À l’assaut des lois du genre : lecture de Poesía para niñas bien (2011) de Txus García

Lucie Lavergne

Citer cet article

Référence électronique

Lucie Lavergne, « À l’assaut des lois du genre : lecture de Poesía para niñas bien (2011) de Txus García », Tropics [En ligne], 8 | 2021, mis en ligne le 01 juillet 2021, consulté le 21 décembre 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/1348

Étudier l’écriture poétique de Txus García sous l’angle des notions de « femmes » et de « conflits » invite à s’intéresser non seulement aux conflits dans lesquels s’engage une femme poète, au XXIe siècle, en Espagne, mais aussi à interroger la dimension conflictuelle du terme « femme », pour celle qui se définit, surtout, comme « lesbienne », « queer », ou même comme « animale » ! Incontes­tablement, par cette autodéfinition, la locutrice du recueil Poesía para niñas bien (2011) se déclare (en guerre) contre les normes patriarcales. Aussi, nous rappro­cherons, dans un premier temps, la combativité de sa poésie du genre épique, mais elle constitue aussi, dans sa formulation même, un renversement des conventions du canon littéraire. S’en suit, également, la réinvention du langage dont les normes rigides, représentatives d’une société patriarcale, sont déjouées par de nombreux doubles sens et traits d’ironie. L’humour et la parodie apparaissent comme des stratégies langagières queer d’analyse et de renversement des discours dominants.

Estudiar la escritura poética de Txus García bajo el ángulo de las nociones «mujeres» y «conflictos» invita a interesarse no solo en los conflictos en los cuales se compromete una mujer poeta del siglo XXI, en España, sino también a cues­tionar la dimensión conflictual del término «mujer» para quien se define, sobre todo, como «lesbiana», «queer», ¡e incluso como «animal»! Incontestablemente, con esa autodefinición, la locutora del poemario Poesía para niñas bien (2011) se declara (en guerra) contra las normas patriarcales. Por lo tanto, estableceremos un parentesco entre la combatividad de su poesía y el género épico, aunque esa poesía constituye también, en su misma formulación, la inversión de las convenciones del canon literario. La consecuencia de ello es la reinvención del lenguaje cuyas nor­mas rígidas, características de una sociedad patriarcal, son desmontadas por nume­rosos dobles sentidos y marcas de ironía. El humor y la parodia aparecen también como estrategias lingüísticas queer de análisis y de inversión de los discursos dominantes.

Étudier l’écriture poétique de Txus García (Tarragona, 1974) sous l’angle des notions de « femmes » et de « conflits » invite à s’intéresser non seulement aux conflits dans lesquels s’engage une femme poète, au XXIe siècle, en Espagne, mais aussi à interroger la dimension conflictuelle du terme « femme », pour celle qui se définit, surtout, comme « lesbienne »1, « queer », ou même comme « animale »2 ! Incontestablement, ces autodéfinitions vont à l’encontre des normes patriarcales basées sur la « catégorie de sexe ». Comme l’explique Monique Wittig :

La catégorie de sexe est la catégorie qui établit comme « naturelle » la relation qui est à la base de la société (hétérosexuelle) et à travers laquelle la moitié de la population – les femmes – sont « hétérosexualisées » […] et soumises à une éco­nomie hétérosexuelle3.

Aussi, les deux questionnements (conflits menés par les femmes, conflits autour du terme « femme ») vont-ils de pair, tant l’identité (prétendue), le rôle, la fonction, la position des femmes dans notre société ont été sujets à boulever­sements depuis le XXe siècle notamment4. En Espagne, cette remise en question du terme « femme » fut centrale dès les années 1990, le singulier du terme devenant, à certains égards, inopérant5. Ensuite, les mouvements queer invitèrent à la remise en cause des identités, soulignant leur « définition et redéfinition comme stratégie politique » (Gracia Trujillo)6.

Le questionnement autour de l’identité et du choix d’une dénomination (fem­me, lesbienne, queer, entre autres) souligne le rôle essentiel joué par le langage et, de ce fait, par la prise de parole – par les femmes et les lesbiennes – dans un monde hétéronormé dominé par les hommes. Le bouleversement que constitue cette prise de parole, notamment poétique, est souligné par Noni Benegas dans son « Estudio preliminar » à l’anthologie Ellas tienen la palabra de 1997 :

Tout au long de l’analyse de la poésie écrite par des femmes, des romantiques à nos jours, le problème de base qui subsiste est celui de donner voix à un sujet qui fut toujours objet de cette poésie – muse, mère, aimée, nature7.

L’accès au discours par les femmes, mais aussi par les homosexuel-les, c’est-à-dire, selon David Halperin, « ceux qui sont, en règle générale, les objets du dis­cours des experts, ceux dont on parle et qui restent eux-mêmes silencieux »8 constitue ou, en tout cas, permet une prise de pouvoir. Si l’on définit le pouvoir (avec Michel Foucault, repris par David Halperin) comme une affaire de « rela­tions de lutte permanente »9, alors, prendre la parole implique bien, pour les femmes et/ou les homosexuel(le)s, d’entrer dans de multiples conflits, politiques et philosophiques. Cela implique une réinvention des habitudes, un renversement des normes (hétéropatriarcales), conduisant à une redéfinition du « champ », tel que défini par Pierre Bourdieu, poétique et littéraire10 et, par conséquent, à de nouveaux rapports de rivalité11.

Ces conflits, désormais ouverts, invitent à repenser le discours, non seulement comme prise de parole mais en reconsidérant la structure, la forme (syntaxique, grammaticale), le contenu de cette parole. David Halperin décrit les stratégies queer contre l’hétéronormativité :

C’est en résistant aux pratiques discursives et institutionnelles qui, par leur fonctionnement diffus et éclaté, contribuent à la bonne marche de l’hétéro­normativité, que les identités queer peuvent ouvrir un espace social pour la construction d’identités différentes, l’élaboration de nouveaux types de relations entre les individus, le développement de formes culturelles inédites12.

Comment l’écriture de Txus García rend-elle compte de cette situation de conflit ? Une première partie sera consacrée à l’identification d’une situation conflictuelle autour du concept même de « femme ». Ensuite, il ne s’agira pas tant, pour nous, de chercher l’évocation explicite des affrontements, que d’étudier l’usage, de la part de Txus García, de stratégies d’opposition aux discours domi­nants sur les plans langagiers (invention d’une syntaxe et d’un lexique) et discur­sifs (jeux des locuteurs, mises en scène, structure du discours). En effet, nous proposerons de lire le recueil poétique Poesía para niñas bien (2011) comme l’expression d’une quête dont nous soulignerons la dimension combative comme l’exprime Txus García dans un article récent intitulé « Guerra pa mi cuerpo » : « Je décide de me salir. Je corporise des vers et je déclame depuis mes entrailles, livrant mes émotions sans pudeur. J’assume donc des risques multiples »13. La lutte contre les pratiques « institutionnelles » que mentionne David Halperin pourrait, quant à elle, passer par l’invention de formes textuelles nouvelles, remettant en cause le canon, mais donnant aussi voix au chapitre à des sujets aux comportements sexuels dissidents, aux sexualités alternatives. Dans quelle mesure le langage poétique de Txus García parvient-t-il à suggérer un basculement des normes sociales ?

Contre la femme et les « bonnes petites filles »

Le recueil Poesía para niñas bien de Txus García est marqué par l’évocation d’un « univers social »14 compartimenté, avec des acteurs et des actrices qui se répartissent et s’organisent selon leur acceptation, voire leur absorption plus ou moins forte de la norme. Cette compartimentation est annoncée dès le titre qui tient lieu de clé de lecture : Poesía para niñas bien – littéralement : « poésie pour les petites filles bien » ou « poésie pour bonnes petites filles »15 – pourrait signifier, selon une interprétation habituelle et bourgeoise de l’expression, « poésie pour petites filles de bonne famille », renvoyant à un groupe social bien identifié, jugé respectable.

Pourtant, à la lecture du recueil Poesía para niñas bien, on peut s’interroger sur le ton adopté dans le titre, et l’ironie éventuelle du dernier mot. Quiconque ouvre le recueil avisera que le terme « bien » ne peut avoir pour la voix locutrice cette signification moralisatrice normée. La préposition « para » pourrait être considérée comme ironique, car le recueil se positionne davantage « contre » que « pour » la célébration de l’adhésion à la norme par les petites filles.

Aussi, peut-être faut-il redonner vie à cette expression figée, la lire littéra­lement et rendre à l’adverbe sa valeur morale et philosophique, édulcorée, si ce n’est pervertie, par l’usage commun. Au contraire du discours figé où ce qui est « bien » l’est selon une morale conservatrice16, sans doute le titre de Txus García renvoie-t-il aussi au bien-être, lequel implique un choix véritable de la vie qu’on mène, de la sexualité et du genre. On peut donc affirmer d’ores et déjà – nous reviendrons sur cet aspect du langage de Txus García – que les mots laissent enten­dre deux discours parallèles, un discours figé et normé, et un discours libre et personnel. Entre ces deux discours, des concepts aussi fondamentaux (sur les plans de la morale et de la liberté des corps) que le « bien » varient considérablement. La coprésence de ces deux discours par la double lecture possible du texte rend perceptible une situation de conflit.

