni être punis :

Consentement, sub. m. (Logiq. & Morale.) c'est un acte de l’entendement, par lequel tous les termes d’une proposition étant bien conçûs, un homme apperçoit intérieurement, & quelquefois désigne au-dehors, qu’il y a identité absolue entre la pensée & la volonté de l’auteur de la proposition, & sa propre pensée & sa propre volonté. La négation & l’affirmation sont, selon les occasions, des signes de consentement. L’esprit ne donne qu’un seul consentement à une proposition, si composée qu’elle puisse être ; il faut donc bien distinguer le consentement du signe du consentement : le signe du consentement peut être forcé ; il n’en est pas de même du consentement. On a beau m’arracher de la bouche que mon sentiment est le même que celui de tel ou de tel, cela ne change point l’état de mon ame. Le consentement est ou exprès, ou tacite, ou présumé, ou supposé : il s’exprime par les paroles ; on l’apperçoit, quoique tacite, dans les actions ; on le présume par l’intérêt & la justice ; on le suppose par la liaison des membres avec le chef. Les misantropes rejetteront sans doute le consentement présumé ; mais c'est une injure gratuite qu’ils feront à la nature humaine ; il est fondé sur les principes moraux les plus généraux & les plus forts : les difficultés qu’on pourroit faire sur le consentement supposé, ne sont pas plus solides que celles qu'on feroit sur le présumé. Le pacte exprès naît du consentement exprès ; le tacite, du tacite ; le présumé, du présumé, & le supposé du supposé. Le consentement de l’enfance, de la folie, de la fureur, de l’ivresse, de l’ignorance invincible, est réputé nul : il en est de même de celui qui est arraché par la crainte, ou surpris par adresse ; en toute autre circonstance, le consentement fonde l’apparence de la faute, & le droit de châtiment & de représaille. Voyez Pacte.

Mais la femme n’est-elle pas un enfant puisque la société de l’Ancien Régime, la traitant en mineure, lui refuse toute liberté, toute capacité de décision personnelle ? C’est ce que semble affirmer Diderot dans son récit21.

Or, la récurrence du terme même dans le roman de Diderot est un indice qu’on ne peut négliger. Mieux, toute l’intrigue du récit tourne justement autour de ce questionnement : lorsqu’une jeune fille est abusée, trompée, victime d’un abus d’autorité, menacée, punie, voire torturée, peut-on prendre en compte son consentement ou bien, en bonne conscience, faute de justice, son consentement devrait-il être considéré comme indifférent ? Diderot, fin connaisseur des coulisses des couvents22, construit une narration autour de cet abus consistant à forcer une jeune fille à admettre un sort tout tracé par une autorité parentale tyrannique complice de tout le système religieux, social et politique23. Il n’est pas de zone grise qui vaille pour l’auteur car le tableau, qu’il dépeint en peintre averti, est bien noir. Mais il bâtit en même temps un « document » rédigé à la première personne, car sous forme de lettre, qui, de par sa nature écrite, acquiert une valeur de témoignage authentique validant ainsi, par la parole féminine vraie, la véritable volonté de la jeune fille, en tout opposée à son consentement arraché de force. Cette opposition fait toute la tension du roman, articule sa progression, constitue sa charpente même, une structure paroxystique où chaque résistance, sous forme de refus, souvent réitéré, ou de silence, de la part de l’héroïne, déclenche la riposte implacable de la machine sociale aliénante qui se conclut par la défaite « consentie » de Suzanne, par l’anéantissement de sa volonté comme individu. Seule la parole écrite, décrivant toutes les injustices et les horreurs subies, sauvera cette jeune fille et ouvrira la voie à la libération de tant d’autres. En effet, contre la parole sibylline de tous ses bourreaux, de ces artificiers au service du pouvoir, glissée de manière subreptice, soufflée à l’oreille comme un venin distillé, et ensuite niée publiquement, se dresse le monument du document écrit. Ici, la forme romanesque est au service de la dénonciation du discours officiel, et face à l’hypocrisie de ce dernier, elle apparaît comme garant de vérité. De cette vérité qu’est le bâillonnement des femmes par le système patriarchal de l’Ancien Régime.

Antécédents littéraires de la mise en récit du non-consentement féminin à travers le topos de « la religieuse malgré elle »

Comme le signala à juste titre Georges May dans son essai canonique sur Diderot et La Religieuse24 (1954), Diderot n’est pas le premier à mettre en récit le topos romanesque de « la religieuse malgré elle », ou « malgré soi » (LR : 27), comme se définit Suzanne elle-même. Or, la thématique du consentement se trouve particulièrement exploitée dans l’œuvre de Brunet de Brou, La Religieuse malgré elle. L’auteur, dans sa préface de cette « Histoire véritable »25 affirme que « Quoi qu’il n’y ait dans les couvents que trop de ces victimes qui aient été forcées d’embrasser l’état religieux, aucun auteur n’a encore écrit sur cette matière que l’intérêt a rendu commune ». Brunet de Brou justifie son choix thématique dans le but de faire voir « aux pères et aux mères qu’ils doivent toujours laisser leurs enfants libres dans le choix de leur état »26. Ici, le destin tragique de Florence est dicté par l’argent : « La passion avide des richesses cause dans le monde de grands désordres […]. C’est souvent cette raison d’intérêt qui oblige les pères et les mères à choisir la vocation de ses enfants »27. Si Diderot imagine la jeune fille vouée au cloître en bâtarde, c’est pour recréer l’ambiance « bleue » et aussi pour ajouter une dimension morale au roman sous forme de dilemme, mais au fond l’histoire est la même : la cupidité des deux filles légitimes empêche Suzanne d’avoir un destin séculaire comme ses sœurs. Il en est de même avec la Florence de La Religieuse malgré elle. Alors que dans La Religieuse, Suzanne est immolée à ses deux sœurs, ici, Florence, extrêmement douée28 et très belle, est sacrifiée à son frère Xerxès. Ainsi, elle est enfermée dans un « monastère » à huit ans, où elle était l’objet de l’admiration et de l’affection de toutes les pensionnaires comme elle et de toutes les religieuses, jusqu’à ce que son père, le marquis la ramène à son château (ibid. : 80-81). Elle y tombe vite amoureuse de son prétendant, le comte de ***, attiré par sa beauté et son esprit, mais ses parents veulent laisser toute leur fortune à leur fils et décident de la condamner au cloître. Comme dans le cas de Suzanne, au début on essaie de la persuader mais, n’arrivant pas à lui arracher son consentement, on use de la violence pour la soumettre à la volonté parentale : « Dans les commencements ce n’était que caresses et amitiés, et sur la fin ce n’était que menaces et que mauvais traitements » (ibid. : 88). Le chantage religieux de la peur de l’enfer n’y manque pas. En effet, la crainte du « monde » qui pervertit les jeunes filles, les vouant au feu éternel, est à l’origine de beaucoup de vocations précoces, provoquées, bien entendu, car manipulées, durant l’Ancien Régime29 : « Ils [ses parents] lui [à Florence] disaient que dans le monde on se sauvait très difficilement et que sa voie [celle du mariage avec le comte de ***] était plutôt le chemin de la perdition que celui du Ciel »30. Puisque Florence refuse de prendre ce parti, elle est enfermée dans une chambre, comme Suzanne après sa protestation publique à Sainte-Marie contre ses vœux forcés, où son malheur lui fait proférer cet éloquent monologue :

Malheureuse que je suis, faut-il que le Ciel n’ait pas fait naître fille de quelque paysan, je serais cent mille fois plus heureuse, je pourrais faire usage de ma liberté ; et je suis bien plus esclave que ceux qui sont enchaînés. Ceux qui devraient contribuer à mon bonheur, continuait-elle, veulent me sacrifier pour le reste de mes jours, afin que Xerxès reste leur unique héritier. La mort ne viendra-t-elle point enlever une infortunée, que ceux qui lui ont donné la vie, préparent à des tourments qui ne finiront qu’avec elle ! Chaque jour la douleur et le chagrin lui faisaient prononcer ces tristes paroles. Elle vivait de sanglots, de larmes et de soupirs. Bien loin que sa triste situation émût de compassion le marquis et Lucrèce [sa mère], ces deux barbares ne lui parlaient que pour la menacer ; ils ne la faisaient plus manger à leur table ; ils faisaient tous les jours porter dans sa chambre des livres de dévotion, afin qu’elle apprît par avance à faire la méditation. Le chagrin possédait trop vivement son esprit pour qu’elle s’occupât à la lecture. Son âme étaie ensevelie dans un abîme d’amertumes qui lui paraissent plus sanglantes que la mort. On ne perd la vie qu’une fois, disait-elle : dans le couvent je mourrai à tout moment d’ennui, de douleur et de désespoir31.

Finalement le marquis et Lucrèce emmènent leur fille au couvent, mais craignant le non-consentement de Florence et le scandale qui s’en suivrait, promettent à l’abbesse une dot bien supérieure à celles des autres religieuses si elle arrive à la persuader de prendre l’habit32. À quatorze ans, non consentante mais soumise à l’autorité parentale, elle dut, « malgré sa résistance, et qu’elle alléguât plusieurs raisons solides »33, « obéir aveuglement » ses parents et devenir novice. Le noviciat devient pour Florence le début d’un véritable martyre :

Florence pendant son noviciat tomba malade : l’austérité de la règle, jointe au peu de disposition qu’elle avait à en pratiquer les devoirs, y contribuèrent beaucoup. Sa maladie qui dura six mois la rendit méconnaissable ; elle devint maigre et sèche. La mort ne voulut pas l’enlever ; elle la réservait pour lui faire souffrir maux sur maux, et douleurs sur douleurs34.

