La laïcité scolaire à La Réunion : une créolisation de la loi de 2004 ?

Émilie Pontanier et Anne-Claire Husser

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Émilie Pontanier et Anne-Claire Husser, « La laïcité scolaire à La Réunion : une créolisation de la loi de 2004 ? », Tropics [En ligne], 11 | 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/2034

La loi du 15 mars 2004 interdisant le port des signes ostensibles aux élèves des établissements scolaires publics en France apparaît particulièrement intéressante à étudier à La Réunion puisqu'elle n’a véritablement été mise en œuvre qu’à partir de 2018. Dans ce contexte, quels positionnements et quelles stratégies adoptent les professionnels de l’éducation face aux expressions visibles du religieux ? Comment négocient-ils la tension entre la nouvelle norme scolaire et « le particularisme réunionnais » en matière de laïcité ? Quelles ressources mobilisent-ils, selon quelles logiques et sur la base de quels « principes de justice » (Boltanski et Thévenot, 1991) ? Une enquête sociologique menée en 2019 témoigne d’une mise en œuvre singulière de la laïcité scolaire à La Réunion qui incite à penser sa créolisation.

The French law of 15 March 2004 forbidding state school pupils from wearing visible religious signs is particularly interesting to research in Reunion Island, as it was only properly applied in the region since 2018. In this context, what positions and strategies do education professionals adopt when facing visible religious signs? How do they negotiate the tension between this new norm in schools and the distinctive Réunion identity as regards laicity? What resources do they mobilize, according to what logic and on the basis of what “principles of justice” (Boltanski and Thévenot, 1991)? A sociologic investigation conducted in 2019 reveals a singular implementation of secular education in secondary schools which leads to considerations of creolization.

La situation géographique de La Réunion et l’histoire des migrations qui ont forgé son peuplement ont fait de cette île un réceptacle de cultures et de religions différentes. Cette diversité est au cœur de l’argumentaire des défenseurs du particularisme local appelant La Réunion à vivre « l’expérience de la laïcité selon son propre rythme insulaire » (Ève, 2005). Et de fait, la laïcité scolaire a longtemps été perméable aux données culturelles et religieuses locales, ce qui justifiait une « tolérance réunionnaise » à l’égard des signes religieux des élèves, l’expression du religieux n’étant pas perçue de manière aussi polémique qu’en France métropo­litaine. En raison de ce contraste, le territoire réunionnais offre un contre point intéressant pour étudier les enjeux professionnels et politiques de la mise en œuvre de la loi du 15 mars 2004, interdisant le port des signes ostensibles aux élèves des établissements secondaires, d’autant que celle-ci n’y a été véritablement appliquée qu’à partir de 2018. C’est le recteur de l’île qui adresse le 19 février une circulaire aux chefs d’établissement invitant ces derniers à « veiller à ce que les élèves ne portent pas de signes ostentatoires d’appartenance religieuse ou communautaire (croix, kichali, bindi…) »1.

S’inscrivant dans une politique de renormalisation des interprétations locales de la laïcité, cette circulaire n’est pas sans susciter des crispations sur le terrain scolaire dans la mesure où elle remet en cause une norme légitime pour la majorité les professionnels interviewés2, celle d’une laïcité souple, « créolisée », liée à une adaptation au territoire ultramarin et à la prise en compte de la diversité des élèves (Lantheaume, 2011).

L’interdiction du port de signes religieux ostensibles par les élèves entrant en tension avec une perception, largement partagée à La Réunion, du religieux comme ressource identitaire majeure (Andoche et al., 2017), l’entrée en vigueur de la loi de 2004 est de nature à constituer une épreuve pour les professionnels chargés de la mettre en œuvre.

Comment ces derniers négocient-ils la tension entre la nouvelle norme scolaire et « le particularisme réunionnais » en matière de laïcité ? Quelles ressources mobi­lisent-ils, selon quelles logiques et sur la base de quels « principes de justice » (Boltanski et Thévenot, 1991) ?

L’hypothèse de départ est que l'étude des controverses possibles sur la laïcité et la loi de 2004 sur les signes religieux depuis 2018 à La Réunion résulte d’un conflit de normes entre des pratiques localement légitimes et justifiées par le contexte interculturel et plurireligieux de l’île et le rappel de l’application stricte de cette loi par un décret.