D’ailleurs, on notera le contraste entre le titre que nous venons d’évoquer et le sous-titre du recueil : « tits in my bowl ». Ce dernier démonte le conformisme feint du titre par l’usage d’une langue étrangère, le niveau de langue (« tits » se tra­duirait par « nichon »), et l’allusion sexuelle (« in my bowl », littéralement : dans mon bol, suggère le rapport au corps basé sur le plaisir, notamment gustatif). Sans doute pourrait-on considérer que l’usage de l’anglais acquiert également, ici, une valeur politique, dans la mesure où il renvoie, par clin d’œil, aux origines états-uniennes du mouvement queer17. Dans l’édition originale, ce contraste est marqué typographiquement par le type de police, la taille et la couleur des lettres. Si le titre du recueil esquisse la possibilité d’une « relecture » de certaines normes – celle de la morale (avec l’adverbe « bien »), celle du sexe et du genre (puisqu’il invite à une définition de la « petite fille bien ») – le sous-titre opère déjà une transgression.

La dualité des styles, les doubles sens, dont use la locutrice, sont l’expression d’une connaissance des règles (notamment celles du langage) qui ont cours dans l’univers social depuis lequel elle s’exprime. De même, dans le poème « La inocente »18, le je du poème porte sur son interlocutrice, ignorante et crédule, un regard clairvoyant qui révèle une connaissance du monde :

También creo que no debería mutarte,
No puedo dejarte en medio del camino,
Podrían atropellarte miles de bolleras
en sus camiones. […] (v. 4-7).
Por eso no tengo derecho
a mostrarte el mal camino,
a decirte que tu príncipe
destiñe el azul (v. 26-29).

On peut légitimement penser que ce savoir – qu’elle décide de ne pas divul­guer, dans le poème « La inocente » – confère à la locutrice un certain pouvoir, pour reprendre un concept de Michel Foucault19. À plusieurs reprises, la locutrice du recueil pose ce regard distancié clairvoyant sur le monde qui l’entoure, notam­ment sur les autres femmes. On lit encore : « te explicaré este amor paranormal » (v. 1) au début du poème « Todo el suelo del Mercadona lleno de rotos esquemas (de señoras respetables) »20.

Ce qui permet en fin de compte de définir deux camps, c’est ce savoir de l’une et non savoir des autres. Dans le camp de l’ignorance, se situent ceux qui embras­sent les conventions sociales : « educados caballeros » (v. 5), où l’adjectif s’entend ici de manière ironique comme une adhésion non réfléchie à la norme, « señoras bien » (v. 7), « las familias respetables » (v. 13)21. Dans l’autre camp, la locutrice qui se définit comme lesbienne, queer, « butch »22. Or, comme dit Sam Bourcier, « la femme butch est menaçante parce qu’elle renvoie en miroir une forme de violence dont les hommes sont habituellement les sujets et non les objets »23. Entre ces groupes bien définis et la locutrice, il n’y a pas de communi­cation, si ce n’est par la menace muette de regards scandalisés (« Las familias respetables nos miran / desde la oscuridad y el fondo abisal », v. 13-14)24, préludes silencieux à un conflit larvé.

Dans le poème « Maneki-neko girl »25, les expressions « señoras estupendas » (v. 1), « Damas-talento », « femmes-valentía » (v. 7)26, renvoient à cette même compartimentation de la société. Il paraît alors clair que la voix poétique évoque de telles catégories de femmes pour s’en démarquer mais aussi pour dénoncer l’hypo­crisie de cette apparence féminine normée, voire de l’identité même de « femme » : « pero por dentro son bellos muchachos » (v. 12)27. Ainsi que le sou­ligne Noni Benegas, « lorsque les femmes poètes décident de profiter de leur autorité nais­sante pour s’exprimer en public, elles se heurtent à la femme qu’on exige qu’elles soient, et découvrent la non coïncidence [entre la femme et] les femmes qu’elles sont »28. Cette « non coïncidence », qui fait l’objet du poème, engendre un conflit non seulement avec les autres, mais avec soi-même.

C’est un conflit insoluble, en effet, entre d’une part le souhait d’être sociale­ment reconnue, acceptée et, d’autre part, le désir du sujet. Il fait l’objet du poème « In principium… »29 où, dès les premiers vers, l’échelonnement rend visible la non compatibilité d’une contrainte et d’un désir :

En aquel tiempo
En que yo era
– pero no era – (v. 1-3)30.

Alors que dans les vers suivants, le champ lexical du mensonge abonde : « falseé » (v.3), « fingí » (v. 4), « mentí » (v. 5) « lágrimas cocodríleas » (v. 4), l’expression « una mujercita de las de verdad »31 (v. 9) révèle ensuite cette insti­tution sociale et menteuse que constitue la « femme ». Si la féminité, « construite et apprise » (Elena Castro)32, repose sur un mensonge, c’est tout le domaine de la morale, bien au-delà du seul terme « femme », qui se trouve impliqué. Ainsi, il est, de nouveau, question de « señorita buena », bonne demoiselle (v. 10), expression qui fait écho au titre du recueil (« niñas bien ») où l’adjectif désigne, en fait, la douleur et le sacrifice : « modosa, mártir y / deseosa de agradar » (v. 12)33.

En outre, ce poème doit être lu conjointement avec le suivant : « … Erat verbum »34. Les deux titres reprennent, en latin une maxime biblique (ce qui illustre bien le caractère figé d’un discours qui trouve ses racines dans la culture judéo-chrétienne). Pourtant, la division en deux temps de cette maxime semble contredire la primauté du verbe qu’elle affirme, puisque s’y substitue un message articulé. Les deux poèmes renvoient à deux étapes de la constitution de la « fem­me » comme construction sociale. Si le premier renvoyait à la censure des désirs, le second évoque le morne quotidien d’une femme au foyer soumise : « vi que estaba bien y que era cómodo… esperar complaciente a tu maridito » (v. 2-4)35. Alors que dans le premier poème, la locutrice est lucide sur le mensonge auquel est soumise son existence, dans le second poème, elle renie – en apparence – ce savoir : « Es / justo y necesario » (v. 13-14). Le poème est donc totalement rédigé sur le mode parodique à travers lequel le lecteur percevra la dénonciation d’une société hétéro­normée :

Que se te llene la bañera y la cama
De santos viriles pelos negros rizados
Que te huela el salón a sudor macho,
Que haya siempre una bella gotita
De pipí en la taza. (v. 8-12)36

Txus García invite à un double constat : l’édification du concept de « femme » sur un mensonge, et l’importance du langage dans cette édification. Le mot « fem­me », et toute la construction sociale mensongère qu’il implique, est ainsi à l’origine (« In principium », comme dit le titre) d’un processus d’aliénation.

Le décalage perçu entre le sujet féminin et l’image de « la femme » définie par les normes sociales est un thème fréquent dans le recueil qu’on trouve égale­ment sous d’autres plumes de la poésie contemporaine féminine espagnole37. Chez Txus García, dès les premiers poèmes sont mentionnés des stéréotypes patriarcaux, refusés, mais avec difficulté, par la locutrice, à l’instar des accessoires énumérés dans le poème « Documento Nacional de Identidad »38 : « manoletinas, braguitas, etc. » (v. 5-6) (ballerines, petites culottes) qui lui donnent l’impression d’être « trans-vestida ».

Ce thème du travestissement est central dans la résolution du conflit de la locutrice avec elle-même et avec la société, pour l’affirmation d’une identité les­bienne et queer. Il révèle l’existence d’un « placard », selon le concept défini par Eve Kosofsky39, dont la sortie (le outing) est fondamentale dans la « déclaration » même du conflit. Car il s’agit bien de cela : se « déclarer » lesbienne aux yeux du monde c’est – au moins dans une certaine mesure, selon les époques et les lieux – se « déclarer » en guerre avec ce monde. La dimension visuelle, osten­tatoire, orale : bref, le spectacle, acquiert donc, chez Txus García une importance cruciale car il propose une mise en scène des identités et du genre et qu’il performe cette « déclaration ».