Comme pendant sa convalescence elle ne peut accomplir ses devoirs religieux, huit mois après (il lui fallut deux mois pour se rétablir), elle doit recommencer, tout comme Suzanne, son noviciat depuis le début. Comme les parents de Suzanne, le marquis et Lucrèce furent très contrariés de voir sa profession ainsi retardée. De même que Suzanne croit pouvoir recouvrer sa liberté après l’établissement de ses sœurs, Florence pense qu’après l’engagement précoce et volontaire de son frère dans l’armée, ses parents changeront d’avis et la sortiront du couvent. Mais « leur barbarie à son égard n’avait point cessé »35 et enfin le jour fatidique arriva où elle se vit forcée à signer malgré elle l’arrêt de son enfermement définitif :

Le jour destiné pour sa profession, ils [les parents] se rendirent au monastère avec plusieurs de leurs parents et amis. Un fameux prédicateur avait beau dire à cette novice que l’était qu’elle embrassait, et les vœux qu’elle faisait, l’attachaient au Créateur par des chaînes douces et pleines d’une suavité qu’on ne peut trouver dans le monde. Ce discours éloquent la toucha peu ; la grâce n’opérait pas avec son activité ordinaire ; son cœur avait trop d’aversion pour le cloître, pour en ressentir les doux effets. Enfin elle signa l’arrêt de sa condamnation. Pendant ce jour ce n’est que réjouissances dans les couvents, et ce ne fut pour elle qu’un jour de malheur qui lui devait préparer de supplices sans fin36.

Or Florence, « trois mois après sa profession, prie une demoiselle de ses amies d’amener aux grilles le notaire devant lequel elle fit sa réclamation contre ses vœux, disant qu’elle avait été forcée par son père et par sa mère »37, et y insista pendant trois ans sans que cela eût de suites. En effet, rien n’était plus difficile que réussir à se faire entendre dans ce cas. Comme le souligne Geneviève Reynes,

elles [les religieuses malgré elles] devaient d’abord apporter la preuve qu’elles étaient entrées en religion « par force » ou « par crainte » (les deux motifs acceptés par le concile [de Trente] pour prononcer la résiliation des vœux), et cette preuve était presque impossible à fournir. La famille niait toujours, les témoins manquaient, et le couvent accusait la religieuse de mensonge38.

La suite baroque de l’histoire de Florence : aventure amoureuse avec un cordelier, grossesse, mort du frère à la guerre, mort du père à cause du chagrin de la perte du fils, fuite de la fille (travestie en moine) du couvent, permet une réflexion de Lucrèce totalement absente chez la mère coupable de Suzanne :

Lorsque cette mère apprit la déroute de sa fille, elle ne put s’empêcher de verser des larmes. C’est moi, disait-elle, qui l’ai forcée d’être religieuse, afin que notre fils restât notre unique héritier ; la guerre me l’a ravi, et pour comble de malheurs, Florence vient de faire un coup qui la rend infâme : ô mère infortunée, s’écriait-elle, que tu es à plaindre, le Ciel veut dès ce monde punir ta préférence et du sacrifice que tu as fait d’une victime qui te donne bien de malédictions39.

Mais ceci n’empêche pas la mère de Florence de vouloir piéger de nouveau sa fille pour l’attirer à nouveau dans le couvent et taire ainsi le scandale possible qu’aurait provoqué sa fuite. Le retour au cloître ressemble au supplice subi par Suzanne à Longchamp sous les ordres de la sœur Sainte-Christine : « Dans le couvent elle était enfermée dans sa chambre, de laquelle elle ne pouvait sortir : les pénitences et les disciplines furent exercées sur son corps. »40. De nouvelles aventures, sous divers déguisements masculins, lors d’un parcours européen plein de sursauts qui n’est pas sans rappeler les aventures de la Justine et de la Juliette de Sade, conduisent Florence, après une deuxième fuite, jusqu’à Rome, plaider sa cause auprès du Pape, à nouveau sans succès. Ainsi, de malheur en malheur, comme dit l’auteur même de cette histoire, nous arriverons à la mort tragique de cette victime de la tyrannie sociale et parentale de l’Ancien Régime, et dont l’être suprême paraît complice : cette « infame apostate »41 meurt comme la Justine de Sade (!), frappée par la foudre, faute d’avoir pu changer les normes d’un monde qui lui était en tout hostile.

Diderot, moins tragique mais plus pathétique, plus réaliste surtout, reprend tous ces lieux communs inspirés d’une réalité sociale attestée pour dénoncer le sort fatal de ces enfants vouées à l’enfermement contre leur gré, en insistant, comme le faisait déjà Brunet de Brou, mais avec moins de fantaisie romanesque et plus de fermeté, sur l’inhumanité de la machine infernale à l’œuvre qui empêchait ces jeunes filles, véritables victimes, de dire non, car leur parole n’avait aucune validité face à la mainmise des différentes instances sociales.

L’art de la gradation au service d’une mise en question du consentement féminin

Pour éviter les abus des parents avec certaines de leurs enfants, le concile de Trente établit l’âge minimum de la prise d’habit à douze ans et à seize ans celui de la profession42. Suzanne dépasse donc ces limites puisqu’elle devient novice à seize ans et demi et qu’elle ne fait profession que deux ans après, c’est-à-dire à dix-huit ans. Si Diderot fait de Suzanne une fille majeure, c’est pour mieux dénoncer cette enfance plus ou moins permanente dans laquelle on plongeait les jeunes filles, et pour déclarer haut et fort que, malgré les efforts du concile de Trente, le phénomène des vocations forcées continue d’être une réalité au XVIIIe siècle, quel que soit l’âge de ces enfants soumises.

C’est ainsi que Diderot introduit la problématique du consentement féminin sous l’Ancien Régime et, pour que le lecteur comprenne mieux comment une jeune femme arrive à ruiner « volontairement » sa vie, il met en scène, ou en tableaux43, ce long chemin de croix que suppose le consentement par gradation. Grâce à ce concept de « gradation », cher à la pensée rationaliste du XVIIIe siècle44, Diderot expose un éventail très complet des possibilités de faire fléchir la volonté d’une jeune fille jusqu’à l’obtention de son consentement. Et ce, in crescendo.

Si l’âge avancé de Suzanne et son caractère ferme font d’elle une « victime difficile » de cette société patriarchale, il n’est pas moins vrai que le système a des mécanismes qui font fléchir la volonté des plus fortes. Il suffit donc de connaître l’art de la gradation : on commencera par la persuasion, on finira par les punitions les plus terribles, tortures comprises.

Voyons comment expose Diderot cet art de la gradation servant à annuler la volonté de l’individu féminin, et à notre auteur à montrer la perversion de la machine panoptique du pouvoir conventuel, spéculaire du pouvoir sociopolitique (profondément misogyne) de l’Ancien Régime.

Ainsi, le premier consentement a lieu à Sainte-Marie où Suzanne entre de bon gré : « on me dit qu’on avait arrêté ma place dans un couvent, et dès le lendemain j’y fus conduite. J’étais si mal à la maison que cet événement ne m’affligea point ; et j’allai à Sainte-Marie, c’est mon premier couvent, avec beaucoup de gaieté. » (LR : 13), même si « on avait arrêté [sa] place dans [ce] couvent », autrement dit, on avait pris la décision sans la consulter. Ce premier consentement est oral, mais comme ce premier séjour a l’air temporaire, Suzanne ne s’en soucie pas et ses parents et la supérieure du couvent ne considèrent pas nécessaire un consentement écrit.

Il en va autrement de la décision de son entrée en noviciat, une fois ses sœurs « placées » et juste quand Suzanne se croit sur le point de recouvrer sa liberté. Le père Séraphin et la supérieure de Sainte-Marie, de commun accord, essaient de tromper Suzanne lui présentant le noviciat comme un fait réversible. Même si elle sent qu’on voulait « l’enterrer […] toute vive » (LR : 14), elle permet à la supérieure d’écrire à ses parents une lettre où « on finissait par donner mon consentement »45 (LR : 15-16). Soumise à un arrêt familial dont la société et le couvent sont complices, son consentement par délégation lui est arraché une fois que sa volonté a été anéantie : « Je n’entendais rien, je ne voyais rien, j’étais stupide ; on me menait et j’allais, on m’interrogeait et l’on répondait pour moi. » (LR : 16). Double consentement passif, donc, un par écrit, l’autre oral, le jour de la prise d’habit où les religieuses répondent à sa place car elle a perdu, symboliquement, l’usage de la parole.

Une fois le noviciat conclu, une lettre de sa famille lui annonce qu’elle doit renouveler ses vœux, cette fois pour toujours (LR : 20-21). La supérieure tente un chantage : ses parents sont ruinés après avoir marié ses sœurs, le bruit de sa profession prochaine s’est répandu dans le monde, avant de tester ouvertement la volonté de Suzanne : Trois fois elle lui pose la question, trois fois, comme saint Pierre, elle nie sa foi : « Voulez-vous faire profession ? – Non, Madame. – Vous n’avez aucun goût pour l’état religieux ? – Non, Madame. – Vous n’obéirez point à vos parents ? – Non, Madame. » (LR : 22). Et elle conclut « Je ne veux pas l’être [religieuse], je ne le serai pas. » Et à la supérieure de feindre d’accepter son refus à consentir : « Eh bien, vous ne le serez pas » (LR : ibid.). Ce « on » qui symbolise autant les autorités conventuelles et religieuses que sociales et parentales, décide de se passer du consentement de Suzanne et de la forcer à prendre le voile : « on ne négligea rien pour obtenir mon consentement46, mais quand on vit qu’il était inutile de le solliciter, on prit le parti de s’en passer […] et je vis clairement qu’on était résolu à disposer de moi sans moi. ». Les bonnes paroles laissent la place aux mauvais traitements : on l’enferme, on l’isole, on la terrorise, de sorte qu’elle était « dans un état déplorable ». Elle décide donc de faire semblant d’accepter la volonté de ses parents mais dans le but de « protester publiquement contre la violence qu’on méditait. » (LR : 23). Elle imagine l’effet que doit faire au public présent à la cérémonie l’image d’une « jeune fille protestant à haute voix contre une action à laquelle elle paraît avoir consenti. »47 (LR : 24). Et « le moment terrible arriva », c’est-à-dire, le jour de la cérémonie de la profession où elle prétend exercer son droit au à décider. Comme lors de la cérémonie de l’entrée en noviciat, Suzanne apparaît défaillante devant « les assistants » : « ils voyaient une jeune victime mourante qu’on portait à l’autel, et il s’échappait de toutes parts des soupirs et des sanglots » (LR : 26). Malgré son état, ses réponses au président de la profession ne peuvent pas être plus claires :

