Les intermittences du remords. Autour de la « Quatrième Promenade »

Henri Portal

DOI : 10.61736/tropics.3472

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Henri Portal, « Les intermittences du remords. Autour de la « Quatrième Promenade » », Tropics [En ligne], 18 | 2025, mis en ligne le 01 décembre 2025, consulté le 02 décembre 2025. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/3472

Dans la « Quatrième Promenade » des Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau s’interroge sur le remords ressenti après l’épisode honteux du vol du ruban. Pourquoi cet évènement raconté au livre II des Confessions a-t-il gravé en lui d’« ineffaçables remords », alors que les nombreuses entorses qu’il a pu faire contre la vérité tout au long de son existence ont laissé sa conscience en paix ? Loin d’être anecdotique, ce questionnement conduit à s’interroger plus avant sur le rôle du remords dans l’œuvre de Rousseau. Le sentiment de culpabilité n’est pas seulement l’objet d’une interrogation herméneutique : il s’impose comme une véritable force de déstabilisation qui permet la relance féconde de la pensée.

In the “Fourth Walk” of the Reveries Of The Solitary Walker, Rousseau reflects on the remorse felt after the shameful episode of the ribbon theft. Whye did this event recounted in the second book of the Confessions leave “indelible remorse” in him, when the numerous breaches he has made against verity throughout his life left his conscious at peace? Far from being anecdotal this question leads us to further examine the role of remorse in Rousseau’s work. The feeling of guilt is not only the object of an hermeneutic interrogation, it asserts itself as a genuine force of destabilization that allows the fruitful revival of thought.

Dans Les Confessions, Rousseau reconnaît qu’au soir de sa vie « [s]on imagination » a plutôt tendance à « rétrograde[r] » et à le tourner vers le passé : « Je ne vois plus rien dans l’avenir qui me tente ; les seuls retours du passé peuvent me flatter »1. Si cette disposition rend la conscience rousseauiste sensible à la nostalgie, elle réveille également son pendant inverse, à savoir le remords, la culpabilité rétrospective. C’est le cas notamment dans la « Quatrième Promenade » des Rêveries du promeneur solitaire. Rousseau peine à comprendre comment le mensonge visant à dénoncer injustement Marion lors du vol du ruban au livre II des Confessions a engendré une telle culpabilité, alors que les innombrables entorses faites à la vérité tout au long de son existence n’ont eu strictement aucun effet sur l’état de sa conscience.

Même si elle n’a pas l’aura de la Première et de la Cinquième, la « Quatrième Promenade » a suscité fréquemment des commentaires qui s’orientent en général selon la perspective du rapport unissant mensonge et vérité2. Dans ses Allégories de la lecture, Paul de Man, non sans « psychiatriser » Rousseau de façon imprudente, y voit « un texte légèrement délirant qui est loin de maîtriser les effets qu’il prétend produire »3, tandis que Jean Starobinski, plus attentif à la richesse conceptuelle du texte, y discerne « un droit à la fiction », invitant à identifier un rapport élargi à la vérité – ce qu’il appelle « une véracité multiple »4. Plus récemment, Jean-François Perrin, soucieux de rendre compte de la cohérence de la « Quatrième Promenade », a montré qu’elle s’éclairait si on la rapportait aux « grilles théoriques selon lesquelles se posait encore le problème du mensonge au XVIIIe siècle »5. Nulle raison de s’étonner si Jacques Derrida a intégré au début de son Histoire du mensonge : Prolégomènes une analyse de ce texte dans laquelle il met l’accent sur les ambiguïtés des liens entre fiction et mensonge6. L’originalité du texte est en effet patente. S’écartant de la sévérité de Saint Augustin dans le De Mendacio qui refusait tout mensonge, même mis au service de l’évangélisation, Rousseau se distingue également du Platon de la République qui reconnaissait une certaine utilité à la parole mensongère, à condition toutefois de la réserver uniquement aux gouvernants7. Selon la « Quatrième Promenade », le droit à la fabulation, contrairement à la conception platonicienne le restreignant à une élite8, est en mesure de s’universaliser. Mieux, il est exigé par le principe même de l’écriture autobiographique pour combler les béances d’une mémoire lacunaire : « j’en remplissais les lacunes par des détails que j’imaginais » (p. 1035)9. À travers ce déplacement, Rousseau en vient à approfondir cet amour de la vérité qu’il partage avec Augustin10, et ainsi à le définir, non pas comme respect tatillon d’une factualité insignifiante, mais comme véritable esprit de sacrifice. La seule vérité qui vaille devient ainsi celle pour laquelle on est prêt à se sacrifier : « [l’homme vrai] ne [s]ert jamais [la vérité] si fidèlement que quand il faut s’immoler pour elle » (p. 1031).

Tout en prenant aussi au sérieux la dimension philosophique et théorique de ce texte, notre étude se veut quelque peu différente. Même si nous aurons l’occasion de revenir sur la théorisation rousseauiste du mensonge et de la fiction, il s’agira, d’abord, de se focaliser sur le rôle du remords et de confronter la « Quatrième Promenade » avec d’autres textes de Rousseau sur cette question, en particulier la fameuse scène du vol du ruban à la fin du Livre II des Confessions. Cette interrogation inquiète sur le sentiment de culpabilité conduit le philosophe à mettre en jeu, par fidélité « à une certaine exigence de l’âme »11, toute sa « théorie de l’homme » pour mieux s’en ressaisir dans l’écriture. Dans la mesure où il permet de redéfinir notre compréhension de la fameuse devise « Vitam impendere vero », le remords dépasse en effet le statut d’objet d’investigation : il s’impose comme un instrument de déstabilisation qui déclenche une relance féconde de la pensée et la soustrait à tout figement mortifère, tant il est vrai que « l’entendement une fois exercé à la réflexion ne peut plus rester en repos »12. Cette idée peut se réinscrire plus largement au sein d’une anthropologie dans laquelle la sensibilité (ici le remords) ne se trouve plus subordonnée à l’entendement, mais le devance, le guide et l’empêche in fine de se scléroser dans la rigidité de principes abstraits et spéculatifs13. On sait que « l’entendement doit beaucoup aux passions » et que « c’est par leur activité que notre raison se perfectionne », tandis que « les passions à leur tour tirent leur origine de nos besoins, et leur progrès de nos connaissances »14. Le remords est ainsi un lieu privilégié pour montrer comment la réhabilitation de la vie affective inscrit la pensée dans un devenir en même temps qu’elle en conditionne l’approfondissement, conformément à la notion de « perfectibilité15 » qui, reposant sur l’activation et le développement conjoint de nos facultés, ouvre l’individu à « se différencier de lui-même »16.

Cette enquête sur le remords conduit Rousseau à interroger l’unité de sa conscience et de toute son entreprise. Elle pose des enjeux philosophiques : le remords constitue un guide dans la vie morale du sujet. Enfin, la « Quatrième Promenade » permet de s’interroger sur la place qu’occupe la culpabilité dans l’œuvre de Rousseau : peut-on la réduire à une pensée du remords ?

Le remords comme fondement incertain de l’amour de la vérité

Le remords doit s’envisager dans une perspective existentielle. Puisque les agitations de la conscience fondent l’amour qui pousse Rousseau vers la vérité, leur relativisation conduit à remettre en cause le sens de toute sa vie17. Loin de relever de ces « raffinements inconcevables »18 autour du sentiment qui agacent tant Saint-Preux à Paris, cette interrogation sur l’absence ou la présence de remords s’inscrit dans une crise plus large qu’il nous faut examiner.