Se déclarer (en guerre)

Txus García se définit elle-même comme « rhapsode », inspirée par les trou­badours du Moyen Âge et les clowns40, affectionnant les « shows »41 et les lectures publiques à voix haute. Son corps, sa voix, et finalement son écriture, participent à cette pratique du « show » qui a tout à voir avec le « plaisir auditif (émotionnel, intellectuel et esthétique) [que suscite] la longue chaîne des aèdes anonymes puis des rhapsodes »42 transmetteurs de l’épopée. Outre cette valorisation de l’oralité, c’est également une prise de position politique vis-à-vis d’un public qu’elle s’efforce de « conquérir » – presque au sens guerrier du terme43 – et auquel il s’agit de rendre visible44 (et acceptable) une identité dissidente, à l’opposé des corps normés que la société nous donne à voir :

no quedo bien en la foto, no desprendo juventud, lesbianchic ni glamour escénico. A pesar de eso, me ha dado la gana montarme una gira con mi voz de marica rapsoda y mi cuerpo disidente, extraño, gordo, fuerte y machihem­brado45.

Cet aspect ne concerne pas seulement les performances et lectures orales de Txus García mais imprègne l’écriture même de son premier recueil, lequel présente certains aspects caractéristiques du genre épique tout en se basant sur des procédés distincts invitant à reconsidérer les normes du genre lui-même. D’abord, l’épopée propose « le récit des épreuves et des hauts faits d’un héros ou d’une héroïne »46 : les trois premiers poèmes du recueil de T. García constituent une description détaillée de la formation et de la maturation de la locutrice. La structure fragmen­taire du discours, puisque les trois poèmes liminaires traitent d’étapes successives de la vie de la locutrice, est caractéristique de l’épopée47. Les verbes à la première personne abondent (« Fui », « Hice », « Crecí »). L’hyperbole humoristique « Lle­vo siglos siéndolo » (v. 1-2 du poème « Documento Nacional de Identidad »48) annonce l’ampleur du parcours conduisant à l’affirmation de soi : « Me llamo Txus. / Soy »49 (à la fin du poème « Visado »). Or, non seulement le récit à la première personne contraste avec les normes de l’épopée classique mais la présence d’une figure féminine de premier plan est tout à fait contraire aux habitudes du genre qui, d’ordinaire, « semble porter un intérêt exclusif aux person­nages masculins, acteurs des conflits qui structurent les poèmes », comme le souligne François Suard50 qui s’interroge sur ce que « dissimule un tel monopole ». Si F. Suard suggère que les héros masculins de la plupart des épopées s’écartent des stéréotypes de genre, il semble en retour légitime de se demander dans quelle mesure la mise en scène d’une femme comme personnage principal et qui plus est, à la première personne, renverse les règles du genre épique… à moins que cela ne soit une manière de conférer à la locutrice une certaine « masculinité » qui a fort à voir avec la prise de pouvoir51. Cette prise de pouvoir n’est pas sans lien, par ailleurs, avec l’affirmation d’une certaine liberté sexuelle (lesbienne). Ainsi, on soulignera la confusion entre les registres érotiques et guerriers dans le premier poème (alors que la locutrice évoque ses rêves d’adolescente) : « Podría cabalgar a lomos de la masculina señorita RobertsMmmmm »52. L’affirmation d’une sexualité et de fantasmes lesbiens est donc le moyen, pour la locutrice, d’affirmer une identité « dissidente », voire conquérante dans la mesure où elle va à l’encontre des normes patriarcales.

Cette dimension guerrière et combative est exacerbée par l’illustration qui suit ces trois poèmes initiaux53: une femme aux cheveux courts, vêtue telle un super­héros (habits moulants et ceinture à grosse boucle), tenant dans sa main une cravache qu’elle brandit telle une épée, crie son nom (les lettres « TXUS » sortent de sa bouche) et tient, sous le bras, une tête de femme dessinée au crayon. Il est intéressant d’observer que cette iconographie guerrière n’est pas un cas isolé dans la poésie espagnole contemporaine : la photographie d’Andrea Luca figurant dans l’anthologie Ellas tienen la palabra54 propose une mise en scène très similaire. La poète se tient de face et brandit un sabre, tel un samouraï. Ne peut-on déduire de cette coïncidence55 que l’écriture poétique implique bien, au moins pour certaines auteures, d’aller au combat ?

Au cœur du combat : agresseurs et agressé(e)s

Si le premier combat auquel se livre la locutrice est celui de l’affirmation de soi et de la reconnaissance (par soi et par les autres) d’une liberté de genre et de sexualité, il ne faut pas croire qu’une fois celle-ci assumée tout aspect conflictuel disparaisse ! Au contraire, comme dit David Halperin : « sortir du placard, c’est précisément s’exposer à d’autres dangers et à d’autres contraintes »56. De nouveaux conflits surgissent qui soumettent la locutrice à une violence réelle. Vivre un désir féminin et lesbien revient à affronter une culture hétérocentrée parfois violente. Cette violence n’est pas seulement verbale et symbolique, car comme le commente Léo Bersani à propos de la thèse de La volonté de savoir de Foucault57, « c’est par la classification, la distribution, la hiérarchisation morale de ces sexualités que les individus qui les pratiquent peuvent être approuvés, traités, marginalisés, séques­trés, disciplinés, ou normalisés ».

Le poème « Agentes forestales de servicio »58 témoigne de cette violence, et son sous-titre « Based on a true story » en dit l’ancrage dans le réel, tout en adoptant une distance critique et artistique (via l’anglais et l’usage d’une expres­sion caractéristique du cinéma hollywoodien). La violence vient des hommes mis en scène à travers un discours où domine le lexique guerrier, et les verbes d’action à la troisième personne : « vinieron por el aire » (v. 1 et 8), « sus pistolas y helicóp­teros » (v. 2), « gritaban » (v. 3), « las aspas sonaban furiosas » (v. 9), « aterrori­zada por sus trajes caquis » (v. 10)59. Il s’agit d’un pouvoir policier, masculin, codifié par un uniforme (les costumes kaki) et un langage de stéréotypes : « ¡Quie­ta! », Du calme ! (v. 3). L’abondance de l’attirail mis en scène (hélicoptères, armes, uniforme) renvoie à ce qu’Eve Kosofsky Sedgwick nomme une « ignorance […] institutionnalisée »60, c’est-à-dire des normes oppressives marquées par le refus de voir et de connaître la réalité de ceux qu’elles oppriment.

Par ailleurs, parmi les stratégies opérantes pour dénoncer la violence du pouvoir, David Halperin cite « la parodie, l’exagération, la théâtralisation, la prise au sens littéral des codes tacites qui régissent notre manière de vivre et la repré­sentation (les codes de la masculinité par exemple) comme des stratégies de résistance culturelle »61. Il s’agit bien, chez Txus García, de ridiculiser le pouvoir en parodiant ses codes : le sous-titre en anglais, les expressions figées détournées : « las manos fuera de la mujer » (v. 4)62 et, souvent, hyperboliques, suggérant, par exemple, l’assimilation du corps lesbien à une bombe : « no toques a esa otra desviada » (v. 7)63. Elle décrit la violence, en révélant l’absurdité pour la rendre illégitime. Contre la répression homophobe, elle dresse un « savoir-pouvoir », une « résistance contenue dans le pouvoir » qui « construi[t] une relation différente au savoir » – en l’occurrence le savoir de la sexualité, de la construction des genres, le savoir du corps des femmes64.

Aterrorizada de sus trajes caquis,
De sus invisibles ojos tras el cristal,
Del ruido infernal, cantaste una nana (v. 10-13)65.

Le summum du ridicule est atteint avec la référence à la berceuse comme refuge contre la violence policière. C’est aussi une allusion humoristique au pou­voir apaisant du discours artistique ou poétique. L’humour permet la coexistence de deux discours en « contrepoint » pour reprendre le terme employé par l’auteure elle-même. Elle souhaite d’ailleurs tirer parti de cette ambivalence :

J’utilise toujours le sens de l’humour, ce moment où tu ne sais pas bien si c’est de l’ironie ou autre chose, […] je te donne toujours ce contre-point, qui est le contre-point donné par la vie, celui qui te permet de naviguer dans les émotions les plus difficiles66.

Ce recours à l’humour s’inscrit dans l’analyse foucaldienne du discours, comme l’explique David Halperin :

De nombreux intellectuels gays et lesbiennes […] se sont moins attachés à réfuter les discours homophobes qu’à décrire comment ces discours ont été constitués, comment ils fonctionnent, construisent leurs sujets et leurs objets, participent à la légitimation des pratiques sociales d’oppression et réussissent le plus souvent à rendre invisibles leurs propres opérations67.

Ce souci d’analyse du discours homophobe est particulièrement visible, chez T. García, dans la confrontation des locuteurs. Dans le dernier poème du recueil, celle-ci prend une tournure directe au sens discursif du terme, puisque le titre « Cuidado »68 (Prends garde !) constitue une interpellation, une mise en garde lan­cée aux homophobes, voire une incitation à l’affrontement. Le poème décrit une lutte collective et possède une dimension épique qui rappelle à maints égards le roman de Monique Wittig Les Guérillères, défini par son auteure comme une œuvre du « genre épique »69 du fait de la construction d’un « personnage collec­tif »70, via le « pronom personnel pluriel de la troisième personne, elles »71. De même, dans le poème « Cuidado » de T. García, le pronom féminin pluriel « ellas » résonne dans les nombreuses terminaisons au féminin pluriel, en «as», et illustre la présence grandissante des lesbiennes : « Las locas, las desviadas / cuecas, maricas, travelas / torcidas, feas y extrañas » (v. 5-7)72.