Marie-Suzanne Simonin, promettez-vous de dire la vérité ? – Je le promets. – Est-ce de votre plein gré et de votre libre volonté que vous êtes ici ? – Je répondis, non, mais celles qui m’accompagnaient répondirent pour moi, oui. – Marie-Suzanne Simonin, promettez-vous à Dieu chasteté, pauvreté et obéissance ? – J’hésitai un moment, le prêtre attendit, et je répondis : Non, Monsieur. – Il recommença : Marie-Suzanne Simonin, promettez-vous à Dieu chasteté, pauvreté et obéissance ? – Je lui répondis d’une voix plus ferme : Non, Monsieur, non. – Il s’arrêta et me dit : Mon enfant, remettez-vous et écoutez-moi. – Monsieur, lui dis-je, vous me demandez si je promets à Dieu chasteté, pauvreté et obéissance, je vous ai bien entendu, et je vous réponds que non… Et me tournant ensuite vers les assistants entre lesquels il s’était élevé un assez grand murmure, je fis signe que je voulais parler ; le murmure cessa et je dis : « Messieurs, et vous surtout, mon père et ma mère, je vous prends tous à témoins… » À ces mots une des sœurs laissa tomber le voile de la grille, et je vis qu’il était inutile de continuer48. (LR : 26)

Pour la deuxième fois, Suzanne manifeste oralement son non-consentement à devenir religieuse. Mais cette fois elle le fait devant témoins dans un acte officiel. Même si le concile de Trente manifeste sa protection des religieuses « malgré elles » et menace d’excommunication les parents qui forceraient leurs filles à prendre le voile, même si la législation française reconnaissait la possibilité d’une demande de nullité de vœux de la part d’une nonne jusqu’à cinq ans après sa profession (Reynes, 1987 : 44), Suzanne va être chassée du couvent et accueillie par sa mère comme une proscrite, avant d’être enfermée dans une chambre chez ses parents, une vraie prison où elle languit seule, sans parler à personne, pendant six mois (LR : 28). Après avoir appris sa naissance illégitime, ses efforts pour s’affranchir de sa famille restent vains, de sorte qu’elle décide finalement de suivre « la voix du Ciel », « et il est rare qu’[…] elle ne vous conseille pas d’obéir. » : « On veut que je sois religieuse, peut-être est-ce aussi la volonté de Dieu, eh bien, je le serai. » (LR : 36). Sa volonté est fléchie et, comme elle le dit elle-même, elle signe son « arrêt de mort » en bas d’une lettre adressée à sa mère où elle consent à entrer en religion puisque c’est la volonté de ses parents (ibid.). Après avoir proclamé son refus oralement, elle se dédit par écrit, ce qui fait « le bonheur » (ibid.) de sa mère et de son père. Pour en être totalement sûr « on » l’engage à écrire à la supérieure dans le même sens, car on sait, tout comme Suzanne, que cet écrit est la preuve de son consentement, quoiqu’elle ait dit auparavant : « on craignait apparemment qu’un jour je ne revinsse contre mes vœux, on voulait avoir une attestation de ma propre main qu’ils avaient été libres. » (LR : 37). D’ailleurs, Suzanne, dans une des incises de sa lettre au marquis de Croismare, admet que les circonstances dans lesquelles ce consentement est arraché (chantage maternel après six mois d’isolement et d’enfermement) ne pouvaient être ni « alléguées » parce qu’« on avait la preuve de ce qui était contre moi. » (LR : 39).

Elle est conduite au couvent de Longchamp. Comme la Florence de Brunet de Brou, elle doit refaire son noviciat « et avec toutes les apparences de postuler de mon plein gré. » (ibid.). Les deux ans de noviciat dans ce couvent dont la vie s’avère « plus douce » qu’à Sainte-Marie, passent vite. Madame de Moni, la supérieure, devient une véritable mère de substitution pour Suzanne. À la veille de sa profession, la supérieure veut connaître sa volonté : « On le veut, il le faut est la seule idée qui me vienne », répond Suzanne à madame de Moni (LR : 44-45). Prête à consentir, le désir en est absent (« j’obéis à mon sort […] sans goût », LR : 44), seule la soumission à cette autorité représentée par ce « on » omniprésent fait surface dans cet état de « stupidité », d’« imbécillité » (ibid.) où elle se trouve. Le moment venu, « presque réduite à l’état d’automate » (LR : 45), elle n’a nulle conscience de ce qui se passe :

L’assemblée était peu nombreuse ; je fus prêchée bien ou mal, je n’entendis rien. On disposa de moi pendant toute cette matinée qui a été nulle dans ma vie, car je n’en ai jamais connu la durée ; je ne sais ni ce que j’ai fait, ni ce que j’ai dit. On m’a sans doute interrogée, j’ai sans doute répondu, j’ai prononcé des vœux, mais je n’en ai nulle mémoire, et je me suis trouvée religieuse aussi innocemment que je fus faite chrétienne : je n’ai pas plus compris à toute la cérémonie de ma profession qu’à celle de mon baptême. (LR : 46)

Infantilisée, Suzanne l’est, au point d’être aussi inconsciente de son entrée en religion que de son adhésion à la chrétienté. La cérémonie veut qu’elle signe ses vœux pour qu’il existe une trace écrite de son consentement, fait auquel elle ne croit pas, tellement la conscience lui a manqué à l’instant de dire oui lorsque son « cœur dit non » :

Je demandai s’il était bien vrai que j’eusse fait profession ; je voulus voir la signature de mes vœux ; il fallut joindre à ces preuves le témoignage de toute la communauté, celui de quelques étrangers qu’on avait appelés à la cérémonie. M’adressant plusieurs fois à la supérieure, je lui disais : Cela est donc bien vrai ?… et je m’attendais toujours qu’elle allait me répondre : Non, mon enfant, on vous trompe… Son assurance réitérée ne me convainquait pas, ne pouvant concevoir que dans l’intervalle d’un jour entier aussi tumultueux, aussi varié, si plein de circonstances singulières et frappantes je ne m’en rappelasse aucune. (LR : 46-47)

Le couvent est désormais, sous les ordres de la supérieure Sainte-Christine, adepte des « opinions nouvelles », la vie dans le couvent pour celles qui ne sauraient se plier aux nouvelles règles devient un cauchemar. Suzanne, qui n’entend pas pratiquer « ces exercices de pénitence qui se font sur le corps » (LR : 50) ni réaliser des actions contraires aux « constitutions » (LR : 52), et qui n’approuve pas l’hypocrisie de la supérieure et de ses favorites qui avaient des « intimités suspectes », va réussir à se faire « craindre » et « haïr » (LR : 53). Le chapitre des coulpes va permettre à la supérieure de lui « rendre la vie dure » (ibid.) : la « nouvelle » pratique conventuelle veut qu’à des intervalles réguliers, voire une fois ou deux par semaine, chaque religieuse s’accuse devant les autres des fautes commises, et reçoive la punition qui correspond auxdits écarts. Si une nonne « oublie » de s’accuser, elle peut être dénoncée par des sœurs « zélatrices », et elle n’a pas le droit de réplique. Les constitutions de chaque ordre donnent une liste précise des différentes punitions, selon que la faute commise soit légère (« première coulpe »), moyenne (« seconde coulpe »), grave (« troisième coulpe ») ou exécrable (« quatrième coulpe »)49. Nous allons voir que Suzanne va être systématiquement accusée de toutes ces « coulpes », de sorte qu’elle subira des châtiments constants, allant des plus légères peines aux pires tortures dans une gradation presque sadienne. Par les punitions décrites par Suzanne, on peut aisément supposer qu’on lui attribue toute sorte de coulpes de manière que, de pénitence en pénitence, elle aura envie de s’« affranchir » de la vie « par des moyens violents » (LR : 54) : sa coulpe première étant de ne pas avouer publiquement ses fautes, qu’elle ne sait avoir commises, les autres se suivent les unes après les autres : comme « on avançait les heures des offices, des repas » (LR : 53), elle a la première coulpe, celle de négliger les offices ou arriver en retard au réfectoire50 ; parfois elle s’absente d’un exercice puisqu’on ne l’a pas avertie ou on lui donne « des ordres incompatibles » (seconde coulpe) ; « on dérangeait des choses » qu’elle avait « bien faites » ou on lui « supposait des discours et des actions » sans autorisation, qui rompaient le silence ou la discipline (troisième coulpe) ; ou encore qui étaient blasphématoires, qui supposaient la désobéissance à la supérieure (quatrième coulpe) (LR : 53-54). Les punitions vont de pair avec les coulpes qui lui sont attribuées : « j’en fus châtiée de la manière la plus inhumaine : […] à vivre de pain et d’eau, à demeurer enfermer dans ma cellule », punition typique de la troisième coulpe ; « on me condamna des semaines entières à passer l’office à genoux » (LR : ibid.), châtiment propre de la quatrième coulpe (Reynes, 1987 : 115). C’est alors que Suzanne décide de renier son consentement, de « faire résilier » ses vœux (LR : 56).

Pour ce faire, Suzanne doit « dresser un mémoire », c’est-à-dire, consigner son non-consentement à ces vœux forcés, puis, de « le donner à consulter » (LR : 57), c’est-à-dire le transmettre à un avocat pour entreprendre l’action en justice. Or, cette faute, vouloir quitter la clôture après avoir fait profession, est la plus grave de toutes. Jean-Baptiste Thiers, auteur d’un Traité de la clôture des religieuses (1681), met en garde contre ces religieuses « rebelles ». Dans le chapitre XXVIII, intitulé « Si les religieuses peuvent sortir de leur clôture pour corriger d’autres religieuses rebelles, insolentes, brouillonnes, ou convaincues de quelque faute considérable », il traite des premières, c’est-à-dire, des supérieures particulièrement préparées pour « corriger » ces « rebelles » mais aussi de ces dernières, qu’on doit faire sortir d’un couvent où elles ont pu provoquer le scandale au sein de la communauté pour les transférer dans un autre couvent. Nous avons vu que c’était le cas de Suzanne, accueillie à Longchamp après avoir refusé de consentir à la prise du voile. Or, Thiers explique que ce transfert n’est guère efficace et que le mieux c’est de les enfermer à vie :

Cependant il semble qu’il vaudrait mieux resserrer ces dernières dans une prison perpétuelle, que de les faire mener ailleurs pour y être punies, ou que de faire sortir leurs supérieures de leur clôture pour les punir ; tant parce que cette conduite serait plus secrète, et par conséquent moins scandaleuse, qu’à cause qu’il se pourrait souvent rencontrer de semblables religieuses qui, ennuyées de leur état, pour lequel n’ont peut-être point de vocation, feindraient d’être incorrigibles, pour avoir de là l’occasion de sortir de tous les monastères dans lesquels on les voudraient retenir en clôture, ou d’y vivre dans une entière liberté, pour ne pas dire dans un entier libertinage51.