Au début de la « Quatrième Promenade », Rousseau s’interroge sur la délicate question du remords et sur les raisons qui en motivent l’apparition. S’il choisit de revenir (à la manière d’une « auto-analyse »19 ?) sur le vol du ruban déjà raconté au Livre II des Confessions (et le mensonge visant à accuser injustement la pauvre Marion), c’est surtout pour en reconnaître le caractère exceptionnel. Rousseau semble avoir fait un usage répété du mensonge tout au long de son existence sans que cela ait occasionné chez lui les agitations culpabilisatrices du remords, ni même aucun trouble particulier :

Ce qui me surprit le plus était qu’en me rappelant ces choses controuvées, je n’en sentais aucun vrai repentir. Moi dont l’horreur pour la fausseté n’a rien dans mon cœur qui la balance, moi qui braverais les supplices s’il les fallait éviter par un mensonge, par quelle bizarre inconséquence mentais-je ainsi de gaîté de cœur sans nécessité, sans profit, et par quelle inconcevable contradiction n’en sentais-je pas le moindre regret, moi que le remords d’un mensonge n’a jamais cessé d’affliger pendant cinquante ans ? (p. 1025)

La véhémence de ces lignes mérite d’être examinée attentivement. L’écriture hyperbolique (« par quelle inconcevable contradiction ») suffit à dramatiser fortement le discours de Rousseau, tandis que le rythme anaphorique faisant revenir le pronom tonique « moi » est destiné à marquer une césure, voire une déchirure dans l’histoire du sujet qui est obligé de reconnaître son manque d’unité interne – véritable drame dans une œuvre à ce point hantée par la recherche de « l’unité subjective »20. La « contradiction » prend ici la forme d’une disproportion, et ce entre l’épisode du ruban volé et les multiples entorses à la vérité qui jalonnent la vie de Rousseau. Alors qu’un seul mensonge suffit à le hanter pendant des années, les innombrables « choses controuvées » n’ont pas provoqué le moindre repentir chez Rousseau : de quoi mieux comprendre l’attention anxieuse que ce dernier accorde à la culpabilité. Le remords inquiète, non pas tant parce qu’il confronte le sujet à ses manquements, mais plutôt dans la mesure où il semble n’obéir à aucune loi. Ses modalités d’apparition semblent régies par le seul arbitraire et sa signification morale apparaît du même coup relativisée, voire considérablement amoindrie. Son émergence ne donnerait aucun accès à soi, mais manifesterait le caractère problématique de toute conscience21. On ne s’étonnera pas que Rousseau, « homme à la recherche de soi »22, place cette réflexion au sein d’une « Promenade » s’ouvrant sur le constat que « le connais-toi toi-même du temple de Delphes n’était pas une maxime si facile à suivre, qu[’il] l’avai[t] cru dans [s]es Confessions (p. 1024) ».

La comparaison avec l’épisode du vol du ruban est à ce titre éclairante. C’est peu de dire, en effet, que les préoccupations de la « Quatrième Promenade » sont lourdes de conséquences. En constatant le caractère fluctuant du remords, Rousseau en est nécessairement conduit à diminuer la portée des lignes concluant le vol du ruban. Quand bien même « le remords d’un mensonge » (l’accusation mensongère de Marion) continue de le tourmenter, la facilité avec laquelle Rousseau a menti par ailleurs invite à relativiser la profondeur de la culpabilité qu’a suscitée cet épisode, où le sujet, saisi par « une défaillance momentanée », finit par « se retrouver dans l’intensité du repentir »23. Si elle est hantée par le souvenir de cette action funeste, la lecture de la « Quatrième Promenade » enjoint à se demander si ces remords sont réellement significatifs, en ceci que Rousseau, en d’autres occasions semblables, n’en a pas senti l’effet : « je fus bien surpris du nombre de choses de mon invention que je rappelais avoir dites comme vraies dans le même temps où, fier en moi-même de mon amour pour la vérité, je lui sacrifiais ma sûreté » (p. 1025). Cette interrogation jette ainsi un éclairage inquiet sur la fameuse devise rousseauiste « vitam impendere vero ». On sait que la méditation de la « Quatrième Promenade », nullement indépendante de la « structure persécutoire »24 omniprésente dans l’œuvre autobiographique de Rousseau, vise d’abord à répondre à des sarcasmes de l’abbé Rosier à ce sujet25 (ou à ce que Rousseau perçoit comme tels) : « Cette devise m’obligeait plus que tout autre homme à une profession plus étroite de la vérité » (p. 1038). L’expérience du remords est ainsi fondatrice, en tant qu’elle conditionne toute une existence vouée à la défense de la vérité. Sa remise en cause ou sa relativisation menace d’inauthenticité la vie de Rousseau, alors même que « s’immoler pour la vérité » fonde le « héros des Rêveries »26. Les repentirs infinis pour une faute pardonnable – « fruit d[‘une] mauvaise honte » (p. 1025) – montrent à quel point Rousseau, tout en plaçant sa vie tout entière sous l’exigence de la Parrêsia antique27, la renouvelle en faisant, comme l’a souligné Marc Hersant28, de la lutte pour la vérité un enjeu, non pas uniquement public, mais d’abord intérieur et existentiel, a fortiori dans un texte donnant congé à tout lecteur : « Le criminel mensonge dont la pauvre Marion fut la victime m’a laissé d’ineffaçables remords qui m’ont garanti tout le reste de ma vie [d]e tout mensonge de cette espèce » (p. 1032). Si ces remords restent muets en d’autres circonstances, on comprend le trouble de Rousseau. Si intense ait-elle été, la culpabilité liée à l’accusation injuste de Marion n’a pas empêché la prolifération des mensonges tout au long de l’existence de Rousseau. Le remords semble ainsi gouverné par un hasard qui, dépassant la seule problématique de la connaissance de soi, finit par ébranler l’idéal de vérité qui avait trouvé pour support paradoxal l’épisode du ruban29. Du même coup, on mesure à quel point la question du repentir n’amène pas seulement à relire sur un mode interrogatif cet épisode fameux, mais à requestionner l’ensemble de l’entreprise rousseauiste et à en interroger, pour mieux les conjurer, les liaisons dangereuses avec l’imposture30.

C’est donc toute l’entreprise autobiographique qui se met à vaciller. Rousseau est à ce titre d’une clarté remarquable : écriture et remords sont étroitement liés. Non seulement il reconnaît que ce « souvenir cruel [l]e trouble quelquefois, et [l]e bouleverse au point de voir dans [s]es insomnies cette pauvre fille venir [lui] reprocher [s]on crime » ; mais c’est bien le « désir de [s’en] délivrer » qui, entre autre choses31, a « beaucoup contribué à la résolution qu[’il a] prise d’écrire [s]es confessions »32. Si l’on considère que les remords liés à Marion n’ont rien de réellement significatif, toutes les Confessions sont réduites à une pure contingence : elles ne s’ancrent pas dans la profondeur du sentiment intérieur et de l’amour de la vérité, mais dans la superficialité d’un remords qui aurait pu tout aussi bonnement ne pas apparaître. Il y a plus toutefois : Rousseau, on le sait, estime avoir « porté dans cet écrit la bonne foi, la véracité, la franchise aussi loin, plus loin même [...] que ne fit jamais aucun autre homme » (p. 1035). Si ces reproches de la conscience n’ont pas l’authenticité qu’il leur a d’abord prêtée, il s’ensuit logiquement que cet amour de la vérité est à relativiser et que la transparence propre à l’écriture autobiographique est finalement fort douteuse. N’oublions pas que les remords n’ont pas seulement déterminé l’écriture autobiographique : ils représentent le meilleur moyen de lutter contre les tentations de la falsification dans l’autobiographie, puisque c’est là que se manifeste de manière privilégiée l’aversion du mensonge née de l’épisode du vol du ruban : « je crois sentir que mon aversion pour le mensonge me vient en grande partie du regret d’en avoir pu faire un aussi noir »33. Or Rousseau explique n’avoir « jamais mieux senti [cette] aversion naturelle du mensonge qu’en écrivant les Confessions, car c’est là que les tentations auraient été fréquentes et fortes, pour peu que [s]on penchant [l’]eût porté de ce côté (nous soulignons) » (p. 1035). L’usage du conditionnel (« auraient été fréquentes », « m’eût porté ») est à cet égard essentiel34. Il invite à envisager ce qu’auraient été les Confessions si Rousseau avait été dépourvu de cette haine du mensonge, fondée, on l’a vu, sur l’expérience hyperbolique du remords lors du vol du ruban. Dès lors, l’absence de toute culpabilité à l’occasion de nombreux mensonges pourrait conduire à se demander si Les Confessions, loin de cette glorieuse aventure de la vérité, ne constituent pas le plaidoyer pro domo d’un homme de lettres seulement soucieux de la bonne image qu’il renvoie à ses contemporains35, quitte à multiplier les arrangements avec « son amour pour la vérité » (p. 1025). On comprend pourquoi Rousseau tient à examiner cette question d’aussi près et à y répondre en rappelant que les éventuels mensonges par omission imputables à « un mouvement volontaire » se trouvent « compensés par d’autres réticences plus bizarres qui [l]’ont souvent fait taire le bien plus soigneusement que le mal » (p. 1036).

