Compte rendu de lecture

Flor de María Mallqui Bravo

DOI : 10.61736/tropics.3384

Référence(s) :

Isabelle Tauzin-Castellanos, Mónica Cárdenas-Moreno et Maylis Santa-Cruz, Images et représentations du Pérou en France, 1821-2021, La Réunion, Presses Universitaires Indianocéaniques, 2022

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Flor de María Mallqui Bravo, « Compte rendu de lecture », Tropics [En ligne], 17 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 01 octobre 2025. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/3384

Cet ouvrage est le résultat concret du colloque international intitulé « Images et représentations du Pérou en France, 1821-2021 » qui s’est déroulé à Bordeaux en novembre 2021. Le titre met en évidence les objectifs qui ont guidé la recherche collective. L’une des questions fondamentales à laquelle l’événement souhaite répondre est de savoir comment le Pérou a été représenté au cours de sa vie républicaine en France. Images et représentations… démontre que les transferts culturels entre la France et le Pérou constituent des éléments importants dans l’histoire du Pérou.

Isabelle Tauzin-Castellanos, la professeure émérite qui a supervisé le projet scientifique à l’Université Bordeaux Montaigne, s’intéresse depuis longtemps à l’étude des transferts culturels franco-péruviens. En 2020, elle a organisé, en raison de la pandémie, le premier congrès international par visioconférence dans ce domaine des humanités, à l’origine d’un autre ouvrage centré sur le Mexique : Migraciones, viajes y transferencias culturales (1821-2021). En 2018, avec José Antonio Mazzotti, elle a co-organisé le IXe Congrès International des Péruvianistes à Bordeaux. Auparavant, en 2015, l’historienne de la littérature Mónica Cárdenas-Moreno a publié l’ouvrage collectif Miradas reciprocas entre Perú y Francia Viajeros, escritores y analistas (siglos XVIII-XX), à l’issue d’un premier colloque coordonné à Lima par Isabelle Tauzin-Castellanos et Oswaldo Holguin Calló. Le musée d’Aquitaine à Bordeaux s’est avéré être le lieu idéal pour célébrer le bicentenaire de la république péruvienne en raison de l’échange jumelant la ville avec Lima depuis 1957. Maylis Santa Cruz (Université Bordeaux Montaigne), Isabelle Tauzin-Castellanos et Mónica Cárdenas-Moreno, trois spécialistes de la littérature écrite par des femmes au XIXe et XXe siècle, ont été chargées de rassembler les contributions sélectionnées à l’issue du colloque de Bordeaux.

Le volume est divisé en quatre parties, qui organisent par ordre chronologique seize travaux de chercheurs français et péruviens. La première partie se concentre sur les années de l’Indépendance. Le premier article, de Jérôme Louis, présente la biographie d’un des nombreux vétérans des guerres napoléoniennes qui ont participé aux guerres d’indépendance sud-américaines : Lord Cochrane. Ce marin britannique au service de la marine chilienne a organisé le contrôle du littoral Pacifique et a joué un rôle essentiel aux côtés de l’Argentin San Martín dans la libération du territoire péruvien.

Le deuxième chapitre écrit par Maud Yvinec, analyse les représentations que la presse de Lima a données des citoyens afro-péruviens dans les premières années de la République. En reprenant un texte publié en six chapitres dans le journal libéral El Telégrafo de Lima en 1832, l’autrice révèle les préoccupations qui traversent/agitent la société au moment de l’Indépendance. Le texte intitulé Abrii tu ojo imagine un dialogue comique entre deux Afro-péruviens qui, au-delà de l’humour, met en question la stabilité politique postcoloniale et critique les inégalités dont souffre la jeune république.

La vocation des dessinateurs français tels que Bonnaffé et Monvoisin dans la formation de l’imaginaire visuel péruvien mérite une étude approfondie. Les recherches de Pascal Riviale portent sur l’importante collection de « dessins péruviens » constituée par le diplomate français Amédée Chaumette des Fossés. Cette collection formée lors du premier séjour du diplomate français à Lima en 1827 possède une diversité qui pourrait aider à comprendre les tensions esthétiques et à résoudre les mystères qui entourent les peintres populaires actifs à Lima dans la première moitié du XIXe siècle, comme Pancho Fierro, pour citer le plus célèbre.