Dans une première partie, l’approche théorique et méthodologique de la recher­che sera exposée. Dans une seconde partie, quelques éléments de contextualisation permettront d’exposer l’hypothèse d’une créolisation de la laïcité à La Réunion. Enfin, dans une troisième partie, l’analyse d’une série de situations en lien avec la laïcité et la circulaire de 2018 sur l’application de la loi de 2004 prendra appui sur une enquête de terrain réalisée entre octobre et décembre 2019 à La Réunion. Cette enquête s’inscrit dans une recherche plus vaste, la recherche Redisco engagée en 2016 dans plusieurs académies métropolitaines3.

Sociologie pragmatique pour une analyse de la laïcité scolaire

Pour saisir la laïcité en contexte (Sauvage et Tupin, 2012), là où elle est mise en œuvre afin de saisir ses interprétations sur le terrain scolaire, nous avons fait appel à l’entretien semi directif (Blanchet et Gotman, 1992) et mobilisé les outils de la sociologie pragmatique (Boltanski et Thévenot, 1991). Nous nous intéressons aux logiques d’action4 qui guident les acteurs sociaux et aux significations qu’ils donnent aux situations rencontrées (Hughes, 1996). Le guide d’entretien est construit dans une optique descriptive. Il tend à faire émerger, quoique de manière non exclusive, les moments d’épreuves5. L’épreuve englobe à la fois les opérations de qualification et de détermination des êtres et celles de négociations et de formations d’accord entre les personnes (Boltanski et Thévenot, 1991). La grille d’entretien invite les professionnels de l’éducation à parler de « situations liées à la laïcité et aux religions » sans mettre en avant leur caractère supposément problématique. Les entretiens recueillis ont fait l’objet d’une analyse catégorielle de contenu (Bardin, 2013). Les analyses qui vont suivre s’appuient sur un corpus de 42 entretiens6 décrivant 52 situations liées à la laïcité en collège et en lycée. Parmi ces 52 situations, 24 portent sur les signes ostensibles et la circulaire de 2018.

Ces professionnels sont : 2 proviseurs adjoints, 3 professeurs d’éducation physique et sportive (collège et lycée), 5 professeurs de lettres (3 en collèges et 2 en lycée), 2 de philosophie, 2 de mathématiques (lycée), 1 d’art plastique (lycée), 4 d’histoire-géographie en collège et 4 en lycée, 2 d’anglais (collège et lycée), 1 agent polyvalent (collège), 7 professeurs de lycée professionnel, 1 BTS, 8 conseil­lers principaux d’éducation (collège et lycée). Sauf mention contraire, les personnels interrogés sont réunionnais (nés et ayant vécu principalement à La Réunion jusqu’à cette date).

Le recrutement des professionnels interviewés a été réalisé sur la base du volontariat et par le biais d’un appel à participation diffusé par le réseau de la sociologue de l’université de La Réunion. Le recueil de données a été également réalisé par des étudiants de l’université de La Réunion7. Les noms des professionnels et celui des établissements n’ont pas été mentionnés pour préserver leur anonymat.

La créolisation de la laïcité, fondement de la résistance à la loi de 2004 ?

L’initiation religieuse constitue dans sa diversité une expérience partagée par une grande partie de la population réunionnaise (Ève, 1992) et cette expérience se vit à l’ombre de la scolarisation (Simonin et Wolff, 2002), éléments qui ont pu favoriser l’application d’une laïcité « douce » (Simonin et Wolff, 2002). Dès 2004, la question de la visibilité du religieux (et sa légitimité) était déjà au cœur des revendications médiatiques des élus locaux8 lorsqu’ils demandaient à être dispensés de la future loi sur le port de signes religieux ostensibles à l’école. En vertu d’une adaptation accordée au territoire réunionnais en sa qualité de région ultrapéri­phérique, les élèves ont pu conserver leurs habitudes vestimentaires conformément à une « tradition » mêlant de manière indistincte le religieux et le culturel, mais ils ne se sont pas non plus vu interdire le port de signes religieux proprement dits. Cette interprétation locale de la laïcité scolaire s’inscrivait dans le cadre d’une volonté plus globale de préserver les particularismes culturels et cultuels de l’île (Wallian, 2018). La circulaire rectorale de 2018 apparaissant dans ces circonstances comme une tentative de gommer les spécificités réunionnaises pour mettre l’île au pas de la métropole9.