Existe-t-il une philosophie rousseauiste du remords ?

Tout en révélant les failles du sujet, l’absence de remords doit être aussi resituée dans la logique propre à la pensée rousseauiste. Il faut donc confronter la « Quatrième Promenade » avec d’autres textes issus du corpus rousseauiste en vue de discerner les éléments d’une philosophie du remords chez Rousseau36. Ce détour aide, selon nous, à saisir la manière dont le sentiment guide le sujet dans les différents cas qui se présentent à sa conscience.

Le silence du remords s’explique d’abord selon une perspective morale. Il a partie liée avec le problème plus général de la conscience dont « le remords » est l’une des « manifestation[s] »37 privilégiées. Même si Rousseau confie avoir toujours prêté attention à la voix de sa conscience, il admet aussi s’en être détourné à certaines occasions :

Je ne me suis jamais endurci sur mes fautes ; l’instinct moral m’a toujours bien conduit, ma conscience a gardé sa première intégrité, et quand même elle se serait altérée en se pliant à mes intérêts, comment, gardant toute sa droiture dans les occasions où l’homme forcé par ses passions peut au moins s’excuser sur sa faiblesse, la perd-elle uniquement dans les choses indifférentes où le vice n’a point d’excuse ? (p. 1025)

Souvent employée par le Christ38 lorsqu’il s’agit des Pharisiens39, la métaphore de l’endurcissement en dit long sur la réalité que recouvre l’absence de remords. Certes, Rousseau souligne que ce silence de la conscience n’a eu lieu que pour des « choses indifférentes ». Néanmoins, le fait de mentir sans scrupule, même pour des raisons mineures, ne rapprocherait-t-il pas Rousseau de l’homme dénaturé, sourd à la voix de sa conscience, coupé « du sentiment intérieur inné, infaillible en matière de morale »40 qui doit le guider vers la vertu ? Dans l’Émile, il évoque ainsi « le cri du remords » qui « punit en secret les crimes cachés et les met si souvent en évidence »41, tandis que, cette fois dans La Nouvelle Héloïse, Julie mentionne, au sujet des duels, « ces hommes accoutumés au sang [qui] ne bravent les remords qu’en étouffant la voix de la nature »42. La négation restrictive marque ici le lien étroit de subordination entre remords et nature : mettre le remords en sourdine revient à se détacher complètement de l’ordre naturel. Tout en conservant la distinction entre le romancier et son personnage, cette dernière remarque coïncide de façon très nette avec les inquiétudes de Rousseau au sujet d’un potentiel endurcissement du cœur. Bien sûr, il n’en est pas au point des hommes que décrit Julie : « ils deviennent par degrés, insensibles ; ils se jouent de la vie des autres ; et la punition d’avoir pu manquer d’humanité est de la perdre enfin tout à fait »43. Néanmoins, on comprend mieux les raisons qui poussent Rousseau à s’« épluch[er] » (p. 1025) d’aussi près. Car ce qui se profile derrière le mutisme du remords, ce n’est rien de moins que la perte de notre humanité – et ce d’autant plus que les Rêveries mettent en scène, dès leurs premières pages, l’idée d’une humanité qui aurait cessé de l’être : « J’aurais aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes. Ils n’ont pu qu’en cessant de l’être se dérober à mon affection » (p. 995). Si Rousseau se présente comme « seul sur la terre », en somme comme le dernier homme, c’est que tous les autres ont fait taire leur conscience. On mesure combien il faut clarifier les raisons qui motivent le silence de la conscience. Il en va tout bonnement de l’avenir de l’humanité dans son entièreté44, dont le dernier représentant – Rousseau lui-même – est peut-être contaminé par cette insensibilité inquiétante qui transforme les hommes en « êtres mécaniques [n’]agiss[ant] que par impulsion » et dont les actions se trouvent réductibles aux « lois du mouvement » (p. 1078).

Si la « Quatrième Promenade » permet de discerner les hautes implications du remords, elle conduit aussi à mieux en appréhender la logique propre. Pour éclaircir les modalités d’apparition du remords, Rousseau établit une distinction entre le mensonge, compris comme ce qui blesse la vérité en vue de nuire (« dire faux n’est mentir que par l’intention de tromper »), et la fiction qui s’oppose à la vérité sans nuire à autrui : « Mentir sans profit ni préjudice de soi ni d’autrui n’est pas mentir : ce n’est pas mensonge, c’est fiction » (p. 1029), et donc non condamnable. Dès lors, il est cohérent que le remords se soit fait sentir lors du vol du ruban : inutile de rappeler combien il a été préjudiciable à la malheureuse Marion, renvoyée et peut-être condamnée à une existence misérable sur laquelle plane le spectre de la prostitution45 : « Qui sait, à son âge, où le découragement de l’innocence avilie a pu la porter ! »46. À l’inverse, les écarts à l’égard de la vérité, lorsqu’ils consistent simplement à « débiter des fables pour ne pas demeurer muet » dans les conversations mondaines, ne sauraient susciter dans la conscience de remords. C’est pourquoi Rousseau peut conclure en affirmant que le vrai mensonge (celui qui est nuisible aux autres) est demeuré une exception : « J’ai souvent débité des fables, mais j’ai très rarement menti » (p. 1038). Outre qu’elles apportent un éclairage capital sur le rapport de Rousseau à l’usage de la fiction, ces distinctions nous aident également à mieux saisir le rôle exact qu’il attribue au remords. Les agitations intérieures ne servent pas à guider la conscience au sein de problématiques générales et abstraites (faut-il mentir ?) ; elles ont plutôt vocation à l’orienter au sein de situations concrètes et particulières.

Il suit de toutes ces réflexions que la profession de véracité que je me suis faite a plus son fondement sur des sentiments de droiture et d’équité que sur la réalité des choses, et que j’ai plus suivi dans la pratique les directions morales de ma conscience que les notions abstraites du vrai et du faux. (p. 1038)

Le sentiment intérieur n’a pas vocation à donner accès aux notions abstraites ; mais il est plutôt destiné à nous accompagner dans les aléas de l’existence concrète, comme chez Malebranche selon lequel le « caractère obligatoire des lois éternelles » ne sera pas connu, « mais senti par l’individu »47 dans le cadre de situations particulières. De ce que Rousseau présente le sentiment intérieur comme infaillible (« jamais l’instinct moral ne m’a trompé »), on n’en déduira donc pas qu’il s’agit d’un mode de connaissance donnant accès entièrement à l’ordre régissant l’univers. Les remords semblent plutôt nous soutenir au sein de notre vie dans laquelle il nous faut cerner les caractéristiques propres à chaque situation, et non appliquer une loi abstraite (« soyons toujours vrais », p. 1028) sans tenir compte de ce que chaque cas comporte de singulier. C’est sans doute Julie qui nous en fournit un exemple éclairant, lorsqu’elle se réfère au sentiment intérieur pour expliquer qu’elle consente à danser avec les villageois de Clarens malgré la promesse faite après la mort de sa mère de ne plus participer à des bals. « Quand j’ai bien dansé, mon cœur ne me reproche rien »48, dit-elle à Saint-Preux, suggérant ainsi que sa promesse vaut surtout pour des réceptions mondaines et aristocratiques, et non pour des fêtes familiales et populaires qui forment « [des] liens de douceur et d’attachement »49 entre les maîtres et les domestiques.

L’aiguillon du remords et la conscience en paix : Faut-il imaginer Rousseau apaisé ?

Le remords n’épuise pas cependant toute la réalité du sentiment intérieur. Dans la « Quatrième Promenade », quoique Rousseau ait pour intérêt d’éclairer les enjeux et la logique interne de la culpabilité, il n’en fait pas l’unique guide dans la vie morale. Le remords se voit certes accorder une place structurante dans l’anthropologie rousseauiste ; mais son importance ne doit pas conduire à occulter un autre aspect de la vie affective, la conscience en paix avec elle-même.