Un autre artiste inspiré par les paysages et les personnages de la capitale péruvienne à la même époque est l’Allemand Johan Moritz Rugendas. Il réalisa un long séjour au cours duquel il dépeignit des scènes de vie à Lima, à Chorrillos et à Miraflores, mais aussi l’architecture coloniale et les vestiges préhispaniques de Cuzco. Lucile Magnin revient sur les deux années passées par l’artiste bavarois dans la ville des tapadas, une mode vestimentaire féminine que Maurice Rugendas a contribué à dévoiler avec ses crayons et ses pinceaux.

Dans le texte qui ouvre la deuxième partie du livre, Élodie Vaudry se consacre à la Revue Orientale et Américaine. Dans les pages de cette revue, publiée durant la majeure partie de la seconde moitié du XIXe siècle, les thèmes de l’Amérique et de l’Orient sont abordés à partir de disciplines aussi variées que la linguistique, l’archéologie ou l’ethnographie. La conjonction de ces deux axes ancrés dans ces deux continents nous montre la manière dont l’américanisme se construit à partir de l’Europe. De même, les représentations du Pérou dans cette publication nous aident à reconstruire la perception occidentale des Andes. La revue savante rassemble un réseau de chercheurs et de savants qui pensent l’Amérique à partir du « Vieux Monde ».

Le poète romantique péruvien Nicanor de la Rocca de Vergallo proposa de réformer l’orthographe française à la fin du XIXe siècle. Souvent absente des ouvrages sur la littérature péruvienne, son œuvre a été oubliée du fait du choix du français comme langue d’expression littéraire. Après avoir suivi les traces de ce francophone natif de Lima, Marcos Eymar lui confère une place prépondérante en tant que précurseur du vers libre en France et auteur d'une poésie patriotique péruvienne écrite dans une langue autre que l'espagnol.

Mónica Cárdenas explore ensuite le projet visionnaire d’un entrepreneur corse, Angelo Mariani qui produisit en France, dans les années 1860, une boisson à base de vin de Bordeaux et de macérat de feuilles de coca. Le vin Mariani connut un grand succès en tant que boisson énergisante aux prétendues propriétés médicinales. Une partie du succès était due à des mécanismes publicitaires complexes, Mariani fit appel à un grand nombre de notables du monde intellectuel, culturel, économique et politique pour leur demander de témoigner des bienfaits du vin, les transformant ainsi en ambassadeurs de la marque à travers les albums Mariani. Mónica Cárdenas explore ainsi la manière dont les mécanismes publicitaires reposent sur un discours singulier sur le savoir ancestral des Incas.

La troisième partie d’Images et représentations du Pérou en France, 1821-2021 est presque entièrement consacrée aux arts. Le premier chapitre écrit par Fernando Villegas se concentre sur plusieurs peintres péruviens vivant en France durant la seconde moitié du XIXe siècle, Daniel Hernández, Alberto Lynch et Ignacio Merino. À travers leur évolution picturale, à partir des thèmes historiques et des scènes de genre jusqu’à ce que l’historien de l’art appelle le « triomphe du portrait », il est possible de comprendre la dynamique des influences esthétiques, ainsi que la circulation des images entre les deux continents à la Belle Époque.

Dans le chapitre suivant, Alain Cardenas-Castro, fils du peintre Juan Manuel Cardenas-Castro, partage quelques-uns des résultats de sa thèse de doctorat sur l’artiste originaire de Cuzco. Collaborateur au Pérou de médias importants comme Variedades, la revue illustrée dans laquelle il était caricaturiste, il s’est également attaché à représenter la capitale des Incas, ses habitants et ses coutumes. Il part en Europe au début des années 20 et s’installe à Paris jusqu'à sa mort en 1988. Le chapitre s’attache aussi à explorer les liens entre l’œuvre indigéniste et l’expérience d’immigré en France de Juan Manuel Cardenas-Castro.

Rosmeliz Alva Zapata s’intéresse elle à l’œuvre de la peintre péruvienne Julia Codesido, fille du consul du Pérou à Bordeaux au début du XXe siècle. La mobilité caractéristique d'une carrière diplomatique a permis à la famille de voyager et de vivre différentes expériences en Europe. De retour au Pérou en 1918, Julia Codesido retrouve son pays. Elle étudie avec Daniel Hernández et José Sabogal à l’École des Beaux-Arts de Lima, qui vient d’être créée, et construit une œuvre puissante et vivante. Son talent très original réussit à se développer dans le milieu conservateur et éminemment masculin de la capitale péruvienne.