Il est aisé, donc, de supposer que Suzanne connaît « le danger » (LR : 57) de sa démarche. Si on soupçonne que, pour la deuxième fois, elle veut provoquer le scandale dans le couvent, on va l’isoler, la torturer encore plus et, qui sait, peut-être la murer dans un de ces cachots in-pace où on était condamnée à une mort lente et atroce52. Malgré ses précautions, elle est vite soupçonnée. Dès lors, les punitions sont désormais remplacées par une surveillance continuelle, à la recherche de ces traces écrites qui pourraient compromettre l’équilibre et le bon fonctionnement de la communauté. La peur du témoignage écrit qui prouve le « consentement par force » ou « par crainte » est évident. La supérieure l’accuse « de tout » (LR : 60), mais surtout d’avoir écrit « ces papiers » qu’on n’a plus retrouvés sur elle ni dans sa cellule, car elle les a donnés à la seule religieuse qui demeure son amie (LR : 58). La punition la plus sévère ne se fait pas attendre : elle est déshabillée, traînée dans les corridors du couvent et enfermée dans un cachot souterrain et humide, au pain noir et à l’eau, où elle croit être « pour toute sa [ma] vie » (LR : 62). Après trois jours éprouvants où elle faillit « se détruire » (ibid.), Suzanne récupère sa place parmi les autres religieuses et apprend par son amie que ses papiers sont dans les mains d’un avocat et que donc la résiliation de ses vœux pourra se poursuivre publiquement. Or, son amie la met en garde contre « la fureur de la communauté » (LR : 66), mais Suzanne sait que cette « protection des lois » lui procurera plus de « liberté » et que : « On me sollicitera, on me présentera le tort que je vais me faire à moi-même et à la maison, et comptez qu’on ne viendra aux menaces que quand on aura vu que la douceur et la séduction ne pourront rien » (ibid.).

Suzanne, par l’intermédiaire de M. Manouri, avocat, obtient la permission de Rome de réclamer contre ses vœux (LR : 71)53. Elle prévoit l’opposition de ses sœurs et de ses beaux-frères, trop soucieux de la voir réclamer son dû et c’est pourquoi elle leur envoie un « désistement » écrit « par acte authentique de toutes ses [mes] prétentions à la succession de son [mon] père et de sa [ma] mère » (LR : 71). Après ce consentement explicite à laisser à ses sœurs toute la fortune familiale, elle doit faire face à la supérieure, qui lui reproche d’avoir donné son consentement à des vœux qu’elle déclare forcés, à quoi la religieuse réplique :

Comment, sœur Sainte-Suzanne, me dit-elle, vous voulez nous quitter ? – Oui, Madame. – Ne les avez-vous faits librement ? – Non, Madame. – Et qui est-ce qui vous a contrainte ? – Tout. – Monsieur votre père ? – Mon père. – Madame votre mère ? – Elle-même. – Et pourquoi ne pas réclamer au pied des autels ?54 – J’étais si peu à moi que je ne me rappelle même d’y avoir assisté. Pouvez-vous parler ainsi ? – Je dis la vérité. – Quoi, vous n’avez pas répondu que oui ? – Je n’en ai pas mémoire. – Et vous imaginez que les hommes vous en croiront ? – Ils m’en croiront ou non, mais le fait n’en sera pas moins vrai. […]. Si vous n'étiez pas appelée, si vous étiez contrainte, que ne le disiez-vous quand il en était temps ? Et à quoi m’aurait-il servi ? […] Que n’appeliez-vous un homme de loi ? que ne protestiez-vous ? Vous avez eu les vingt-quatre heures pour constater votre regret. Savais-je rien de ces formalités ? Quand je les aurais sues, étais-je en état d’en user ? quand j’aurais été en état d’en user, l’aurais-je pu ? (LR : 72-73)

Toutes les réponses de Suzanne vont en effet dans le sens de la non-validation du consentement féminin car les circonstances font qu’il n’est nullement libre, voire pas même conscient. Ainsi conclue-t-elle : « Quoi, vous quitterez sans remords ce voile, ces vêtements qui vous ont consacrée à Jésus-Christ ? – Oui, Madame, parce que je les ai pris sans réflexion et sans liberté. » (LR : 74). La supérieure, voyant que rien ne fléchit la volonté de Suzanne, l’accuse du dernier des crimes : « vous êtes possédée du démon, c’est lui qui vous agite » (ibid.) car en effet, seulement ainsi elle pourrait justifier son comportement violent envers cette religieuse, et c’est ainsi qu’elle la dénonce devant toute la communauté après l’office, car si elle « est sur le point de se porter à une action sacrilège aux yeux de Dieu et honteuse aux yeux des hommes », c’est que Dieu « l’a abandonnée » (LR : 77). Désormais, on la harcèle, on cherche à l’effrayer avec des cérémonies absurdes pour qu’elle revienne sur sa décision de rompre ses vœux :

À la fin de l’office, on me fit coucher dans une bière au milieu du chœur ; on plaça des chandeliers à mes côtés avec un bénitier ; on me couvrit d’un suaire, et l’on récita l’office des morts, après lequel chaque religieuse en sortant me jeta de l’eau bénite en disant, Requiescat in pace. (LR : 78-79)

Nous savons ce que reposer in pace veut dire dans un couvent : être enfermée dans un cachot jusqu’à ce que mort de faim et de soif s’en suive. À ces mises en scène grotesques, suivent toute sorte de mortifications, dont l’isolement le plus complet car « l’on défendit sous peine de désobéissance à toutes les religieuses de me parler, de me secourir, de m’approcher et de toucher même aux choses qui m’auraient servi. » (LR : 79). On refuse de lui servir à manger, elle quémande de la nourriture et on lui dépose par terre « des mets qu’on aurait eu honte de présenter à des animaux » (LR : 81). La gradation tortionnaire, toute terrible qu’elle soit, n’a rien d’exceptionnel si l’on en croit aux témoignages de l’époque, qui répertorient ces pratiques parfois même exercées de manière volontaire : interdiction du sommeil et la nourriture, flagellation, mélange de cendre et d’absinthe aux aliments pour les rendre amers, exposition au froid, aliments servis par terre55. À cela il faut ajouter la surveillance au parloir, le vol, le dépouillement de tous les meubles de sa cellule, l’interdiction de confession, le manque d’hygiène car on l’empêche de se laver, de laver ses vêtements et on la prive des « vaisseaux les plus nécessaires » (LR : 79-83). De plus on la terrorise la nuit, pénétrant dans sa cellule, poussant des cris, tirant son lit, cassant ses fenêtres… (LR : 82). Finalement on fait courir le bruit qu’elle converse « avec les revenants et les mauvais esprits », de sorte qu’elle devient, grâce à la mauvaise foi de ses bourrelles et à la crédulité du reste, la réincarnation de Satan, lui attribuant « des desseins et des actions que je n’ose nommer et des désirs bizarres » (LR : 83). On lui attribue ainsi d’avoir renoncé à son chrême et à son baptême, de grincer des dents et de frémir dans l’église, de se tordre les bras à l’élévation du Saint-Sacrement, de ne plus porter son rosaire, de fouler le crucifix aux pieds, autant de symptômes de sa possession démoniaque (LR : 85). En somme, conclut Suzanne :

Aussi tandis que je redoublais de ferveur et de prières, on redoubla de méchancetés : on ne me donna d’aliments que ce qu’il en fallait pour m’empêcher de mourir de faim, on m’excéda de mortifications, on multiplia autour de moi les épouvantes : on m’ôta tout à fait le repos de la nuit ; tout ce qui peut abattre la santé et troubler l’esprit, on le mit en œuvre : ce fut un raffinement de cruauté dont vous n’avez pas d’idée. (LR : 87)

Ainsi elle ramasse une pincette qu’on a chauffée exprès au rouge, on met des obstacles à la hauteur de sa tête pour qu’elle se blesse, on sème des verres cassés par terre pour qu’elle se blesse les pieds, on l’empêche de faire ses nécessités (LR : 87). On va jusqu’à simuler sa mise à mort (LR : 88-90).

Puis devant le grand vicaire, M. Hébert, ses tortionnaires vont jusqu’à la faire simuler des gestes et des attitudes de femme possédée (LR : 91-93) mais aux différentes questions du prêtre, qui n’est pas dupe des manigances de la supérieure et ses acolytes, elle affirme à nouveau son souhait de renoncer à ses vœux car son consentement a été forcé : « Ma faute est de n’être point appelée à l’état religieux et de revenir contre des vœux que je n’ai pas faits librement. » (LR : 96). Le grand vicaire croit Suzanne sur parole et clame contre de tels abus mais son affaire ne progresse pas beaucoup car Suzanne n’a pas grand chose en sa faveur, et toute la justice et le système politique contre elle :

Je n’avais en ma faveur qu’une première protestation, solennelle à la vérité, mais faite dans un autre couvent, et nullement renouvelée depuis. Quand on donne des bornes si étroites à ses défenses, et qu’on a affaire à des parties qui n’en mettent aucune dans leur attaque, qui foulent aux pieds le juste et l’injuste, qui avancent et nient avec la même impudence, et qui ne rougissent ni des imputations, ni des soupçons, ni de la médisance, ni de la calomnie, il est difficile de l’emporter, surtout à des tribunaux, où l’habitude et l’ennui des affaires ne permettent presque pas qu’on examine avec quelque scrupule les plus importantes ; et où les contestations de la nature de la mienne sont toujours regardées d’un œil défavorable par l’homme politique, qui craint que, sur le succès d’une religieuse réclamant contre ses vœux, une infinité d’autres ne soient engagées dans la même démarche : on sent secrètement que, si l’on souffrait que les portes de ces prisons s’abattissent en faveur d’une malheureuse, la foule s’y porterait et chercherait à les forcer. On s’occupe à nous décourager et à nous résigner toutes à notre sort par le désespoir de le changer. Il me semble pourtant que, dans un État bien gouverné, ce devrait être le contraire. (LR : 99-100)

Rien d’étonnant donc à ce que son affaire « f[û]t plaidée à l’audience et perdue » (LR : 104). Les violences redoublent contre elle car à sa volonté de renoncer à ses vœux s’ajoute son aveu des mauvais traitements dont elle a été victime dans le couvent. La vengeance ne peut en être que plus terrible, et la gradation de la cruauté atteint ici son paroxysme : on l’oblige à s’asseoir par terre au milieu du réfectoire et à se nourrir de pain et d’eau dans cette posture, elle entend l’office derrière la porte qui lui est fermée, on lui impose le cilice et une robe d’étoffe grossière, à se macérer tous les vendredis, à se promener une corde au cou… (LR : 109). Autrement dit, on la force à consentir sous la torture ou au moyen de mauvais traitements : « c’était la religieuse qui me conduisait qui me disait ce qu’il fallait que je répétasse, et je le répétais mot à mot. » (LR : 109-110). Par conséquent, au bout de cinq jours à subir de telles horreurs, « je renouvelai mes vœux. » (LR : 110).