La reprise de termes injurieux (« maricas », « travelas » notamment), associés à la première personne du pluriel, constituent un procédé habituel de réappro­priation qui confère à ces termes une signification nouvelle, bien commentée par Evelyne Larguèche73. Les termes nommant les lesbiennes sont revendiqués par la locutrice dans la mesure où ils désignent un collectif dont le nombre et la force n’en sont que plus visibles. Dominique Lagorgette remarque d’ailleurs74 que cer­taines insultes servent également à marquer « la solidarité dans un groupe de pairs ». Txus García retourne le discours homophobe et lui oppose la voix d’une résistance unifiée. Les procédés d’énumérations, d’accumulations et de répétitions sont prépondérants dans ce poème où le discours queer, lesbien, « marche » (au sens militaire du mot) sur la ville dont il envahit les différentes strates : « somos tus doctoras, / maestras y monjas / estamos por todas partes »75. Cette énumération s’étend sur les cinq premières strophes (jusqu’au vers 31), où elle est synonyme d’une prise de pouvoir qui passe par l’omniprésence, le regard (« te miramos en los baños », v. 2676), et l’influence (« te sobamos las ideas », v. 31)77.

Néanmoins, le discours guerrier laisse place, à la strophe 6, à l’évocation de l’origine du conflit, à savoir la répression de l’homosexualité. On peut penser au maintien en vigueur jusqu’en 1978 de la « Ley de peligrosidad y rehabilitación social »78 : « Porque ya hemos estado ahí mucho tiempo / generaciones de exilios, condenas, cárceles, campos » (v. 36-37)79. Aux injustices juridiques, succèdent les violences corporelles : « palizas, sangre, dolor, lágrimas » (v. 38)80, et langagières. La violence langagière est exprimée par un changement, rapide (et impromptu) de locuteur qui reprend les termes injurieux du discours homophobe mis en scène par le style indirect libre : « ¡travesti de mierda! »81. Les termes dégradants et humi­liants pour évoquer les homosexuel(le)s abondent : « maricón, bollera, contrana­tura, vergüenza ajena »82. Loin de constituer ici des réappropriations de termes insultants comme précédemment, il s’agit bien désormais de laisser la parole aux « agresseurs » pour rendre visible la violence verbale et expliquer la situation de conflit. Entre le début et la fin du poème, les termes se font écho : « travesti » (v. 38) renvoie à « travelas » (v. 6), « maricón » (v. 39) à « maricas » (v. 6) mais la signification est tout autre. Ce retour au discours homophobe, non plus sa réappro­priation queer mais bien son origine violente, confère à ce poème une portée politique83. C’est bien deux discours, opposés, en lutte, que nous laisse entendre Txus García dans un glissement des locuteurs qui ont cependant en commun leur tonalité vindicative.

La victoire du « camp » des lesbiennes est cependant suggérée à la fin par la reprise du langage homophobe et son appropriation par les lesbiennes que nous avons commentée. À deux reprises, le motif de la contagion suggère, finalement, une métamorphose totale de la société. Il ne renvoie plus à un risque morbide mais à l’épanouissement d’une puissance qui ne s’affirme pas – contrairement au pou­voir auquel elle s’oppose – dans la violence, mais dans le bien-être et certaines valeurs morales : « contagiamos/ la fuerza, el coraje, las ganas de luchas / y el po­der vivir por fin, / sin miedo » (v. 45-49)84. Il s’agit d’ouvrir une nouvelle époque « rompemos tus esquemas » (v. 31)85. On rejoint l’analyse des utopies par Kate Robin : elles montrent « une réelle volonté de changer la société, non pas en redistribuant le pouvoir, mais en éclatant cette notion même »86.

Jeux de rôle et sexualités contestataires

L’éclatement du pouvoir se traduit chez Txus García par la réappropriation du langage de l’autre, ainsi que par l’usage de doubles sens, de l’ironie qui diluent les normes rigides de la société hétérocentrée dans un réseau de significations plus riches où, finalement, toutes les voix, tous les discours, ont droit de cité. Ainsi, dans le poème « Tits in my bowl (chamaquita) »87, la voix poétique propose d’emblée de laisser la parole à un locuteur masculin : « el camionero who lives inside me ». Celui-ci exprime, par des termes crus et injurieux («mala puta», sale pute, v. 15), un désir hétérosexuel mal contrôlé : « esta zorra me provoca con sus tetas » (v. 8)88.

Le dispositif énonciatif – le pronom (anglais) de première personne me, au vers 1, renvoie à une locutrice vraisemblablement féminine qui dit explicitement laisser la parole à un locuteur masculin – permet là aussi la coexistence de deux lectures. D’une part, la violence verbale du locuteur masculin relève d’un plaisir de la transgression associé aux allusions sexuelles89, plaisir rendu possible par la performance de « masculinité féminine » jouée par la locutrice90. Ainsi, comme l’explique Evelyne Larguèche, les mots sont « manipulés […] pour eux-mêmes et pour la jouissance qu’ils procurent, il n’y a qu’un pas qui mène précisément au caractère sexuel de cette manipulation »91. D’autre part, le comportement violent et agressif du « camionero » constitue le reflet d’une violence (verbale) machiste réelle, notamment lorsque le locuteur accuse la femme de provocation : « como si no hicieras nada, como si aún fueras inocente y casta » (v. 17-18)92.

Bien que la dimension parodique (notamment, le locuteur dit s’appeler « Manolo », prénom qui renvoie au stéréotype de l’espagnol du peuple) et humo­ristique soit prégnante, il n’en reste pas moins que le stéréotype d’une masculinité agressive renvoie à une réalité sociale, surtout lorsqu’il s’agit de culpabiliser la femme pour le désir qu’elle provoque ! L’ambigüité réside, donc, dans le vacille­ment de la dualité masculin/féminin et, dans ce cas précis de l’agresseur et de l’agressée.

On peut donc s’interroger sur le caractère performatif de la violence langa­gière comme « cathartique » (dans le cas où la locutrice s’identifierait totalement à ce « camionero ») ou révélatrice, au contraire, d’une violence réelle93. Pour s’op­poser à la violence, Txus García ne choisit pas la dénonciation directe, mais la réinjection de certains comportements, certains motifs dans des jeux de masques où les identités, les positionnements, les statuts sont susceptibles de se renverser. Le terme « camionero » pourrait d’ailleurs constituer une allusion à l’identité les­bienne « camión » (c’est-à-dire butch) que la locutrice revendique par ailleurs94. Bien loin de stigmatiser une catégorie professionnelle majoritairement masculine en la figeant dans un désir brutal, la locutrice propose d’embrasser pour elle-même ce désir, de se l’approprier en le mettant en scène, d’en laisser apparaître tout à la fois l’érotisme et la grossièreté. Sans exclure ni l’une ni l’autre, Txus García entre en résistance contre la violence de normes provocant frustrations et oppressions. Tout est permis : même la grossièreté, même l’humiliation et les termes insultants, pourvu que cela soit dans le cadre d’un jeu de rôle où, en fin de compte, les individualités de chacun sont respectées. Cette idée rejoint, semble-t-il, l’analyse des codifications des relations S/M par Sam Bourcier comme « mise en scène des structures du pouvoir par un jeu stratégique capable de procurer un plaisir sexuel ou physique »95. On retrouve d’ailleurs cette « répartition différente » du masculin et du féminin96, comme nous l’avons commenté à propos du poème de Txus García.

L’allusion au S/M et le glissement des rapports masculin-féminin sont plus explicites dans les poèmes « Fucking with 4 (polvoqueer I) »97, ou encore « Ñam, ñam »98. Dans ce dernier il s’agit d’une assimilation – à tendance masochiste – de la locutrice à un godemiché. À l’exacerbation du conflit et au braquage des posi­tions, Txus García préfère le jeu des points de vue, les glissements des identités (de genre), des statuts et des positionnements qui suggèrent la possibilité d’une dislo­cation du pouvoir en laissant entrevoir des sexualités alternatives, plurielles et dissidentes.

Ainsi, il ne s’agit pas tant pour Txus García d’inverser la norme, que de l’abolir par une série de glissements. Ainsi, le poème « Un Joven con unos lirios » évoque l’improbable désir de la locutrice (généralement lesbienne) pour un jeune homme qui, dit-elle, « ha hecho que hoy vuelva / a hervir[le] la sangre hetero »99. Elle l’exprime en des termes où point, là encore, la brutalité du désir, cette fois totalement assumée par la locutrice : « romperle / los putos lirios / a lametones » (v. 32)100. Si d’ordinaire, comme le souligne Sam Bourcier101, « la masculinité ne peut être le support de l’objectivation (sexuelle). C’est un destin réservé à la femme », il semble néanmoins que les « arrêts appuyés sur certaines parties du corps » surviennent paradoxalement lors d’un regard féminin porté sur le corps masculin et provoquent son morcellement, signifié par le verbe « romper » du vers cité plus haut. Noni Benegas observe d’ailleurs, comme une caractéristique nou­velle dans la poésie contemporaine écrite par des femmes, cette objectivation du corps masculin qui « inverse l’ordre traditionnel du discours »102.