Dans un premier temps, le remords se présente sous une forme proche de l’« uneasiness »50 lockéenne, à savoir un aiguillon, un stimulus qui relance la pensée et l’empêche de se figer dans des conceptions qui pourraient sembler commodes mais qui sont limitées. La « Quatrième Promenade » figure ainsi le mouvement d’entrelacement par lequel Rousseau ne cesse d’unir les deux dimensions affective et rationnelle de l’existence. S’il provoque le ressassement nostalgique51, le regret des temps enfuis ouvre aussi la voie à un examen de conscience52 permettant l’émergence du remords qui, se distinguant du repentir53, tend à se présenter comme un problème à éclaircir, ce qui ménage les conditions du passage à une réflexion proprement philosophique.

C’est en effet en réfléchissant sur le remords que Rousseau est conduit à repenser son rapport au mensonge et à expliquer que l’« écriture de soi [est] d’autant plus vouée aux écarts de la fiction qu’elle se vise comme présence à soi impossible, dans l’écart de la mémoire et de l’oubli »54. Loin de refuser toute incursion de l’affabulation dans ses Confessions, Rousseau reconnaît qu’il a pu combler les « lacunes » de sa mémoire « par des détails qu[’il] imaginai[t] en supplément de [s]es souvenirs, mais qui ne leur étaient jamais contraires » (p. 1035). Le remords n’est néanmoins pas réductible à un seul objet d’interrogation herméneutique. Les scrupules semblent exercer une influence qui empêche la pensée de Rousseau de s’enfermer dans le dogmatisme qu’il reproche aux philosophes comme aux dévots55. La « palinodie »56 finale, comme le suggère Christine Hamman, révèle que Rousseau n’en a pas fini avec le remords et que les distinctions établies ne sauraient avoir un caractère définitif :

Je ne sens pourtant pas mon cœur assez content de ces distinctions pour me croire tout à fait irrépréhensible. En pesant avec tant de soin ce que je devais aux autres, ai-je assez examiné ce que je me devais à moi-même ? S’il faut être juste pour autrui, il faut être vrai pour soi, c’est un hommage que l’honnête homme doit rendre à sa propre dignité. (p. 1038)

Le verbe utilisé (« je sens ») indique que c’est bien le sentiment qui empêche l’établissement définitif des catégories posées par Rousseau57. L’emploi de la modalité interrogative suggère qu’il s’agit de réinterroger les conclusions qui avaient été dégagées. On peut identifier, selon Jacques Derrida, ce sentiment à un « dernier, [un] avant-dernier remords »58, précisément en ce qu’il consiste en une inquiétude rétrospective sur la pertinence des conceptions élaborées. Il faudrait lire en ce sens le remords comme une manière de relancer la pensée, de lui interdire de se stabiliser définitivement sous la forme de certitudes, conformément à la nature même de « [l]’informe journal de[s] Rêveries » qui ne se réduisent pas à « des abandons rêveurs », mais prennent plutôt la forme d’un « effort minutieux [en vue] d’un éclaircissement jugé indispensable »59. On notera, avec Marcel Raymond, que c’est autour de la question du remords que la plume du philosophe se fait hésitante, comme s’il s’agissait de « s’approcher du plus près [possible] de sa vie obscure »60 en reprenant soigneusement son texte. Pour exprimer son absence de remords concernant les écarts faits avec la vérité, Rousseau a d’abord écrit : « je ne m’en sentais pas le moindre repentir », avant de se raviser et de reformuler ainsi : « je ne m’en sentais aucun vrai repentir »61. Le remords apparaît autant comme l’objet sans fin de l’herméneutique que comme une énergie qui anime l’écriture et permet l’approfondissement de la pensée. Sur ce point, la comparaison avec le Montaigne du chapitre « Du repentir » au Livre III des Essais paraît judicieuse62. Alors qu’au soir de sa vie Rousseau semble s’exposer aux agitations du remords, Montaigne semble absolument épargné : « Si j’avais à revivre, je revivrais comme j’ai vécu »63. Cette différence de disposition a d’importantes répercussions : si Rousseau se corrige, c’est, on l’a vu, pour avancer dans la connaissance de soi, à la différence de Montaigne qui, soucieux de « peind[re] l’être[, et non] le passage »64, accumule « reprises, ratures et repentirs » pour suivre « les formes successives d’un moi soumis à la contingence »65. Dans les Rêveries, le remords détermine une pratique de l’écriture visant à un éclaircissement définitif du moi, fût-il difficile, pour un auteur résolu à affirmer son unité intérieure. Dans les Essais, l’absence de remords semble inversement avoir partie liée avec une poétique visant le déploiement des multiples facettes d’un Moi qui n’a de cesse d’assumer et même d’exhiber ses contradictions.

Le caractère structurant du remords chez Rousseau incite à s’interroger plus avant : la culpabilité pourrait même aider à définir en profondeur toute l’entreprise de Rousseau. Ce dernier n’avait pas manqué d’établir un lien entre l’expérience du remords lié à l’abandon des enfants et l’élaboration de l’Émile : « Les idées dont ma faute a rempli mon esprit ont contribué en grande partie à me faire méditer le Traité de l’éducation »66, de même que le remords lié au vol du ruban a déterminé le passage à l’écriture autobiographique. Comme avait pu le souligner André Ravier dans un livre ancien67, il est fort probable que la réciproque soit aussi vraie. Le remords a pu aussi naître de l’écriture, exactement comme les inquiétudes concluant la « Quatrième Promenade » naissent de la réflexion sur le mensonge : « En méditant mon Traité de l’éducation, je sentis que j’avais négligé des devoirs dont rien ne pouvait me dispenser »68. Il ne s’agit pas uniquement d’une interprétation psychologique ou étroitement biographique : on a vu combien le sentiment intérieur s’imposait comme un concept philosophique rigoureusement constitué par Rousseau. Il est à cet égard révélateur qu’il tienne tant à donner une coloration affective à ce qu’il nomme son « triste et grand système »69 – formule qui associe l’affect mélancolique et la recherche philosophique70, sans que le remords ne soit explicitement mentionné ici. Dans La Nouvelle Héloïse, Saint-Preux semble établir un lien entre remords et conscience de la dégradation : « La nature a tout fait le mieux qu’il était possible ; mais nous voulons faire mieux encore, et nous gâtons tout »71. La dégradation ne se comprend qu’en lien étroit avec une responsabilité. La répétition du « nous » unit par le jeu de l’identification empathique le personnage et le lecteur. Tous deux doivent éprouver, non seulement un sentiment de mélancolie, mais plus spécifiquement une culpabilité qui amène à discerner notre part dans un processus de corruption auquel aucun de nous n’est étranger72.

C’est précisément sur ce point que le détour par « la Quatrième promenade » peut être précieux. Car Rousseau ne se contente pas de mettre en relief le caractère structurant du remords : il montre également que la culpabilité ne se conçoit pas sans la recherche de son apaisement. On notera que l’objectif ne se limite pas à légitimer les vertus heuristiques du remords, Rousseau nous invitant aussi à discerner qu’avoir sa conscience en paix n’est pas synonyme d’insensibilité. C’est ce qu’indique le portrait qu’il fait de l’homme vrai, par opposition à l’homme du monde, pointilleux sur l’exactitude de faits insignifiants, mais beaucoup moins dès que les choses le concernent de près :

L’homme que j’appelle vrai fait tout le contraire. En choses parfaitement indifférentes, la vérité qu’alors l’autre respecte si fort le touche peu, et il ne se fera guère de scrupule d’amuser une compagnie par des faits controuvés dont il ne résulte aucun jugement injuste ni pour ni contre qui que ce soit vivant ou mort. Mais tout discours qui produit pour quelqu’un profit ou dommage, estime ou mépris, louange ou blâme contre la justice et la vérité est un mensonge qui jamais n’approchera de son cœur, ni de sa bouche, ni de sa plume. (p. 1031)