Ainsi, trois fois, comme saint Pierre, Suzanne renie ses convictions pour consentir à ce qu’exige d’elle le système patriarchal en place et ses agents.

Du consentement sociojuridique au consentement sexuel

Le transfert de Suzanne au couvent de Sainte-Eutrope d’Arpajon déplace la question du consentement féminin sociojuridique vers le consentement sexuel. S’il est avéré que, sous l’Ancien Régime, les femmes ne pouvaient « consentir à quoi que ce soit dans une structure sociale et politique qui leur dénie les aptitudes et les droits du sujet libéral »56 (Jaunait, Matonti, 2012 : 6), il en est de même dans l’espace privé où elle demeure sous l’autorité et la tutelle d’un mari après l’avoir été du père. Ainsi, le concept de « devoir conjugal rend bien compte de la difficulté de penser le consentement sexuel à partir du moment où s’établit une relation hiérarchique et naturalisée entre les hommes et les femmes et que ces dernières ne peuvent revendiquer le contrôle ou la possession de leur propre corps » (ibid.). Or, la question se pose ici, entre les murs d’un couvent féminin, lorsque la femme doit consentir (ou pas) au désir d’une autre femme. Si consentement il y a, est-il légitime ou seulement le fruit de la manipulation, de la coercition ou tout simplement de l’ignorance propre de ces femmes-éternelles-enfants ? En tout cas, Suzanne consent, sinon verbalement, du moins par son attitude passive et permissive, aux avances de la supérieure : « Elle m’avait tirée à elle, elle me fit asseoir sur ses genoux ; elle me relevait la tête avec les mains et m’invitait à la regarder ; elle louait mes yeux, ma bouche, mes joues, mon teint : je ne répondais rien, j’avais les yeux baissés, et je me laissais aller à toutes ces caresses comme une idiote » (LR : 130). Suzanne devient la favorite de la supérieure et elle se sert de cet avantage pour obtenir la grâce des religieuses ayant commis une faute, en échange de « quelque faveur innocente » :

[…] c’était toujours un baiser ou sur le front ou sur le cou, ou sur les yeux, ou sur les joues, ou sur la bouche, ou sur les mains, ou sur la gorge, ou sur les bras, mais plus souvent sur la bouche ; elle trouvait que j’avais l’haleine pure, les dents blanches, et les lèvres fraîches et vermeilles. (LR : 134-135)

Par le même principe de gradation que pour les châtiments dans le couvent de Longchamp, la supérieure de Sainte-Eutrope entreprend des caresses de plus en plus osées, jusqu’à atteindre l’orgasme grâce aux attouchements à nouveau consentis implicitement par Suzanne dans une scène où l’ingénuité de cette dernière permet le quiproquo comique entre la sensibilité musicale et sexuelle de Madame de *** :

En un moment elle eut ouvert le clavecin, préparé un livre, approché une chaise ; car elle était vive. Je m’assis. Elle pensa que je pourrais avoir froid ; elle détacha de dessus les chaises un coussin qu’elle posa devant moi, se baissa et me prit les deux pieds, qu’elle mit dessus ; ensuite je jouai quelques pièces de Couperin, de Rameau, de Scarlatti : cependant elle avait levé un coin de mon linge de cou, sa main était placée sur mon épaule nue, et l’extrémité de ses doigts posée sur ma gorge. Elle soupirait ; elle paraissait oppressée, son haleine s’embarrassait ; la main qu’elle tenait sur mon épaule d’abord la pressait fortement, puis elle ne la pressait plus du tout, comme si elle eût été sans force et sans vie ; et sa tête tombait sur la mienne. En vérité cette folle-là était d’une sensibilité incroyable, et avait le goût le plus vif pour la musique ; je n’ai jamais connu personne sur qui elle eût produit des effets aussi singuliers. (LR : 135-136)

Dans cette gradation, les étreintes de la supérieure acceptées passivement par Suzanne dérivent vers des caresses de Suzanne à Madame de ***, certes provoquées par celle-ci mais que Suzanne va faire de bon gré car elle ne croit pas « qu’il y eût du mal à cela » (LR : 139) :

Cependant elle avait levé son linge de cou, et avait mis une de mes mains sur sa gorge ; elle se taisait, je me taisais aussi ; elle paraissait goûter le plus grand plaisir. Elle m’invitait à lui baiser le front, les joues, les yeux et la bouche ; et je lui obéissais : je ne crois pas qu’il y eût du mal à cela ; cependant son plaisir s’accroissait ; et comme je ne demandais pas mieux que d’ajouter à son bonheur d’une manière innocente, je lui baisais encore le front, les joues, les yeux et la bouche. La main qu’elle avait posée sur mon genou se promenait sur tous mes vêtements, depuis l’extrémité de mes pieds jusqu’à ma ceinture, me pressant tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre ; elle m’exhortait en bégayant, et d’une voix altérée et basse, à redoubler mes caresses, je les redoublais ; enfin il vint un moment, je ne sais si ce fut de plaisir ou de peine, où elle devint pâle comme la mort ; ses yeux se fermèrent, tout son corps se tendit avec violence, ses lèvres se pressèrent d’abord, elles étaient humectées comme d’une mousse légère ; puis sa bouche s’entrouvrit, et elle me parut mourir en poussant un profond soupir. Je me levai brusquement ; je crus qu’elle se trouvait mal ; je voulais sortir, appeler. (LR : 139)

Ce deuxième orgasme fait croître le désir de la supérieure qui entend que sa favorite, grâce à la gradation d’un attendrissement mutuel provoqué par le récit des malheurs de Suzanne, peut arriver à se laisser faire jusqu’au bout :

[…] et peut-être nous serons heureuses au milieu du récit de tes souffrances ; qui sait jusqu’où l’attendrissement peut nous mener ?… Et en prononçant ces derniers mots, elle me regarda de bas en haut avec des yeux déjà humides ; elle me prit les deux mains ; elle s’approcha de moi plus près encore, en sorte qu’elle me touchait et que je la touchais. (LR : 143)

Et elle n’a pas tout à fait tort car Suzanne faillit partager le troisième orgasme de la supérieure dans la scène où l’évocation très sadienne des tortures subies par Suzanne conduit à la supérieure jusqu’à l’extase :

Mais comment cette faible santé a-t-elle pu résister à tant de tourments ? Comment tous ces petits membres n’ont-ils pas été brisés ? Comment toute cette machine délicate n’a-t-elle pas été détruite ? Comment l’éclat de ces yeux ne s’est-il pas éteint dans les larmes ? Les cruelles ! serrer ces bras avec des cordes !… Et elle me prenait les bras, et elle les baisait. Noyer de larmes ces yeux !… Et elle les baisait. Arracher la plainte et le gémissement de cette bouche !… Et elle la baisait. Condamner ce visage charmant et serein à se couvrir sans cesse des nuages de la tristesse !… Et elle le baisait. Faner les roses de ces joues !… Et elle les flattait de la main et les baisait. Déparer cette tête ! arracher ces cheveux ! charger ce front de souci !… Et elle baisait ma tête, mon front, mes cheveux… Oser entourer ce cou d’une corde, et déchirer ces épaules avec des pointes aiguës !… Et elle écartait mon linge de cou et de tête ; elle entrouvrait le haut de ma robe ; mes cheveux tombaient épars sur mes épaules découvertes ; ma poitrine était à demi nue, et ses baisers se répandaient sur mon cou, sur mes épaules découvertes et sur ma poitrine à demi nue.
Je m’aperçus alors, au tremblement qui la saisissait, au trouble de son discours, à l’égarement de ses yeux et de ses mains, à son genou qui se pressait entre les miens, à l’ardeur dont elle me serrait et à la violence dont ses bras m’enlaçaient, que sa maladie ne tarderait pas à la prendre. Je ne sais ce qui se passait en moi ; mais j’étais saisie d’une frayeur, d’un tremblement et d’une défaillance qui me vérifiaient le soupçon que j’avais eu que son mal était contagieux. 
Je lui dis : Chère mère, voyez dans quel désordre vous m’avez mise ! (LR : 144)

Comme lorsqu’elle consent à faire profession, Suzanne ici est « prise d’une faiblesse » (LR : 145) qui l’empêche de penser et de décider de ses actes. Comme à Longchamp, elle devient une automate. La reprise de la conversation entre les deux religieuses autour de la demande de Suzanne de l’annulation de ses vœux, ainsi que sur son « insensibilité » sexuelle, résultat de son innocence enfantine (LR : 145-147) plutôt que de son organisation physique, permet de clore la scène par un tableau plus pathétique qu’érotique : « En disant ces derniers mots je jetai mes deux bras autour de son cou et je posai ma tête sur son épaule. Elle jeta les deux siens autour de moi et me serra fort tendrement ; nous demeurâmes ainsi quelques instants ; ensuite reprenant sa tendresse et sa sérénité […] » (LR : 147). Une nouvelle conversation où la supérieure, dans une parodie des confessions où les enfants ingénu.e.s étaient souvent la proie des prêtres pervers, essaie d’éveiller Suzanne aux exercices masturbatoires comme le stade précédent, dans la gradation, aux pratiques saphiques, se voit interrompue de sorte que la religieuse peut, malgré sa passivité, échapper au harcèlement de sa supérieure. Le tableau suivant commence par une allusion faussement ingénue de la part de la supérieure aux étreintes dans un lit entre deux sœurs ; l’évocation incestueuse sert ici à Madame de *** à abuser une fois de plus du consentement naïf de Suzanne, à nouveau sauvée par la sœur Sainte-Thérèse57, ancienne favorite de la supérieure, amoureuse éperdue de cette dernière, et farouchement jalouse :