Le renversement de « l’ordre du discours » passe également par la rénovation de la syntaxe et l’invention d’une syntaxe libre de barrière et de limite : dans le poème « Y hasta aquí puedo leer »103, la structure énumérative et accumulative, révélatrice du nombre des objets potentiels du désir de la locutrice s’oppose, par sa forme même, à la normalisation du désir dans une société caractérisée par l’hétérosexualité et l’exclusivité des partenaires sexuels :

Masculinas, femeninas, intersex, andróginas,
Solteras, casadas, monjas, viudas, enamoradas.
Ellas.
Todas.
Mierda.
Me gustan todas. (v. 20-25)104.

L’accumulation exprime syntaxiquement l’absence de barrière, les déborde­ments souhaités, revendiqués. Une énumération assez similaire se trouve dans le poème « Costilla » de son second recueil, Este torcido amor (2018)105, à la diffé­rence cependant qu’il s’agit cette fois d’expressions désignant la même femme. La valeur péjorative de ces expressions renvoie à un discours misogyne tout à fait répandu : le poème est presque intégralement composé de citations, notamment de Saint Augustin, de références hypertextuelles ou intertextuelles, comme des figures mythiques, des topos. En affirmant, cependant, au dernier vers « te amo » (je t’aime), la locutrice se dresse contre ce discours et les normes sociales (et sexistes) qu’il sous-tend.

C’est donc une véritable quête, de dimension épique, que mène Txus García dans son premier recueil où les différentes figures, des dames de bonnes familles aux lesbiennes, en passant par les petites filles, les camionneurs et les adeptes du S/M, permettent d’entrevoir des sexualités qui, par leur liberté et leur multiplicité, se dressent contre l’hétéronormativité et le patriarcat. La dimension combative, vindicative parfois, fait également une place large à l’humour et la parodie comme stratégies langagières queer d’analyse et de renversement des discours dominants. Dans son deuxième recueil Este torcido amor (peu évoqué ici), la tonalité vindi­cative du premier s’atténue, le ton est celui de la réconciliation : « principio, per­dón y ternura » (principe, pardon et tendresse), énonce la locutrice à la fin du poème « Ancestros »106. Si le premier livre est une revendication éclatante d’un sujet – par certains aspects – en guerre, le second livre semble nous indiquer que celui-ci a pu dépasser, si ce n’est clore, ce conflit.

1 Les termes « bollera » ou « marika » sont employés plusieurs fois dans le recueil Poesía para niñas bien (Séville, Cangrejo pistolero, 2011).

2 On trouve cette affirmation à la page intitulée « Sobre la autora » de son site personnel : « Je me définis comme queer et activiste indépendante

3 Monique Wittig, La pensée straight, op. cit., p. 41.

4 Le prologue à l’ouvrage Lesbianas, discursos y representaciones (Raquel Platero [ed.], Madrid, Melusina, 2008, p. 8-17), intitulé « Las

5 Elena Castro, Poesía lesbiana queer, Barcelona, Icaria Editorial, 2014, p. 141 : « Une identité collective et homogénéisante pour la femme s’

6 Gracia Trujillo, « Sujetos y miradas inapropiables/adas », in Raquel Platero (ed.), Les­bianas, discursos y representaciones, op. cit., p. 112.

7 Benegas Noni et Munárriz Jesús, Ellas tienen la palabra, Madrid, Hiperión, 1997, p. 23.

8 David Halperin, Saint Foucault, Paris, Epel,2000, p. 69.

9 Ibid., p. 32.

10 Noni Benegas emprunte la notion de « champ » au sociologue Pierre Bourdieu. Elle en rappelle la définition : « espace traversé par des réseaux de

11 Pierre Bourdieu avec Loïc J.D. Wacquant, Réponses, Paris, Seuil, 1992, p. 24. Le terme « champ » est défini entre autres par « analogie avec le

12 Ibid., p. 80.

13 Txus García, « Guerra pa mi cuerpo », Pikara Magazine, 11/09/2019, en ligne : https://www.pikaramagazine.com/2019/09/guerra-pa-mi-cuerpo/.

14 Pierre Bourdieu avec Loïc J. Wacquant, op. cit. p. 16. Nous utilisons ce concept bour­dieusien car il inclut, comme l’explique Loïc J. D.

15 Selon la traduction que nous en proposons des deux recueils de Txus García, Poésie pour bonnes petites filles et Cet amour tordu, à paraître aux

16 Ce titre évoque plus ou moins explicitement l’enfance de Txus García dans la ville provinciale de Tarragone dont elle souligne par ailleurs le

17 Pour Sam Bourcier, « Queer zone 3 », in Queer zones la trilogie, Paris, Amsterdam, 2018, p. 509, « Les mots anglais queer, genderqueer, gay ne

18 Poesía para niñas bien, op. cit., p. 42-43. Nous traduisons : « Je crois aussi que je ne devrais pas te changer / Je ne peux te laisser au milieu

19 Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 36 : « Il faut plutôt admettre que le pouvoir produit du savoir (et pas

20 Ibid., p. 23. « Je t’expliquerai cet amour paranormal ».

21 « Messieurs éduqués », « femmes bien », « les familles respectables ».

22 Ce terme qui signifie « camionneuse » – on dirait en français « bucheronne » – désigne une lesbienne d’apparence masculine.

23 Queer zones, la trilogie, op. cit., p. 26.

24 « Les familles respectables nous regardent depuis l’obscurité et le fond abyssal ».

25 Op. cit., p. 32.

26 « Dames formidables », « Dame-talent », « Femmes-courage ».

27 « Mais à l’intérieur, ce sont de beaux jeunes hommes ».

28 Op. cit., p. 28.

29 Op. cit., p. 39.

30 « En ce temps / où j’étais / – mais n’étais pas – » (v. 1-3).

31 « Une véritable petite femme ».

32 Elena Castro, « Negociando igualdad y diferencia. Políticas y poéticas LGTBQ+ en José Infante y Txus García », Interalia, a journal of queer

33 « Sage, martyre et désireuse de plaire ».

34 Ibid., p. 40.

35 « Je vis que c’était bien… et qu’il était commode d’attendre, complaisante, ton petit mari ».

36 « Que ta baignoire et ton lit soient jonchés / de saint poils virils noirs et bouclés / Que ton salon sente la sueur mâle / qu’il y ait toujours

37 D’autres poètes contemporaines évoquent l’aliénation que provoque cette construction sociale de la féminité, comme María Castrejón dans le poème

38 Op. cit., p. 11.

39 Voir notamment Eve Kosofky Sedgwick, Épistémologie du placard, Paris, Amsterdam, 2008.

40 Interview https://txusgarcia.com/2018/07/29/entrevista-para-pikara-magazine/.

(consulté le 21/01/2019).

41 Par exemple, les « microshow » poétiques et queer « Queer-pos de verso » ou « Mira qué señora más rara, mamá » dont le dossier en ligne :

https://txusg.files.wordpress.com/2018/08/dossier-mira-que-sec3b1ora-mas-rara-mama_txus-garcia.pdf (consulté le 21/01/2019).

42 Nicole Revel, article « Épopée », Genres et notions littéraires, Paris, Albin Michel, 2001, p. 256.

43 Voir l’article de Txus García, « Guerra pa mi cuerpo », pour la revue en ligne Pikara Magazine (11/09/2019) :

https://www.pikaramagazine.com/2019/09/guerra-pa-mi-cuerpo/.

44 La question de la visibilité des communautés LGBTQ+ est abordée par Elena Castro, « Negociando igualdad y diferencia. Políticas y poéticas LGTBQ+

45 Traduction : « Je ne suis pas photogénique, je ne respire pas la jeunesse, le chic lesbien, le glamour de la scène. Malgré tout, j’ai eu envie de

46 Article « Épopée », Genres et notions littéraires, op. cit., p. 256.

47 Ibid., p. 263. Emmanuèle Baumgartner affirme que la chanson de geste se caractérise par un « texte fragmenté, renvoyant toujours à un plus vaste

48 Poème « Documento Nacional de Identidad », op. cit, p. 11. Traduction : « Cela fait des siècles que je le suis ».

49 Poème « Visado », vers 22-23, ibid., p. 13. Traduction : « Je m’appelle Txus. / Je suis ».

50 Guide de la chanson de geste et de sa postérité littéraire (XI-XVe siècles), Paris, Champion, 2011, p. 51.

51 À propos de la codification « masculine » du pouvoir, voir Sam Bourcier, « Queer zone 1 », in Queer zone redux, op. cit., p. 94.