La question de l’application de la laïcité dans les établissements scolaires réunionnais n’en apparaît pas moins dans ces conditions comme une question sensible dans un contexte d’alignement des normes scolaires sur le droit commun, dans un environnement socioculturel caractérisé par des pratiques d’adaptations, de reformulations, de « créolisation » selon Ghasarian (2002, p. 666). Antérieure à 2018 mais mise en lumière par contraste avec l’interdiction stricte du port de signes ostensibles, la laïcité créolisée ne se confond ni avec le multiculturalisme comme modèle politique encourageant la différenciation communautaire ni avec la « laïcité tolérante » d’inspiration libérale centrée sur la maximisation de la liberté indivi­duelle (Laborde, 2010). Il s’agit bien davantage d’une identité collective valorisant l’expression multiple et souvent syncrétique du religieux comme culture commune.

La créolisation explique-t-elle à elle seule la configuration actuelle de la laïcité réunionnaise ou bien témoigne-t-elle des mêmes logiques hybrides observées en métropole dans le travail des professionnels de l’éducation (Pontanier et Husser, 2019) ?

Trois types de positionnement par rapport à la loi de 2004 et la circulaire de 2018

L’enquête de terrain réalisée en 2019 révèle une forte mobilisation de la communauté scolaire autour de l’application de la loi de 2004 suite à la circulaire de 2018. Cette mobilisation peut cependant prendre une diversité de formes selon les acteurs interviewés comme en témoignent les trois types de réceptions de la loi de 2004 : une lecture intransigeante centrée sur le respect de l’interdiction du port de signes ostensibles, une lecture accommodante qui sans remettre en cause le bien-fondé de la loi de 2004 met l’accent sur les conditions de son acceptabilité par les élèves et leurs familles, enfin une lecture distanciée autorisant des transgressions plus ou moins assumées à l’égard des prescriptions rectorales. On notera que ces dernières ne sont pas nécessairement perçues comme telles dans la mesure où elles s’inscrivent dans le fil d’une norme longtemps prévalante quant aux pratiques de laïcité, caractérisée par une forte tolérance vis-à-vis des expressions du religieux, approche que nous désignerons dorénavant par l’expression de « laïcité créolisée ».

La chasse aux signes ou le difficile travail de qualification des expressions du religieux

La qualification du signe religieux d’une part et l’appréciation de ce qui est ostensible d’autre part prête à discussion entre professionnels : si de nombreux enseignants, dans l’optique d’une mise en œuvre accommodante et progressive de la loi de 2004 s’efforcent ainsi d’identifier des formes acceptables du voile (voile « léger », « voile traditionnel ») en adoptant une lecture ethnicisée de ce dernier, d’autres à l’inverse déploient le plus grand zèle à débusquer le moindre signe religieux parfois au point de rabattre le « discret » (seuls les signes discrets sont autorisés pour les élèves) sur l’invisible. Ces professionnels pensent appliquer la règle légitimement et ils se félicitent de faire enfin respecter la loi comme l’y incite un enfant du pays devenu recteur.

Une professeure d’anglais (20 ans d’ancienneté, 12 dans un lycée situé à l’est de l’île) explique :

d’ailleurs moi dès que je vois un élève avec un collier avec la croix de Jésus, je lui dis de l’enlever. Des fois il y a des élèves qui me disent que ce n’est pas visible. Mais moi je leur réponds que : pourtant moi je l’ai vu, ce qui fait que c’est visible.

Gommant la nuance entre ostensible et visible, l’enseignante tend finalement à appliquer aux élèves une restriction de la liberté d’expression, en la comparant à celle des agents de l’État astreint à la neutralité.

Associé à l’hyper-vigilance découlant du souci de faire appliquer la loi, ce glissement conduit parfois les professionnels à une sur-interprétation de cette dernière. Une infirmière scolaire en collège témoigne de cet excès de zèle : une mère d’élève avec qui elle avait rendez-vous ne s’est pas présentée car un enseignant a refusé de la laisser entrer dans l’établissement en raison du voile qu’elle portait sur la tête. Cette mère d’élève voilée se montre compréhensive face à l’explication « courtoise » de l’enseignant qui lui rappelle que les « signes ostentatoires sont doré­navant interdit à l’école ». Elle ressort donc de l’établissement sans avoir pu voir l’infirmière scolaire.