Dans ce portrait, l’absence de remords ou de culpabilité ne dessert aucunement la valeur de l’homme vrai. Bien au contraire, elle manifeste sa souveraine indépendance à l’égard des broutilles ou de détails peu significatifs qui n’ont nul rapport avec un authentique amour de la vérité. L’absence de remords ne doit pas se confondre avec « l’affreuse paix des méchants »73 dont parle Saint-Preux au sujet de Wolmar. Proche de Julie74 qui meurt « exempte des remords de l’impie »75, « l’homme vrai » de la « Quatrième Promenade » permet à Rousseau de montrer que sa pensée n’est pas obsédée par les seuls repentirs et la seule culpabilité. Elle est résolument tournée vers la paix du cœur76 qu’il expérimente dans la « Cinquième Promenade » où le sujet est amené à « sentir avec plaisir [s]on existence, sans prendre la peine de penser »77. Au Livre IV de l’Émile, Rousseau, en effet, ne se complaît nullement dans une fascination morbide pour « le cri du remords » qu’il décrit comme « une importune voix » ou comme un « sentiment tyrannique ». Dans cette perspective, il fait bien plus l’éloge de l’apaisement que procure la vie selon la nature : « Obéissons à la nature, nous connaitrons avec quelle douceur elle règne, et quel charme on trouve, après l’avoir écoutée, à se rendre un bon témoignage de soi »78. C’est bien l’articulation entre l’aspiration à la « sérénité du juste »79 et le poids constant du remords, conçu aussi bien comme une source de « tourment » que comme un aiguillon stimulant la pensée, qui semble fonder toute l’entreprise de Rousseau et lui donner son sens le plus profond en même temps que « [ce] je ne sais quoi de frémissant et d’emporté »80.

La « Quatrième Promenade » permet ainsi de mesurer la place structurelle qu’occupe le remords dans la pensée de Rousseau. Fort éloignées d’une vaine inquiétude, les préoccupations entourant la profondeur de la culpabilité mettent en jeu les composantes les plus fondamentales de toute son anthropologie. Cette hypothèse se vérifie d’abord d’un point de vue existentiel. Le caractère possiblement arbitraire du remords ébranle l’unité et la cohérence de la vie et de l’entreprise de Rousseau (notamment autobiographique). La question du repentir engage toutefois celle de la vie morale dans son entièreté. Si la culpabilité est insignifiante, Rousseau perd le fondement sur lequel repose la validité de toute sa réflexion anthropologique, à savoir le « sentiment intérieur » ou le « dictamen de la conscience ». En cela, la « Quatrième Promenade » vient éclairer la fécondité du remords. Aiguillon stimulant la réflexion et l’empêchant de se stabiliser, la culpabilité n’en est pas pour autant l’unique ressort de la conscience rousseauiste qui demeure irrésistiblement attirée par l’apaisement.

On ne saurait terminer cette étude sans s’interroger sur l’articulation entre remords et théorie de la fiction. La conscience apaisée de « l’homme vrai » conduit aussi à discerner chez Rousseau un droit à la fabulation ou à la spéculation fictionnelle. Ainsi, loin de se contenter de réaffirmer la validité du « Vitam impendere vero », la réflexion sur le repentir vise aussi à montrer qu’elle n’est pas incompatible avec le détour par la fiction : « Cet amour de la vérité [n’]est qu’une émanation de l’amour de la justice, et ne veut jamais être faux, quoiqu’il soit souvent fabuleux » (p. 1032). La « Quatrième Promenade » semble ainsi nuancer l’ethos d’intransigeance à l’égard de la vérité que Rousseau ne cesse de construire dans son œuvre : elle fonde également une vision de l’existence dans laquelle l’affabulation et les incursions81 dans « le pays des chimères »82 permettent de revivifier le réel.

1 Rousseau, Les Confessions (VI), éd. B. Gagnebin, M. Raymond (dir.), Paris, Gallimard, « Pléiade », 1959, p. 226.

2 Voir plus récemment les analyses de Michel Coz, « Sur l’impératif de vérité dans la quatrième Promenade », in C. Jacot-Grapa, N. Jacques-Lefèvre, Y.

3 Paul de Man, Allégories de la lecture, Paris, Galilée, 1989, p. 347.

4 Jean Starobinski, « Rêverie et transmutation », Jean-Jacques Rousseau. La Transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, « tel », 1971,p. 418.

5 Jean-François Perrin, « Du droit de taire la vérité au mensonge magnanime : sur quelques arrière-plans théoriques et littéraires de la Quatrième

6 Jacques Derrida, Histoire du mensonge : Prolégomènes, Paris, Galilée, 2012,p. 15-20.

7 Voir la synthèse de Pierre Sarr, « Discours sur le mensonge de Platon à saint Augustin : continuité ou rupture », Dialogue d’histoire ancienne,36/2

8 « On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique. Je réponds que non, et que c’est pour cela que j’écris sur la

9 Toutes nos références aux Rêveries renverront à l’édition suivante : Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire, éd. Marcel Raymond, in Œuvres (t. I)

10 « Pour moi, j’ai promis de [d]ire [la vérité] en toute chose utile, autant qu’il serait en moi ; c’est un engagement que j’ai dû remplir selon mon

11 Jean Starobinski, « Jean-Jacques Rousseau et le péril de la réflexion », L’Œil vivant, Paris, Gallimard, 1999,p. 224.

12 Rousseau, Émile (IV), éd. John S. Spink, in Œuvres complètes (t. IV), op. cit., p. 350.

13 S’efforçant de dégager une « doctrine des facultés » chez Rousseau, Martin Rueff a pu montrer que « la faculté intellective » ne dirigeait pas le

14 Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (I), éd. Jean Starobinski, in Œuvres complètes (t. III), op. cit

15 Ibid., p. 142.

16 J.-L.Guichet, « L’homme et la nature chez Rousseau », Revue des sciences philosophiques et théologiques (t. 86), 2002, p. 72.

17 Cet ébranlement existentiel avait bien été identifié par Michel Coz : « La question qui soutiendrait la Quatrième Promenade serait peut-être alors

18 Rousseau, La Nouvelle Héloïse (II, XVII), éd. Henri Coulet, Œuvres complètes (t. II), op. cit., p. 249.

19 Estimant « qu’une matrice plus légitime pour penser ce texte serait celle de l’espace analytique », Pierre Bayard note que « les mêmes scènes qu’

20 Martin Rueff, « Les religions de Rousseau », Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, LIV, 2021, p. 145.

21 En s’appuyant sur les thèses célèbres de Ricœur, Carole Dornier a pu montrer la différence entre les Confessions et les Rêveries. Il ne s’agissait

22 Jean-Noël Bellemin, « Quatrième Promenade », art. cit., p. 125.

23 Patrick Thierry, « Des poires et un ruban. Petites généalogies du mal », Revue philosophique de la France et de l’étranger (t. 137), 2012/4, p. 466

24 Pierre Bayard, « Écriture et espace intérieur dans les Rêveries », art. cit., p. 43.

25 « Je tombai sur un des journaux de l’abbé Rosier au titre duquel il avait mis ces paroles vitam vero impendenti, Rosier. Trop au fait des tournures

26 Paul Jackanich, « L’homme du monde et l’homme vrai dans les Rêveries de Rousseau : s’immoler pour la vérité », art. cit., p. 85.

27 Sur ce sujet, nous renvoyons aux analyses célèbres de Michel Foucault, Discours et Vérité, précédé de La Parrêsia, Paris, Vrin, 2016.