Suzanne, n’avez-vous jamais partagé le même lit chez vos parents avec une de vos sœurs ?  — Non, jamais. — Si l’occasion s’en était présentée, ne l’auriez-vous pas fait sans scrupule ? Si votre sœur, alarmée et transie de froid, était venue vous demander place à côté de vous, l’auriez-vous refusée ? — Je crois que non. — Et ne suis-je pas votre chère mère ? — Oui, vous l’êtes ; mais cela est défendu. — Chère amie, c’est moi qui le défends aux autres, et qui vous le permets et vous le demande. Que je me réchauffe un moment, et je m’en irai. Donnez-moi votre main… Je la lui donnai. Tenez, me dit-elle, tâtez, voyez ; je tremble, je frissonne, je suis comme un marbre… et cela était vrai. Oh ! la chère mère, lui dis-je, elle en sera malade. Mais attendez, je vais m’éloigner sur le bord, et vous vous mettrez dans l’endroit chaud. Je me rangeai de côté, je levai la couverture, et elle se mit à ma place. Oh ! qu’elle était mal ! Elle avait un tremblement général dans tous les membres ; elle voulait me parler, elle voulait s’approcher de moi ; elle ne pouvait articuler, elle ne pouvait se remuer. Elle me disait à voix basse : Suzanne, mon amie, approchez-vous un peu… Elle étendait ses bras ; je lui tournais le dos ; elle me prit doucement, elle me tira vers elle ; elle passa son bras droit sous mon corps et l’autre dessus, et elle me dit : Je suis glacée ; j’ai si froid que je crains de vous toucher, de peur de vous faire mal. — Chère mère, ne craignez rien. Aussitôt elle mit une de ses mains sur ma poitrine et l’autre autour de ma ceinture ; ses pieds étaient posés sous les miens, et je les pressais pour les réchauffer ; et la chère mère me disait : Ah ! chère amie, voyez comme mes pieds se sont promptement réchauffés, parce qu’il n’y a rien qui les sépare des vôtres. — Mais, lui dis-je, qui empêche que vous ne vous réchauffiez partout de la même manière ? — Rien, si vous voulez. Je m’étais retournée, elle avait écarté son linge, et j’allais écarter le mien, lorsque tout à coup on frappa deux coups violents à la porte. (LR : 151-152)

L’excitation de la supérieure est telle que, après une nouvelle caresse acceptée passivement par Suzanne (« elle releva la manche qui me couvrait le bras, elle le baisa en soupirant, sur toute sa longueur depuis l’extrémité des doigts jusqu’à l’épaule »58, LR : 153), elle accourt dans la cellule de la jalouse pour assouvir son désir. Le commentaire ingénu et comique de Suzanne nous permet d’apprendre que, malgré les accolades de plus en plus agressives de la supérieure, elle garde toute son innocence : « Cette affaire fut difficile à accommoder apparemment, car elle y passa presque toute la nuit. Que je la plaignais ! elle était en chemise, toute nue et transie de colère et de froid. » (LR : 153).

Le consentement passif en « zone grise » se fait ici plus évident que dans le cas précédent de Longchamp où la pression parentale, sociale et les mauvais traitements conventuels pouvaient justifier l’acceptation d’un destin que l’on abhorre. À Sainte-Eutrope il est question des rapports sexuels, et Suzanne elle-même admet qu’elle doit y consentir car, malgré les conseils de son directeur spirituel, le père Le Moine, elle se demande s’il existe un « moyen de se refuser à des choses qui font grand plaisir à une autre dont on dépend entièrement, et auxquelles on n’entend soi-même aucun mal » (LR : 191). Et même si les paroles du père Le Moine condamnant Madame de *** comme un suppôt de Satan font leur effet sur Suzanne, elle avoue à sa supérieure que, au fond, si elle consent à ses caresses, c’est parce qu’elle n’y entend « aucun mal » et qu’elle est « née caressante » et aime « à être caressée ». (LR : 169). Cependant, sa propre réflexion la conduit à conclure que « quoique des personnes fussent d’un même sexe il pouvait y avoir du moins de l’indécence dans la manière dont elles se témoignaient leur amitié » (LR : 171) et comme « il s’en manquait beaucoup que je sentisse pour elle [la supérieure] tout l’attrait qu’elle éprouvait pour moi » (ibid.), elle cesse de consentir aux caresses de Madame de ***, non-consentement qu’elle verbalise, malgré le chantage émotionnel de la supérieure : « Vous ne voulez donc pas entrer ? me dit-elle. — Non, chère mère, non. — Vous ne le voulez pas, Sainte-Suzanne ? vous ne savez pas ce qui peut en arriver, non, vous ne le savez pas : vous me ferez mourir… » (LR : 172-173). Or, si l’ingénuité de Suzanne l’a située dans la zone grise du consentement passif, acceptant caresses et embrassades, il est vrai aussi, comme le lui explique Dom Morel, le nouveau directeur, bénédictin, que c’est son « innocence même qui en a imposé » à la supérieure car si elle avait été « plus instruite », elle l’aurait « moins respectée » (LR : 180).

Le roman se clôt sur une scène de non-consentement sexuel car, grâce à Dom Morel elle fuit de son couvent mais elle comprend trop tard que son complice est en fait son ravisseur, qui veut abuser d’elle :

Me voilà sur le chemin de Paris avec un jeune bénédictin. Je ne tardai pas à m’apercevoir, au ton indécent qu’il prenait et aux libertés qu’il se permettait, qu’on ne tenait avec moi aucune des conditions qu’on avait stipulées ; alors je regrettai ma cellule, et je sentis toute l’horreur de ma situation.
C’est ici que je peindrai ma scène dans le fiacre. Quelle scène ! Quel homme !
Je crie ; le cocher vient à mon secours. Rixe violente entre le fiacre et le moine. (LR : 189)

Après cette scène un dernier tableau nous présente Suzanne fuyant un lieu de prostitution, l’Hôpital général, pour finir au service d’une blanchisseuse chez qui elle a toujours peur d’être dénoncée parce que chacun de ses gestes la trahit comme ancienne religieuse… Avec cette fin dramatique, Diderot entend expliquer le destin, morne voire fatal, de toute femme qui refuserait de consentir.

Conclusion

En grec il existe deux verbes dont se servent les philosophes de l’Antiquité pour désigner l’attitude de celui qui consent à quelque chose : ethelein et boulesthaiEthelein signifie que le sujet est prêt, disposé, consentant, sans avoir pris une décision, sans qu’il existe une volonté, encore moins du désir ; boulesthai marque le vœu, la préférence pour un objet déterminé, ou encore le choix lié à une délibération59. Ainsi ethelein serait le consentement passif dont fait preuve Suzanne aussi bien pour ses vœux religieux que pour ses rapports sexuels, qui s’opposerait au boulesthai, ou consentement / non-consentement, explicite à chaque fois qu’elle proclame ou qu’elle écrit son refus à accepter ses vœux, ou le lien sexuel avec la supérieure de Sainte-Eutrope.

Alexia Boucherie, en abordant le consentement sexuel en zone grise, explique que ce consentement non voulu ou passif peut donner lieu à une « zone grise de conformité »60 sociale, ce qui pourrait être le cas du premier consentement religieux de Suzanne, car elle doit se conformer à son destin puisque c’est le lot commun à tant de jeunes filles comme elle ; ou bien à une « zone grise sous emprise », quand il y a lien relationnel avec la ou les personnes qui forcent la volonté de la victime, ce qui serait le cas du deuxième consentement de Suzanne lorsque, après son enfermement chez ses parents, et une conversation avec sa mère, elle comprend qu’elle doit faire profession car ainsi l’exige sa famille ; et enfin il existerait une « zone grise altruiste » où la personne se voit obligée de consentir pour adhérer à une coutume déterminée ou pour ne pas chagriner l’autre ou les autres, ce qui serait le cas du consentement implicite de Suzanne avec la supérieure de Sainte-Eutrope. À ces trois zones grises il faudrait ajouter celle où le consentement est arraché par la violence, physique ou psychologique, par le chantage ou autre moyen de manipulation, et qu’on pourrait appeler « zone grise de soumission » où la victime se croit obligée à se soumettre à la volonté du plus fort, ce qui serait le cas de son consentement après les mauvais traitements que subit Suzanne à Longchamp.

À plusieurs reprises, en effet, Suzanne accepte son destin cloîtré. Malgré ses résistances, ses refus, ses essais de dire et surtout écrire que son consentement a été arraché de force et qu’elle ne sent aucune vocation religieuse, le chantage affectif, autoritaire de la part des parents ou de ses supérieures et ses supérieurs religieux, l’abus de son ignorance, de son caractère naïf et bon, la violence, voire la torture qu’on lui inflige dans une progression graduelle propre de la mécanique sadienne, Suzanne doit se plier à ce « on » omnipuissant et, finalement, consentir. Au point qu’on pourrait voir dans ce récit presque un répertoire de toutes les méthodes possibles, des plus douces aux plus cruelles, d’annuler la volonté d’une personne.

Le parcours vital de Suzanne est, dans ce sens, prototypique de la destinée de toutes ces jeunes filles que l’Ancien Régime immole pour des questions purement économiques dans un système patriarchal où on n’hésite pas à sacrifier une partie de la progéniture féminine au profit de la masculine ou des sœurs plus favorisées par la nature ou par les circonstances de leur naissance.