L’historien français Alvar de la Llosa revient ensuite sur le premier centenaire de l’indépendance du Pérou en 1921. Les diverses activités et célébrations de cette date importante furent organisées par le gouvernement Leguía, qui reçut à Lima, quatre ans après la fin de la Première Guerre mondiale, la visite du général Mangin, héros français très controversé du conflit européen. Outre le constat d'un affaiblissement de l'image de la France au Pérou, la délégation diplomatique française découvrit l'image négative du régime d'Augusto Leguía, lequel tenta de tirer parti de cette réunion protocolaire pour redorer son blason.

Isabelle Tauzin-Castellanos, quant à elle, aborde de manière originale l’histoire des sœurs Truel. La vie de ces deux Franco-Péruviennes et leur participation à la Résistance française sont méconnues. La chercheuse se concentre sur le livre qu’elles ont créé ensemble : L’Enfant du métro, écrit par Madeleine Truel et illustré par Lucha Truel pendant l’Occupation. Ce livre est un message d’espoir dans le contexte sombre de la guerre. Outre l’analyse de cet ouvrage, la chercheuse, en s'appuyant sur des documents issus de collections publiques et de fonds privés, illustre le rôle qui fit des Sœurs Truel des héroïnes de la Résistance, pourtant oubliées.

La quatrième partie d’Images et représentations… présente des sujets d’actualité à partir de l’engagement dans la jungle amazonienne et de l’art péruvien contre la corruption. Catherine Heymann, spécialiste de l’Amazonie, met en lumière le travail documentaire de l’artiste Nora de Izcue. Catherine Heymann rappelle l’œuvre de documentariste d’Izcue et l’hommage qui lui a été rendu en 2015 au Festival de Cannes. En prenant comme sujet la lutte des paysans de Cuzco pour la réforme agraire, un film tel que Runan Caycu, réalisé en 1973, témoigne de sa trajectoire dans le documentaire social. Le Pérou andin n’est pas le seul espace qui l’intéresse ; Nora de Izcue tourne également son regard vers le Pérou et son travail embrasse les multiples réalités humaines, géographiques et culturelles d’un pays aux mille facettes. Thibaut Cadiou explore un épisode extrêmement douloureux de l’histoire de la jungle péruvienne qui a été réinterprété par l’art. Il s'agit de la tragédie du boom du caoutchouc entre le XIXe et le XXe siècle qui est restée gravée dans la mémoire collective de nombreuses ethnies du Putumayo. C’est cette réalité historique que les peintres indigènes déconstruisent à travers leur esthétique.

Morgana Herrera examine elle aussi la peinture amazonienne contemporaine en étudiant dans un chapitre spécifique la série « AMA/zones de mythes et de visions » conçue dans le cadre du Projet du Bicentenaire, et organisée par l’artiste visuel Christian Bendayan. Il s’agit d’une exposition virtuelle ou d’une mini-série de dix chapitres inspirés par différents mythes de l’Amazonie. La chercheuse réunit des artistes paradigmatiques et, d’une certaine manière, contribue à la reconnaissance de ce courant original et méconnu en l’inscrivant dans l’histoire de l’art péruvien, tout en s’interrogeant sur l’omission de l’Amazonie dans l’histoire officielle du Pérou.

Estelle Amilien, maîtresse de conférences comme Morgana Herrera et Maud Yvinec, qui constituent la génération péruvianiste émergente, clôt la publication en analysant le film Le candidat d’Alvaro Velarde, sorti en 2016 lors du second tour des élections présidentielles. Cette comédie subtile aborde avec humour les problèmes auxquels sont confrontées les démocraties latino-américaines et fait appel à des humoristes que les émissions de télévision ont rendus populaires. En outre, Le candidat exploite différents ressorts du comique, en déformant les références historiques pour dépeindre, sous forme caricaturale, la fragilité de la démocratie. On retrouve à l’identique cette fiction de 2016 dans l’actualité quotidienne.

La faiblesse des institutions a été une constante dramatique au cours des deux siècles d’histoire indépendante parcourus par le livre remarquablement édité et illustré par les Presses Universitaires Indianocéaniques, sous la houlette de Mónica Cárdenas-Moreno, enseignante chercheuse franco-péruvienne en poste à l’Université de La Réunion.

Flor de María Mallqui Bravo

Universidad San Ignacio de Loyola, Lima-Pérou