52 « Documento Nacional de Identidad », vers 19. Traduction : « je pourrais chevaucher les flancs de la masculine demoiselle Roberts… Mmmmm ».

53 Ibid.,p. 14. Les illustrations du livre sont de Cisco Bellabestia.

54 Op. cit., p. 287.

55 Il serait intéressant de chercher d’autres occurrences d’une telle iconographie.

56 Op. cit., p. 45.

57 Il est cité par D. Halperin, op. cit., p. 35.

58 Op. cit.,p. 53.

59 « ils sont venus par les airs » (v. 1 et 8), « leurs pistolets et hélicoptères » (v. 2), « ils criaient » (v. 3), « les pales résonnaient avec

60 Épistémologie du placard, Paris, Amsterdam, 2008, p. 95 : « on ne peut espérer aucune possibilité de changement dans la mise en scène théâtrale d

61 Op. cit. p. 160. David Halperin évoque également l’exemple du Bay Times, magazine gay qui parodia le Newsweek de la semaine précédente avec un

62 « Les mains hors de la femme ».

63 « Ne touche pas cette autre dépravée ».

64 Sam Bourcier, « Queer zone 1 »,in Queer zone redux, op. cit.,p. 156 : « Selon [David Halperin] les savoirs-pouvoirs sont partout mais la

65 « Terrorisée par leur uniformes kakis / leur yeux invisibles derrière les verres / le bruit infernal, tu chantas une berceuse ».

66 https://txusgarcia.com/2018/07/29/entrevista-para-pikara-magazine/.

67 Op. cit., p. 48.

68 Op. cit., p. 74.

69 La pensée straight, op. cit., p. 149.

70 Ibid., p. 147.

71 Ibid., p. 149.

72 « Les folles, les déviées, / les tarlouses, les pédés, les trav,/ tordues, laides et étran­ges ».

73 L’effet-injure, Paris, PUF, 1983,p. 71 : « Il a ainsi fallu que les intéressés eux-mêmes retournent la situation en revendiquant le caractère

74 Dominique Lagorgette, « Les insultes par ricochet (fils de, cocu et consorts) : de quelques avanies du lexique insultant – quels critères pour l’

75 Traduction : « Nous sommes tes médecins / institutrices et bonnes sœurs / nous som­mes partout ». Le poème de María Castrejón, « Mujer borracha

76 « Nous te regardons depuis les toilettes ».

77 « Nous absorbons tes idées ».

78 Empar Pineda, « Mi pequeña historia sobre el lesbianismo organizado en el movi­miento feminista de nuestro país », inRaquel Platero (ed.)

79 « Parce que nous sommes là depuis longtemps / des générations d’exil, de condam­nations, de prison, de camps ».

80 « Coups, sang, douleur, larmes ».

81 On retrouve cette même « rage » dans un récit d’une arrivée en masse des femmes dans le poème « Poema a Hinojosa » de María Antonia Ortega (

82 « Pédé, gouine, contre-nature, honte d’autrui ».

83 Voir, à ce sujet, Didier Eribon, Réflexions sur la question gay, Paris, Flammarion, 2012.

84 « Nous contagions la force / le courage, les envies de lutter / et de pouvoir enfin, vivre sans peur ».

85 « Nous brisons tes schémas ».

86 Kate Robin, « De nulle part au partout. L’utopie de Wittig pour changer le présent et l’avenir », Temporalités, « Utopies / Uchronies », n°12

https://journals.openedition.org/temporalites/1378.

87 Op. cit., p. 19.

88 « Cette chienne me provoque avec ses nichons ».

89 Evelyne Larguèche, Injure et sexualité. Le corps du délit, Paris, PUF, 1997, p. 41, « Plaisir de la transgression ? Les mots « gros » sont alors

90 À ce sujet, voir Elena Castro, « Negociando igualdad y diferencia. Políticas y poéticas LGTBQ+ en José Infante y Txus García », op. cit., p. 34.

91 Ibid., p. 152.

92 « Comme si tu ne faisais rien, comme si tu étais encore innocente et chaste ». Au sujet du fait de « blâmer la victime », voir l’éclairant

93 Cette ambigüité de la violence langagière est d’ailleurs soulignée par Marie-Anne Paveau et Éric Desmons, Outrages, insultes, blasphèmes et

94 Ce terme apparaît, appliqué à la locutrice, dans le deuxième poème du recueil, « Pasaporte », p. 12.

95 Op. cit. p. 97.

96 Ibid. p. 95.

97 Op. cit., p. 67.

98 Op. cit. p. 58.

99 « [Il] a fait qu’aujourd’hui mon sang hétéro se remette à bouillir ».

100 « Briser tes putains de lys à coups de langue ».

101 « Queer zone 1 », in Queer zone redux op. cit., p. 55.

102 Op. cit., p. 41. Elle cite le célèbre poème « Calvin Klein Underdrawers » d’Ana Rossetti, écrit en 1985.

103 Op. cit. p. 15.

104 « Masculines, féminines, intersexes, androgynes / célibataires, mariées, bonnes sœurs, veuves, amoureuses. / Elles. / Toutes. / Merde. / Elles

105 Barcelona, Bellaterra, 2018, p. 32.

106 Ce poème évoque plusieurs conflits entre génération mais aussi de la violence machiste (le meurtre de sa grand-mère par son grand-père). Les

BENEGAS, Noni et MUNÁRRIZ, Jesús, Ellas tienen la palabra, Madrid, Hiperión, 1997.

BOURCIER, Sam, Queer zones. La trilogie, Paris, Amsterdam, 2018.

BOURDIEU, Pierre avec Loïc J.D. WACQUANT, Réponses, Paris, Seuil, 1992.

CASTREJÓN, María, Volveré mucho más tarde de las doce, Madrid, Egales, 2011.

CASTRO, Elena, « Negociando igualdad y diferencia. Políticas y poéticas LGTBQ+ en José Infante y Txus García », Interalia, a journal of queer studies, n°12, 2017.

CASTRO, Elena, Poesía lesbiana queer, Barcelona, Icaria Editorial, 2014.

COLE, Alyson, « Verbicide. D’une vulnérabilité qui n’ose dire son nom », in Corps vulnérables, Sandra BOEHRINGER et Estelle FERRARESE (éd.), Cahiers du genre n°58, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 135-16.

DESMONS, Éric et PAVEAU, Marie-Anne (éd.), Outrages, insultes, blasphèmes et injures : violences du langage du polices du discours, Paris, L’Harmattan, 2008.

EMPAR, Pineda, « Mi pequeña historia sobre el lesbianismo organizado en el movimiento feminista de nuestro país », Raquel PLATERO (éd.), Lesbianas, discursos y representaciones, Madrid, Melu­sina, 2008.

GARCÍA, Txus, Este torcido amor, Barcelona, Bellaterra, 2018.

GARCÍA, Txus, « Guerra pa mi cuerpo », Pikara Magazine, 11/09/2019, en ligne :
https://www.pikaramagazine.com/2019/09/guerra-pa-mi-cuerpo/

GARCÍA, Txus, Poesía para niñas bien, Séville, Cangrejo Pistolero, 2011.

GARCÍA, Txus, site personnel : https://txusgarcia.com

HALPERIN, David, Saint Foucault, Paris, Epel, 2000.

KOSOFKY SEDGWICK, Eve, Épistémologie du placard, Paris, Amsterdam, 2008.

LAGORGETTE, Dominique, « Les insultes par ricochet (fils de, cocu et consorts) : de quelques avanies du lexique insultant – quels critères pour l’outrage verbal ? », in Éric DESMONS et Marie-Anne PAVEAU (éd.), Outrages, insultes, blasphèmes et injures : violences du langage du polices du discours, Paris, L’Harmattan, 2008.

LARGUÈCHE, Evelyne, L’effet-injure, Paris, PUF, 1983.

LARGUÈCHE, Evelyne, Injure et sexualité. Le corps du délit, Paris, PUF, 1997.

PLATERO, Raquel (éd.), Lesbianas, discursos y representaciones, Madrid, Melusina, 2008.

REVEL, Nicole, « Épopée », Genres et notions littéraires, Paris, Albin Michel, Encyclopédie Universalis, 2001.

ROBIN, Kate, « De nulle part au partout. L’utopie de Wittig pour changer le présent et l’avenir », Temporalités, « Utopies / Uchronies », n°12, 2010, en ligne :
https://journals.openedition.org/temporalites/1378

SUARD, François, Guide de la chanson de geste et de sa postérité littéraire (XI-XVe siècles), Paris, Champion, 2011.

TRUJILLO, Gracia, « Sujetos y miradas inapropiables/adas », Lesbianas, discursos y representaciones (Raquel PLATERO, éd.), Lesbianas, discursos y representaciones, Madrid, Melusina, 2008.

WITTIG, Monique, La pensée straight, Paris, Amsterdam, 2013.