Ces jeunes femmes se voient de la sorte, et par gradation, forcées à dire oui à un état qu’elles rejettent mais qu’elles perçoivent, à chaque degré, comme le moindre mal. C’est donc ainsi, par la ruse, par la coercition, qu’on arrive à obtenir le consentement d’une jeune femme vivant sous l’Ancien Régime. Et c’est ainsi, par ces paroxystiques va-et-vient en zone grise (consentement – forcé, manipulé – / non-consentement / consentement – forcé, manipulé) que Diderot dénonce l’aliénation et l’oppression des femmes de cette époque, et en particulier celles qui, pour différentes raisons, finissaient enfermées dans un couvent61. Situation d’autant plus injuste dans le cas de Suzanne qu’elle est bâtarde et qui, en tant que telle, n’a pas les mêmes droits que ses sœurs, filles légitimes, mais qui, en revanche, n’a pas à être assujettie au devoir d’obéissance à son père62. Sa droiture, qu’elle a héritée d’un père inconnu, la pousse à agir au-delà de son devoir, et à se sacrifier, dans une zone grise qu’on pourrait qualifier de « christique »63.

Diderot fait ainsi basculer le terme consentement, que l’on utilise pour les parents ou pour la justice (les parents ou les tuteurs consentent ou pas, comme dans La Religieuse malgré elle de Brunet de Brou), vers un mot dont le sens concerne l’individu et lui (ou elle) exclusivement. Il aurait pu s’en tenir là, et faire de Suzanne une mineure, comme la Florence de Brunet de Brou, pour dénoncer les abus, courants à l’époque, de la part des familles ou des protecteurs des jeunes filles qui n’avaient pas à consentir puisque la justice ne reconnaissait pas leur voix. Mais Diderot va plus loin : Suzanne est majeure, elle a donc le droit de ne pas consentir, ou de consentir, et elle acquiesce, elle accepte, contrainte, certes, mais elle le fait. Or, les circonstances familiales, sociales, juridiques, affectives même, font que ce consentement, juridique et religieusement légal, devienne nul, dû à la gradation des malheurs subis par Suzanne. Le paradoxe diderotien réside ici dans le fait que si l’Ancien Régime refuse à la femme son droit à consentir puisqu’elle n’a pas de voix, infantilisée et soumise toujours à l’autorité parentale, maritale ou conventuelle, Diderot annule également la validité du consentement féminin quand il est exercé sous pression. Ainsi, la zone grise, celle où la femme consent, aussi bien à une vocation qu’à un rapport sexuel, devient ici l’espace des pires cauchemars et, en tant que telle, condamnée par Diderot comme une zone bien noire, où la femme devient un automate à la merci de ses bourrelles et de ses bourreaux auxquels elle ne saurait, ne pourrait dire non.

De cette double inanité de la volonté féminine naît un espoir, celui de la force de la parole écrite : Suzanne croit en son témoignage écrit, tous ses efforts vont dans ce sens, sauver ces papiers où sa parole vraie et libre est consignée. Dans un futur, la femme pourra faire valider son consentement, son non-consentement aussi, grâce à l’écrit, grâce, entre autres, à ce plaidoyer écrit (et donc pas par hasard à la première personne au féminin) que constitue ce roman de Diderot sur ce beau, pathétique et non consentant topos féminin qu’est « la religieuse consentante malgré elle ».

1 Henry Poulaille, La Fleur des chansons d’amour du XVIe siècle, Paris, Grasset, 1943, p. 232-233.

2 Jacques Proust, « Cantate de l’innocent. Sur La Religieuse ». L’Objet et le texte. Pour une poétique de la prose française au XVIIIe siècle. Paris

3 Christophe Martin, La Religieuse de Diderot, Paris, Gallimard, « Foliothèque », 2010, p. 13-23. Il insiste sur cette idée dans « Innocence et

4 Marco Menin, « Les larmes de Suzanne. La sensibilité entre moralité et pathologie dans La Religieuse de Diderot ». Recherches sur Diderot et sur L’

5 Voir C. Martin, op. cit., p. 13 et 18.

6 Voir Guilhem Armand, « Le corps de Suzanne ou l’objet du délit : corps et identité dans La Religieuse de Diderot ». Travaux & documents : Con

7 Alice M. Laborde, « Le paradoxe de La Religieuse ». Pacific Coast Philology 2, 1967, p. 28.

8 Jacques Proust, « Nouvelles recherches sur La Religieuse ». Diderot Studies 6, 1964, p. 197-214.

9 Voir notamment : G. Armand, art. cit., p. 44.

10 Voir la préface de l’édition de référence : Diderot, La Religieuse, Florence Lotterie (éd.), Paris, Flammarion, « GF », 2009, p. XVII (désormais

11 Mot que la narratrice elle-même utilise (LR : 47).

12 La ressemblance entre le dialogue de la supérieure de Sainte-Marie et Suzanne où celle-ci répond « non » à toutes les questions de la religieuse et

13 On ne reviendra pas ici sur les incohérences de l’âge de Suzanne : voir la présentation de F. Lotterie.

14 N’oublions pas l’admiration de Diderot pour Perrault qu’il cite expressément dans l’article « Contemporain » de l’Encyclopédie, pour le revendiquer

15 Comme Cendrillon, elle a deux sœurs bêtes, méchantes et laides qui sont choyées alors qu’elle est maltraitée : voir leurs portraits en contraste (

16 Benoît Malebranque, Préface à l’édition de La Religieuse de Diderot. Institut Coppet. 2021, https://editions.institutcoppet.org/produit/

17 Voir : Geneviève, Fraisse, Du consentement. Paris, Seuil, 2007 [Épilogue, 2017].

18 Voir David Simard, « La question du consentement sexuel : entre liberté individuelle et dignité humaine », Sexologies 24, 2015, p. 140-148.

19 « Protocole additionnel » à la « Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée », adoptée par la résolution 55/25 de

20 Geneviève Reynes, Couvents de femmes. La vie de religieuses cloîtrées dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, Fayard, 1987, p. 26.

21 La vie dans le couvent ne fait qu’accentuer cette infantilisation de la jeune fille, comme le souligne Geneviève Reynes : « les religieuses sont d’

22 Voir, notamment la notice de Michel Delon à l’édition de La Religieuse dans La Pléiade (2004), p. 977.

23 Sur ce point, voir : G. Armand, op. cit.

24 Georges May, Diderot et La Religieuse. Paris, PUF, 1954.

25 Brunet de Brou, La Religieuse malgré elle. Amsterdam, Chez Claude Jordan, 1740, p. VII.

26 Ibid.

27 Ibid., p. 1-2.

28 « Lorsqu’elle eut atteint l’âge de sept ans, on lui apprit à lire et à écrire […]. Dans un an elle apprit à lire et à écrire plus parfaitement que

29 G. Reynes, op. cit., p. 237.

30 La Religieuse malgré elle, p. 91.

31 La Religieuse malgré elle, p. 93-96.

32 Ibid., p. 106.

33 Ibid., p. 110.

34 Ibid., p. 115-116.

35 Ibid., p. 126.

36 Ibid., p. 126-127.

37 Ibid., p. 128. Jacques Éveillon précise dans son Traité des excommunications, et monitoires. Avec la manière de publier, exécuter et fulminer

38 G. Reynes, op. cit., p. 44.

39 La Religieuse malgré elle, p. 168-169.

40 Ibid., p. 177.

41 Ibid., p. 290.

42 G. Reynes, op. cit., p. 10.

43 Voir notamment : Jean-Marie Apostolidès, « La Religieuse et ses tableaux ». Poétique 137, 2004-1, p. 73-86 ; ainsi qu’ici-même les contributions de

44 M. Delon, « Les Lumières ou le sens de gradation » (version bilingue ; trad. grecque : Anna Tabaki). University of Athens. Pergamos Digital Library

45 Je souligne.

46 Ibid.

47 Ibid.

48 Mme de Genlis raconte dans ses Mémoires que sa mère, que la famille voulait forcer à prononcer ses vœux à seize ans, menaça de dire « non » au lieu

49 G. Reynes, op. cit., p. 113-114.

50 Ibid., p. 112.

51 Traité de la clôture des religieuses. Paris, chez Antoine Dezallier, 1681, p. 157-158. https://books.google.es/books?id=STxRAAAAcAAJ&printsec=fron

52 Voir ici même la contribution de Clarisse Chapel.

53 Or, nous savons que le religieux ou la religieuse qui voudrait être « restitué » n’a pas « besoin d’un permis de cour de Rome pour réclamer »

54 C’est-à-dire, lors de la cérémonie de sa profession.

55 Voir G. Reynes, op. cit., p. 129-135.

56 Alexandre Jaunait et Frédérique Matonti, « L’enjeu du consentement », Raisons politiques 46, p. 6.

57 Personnage qui, par sa passion aveugle, pourrait être le pendant satirique de Thérèse d’Avila et ses extases ou encore de la Thérèse philosophe de

58 Cette transposition du phallus vers le bras en « toute sa longueur » sert à Diderot à expliquer le saphisme conventuel comme le fruit d’une

59 Voir : Laeitita Monteils-Lang, « Perspectives antiques sur la perspective du consentement ». Tracés, Revue de Sciences Humaines 14, 2008, p. 31-43.

60 Alexia Boucherie, Troubles dans le consentement. Paris, Éds Les Pérégrines, 2019.

61 Ce qui n’est pas sans rappeler le destin fatidique de sa sœur Angélique, qui mourut folle au couvent des Ursulines en 1738 (voir : Raymond Trousson

62 En effet, Guyot, dans son Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, indique que les enfants « nés de légitime mariage doivent être soumis

63 On a souvent fait le rapprochement entre Suzanne et le Christ, pour son chemin de croix, et dans des scènes comme celle où elle arrose sa mère de

1 Henry Poulaille, La Fleur des chansons d’amour du XVIe siècle, Paris, Grasset, 1943, p. 232-233.

2 Jacques Proust, « Cantate de l’innocent. Sur La Religieuse ». L’Objet et le texte. Pour une poétique de la prose française au XVIIIe siècle. Paris, Droz, 1980, p. 155.

3 Christophe Martin, La Religieuse de Diderot, Paris, Gallimard, « Foliothèque », 2010, p. 13-23. Il insiste sur cette idée dans « Innocence et séduction. Les aventures de la voix féminine dans La Religieuse de Diderot ». Littérature 171, 2013/3, p. 39-53.