28 « Comme la rhétorique, la parrêsia s’inscrit dans le champ social : c’est en public que le parrèsiaste ose dire la vérité » (Marc Hersant, « 

29 De quoi cautionner l’hypothèse de Philippe Lejeune selon lequel « les remords de Rousseau » seraient avant tout liés à son amour pour Marion et

30 Sur ce sujet, voir Érik Leborgne, « Figures et expériences de l’imposture chez Rousseau et Casanova », art. cit.

31 On le sait, bien que le chantier de l’autobiographie ait été depuis longtemps commencé, « l’évènement décisif » fut en 1764 la dénonciation

32 Rousseau, Les Confessions (II), op. cit., p. 85.

33 Ibid., p. 87.

34 On peut d’ailleurs le comparer avec la fin du Livre I des Confessions où Rousseau se prend à rêver de ce qu’aurait été son existence s’il n’avait

35 C’est là, selon la belle analyse de Maurice Blanchot, une des composantes essentielles de la mauvaise conscience rousseauiste : « Rousseau est le

36 Élaborer une approche philosophique des Rêveries ne va pas de soi : « La rêverie rompt avec [l]e traité philosophique à caractère systématique », s

37 Frank Salaün, « Les larmes de Wolmar », André Charrak, Jean Salem (dir.), Rousseau et la philosophie, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 

38 Au sujet de la permission de renvoyer son épouse selon la loi de Moïse : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de

39 « Rousseau a une pratique de lecture de la Bible déjà marquée par son assiduité et sa régularité » (Geneviève Di Rosa, Rousseau et la Bible. Pensée

40 Jean-François Perrin, Politique du renonçant, op. cit.,p. 280.

41 Rousseau, Émile (IV), op. cit., p. 597. Passage repris des Lettres morales (V), éd. Henri Gouhier, Ibid., p. 1107.

42 Id., La Nouvelle Héloïse (I, LVII), op. cit., p. 160.

43 Ibid.

44 Cette idée d’une humanité menacée d’autodestruction est présente dans le Second Discours. À la fin de son analyse de la pitié comme sentiment

45 Il faut pour cette raison nuancer « le caractère dérisoire » de cet évènement (Patrick Thierry, « Des poires et un ruban. Petites généalogies du

46 Rousseau, Les Confessions (II), op. cit., p. 85.

47 Laetitia Simonetta, La Connaissance par sentiment (II, IV), Thèse de doctorat, ENS de Lyon, 2015,p. 184.

48 Rousseau, La Nouvelle Héloïse (IV, X), op. cit., p. 458.

49 Ibid.

50 « Le motif qui incite à changer, c’est toujours quelque inquiétude, rien ne nous portant à changer d’état, ou à quelque nouvelle action, que

51 En témoigne le besoin qu’éprouve Rousseau à revenir sur la rêverie du lac de Bienne au Livre XII des Confessions (op. cit., p. 642), mais aussi

52 « Dans cet état il est naturel que j’aime à me tourner les yeux sur le passé duquel je tiens désormais tout mon être, c’est alors que mes erreurs

53 Selon Descartes, « le remords [p]résuppose nécessairement le doute » et « si on était assuré que ce qu’on a déjà fait fût mauvais, on en aurait du

54 Jean-François Perrin, Politique du renonçant. Le Dernier Rousseau, op. cit., p. 282.

55 Au Livre IX des Confessions, Rousseau note que les deux partis « ressembl[e]nt plutôt à des loups enragés, acharnés à s’entre-déchirer, qu’à des

56 Christine Hamman, « Rousseau citant Le Tasse, ou les séductions de l’artifice », art. cit., p. 527.

57 Même si l’on peut nuancer certains aspects de son analyse concernant la théorie de la fiction (« Nous sommes parfois en présence d’une casuistique

58 Jacques Derrida, Histoire du mensonge : Prolégomènes, op. cit.,p. 19.

59 Jean Starobinski, « Rousseau et la rétroversion causale », Sigila (n°25), 2010/1, p. 13.

60 Pierre Bayard, « Écriture et espace intérieur dans les Rêveries », art. cit., p. 46.

61 Nous reprenons ici les indications contenues dans les notes de l’édition de la Pléiade (Marcel Raymond, « Notes » aux Rêveries du promeneur

62 Sur Rousseau lecteur de Montaigne, voir Jean Starobinski, « Rousseau dans la marge de Montaigne », Le Débat (n°90), 1996/3, p. 3-26.

63 Montaigne, Les Essais (III, II), éd. J. Balsamo, M. Magnien, C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, « Pléiade », 2007, p. 857.

64 Ibid., p. 845.

65 J. Balsamo, M. Magnien, C. Magnien-Simonin, « Introduction », Ibid.,p. XXXI.

66 Rousseau, « Lettre à Madeleine-Angélique de Neufville-Villeroy, duchesse de Luxembourg du 12 juin 1761 », Correspondance complète (t. IX), éd. R.A.

67 André Ravier, L’éducation de l’homme nouveau. Essai historique et critique sur le livre de l’Émile de J.-J. Rousseau (t. I), Paris, édition Spes

68 Rousseau, Les Confessions (XII), op. cit., p. 594.

69 Id., « Préface d’une seconde lettre à Bordes », Œuvres complètes (t. III), op. cit., p. 105.

70 « Le système est grand, car il porte sur le monde dans l’histoire et triste parce qu’il nous montre comment il va. Il est humiliant parce que l’

71 Rousseau, La Nouvelle Héloïse (V, VII), op. cit., p. 610.

72 Sur cette question qu’il ne s’agit pas d’épuiser ici, nous renvoyons aux analyses lumineuses de Jean Starobinski qui montre bien que la

73 Rousseau, La Nouvelle Héloïse (V, V), op. cit., p. 588.

74 Voir aussi la fameuse lettre posthume : « La vertu me reste sans tâche, et l’amour m’est resté sans remords » (Ibid. (VI, XII), p. 741).

75 Ibid. (VI, XI), p. 716.

76 « Tout son système, Rousseau nous dit l’avoir construit afin de vivre le reste de ses jours dans la certitude et le repos » (Jean Starobinski, « 

77 Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire (V), op. cit., p. 1045.

78 Id., Émile (IV), op. cit., p. 597.

79 Ibid.

80 Jean Starobinski, « Jean-Jacques Rousseau et le péril de la réflexion », art. cit.,p. 224.

81 C’est le cas particulièrement dans La Nouvelle Héloïse qui fait « de la puissance de l’imagination et des chimères un principe essentiel [de

82 Rousseau, Les Confessions (IX), op. cit., p. 427.

1 Rousseau, Les Confessions (VI), éd. B. Gagnebin, M. Raymond (dir.), Paris, Gallimard, « Pléiade », 1959, p. 226.

2 Voir plus récemment les analyses de Michel Coz, « Sur l’impératif de vérité dans la quatrième Promenade », in C. Jacot-Grapa, N. Jacques-Lefèvre, Y. Seité, C. Trévisan (dir.), Le Travail des Lumières, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 385-392, de Christine Hammann, , « De Rousseau citant le Tasse, ou les séductions de l’artifice », Dix-huitième siècle (n°38), 2006, p. 526-527, de Paul Jackanich, « L’homme du monde et l’homme vrai dans les Rêveries de Rousseau : s’immoler pour la vérité », Le Sentiment de l’existence. Lectures des Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, Thierry Belleguic, Philip Knee (dir.), Paris, Hermann, 2021, p. 83-101, et Erik Leborgne, « Figures et expériences de l’imposture chez Rousseau et Casanova », in N. Fréry, E. Sempère (dir.), Actes du colloque Imposteurs, charlatans et faussaires dans la fiction des Lumières, 2023 (à paraître). Pour une lecture freudienne, voir Jean-Noël Bellemin, « Jean-Jacques Rousseau. Les Rêveries du promeneur solitaire », Interlignes. 2, Presses universitaires du Septentrion, 1992, p. 119-147.

3 Paul de Man, Allégories de la lecture, Paris, Galilée, 1989, p. 347.

4 Jean Starobinski, « Rêverie et transmutation », Jean-Jacques Rousseau. La Transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, « tel », 1971, p. 418.

5 Jean-François Perrin, « Du droit de taire la vérité au mensonge magnanime : sur quelques arrière-plans théoriques et littéraires de la Quatrième Promenade », Littératures (n°37), 1997, p. 115.

6 Jacques Derrida, Histoire du mensonge : Prolégomènes, Paris, Galilée, 2012, p. 15-20.

7 Voir la synthèse de Pierre Sarr, « Discours sur le mensonge de Platon à saint Augustin : continuité ou rupture », Dialogue d’histoire ancienne, 36/2, 2010, p. 9-29.

8 « On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique. Je réponds que non, et que c’est pour cela que j’écris sur la politique » (Du Contrat social (I), éd. Robert Derathé, in Œuvres (t. III), op. cit., p. 351).

9 Toutes nos références aux Rêveries renverront à l’édition suivante : Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire, éd. Marcel Raymond, in Œuvres (t. I), op. cit.

10 « Pour moi, j’ai promis de [d]ire [la vérité] en toute chose utile, autant qu’il serait en moi ; c’est un engagement que j’ai dû remplir selon mon talent, et que sûrement un autre ne remplira pas à ma place, puisque chacun se devant à tous, nul ne peut payer pour autrui. La divine vérité, dit Augustin, n’est ni à moi ni à vous ni à lui, mais à nous tous qu’elle appelle avec force à la publier de concert. » (Rousseau, « Lettre à Christophe de Beaumont », Œuvres (t. IV), op. cit., p. 967-968).