1 Les termes « bollera » ou « marika » sont employés plusieurs fois dans le recueil Poesía para niñas bien (Séville, Cangrejo pistolero, 2011). Monique Wittig a bien montré comment la lesbienne se définissait, justement, contre l’identité « femme » socialement construite (La pensée straight, Paris, Amsterdam, 2013, p. 52).

2 On trouve cette affirmation à la page intitulée « Sobre la autora » de son site personnel : « Je me définis comme queer et activiste indépendante en faveur des droits et libertés des personnes et des animaux. Je suis surtout quelqu’un de tendre, un animal humain à l’écoute ». https://txusgarcia.com/acerca-de/. Sauf mention contraire, nous traduisons en français toutes les citations d’auteur(e)s espagnol(e)s dans cet article.

3 Monique Wittig, La pensée straight, op. cit., p. 41.

4 Le prologue à l’ouvrage Lesbianas, discursos y representaciones (Raquel Platero [ed.], Madrid, Melusina, 2008, p. 8-17), intitulé « Las estrategias de la negación. Desen­tender de las entendidas », et rédigé par Dolores Juliano y Raquel Osborne, donne d’intéressants repères historiques sur la (non) reconnaissance de la sexualité féminine, du lesbianisme et, de ce fait, le bouleversement des codes au long du XXe siècle.

5 Elena Castro, Poesía lesbiana queer, Barcelona, Icaria Editorial, 2014, p. 141 : « Une identité collective et homogénéisante pour la femme s’avérait déjà inopérante ».

6 Gracia Trujillo, « Sujetos y miradas inapropiables/adas », in Raquel Platero (ed.), Les­bianas, discursos y representaciones, op. cit., p. 112.

7 Benegas Noni et Munárriz Jesús, Ellas tienen la palabra, Madrid, Hiperión, 1997, p. 23.

8 David Halperin, Saint Foucault, Paris, Epel, 2000, p. 69.

9 Ibid., p. 32.

10 Noni Benegas emprunte la notion de « champ » au sociologue Pierre Bourdieu. Elle en rappelle la définition : « espace traversé par des réseaux de relations entre personnes avec une activité, des manières d’être et d’agir en commun », op. cit., p. 10.

11 Pierre Bourdieu avec Loïc J.D. Wacquant, Réponses, Paris, Seuil, 1992, p. 24. Le terme « champ » est défini entre autres par « analogie avec le champ de bataille ». Ses participants se posent en tant que rivaux.

12 Ibid., p. 80.

13 Txus García, « Guerra pa mi cuerpo », Pikara Magazine, 11/09/2019, en ligne : https://www.pikaramagazine.com/2019/09/guerra-pa-mi-cuerpo/.

14 Pierre Bourdieu avec Loïc J. Wacquant, op. cit. p. 16. Nous utilisons ce concept bour­dieusien car il inclut, comme l’explique Loïc J. D. Wacquant, les « schèmes mentaux et corporels qui fonctionnent comme la matrice symbolique des activités pratiques, conduites, pensées, sentiments et jugements des agents sociaux ».

15 Selon la traduction que nous en proposons des deux recueils de Txus García, Poésie pour bonnes petites filles et Cet amour tordu, à paraître aux Presses Universitaires Blaise Pascal, 2021.

16 Ce titre évoque plus ou moins explicitement l’enfance de Txus García dans la ville provinciale de Tarragone dont elle souligne par ailleurs le caractère conservateur (mail personnel du 22/02/2020).

17 Pour Sam Bourcier, « Queer zone 3 », in Queer zones la trilogie, Paris, Amsterdam, 2018, p. 509, « Les mots anglais queer, genderqueer, gay ne sont pas des produits importés de force ou des aliénations culturelles mais des dénominations politiques communes et transnationales ».

18 Poesía para niñas bien, op. cit., p. 42-43. Nous traduisons : « Je crois aussi que je ne devrais pas te changer / Je ne peux te laisser au milieu du chemin / des milliers de gouines pourraient te percuter / dans leurs camions. […] Je n’ai donc pas le droit / de te montrer le mauvais chemin / de te dire que ton prince / n’est pas si charmant ». Dorénavant, toutes les citations poétiques en espagnol seront traduites en note.

19 Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 36 : « Il faut plutôt admettre que le pouvoir produit du savoir (et pas simplement en le favorisant parce qu’il le sert ou en l’appliquant parce qu’il est utile) ; que le pouvoir et savoir s’impli­quent directement l’un l’autre ; qu’il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir ».

20 Ibid., p. 23. « Je t’expliquerai cet amour paranormal ».

21 « Messieurs éduqués », « femmes bien », « les familles respectables ».

22 Ce terme qui signifie « camionneuse » – on dirait en français « bucheronne » – désigne une lesbienne d’apparence masculine.

23 Queer zones, la trilogie, op. cit., p. 26.

24 « Les familles respectables nous regardent depuis l’obscurité et le fond abyssal ».

25 Op. cit., p. 32.

26 « Dames formidables », « Dame-talent », « Femmes-courage ».

27 « Mais à l’intérieur, ce sont de beaux jeunes hommes ».

28 Op. cit., p. 28.

29 Op. cit., p. 39.

30 « En ce temps / où j’étais / – mais n’étais pas – » (v. 1-3).

31 « Une véritable petite femme ».

32 Elena Castro, « Negociando igualdad y diferencia. Políticas y poéticas LGTBQ+ en José Infante y Txus García », Interalia, a journal of queer studies, n°12, 2017, p. 35.

33 « Sage, martyre et désireuse de plaire ».

34 Ibid., p. 40.

35 « Je vis que c’était bien… et qu’il était commode d’attendre, complaisante, ton petit mari ».

36 « Que ta baignoire et ton lit soient jonchés / de saint poils virils noirs et bouclés / Que ton salon sente la sueur mâle / qu’il y ait toujours une belle petite goute / de pipi sur le rebord des toilettes » (v. 8-12).

37 D’autres poètes contemporaines évoquent l’aliénation que provoque cette construction sociale de la féminité, comme María Castrejón dans le poème « deméter » du recueil Volveré mucho más tarde de las doce, Madrid, Egales, 2011 (« me escribieron / me pintaron / me esculpieron / madre », v. 14-17), ou encore Julia Otxoa, citée dans l’an­thologie Ellas tienen la palabra (op. cit., p. 173 et 174) : « Cómo me dueles, mujer de nylon y escaparate… ».

38 Op. cit., p. 11.

39 Voir notamment Eve Kosofky Sedgwick, Épistémologie du placard, Paris, Amsterdam, 2008.

40 Interview https://txusgarcia.com/2018/07/29/entrevista-para-pikara-magazine/.

(consulté le 21/01/2019).

41 Par exemple, les « microshow » poétiques et queer « Queer-pos de verso » ou « Mira qué señora más rara, mamá » dont le dossier en ligne :

https://txusg.files.wordpress.com/2018/08/dossier-mira-que-sec3b1ora-mas-rara-mama_txus-garcia.pdf (consulté le 21/01/2019).

42 Nicole Revel, article « Épopée », Genres et notions littéraires, Paris, Albin Michel, 2001, p. 256.

43 Voir l’article de Txus García, « Guerra pa mi cuerpo », pour la revue en ligne Pikara Magazine (11/09/2019) :

https://www.pikaramagazine.com/2019/09/guerra-pa-mi-cuerpo/.

44 La question de la visibilité des communautés LGBTQ+ est abordée par Elena Castro, « Negociando igualdad y diferencia. Políticas y poéticas LGTBQ+ en José Infante y Txus García », op. cit., p. 23.

45 Traduction : « Je ne suis pas photogénique, je ne respire pas la jeunesse, le chic lesbien, le glamour de la scène. Malgré tout, j’ai eu envie de faire une tournée avec ma voix de rhapsode pédé et mon corps dissident, étrange, gros, fort et virilofemmelle ».

46 Article « Épopée », Genres et notions littéraires, op. cit., p. 256.

47 Ibid., p. 263. Emmanuèle Baumgartner affirme que la chanson de geste se caractérise par un « texte fragmenté, renvoyant toujours à un plus vaste ensemble, la chanson de geste est sur le plan formel un art du discontinu ».

48 Poème « Documento Nacional de Identidad », op. cit, p. 11. Traduction : « Cela fait des siècles que je le suis ».

49 Poème « Visado », vers 22-23, ibid., p. 13. Traduction : « Je m’appelle Txus. / Je suis ».

50 Guide de la chanson de geste et de sa postérité littéraire (XI-XVe siècles), Paris, Champion, 2011, p. 51.

51 À propos de la codification « masculine » du pouvoir, voir Sam Bourcier, « Queer zone 1 », in Queer zone redux, op. cit., p. 94.

52 « Documento Nacional de Identidad », vers 19. Traduction : « je pourrais chevaucher les flancs de la masculine demoiselle Roberts… Mmmmm ».