4 Marco Menin, « Les larmes de Suzanne. La sensibilité entre moralité et pathologie dans La Religieuse de Diderot ». Recherches sur Diderot et sur L’Encyclopédie 51, « Varia », p. 21.

5 Voir C. Martin, op. cit., p. 13 et 18.

6 Voir Guilhem Armand, « Le corps de Suzanne ou l’objet du délit : corps et identité dans La Religieuse de Diderot ». Travaux & documents : Construction et déconstruction des identités : entre le corporel et le symbolique, 2020, p. 43-56.

7 Alice M. Laborde, « Le paradoxe de La Religieuse ». Pacific Coast Philology 2, 1967, p. 28.

8 Jacques Proust, « Nouvelles recherches sur La Religieuse ». Diderot Studies 6, 1964, p. 197-214.

9 Voir notamment : G. Armand, art. cit., p. 44.

10 Voir la préface de l’édition de référence : Diderot, La Religieuse, Florence Lotterie (éd.), Paris, Flammarion, « GF », 2009, p. XVII (désormais notée LR, suivie du numéro de page).

11 Mot que la narratrice elle-même utilise (LR : 47).

12 La ressemblance entre le dialogue de la supérieure de Sainte-Marie et Suzanne où celle-ci répond « non » à toutes les questions de la religieuse et « tout » à la dernière : « Que voulez-vous donc devenir » (LR : 22-23), et le début du libelle Qu’est-ce que le Tiers État de l’abbé Sieyès (1789) : « Qu’est-ce que le Tiers-État ? Tout ; Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien ; Que demande-t-il ? À devenir quelque chose », est tellement frappant qu’on pourrait changer « le Tiers État » par « la Femme » et le mettre en bouche de Suzanne.

13 On ne reviendra pas ici sur les incohérences de l’âge de Suzanne : voir la présentation de F. Lotterie.

14 N’oublions pas l’admiration de Diderot pour Perrault qu’il cite expressément dans l’article « Contemporain » de l’Encyclopédie, pour le revendiquer comme un auteur « encore trop peu connu aujourd’hui ». http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v4-87-0/?query=contemporain [consulté le 26/10/22].

15 Comme Cendrillon, elle a deux sœurs bêtes, méchantes et laides qui sont choyées alors qu’elle est maltraitée : voir leurs portraits en contraste (LR : 12), ainsi que C. Martin op. cit., p. 78-86 et G. Armand, Le Père, le fils et Diderot, Paris, H. Champion, 2023, p. 119-120. .

16 Benoît Malebranque, Préface à l’édition de La Religieuse de Diderot. Institut Coppet. 2021, https://editions.institutcoppet.org/produit/diderot-la-religieuse/ [date de consultation : 26/10/2022].

17 Voir : Geneviève, Fraisse, Du consentement. Paris, Seuil, 2007 [Épilogue, 2017].

18 Voir David Simard, « La question du consentement sexuel : entre liberté individuelle et dignité humaine », Sexologies 24, 2015, p. 140-148.

19 « Protocole additionnel » à la « Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée », adoptée par la résolution 55/25 de l’Assemblée générale de l’ONU le 15 novembre 2000, « visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants » (3 : a-b) : https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/ProfessionalInterest/ProtocolTraffickingInPersons_fr.pdf [consulté le 12 octobre 2002].

20 Geneviève Reynes, Couvents de femmes. La vie de religieuses cloîtrées dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, Fayard, 1987, p. 26.

21 La vie dans le couvent ne fait qu’accentuer cette infantilisation de la jeune fille, comme le souligne Geneviève Reynes : « les religieuses sont d’ailleurs réduites à un statut d’enfants, dominées par la grande figure bicéphale de la supérieure qui incarne à elle seule le couple père-mère. » (op. cit., p. 78).

22 Voir, notamment la notice de Michel Delon à l’édition de La Religieuse dans La Pléiade (2004), p. 977.

23 Sur ce point, voir : G. Armand, op. cit.

24 Georges May, Diderot et La Religieuse. Paris, PUF, 1954.

25 Brunet de Brou, La Religieuse malgré elle. Amsterdam, Chez Claude Jordan, 1740, p. VII.

26 Ibid.

27 Ibid., p. 1-2.

28 « Lorsqu’elle eut atteint l’âge de sept ans, on lui apprit à lire et à écrire […]. Dans un an elle apprit à lire et à écrire plus parfaitement que ceux ou celles qui apprennent pendant six années. » Ibid. p. 76-77.

29 G. Reynes, op. cit., p. 237.

30 La Religieuse malgré elle, p. 91.

31 La Religieuse malgré elle, p. 93-96.

32 Ibid., p. 106.

33 Ibid., p. 110.

34 Ibid., p. 115-116.

35 Ibid., p. 126.

36 Ibid., p. 126-127.

37 Ibid., p. 128. Jacques Éveillon précise dans son Traité des excommunications, et monitoires. Avec la manière de publier, exécuter et fulminer toutes sortes de monitoires et excommunications, Angers, 1651 (réédité à Rouen en 1712), que le Concile de Trente exige l’excommunication des parents « qui contraignent leurs filles d’entre en religion » (art. III), mais comme ce même auteur explique un peu plus tard, ces filles, « de peur de mécontenter leurs pères et mères, entrent en religion et disent oui, là où le cœur dit non. » (156-159). https://books.google.es/books?id=3WljAAAAcAAJ&pg=PA185&hl=fr&source=gbs_toc_r&cad=3#v=onepage&q&f=false [consulté le 12 octobre 2022].

38 G. Reynes, op. cit., p. 44.

39 La Religieuse malgré elle, p. 168-169.

40 Ibid., p. 177.

41 Ibid., p. 290.

42 G. Reynes, op. cit., p. 10.

43 Voir notamment : Jean-Marie Apostolidès, « La Religieuse et ses tableaux ». Poétique 137, 2004-1, p. 73-86 ; ainsi qu’ici-même les contributions de Christophe Martin et d’Aurélia Gaillard.

44 M. Delon, « Les Lumières ou le sens de gradation » (version bilingue ; trad. grecque : Anna Tabaki). University of Athens. Pergamos Digital Library Book : https://pergamos.lib.uoa.gr/uoa/dl/object/uoadl:2673125 [consulté le 28/09/22].

45 Je souligne.

46 Ibid.

47 Ibid.

48 Mme de Genlis raconte dans ses Mémoires que sa mère, que la famille voulait forcer à prononcer ses vœux à seize ans, menaça de dire « non » au lieu du « oui irrévocable » le jour de la cérémonie de profession, et que la famille renonça à son projet pour éviter le scandale. Mme de Genlis, Mémoires inédits, Paris, Ladvocat, 1825 : I, 121. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k480231r/f152 [consulté le 13/10/2022]

49 G. Reynes, op. cit., p. 113-114.

50 Ibid., p. 112.

51 Traité de la clôture des religieuses. Paris, chez Antoine Dezallier, 1681, p. 157-158. https://books.google.es/books?id=STxRAAAAcAAJ&printsec=frontcover&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false [consulté le 2 octobre 2022].

52 Voir ici même la contribution de Clarisse Chapel.

53 Or, nous savons que le religieux ou la religieuse qui voudrait être « restitué » n’a pas « besoin d’un permis de cour de Rome pour réclamer », comme le signale de Jaucourt dans son article « Vœux de religion » de l’Encyclopédie (1765, 17 : 412), sauf pour le « vœu de chasteté » car dans ce cas, seul le pape peut en dispenser, comme le précise à juste titre Florence Lotterie dans son dossier postaciel de l’édition GF de La Religieuse, 2009 : 23-232 et 232, note 1.

54 C’est-à-dire, lors de la cérémonie de sa profession.

55 Voir G. Reynes, op. cit., p. 129-135.

56 Alexandre Jaunait et Frédérique Matonti, « L’enjeu du consentement », Raisons politiques 46, p. 6.

57 Personnage qui, par sa passion aveugle, pourrait être le pendant satirique de Thérèse d’Avila et ses extases ou encore de la Thérèse philosophe de Boyer d’Argens.

58 Cette transposition du phallus vers le bras en « toute sa longueur » sert à Diderot à expliquer le saphisme conventuel comme le fruit d’une aliénation, d’une frustration du désir hétérosexuel, tel que le suggère la réflexion de Suzanne après son entretien avec sœur Sainte-Thérèse (LR : 137).

59 Voir : Laeitita Monteils-Lang, « Perspectives antiques sur la perspective du consentement ». Tracés, Revue de Sciences Humaines 14, 2008, p. 31-43.

60 Alexia Boucherie, Troubles dans le consentement. Paris, Éds Les Pérégrines, 2019.

61 Ce qui n’est pas sans rappeler le destin fatidique de sa sœur Angélique, qui mourut folle au couvent des Ursulines en 1738 (voir : Raymond Trousson, Denis Diderot. Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2007).

62 En effet, Guyot, dans son Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, indique que les enfants « nés de légitime mariage doivent être soumis et assujettis à la puissance paternelle, et qu’ils ne peuvent donc agir, contracter ni disposer de leurs biens sans l’autorisation de leur père » mais il souligne également que « la qualité de bâtard est un obstacle insurmontable à l’assujettissement du fils à la puissance paternelle » (Paris, Panckouke, 1782, t. 49 : 408 et 431).

63 On a souvent fait le rapprochement entre Suzanne et le Christ, pour son chemin de croix, et dans des scènes comme celle où elle arrose sa mère de ses larmes et de son sang (LR : 27).

Lydia Vázquez

Lydia Vázquez est Professeure des Universités à l’UPV/EHU (Euskadi, Espagne), spécialiste en littérature française du XVIIIe siècle, autrice de nombreux articles et ouvrages collectifs, à quatre mains ou individuels autour des questions de genre. Elle a publié, notamment, L’orgasme féminin au xviiie siècle. Libération ou nouvel asservissement ? (La Rochelle, Himeros, 2014). Elle est traductrice et a traduit, entre autres, La Nouvelle Héloïse de Rousseau, Juliette ou Les Prospérités du vice de Sade, le Salon de 1767 de Diderot et les Contes de Diderot.

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