11 Jean Starobinski, « Jean-Jacques Rousseau et le péril de la réflexion », L’Œil vivant, Paris, Gallimard, 1999, p. 224.

12 Rousseau, Émile (IV), éd. John S. Spink, in Œuvres complètes (t. IV), op. cit., p. 350.

13 S’efforçant de dégager une « doctrine des facultés » chez Rousseau, Martin Rueff a pu montrer que « la faculté intellective » ne dirigeait pas le développement des autres facultés qui obéissent à des rythmes différents : « Les facultés se doublent, se conduisent, se ralentissent » (« La doctrine des facultés de Jean-Jacques Rousseau comme préalable à la détermination du problème de la sensibilité », in B. Bachofen, B. Bernardi, F. Guénard (dir.), Philosophie de Rousseau, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 207). Ainsi, « à la vivacité de l’impression sensible [o]u aux fulgurances de l’imagination s’oppose la lenteur de la raison » (ibid., p. 205).

14 Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (I), éd. Jean Starobinski, in Œuvres complètes (t. III), op. cit., p. 143.

15 Ibid., p. 142.

16 J.-L.Guichet, « L’homme et la nature chez Rousseau », Revue des sciences philosophiques et théologiques (t. 86), 2002, p. 72.

17 Cet ébranlement existentiel avait bien été identifié par Michel Coz : « La question qui soutiendrait la Quatrième Promenade serait peut-être alors celle-ci : peut-on se mentir à soi-même, être de mauvaise foi, tout en étant fidèle aux images sur lesquelles et à partir desquelles on s’est construit son identité » (« Sur l’impératif de vérité dans la Quatrième Promenade », art. cit., p. 386).

18 Rousseau, La Nouvelle Héloïse (II, XVII), éd. Henri Coulet, Œuvres complètes (t. II), op. cit., p. 249.

19 Estimant « qu’une matrice plus légitime pour penser ce texte serait celle de l’espace analytique », Pierre Bayard note que « les mêmes scènes qu’auparavant (dont celles du ruban de Marion et de l’abandon des enfants) sont évoquées, comme travaillées à nouveau par la conscience et perlaborées » (« Écriture et espace intérieur dans les Rêveries », Littératures (n°11), 1984, p. 45).

20 Martin Rueff, « Les religions de Rousseau », Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, LIV, 2021, p. 145.

21 En s’appuyant sur les thèses célèbres de Ricœur, Carole Dornier a pu montrer la différence entre les Confessions et les Rêveries. Il ne s’agissait plus pour Rousseau dans les Rêveries « de révéler son identité, de dire qui il est », autrement dit de constituer son « identité narrative », mais plutôt « d’écrire le passage et de se livrer ainsi à l’exercice de soi » (« L’écriture de la citadelle intérieure ou la thérapeutique de l’âme du promeneur solitaire », Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, XLVIII, 2008, p. 109). On aura l’occasion de nuancer cette thèse plus tard dans notre étude.

22 Jean-Noël Bellemin, « Quatrième Promenade », art. cit., p. 125.

23 Patrick Thierry, « Des poires et un ruban. Petites généalogies du mal », Revue philosophique de la France et de l’étranger (t. 137), 2012/4, p. 466.

24 Pierre Bayard, « Écriture et espace intérieur dans les Rêveries », art. cit., p. 43.

25 « Je tombai sur un des journaux de l’abbé Rosier au titre duquel il avait mis ces paroles vitam vero impendenti, Rosier. Trop au fait des tournures de ces Messieurs pour prendre le change sur celle-là je compris qu’il avait cru sous cet air de politesse me dire une cruelle contrevérité : mais sur quoi fondé [e] [sic] ? Pourquoi ce sarcasme ? » (p. 1024)

26 Paul Jackanich, « L’homme du monde et l’homme vrai dans les Rêveries de Rousseau : s’immoler pour la vérité », art. cit., p. 85.

27 Sur ce sujet, nous renvoyons aux analyses célèbres de Michel Foucault, Discours et Vérité, précédé de La Parrêsia, Paris, Vrin, 2016.

28 « Comme la rhétorique, la parrêsia s’inscrit dans le champ social : c’est en public que le parrèsiaste ose dire la vérité » (Marc Hersant, « Parrêsia et rhétorique dans le récit non fictionnel au XVIIIe siècle : le cas d’absence de destinataire immédiat (Saint-Simon, Rousseau) », Littératures classiques (n°94), 2017/3, p. 75), à la différence de Rousseau qui fait de cette exigence quelque chose qu’il se doit à lui-même : « Courage de la vérité, peut-être. Mais aussi et surtout obligation pour soi-même de la dire, même sans public » (Ibid., p. 80).

29 De quoi cautionner l’hypothèse de Philippe Lejeune selon lequel « les remords de Rousseau » seraient avant tout liés à son amour pour Marion et constitueraient « une manière de prolonger indéfiniment la parole d’amour (inversée) qu’il aurait obtenue d’elle » (Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1974, p. 55).

30 Sur ce sujet, voir Érik Leborgne, « Figures et expériences de l’imposture chez Rousseau et Casanova », art. cit.

31 On le sait, bien que le chantier de l’autobiographie ait été depuis longtemps commencé, « l’évènement décisif » fut en 1764 la dénonciation publique mais anonyme par Voltaire de l’abandon des enfants dans le Sentiment des citoyens (Bernard Gagnebin, Marcel Raymond, « Introduction », Les Confessions, op. cit., p. XXIII).

32 Rousseau, Les Confessions (II), op. cit., p. 85.

33 Ibid., p. 87.

34 On peut d’ailleurs le comparer avec la fin du Livre I des Confessions où Rousseau se prend à rêver de ce qu’aurait été son existence s’il n’avait jamais quitté Genève : « J’aurais passé dans le sein de ma religion, de ma patrie, de ma famille et de mes amis, une vie paisible et douce » (Les Confessions (I), op. cit., p. 43). Sur cette propension qu’a Rousseau à élaborer d’autres mondes possibles ou des réalités alternatives, voir notamment Christophe Martin, « Expérience de pensée et pensée du possible, de Fontenelle à Rousseau », Tangence (n°125-126), 2021, p. 101-106.

35 C’est là, selon la belle analyse de Maurice Blanchot, une des composantes essentielles de la mauvaise conscience rousseauiste : « Rousseau est le premier à écrire avec ennui, et le sentiment d’une faute qu’il doit aggraver sans cesse pour s’efforcer d’y échapper ». Écrire, en effet, « c’est le mal, car c’est entrer dans le mensonge de la littérature et la vanité des mœurs littéraires » (« Rousseau », Le Livre à venir, Paris, Gallimard, « tel », 1959, p. 60-61).

36 Élaborer une approche philosophique des Rêveries ne va pas de soi : « La rêverie rompt avec [l]e traité philosophique à caractère systématique », s’imposant plutôt comme « une activité réflexive visant à agir sur soi-même » (Carole Dornier, « L’écriture de la citadelle intérieure », art. cit., p. 108), ou, selon la formule de Jean Starobinski, à « s’occuper de soi » (Jean-Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, op. cit., p. 425). Cela n’avait pas empêché André Charrak de voir dans la rêverie du lac de Bienne « l’aboutissement des profonds mouvements de la dernière philosophie de Rousseau » (Rousseau. De l’empirisme à l’expérience, Paris, Vrin, 2013, p. 183).

37 Frank Salaün, « Les larmes de Wolmar », André Charrak, Jean Salem (dir.), Rousseau et la philosophie, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 81.

38 Au sujet de la permission de renvoyer son épouse selon la loi de Moïse : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de quitter vos femmes » (Mathieu, Évangile (XIX, 8), La Bible, trad. Lemaître de Sacy, éd. Philippe Sellier, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1990, p. 1291) ; « c’est à cause de la dureté de votre cœur qu’il vous a fait cette ordonnance » (Marc, Évangile (X, 5), La Bible, op. cit., p. 1323). Voir aussi Saint Paul : « Et cependant par votre dureté, et par l’impénitence de votre cœur, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour de la colère, et de la manifestation du juste jugement de Dieu » (Épître aux Romains (II, 5), La Bible, op. cit., p. 1459).