53 Ibid., p. 14. Les illustrations du livre sont de Cisco Bellabestia.

54 Op. cit., p. 287.

55 Il serait intéressant de chercher d’autres occurrences d’une telle iconographie.

56 Op. cit., p. 45.

57 Il est cité par D. Halperin, op. cit., p. 35.

58 Op. cit., p. 53.

59 « ils sont venus par les airs » (v. 1 et 8), « leurs pistolets et hélicoptères » (v. 2), « ils criaient » (v. 3), « les pales résonnaient avec fureur » (v. 9), « effrayée par leurs costumes kakis » (v. 10).

60 Épistémologie du placard, Paris, Amsterdam, 2008, p. 95 : « on ne peut espérer aucune possibilité de changement dans la mise en scène théâtrale d’une ignorance déjà institutionnalisée ».

61 Op. cit. p. 160. David Halperin évoque également l’exemple du Bay Times, magazine gay qui parodia le Newsweek de la semaine précédente avec un article sur « Les hétérosexuels. Quelle limite à la tolérance ? », ibid., p. 64 à 66.

62 « Les mains hors de la femme ».

63 « Ne touche pas cette autre dépravée ».

64 Sam Bourcier, « Queer zone 1 », in Queer zone redux, op. cit., p. 156 : « Selon [David Halperin] les savoirs-pouvoirs sont partout mais la résistance est contenue dans le pouvoir. Lutter contre le pouvoir ne revient donc pas à s’en libérer mais à lui opposer une résistance. Il est donc illusoire de se situer hors-pouvoir. La première forme de résistance consiste à contrer la volonté de savoir. Comment ? En construisant une relation différente au savoir ».

65 « Terrorisée par leur uniformes kakis / leur yeux invisibles derrière les verres / le bruit infernal, tu chantas une berceuse ».

66 https://txusgarcia.com/2018/07/29/entrevista-para-pikara-magazine/.

67 Op. cit., p. 48.

68 Op. cit., p. 74.

69 La pensée straight, op. cit., p. 149.

70 Ibid., p. 147.

71 Ibid., p. 149.

72 « Les folles, les déviées, / les tarlouses, les pédés, les trav,/ tordues, laides et étran­ges ».

73 L’effet-injure, Paris, PUF, 1983, p. 71 : « Il a ainsi fallu que les intéressés eux-mêmes retournent la situation en revendiquant le caractère positif de ces appellations. Le terme nègre est à cet égard particulièrement caractéristique : devenu imprononçable sans être injurieux, il a été repris par les Noirs eux-mêmes pour mettre en valeur leur culture (la négritude, l’art nègre, etc.) ».

74 Dominique Lagorgette, « Les insultes par ricochet (fils de, cocu et consorts) : de quelques avanies du lexique insultant – quels critères pour l’outrage verbal ? », Éric Desmons et Marie-Anne Paveau (ed.), Outrages, insultes, blasphèmes et injures : violences du langage du polices du discours, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 10.

75 Traduction : « Nous sommes tes médecins / institutrices et bonnes sœurs / nous som­mes partout ». Le poème de María Castrejón, « Mujer borracha con el pelo suelto » décrit, de même, des femmes en colère (« sagas de mujeres / hambrientas de sangre », « ahora que son lobas / aúllan en la calle ») mais également « libres ». On peut obser­ver le passage du singulier (dans le titre) au pluriel (dans le corps du poème), ce qui permet de penser que la locutrice s’inclut dans cette collectivité.

76 « Nous te regardons depuis les toilettes ».

77 « Nous absorbons tes idées ».

78 Empar Pineda, « Mi pequeña historia sobre el lesbianismo organizado en el movi­miento feminista de nuestro país », in Raquel Platero (ed.), Lesbianas, discursos y representaciones, op. cit., p. 9.

79 « Parce que nous sommes là depuis longtemps / des générations d’exil, de condam­nations, de prison, de camps ».

80 « Coups, sang, douleur, larmes ».

81 On retrouve cette même « rage » dans un récit d’une arrivée en masse des femmes dans le poème « Poema a Hinojosa » de María Antonia Ortega (Anthologie Ellas tienen la palabra, op. cit., p. 212) : « Pero basta de mujeres / esquematizadas : el putón discreto, la mujer fuerte que tiene que disimular con sobredosis / de Frenadol hasta una maldita gripe. / ¡Qué vengan mujeres enfurecidas, hermanas, / que gritan por la noche en los bares / y que proclaman la inocencia! ». Par ailleurs, on lit un appel à la rébellion similaire chez Pilar González España (Ellas tienen la palabra, ibid., p. 380) : « Las palabras te liberan, aparentemente, de una batalla. Y sin embargo en esa batalla, si hubieras luchado, tu victoria habría sido segura ».

82 « Pédé, gouine, contre-nature, honte d’autrui ».

83 Voir, à ce sujet, Didier Eribon, Réflexions sur la question gay, Paris, Flammarion, 2012.

84 « Nous contagions la force / le courage, les envies de lutter / et de pouvoir enfin, vivre sans peur ».

85 « Nous brisons tes schémas ».

86 Kate Robin, « De nulle part au partout. L’utopie de Wittig pour changer le présent et l’avenir », Temporalités, « Utopies / Uchronies », n°12, 2010, en ligne :

https://journals.openedition.org/temporalites/1378.

87 Op. cit., p. 19.

88 « Cette chienne me provoque avec ses nichons ».

89 Evelyne Larguèche, Injure et sexualité. Le corps du délit, Paris, PUF, 1997, p. 41, « Plaisir de la transgression ? Les mots « gros » sont alors des mots interdits et le lecteur […] peut s’adonner au plaisir de les prononcer, de les lire à d’autres personnes, sans craindre la réprobation ».

90 À ce sujet, voir Elena Castro, « Negociando igualdad y diferencia. Políticas y poéticas LGTBQ+ en José Infante y Txus García », op. cit., p. 34.

91 Ibid., p. 152.

92 « Comme si tu ne faisais rien, comme si tu étais encore innocente et chaste ». Au sujet du fait de « blâmer la victime », voir l’éclairant article d’Alyson Cole, « Verbicide. D’une vulnérabilité qui n’ose dire son nom », in Corps vulnérables, Boehringer Sandra et Estelle Ferrarese (ed.), Cahiers du genre n°58, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 135-162.

93 Cette ambigüité de la violence langagière est d’ailleurs soulignée par Marie-Anne Paveau et Éric Desmons, Outrages, insultes, blasphèmes et injures : violences du langage et polices du discours ?, op. cit., p. 5. On retrouve ce même portrait de l’homme séducteur agressif dans le poème « El visitante » de Isla Correyero (Ellas tienen la palabra, op. cit., p. 305) : « es un tirano flaco el hombre que me gusta… » (v. 1). Traduction : « l’homme qui me plait est un tyran maigre ».

94 Ce terme apparaît, appliqué à la locutrice, dans le deuxième poème du recueil, « Pasaporte », p. 12.

95 Op. cit. p. 97.

96 Ibid. p. 95.

97 Op. cit., p. 67.

98 Op. cit. p. 58.

99 « [Il] a fait qu’aujourd’hui mon sang hétéro se remette à bouillir ».

100 « Briser tes putains de lys à coups de langue ».

101 « Queer zone 1 », in Queer zone redux op. cit., p. 55.

102 Op. cit., p. 41. Elle cite le célèbre poème « Calvin Klein Underdrawers » d’Ana Rossetti, écrit en 1985.

103 Op. cit. p. 15.

104 « Masculines, féminines, intersexes, androgynes / célibataires, mariées, bonnes sœurs, veuves, amoureuses. / Elles. / Toutes. / Merde. / Elles me plaisent toutes ».

105 Barcelona, Bellaterra, 2018, p. 32.

106 Ce poème évoque plusieurs conflits entre génération mais aussi de la violence machiste (le meurtre de sa grand-mère par son grand-père). Les figures masculines (notamment celle de son père) sont au premier plan dans ce poème et le suivant (« Padre »).

Lucie Lavergne

Lucie Lavergne (1983) est agrégée d’espagnol et Maître de conférences à l’Univer­sité de Clermont-Ferrand (UCA), rattachée à l’EA 4280 CELIS, et spécialiste de poésie espagnole contemporaine. Elle a consacré sa thèse au rythme dans six recueils poétiques du XXe siècle. Ses principaux travaux de recherche traitent de la visualité et de la spatialisation du texte, notamment dans la poésie expérimentale et visuelle, des années 1960 à aujourd’hui. Elle a d’ailleurs publié en collaboration avec Caroline Crépiat l’ouvrage Masques corps langues (Classique Garnier 2017). Dans ce cadre, plusieurs travaux portent sur la poésie contemporaine espagnole des femmes (Ana Rossetti), notamment la poésie saphique ou queer (Txus García). Le thème du corps est central dans ses recherches : érotisme, violence, souffrance et vulnérabilité.