39 « Rousseau a une pratique de lecture de la Bible déjà marquée par son assiduité et sa régularité » (Geneviève Di Rosa, Rousseau et la Bible. Pensée du religieux d’un philosophe des Lumières, Leiden-Boston, Rodopi, 2016, p. 63).

40 Jean-François Perrin, Politique du renonçant, op. cit., p. 280.

41 Rousseau, Émile (IV), op. cit., p. 597. Passage repris des Lettres morales (V), éd. Henri Gouhier, Ibid., p. 1107.

42 Id., La Nouvelle Héloïse (I, LVII), op. cit., p. 160.

43 Ibid.

44 Cette idée d’une humanité menacée d’autodestruction est présente dans le Second Discours. À la fin de son analyse de la pitié comme sentiment naturel, Rousseau envisage l’extinction de la race humaine en le liant précisément à la question du sentiment intérieur : « il y a longtemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent » (Second Discours (I), op. cit., p. 156-157).

45 Il faut pour cette raison nuancer « le caractère dérisoire » de cet évènement (Patrick Thierry, « Des poires et un ruban. Petites généalogies du mal », art. cit., p. 458) ou l’idée d’une « disproportion entre le crime et le remords » (Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 54) et discerner la violence sociale qui s’y manifeste.

46 Rousseau, Les Confessions (II), op. cit., p. 85.

47 Laetitia Simonetta, La Connaissance par sentiment (II, IV), Thèse de doctorat, ENS de Lyon, 2015, p. 184.

48 Rousseau, La Nouvelle Héloïse (IV, X), op. cit., p. 458.

49 Ibid.

50 « Le motif qui incite à changer, c’est toujours quelque inquiétude, rien ne nous portant à changer d’état, ou à quelque nouvelle action, que quelque inquiétude » (Locke, Essai sur l’entendement humain (II, 21), trad. Pierre Coste, Paris, Le Livre de poche, 2009, p. 410). Sur la question plus générale de l’inquiétude au XVIIIe siècle, nous renvoyons aux analyses canoniques de Jean Deprun, La Philosophie de l’inquiétudes au XVIIIe siècle, Paris, Vrin, 1979, et à celles plus récentes de Diego Vernazza, « Montesquieu et la problématique de l’inquiétude », in Catherine Volpilhac-Auger, Luigi Delia (dir.), (Re)lire L’Esprit des lois, Publications de la Sorbonne, 2014, p. 33-46.

51 En témoigne le besoin qu’éprouve Rousseau à revenir sur la rêverie du lac de Bienne au Livre XII des Confessions (op. cit., p. 642), mais aussi dans la « Cinquième Promenade » des Rêveries (op. cit., p. 1040-1049).

52 « Dans cet état il est naturel que j’aime à me tourner les yeux sur le passé duquel je tiens désormais tout mon être, c’est alors que mes erreurs se corrigent et que le bien et le mal se font sentir à moi sans mélange et sans préjugés » (Rousseau, Lettres morales (IV), op. cit., p. 1103).

53 Selon Descartes, « le remords [p]résuppose nécessairement le doute » et « si on était assuré que ce qu’on a déjà fait fût mauvais, on en aurait du repentir et pas du remords (Les Passions de l’âme (III, art. 177), Œuvres philosophiques (t. III), éd. Ferdinand Alquié, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 1083).

54 Jean-François Perrin, Politique du renonçant. Le Dernier Rousseau, op. cit., p. 282.

55 Au Livre IX des Confessions, Rousseau note que les deux partis « ressembl[e]nt plutôt à des loups enragés, acharnés à s’entre-déchirer, qu’à des chrétiens et des philosophes qui veulent réciproquement s’éclairer, se convaincre, et se ramener dans la voie de la vérité » (op. cit., p. 435-436).

56 Christine Hamman, « Rousseau citant Le Tasse, ou les séductions de l’artifice », art. cit., p. 527.

57 Même si l’on peut nuancer certains aspects de son analyse concernant la théorie de la fiction (« Nous sommes parfois en présence d’une casuistique pure et simple »), Andrzej Siemek a raison lorsqu’il note que « la ligne générale des Rêveries est précisément celle des “correctifs” qui mettent en branle la certitude interne, inlassablement déclarée » (« La poétique des Rêveries du promeneur solitaire, in Rêveries sans fin, op. cit., p. 179).

58 Jacques Derrida, Histoire du mensonge : Prolégomènes, op. cit., p. 19.

59 Jean Starobinski, « Rousseau et la rétroversion causale », Sigila (n°25), 2010/1, p. 13.

60 Pierre Bayard, « Écriture et espace intérieur dans les Rêveries », art. cit., p. 46.

61 Nous reprenons ici les indications contenues dans les notes de l’édition de la Pléiade (Marcel Raymond, « Notes » aux Rêveries du promeneur solitaire, op. cit., p. 1788).

62 Sur Rousseau lecteur de Montaigne, voir Jean Starobinski, « Rousseau dans la marge de Montaigne », Le Débat (n°90), 1996/3, p. 3-26.

63 Montaigne, Les Essais (III, II), éd. J. Balsamo, M. Magnien, C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, « Pléiade », 2007, p. 857.

64 Ibid., p. 845.

65 J. Balsamo, M. Magnien, C. Magnien-Simonin, « Introduction », Ibid., p. XXXI.

66 Rousseau, « Lettre à Madeleine-Angélique de Neufville-Villeroy, duchesse de Luxembourg du 12 juin 1761 », Correspondance complète (t. IX), éd. R.A. Leigh, Genève-Madison, Institut et musée Voltaire, The University of Wisconsin, 1969, p. 14.

67 André Ravier, L’éducation de l’homme nouveau. Essai historique et critique sur le livre de l’Émile de J.-J. Rousseau (t. I), Paris, édition Spes, 1941, p. 115-116.

68 Rousseau, Les Confessions (XII), op. cit., p. 594.

69 Id., « Préface d’une seconde lettre à Bordes », Œuvres complètes (t. III), op. cit., p. 105.

70 « Le système est grand, car il porte sur le monde dans l’histoire et triste parce qu’il nous montre comment il va. Il est humiliant parce que l’homme aurait pu être autre » (Alexis Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur. Le traité du mal, Paris, Vrin, 1984, p. 122).

71 Rousseau, La Nouvelle Héloïse (V, VII), op. cit., p. 610.

72 Sur cette question qu’il ne s’agit pas d’épuiser ici, nous renvoyons aux analyses lumineuses de Jean Starobinski qui montre bien que la responsabilité de l’homme dans la corruption n’induit pas une dégradation définitive de son intériorité : « Le mal est voile et voilement, il est masque, il a partie liée avec le factice, et il n’existerait pas si l’homme n’avait la dangereuse liberté de nier, par l’artifice, le donné naturel. C’est entre les mains de l’homme, et non dans son cœur, que tout dégénère » (La Transparence et l’obstacle, op. cit., p. 34).

73 Rousseau, La Nouvelle Héloïse (V, V), op. cit., p. 588.

74 Voir aussi la fameuse lettre posthume : « La vertu me reste sans tâche, et l’amour m’est resté sans remords » (Ibid. (VI, XII), p. 741).

75 Ibid. (VI, XI), p. 716.

76 « Tout son système, Rousseau nous dit l’avoir construit afin de vivre le reste de ses jours dans la certitude et le repos » (Jean Starobinski, « Jean-Jacques Rousseau et le péril de la réflexion », art. cit., p. 226).

77 Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire (V), op. cit., p. 1045.

78 Id., Émile (IV), op. cit., p. 597.

79 Ibid.

80 Jean Starobinski, « Jean-Jacques Rousseau et le péril de la réflexion », art. cit., p. 224.

81 C’est le cas particulièrement dans La Nouvelle Héloïse qui fait « de la puissance de l’imagination et des chimères un principe essentiel [de création] » (Christophe Martin, La Philosophie des amants. Essai sur Julie ou La Nouvelle Héloïse, Paris, S.P.U.P.S, 2021, p. 17).

82 Rousseau, Les Confessions (IX), op. cit., p. 427.

Henri Portal

CELLF – UMR 8599