Ce type de mise en œuvre de la loi de 2004 révèle une interprétation spatialisée de la laïcité scolaire tendant à sanctuariser le lieu école comme lieu d’invisibilisation du religieux au détriment d’une approche statutaire identifiant les élèves (mais non leurs familles) comme seul public cible de l’interdiction du port des signes osten­sibles. Bien présente en métropole, dans les imaginaires mais aussi dans la pratique réglementaire de l’administration10 (Hennette-Vauchez, 2017), une telle approche spatiale de la laïcité semble d’une certaine façon renforcée par le fonctionnement structurel de l’école et le besoin pratique de délimiter les frontières de sa juridiction.

La chasse aux signes peut aussi être une conséquence de la crainte éprouvée par les professeurs de se trouver débordés par des élèves qui chercheraient à tirer parti de leur souplesse pour contourner la loi et afficher leur religion. Une CPE de collège situé à l’ouest de l’île (métropolitaine qui a travaillé 20 ans dans la région Grand-Est, 3 ans d’ancienneté) rapporte ainsi le cas pour le moins cocasse d’une élève venue avec une boucle d’oreille en forme de croix :

l’année dernière y a une élève qui a essayé de venir au collège avec une boucle d’oreille en croix. Elle se dit « tient ça passe » et là, elle a essayé de mettre la deuxième. Là, j’ai dit : non mais là c’est bon quoi faut arrêter quoi y a une limite. Du coup ben, j’ai dit « t’as joué, t’as essayé t’as perdu ! T’enlève les deux maintenant ».

Au-delà de cette surprenante approche quantitative de la qualification du signe religieux (on pourrait tolérer une boucle d’oreille mais pas deux), le professeur attri­bue aux élèves une tendance à abuser de la souplesse des professeurs, justifiant par là même une application stricte de l’interdiction de porter des signes religieux ostensibles.

Ce raisonnement de la pente glissante n’est nullement propre à l’espace réunionnais et a été fréquemment identifié dans les enquêtes conduites par le groupe de recherche Redisco en métropole ; les entretiens conduits pour la présente enquête mettent en revanche un aspect peut-être plus spécifique au territoire : dans les récits des professionnels interrogés, la chasse aux signes semble cibler particulièrement les signes d’appartenance au catholicisme.

Maintenant, par exemple, les chemises ouvertes avec la croix, on demande de fermer la chemise ou de ranger la croix sous le T-shirt pour les filles et pour les garçons. […] On demande à ces filles de se dévoiler, à ces jeunes filles d'enlever le point (CPE, 20 ans d’ancienneté, 2 ans dans ce collège REP + situé au nord de l’île).

Le caractère égalitaire (entre religions et sexes) de la mise en œuvre réunion­naise de la loi de 2004 est particulièrement mis en avant par une enseignante de français par opposition à son expérience métropolitaine antérieure : « J’ai travaillé à Mantes la Jolie il y a 15 ans, c’était que le voile qu’on faisait enlever […] ici, en même temps, ça concerne tout le monde, toutes les religions j’veux dire » (enseignante de français, 18 ans d’ancienneté dont 17 à La Réunion après un cursus universitaire et une année de stage dans l’académie de Versailles, 5 ans dans ce lycée situé au sud de l’île).

Sensible à la focalisation du débat public métropolitain sur la question du voile à l’école, cette ex métropolitaine de parents réunionnais voit en somme dans l’application stricte de l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires de l’île une lecture moins islamo-centrée et donc plus égalitaire de la loi de 2004 (Bozec, 2020). La chasse aux signes catholiques apparaît dans ces conditions comme une manière de rééquilibrer l’encadrement de la liberté d’expression religieuse des élèves. Faire preuve de la même vigilance à l’égard des signes de toutes les religions, fut-ce en élargissant l’interdiction aux signes discrets, ce serait finalement une autre manière de faire vivre le pluralisme réunionnais dans une recherche d’équilibre entre les cultes. L’intransigeance n’est donc pas toujours synonyme d’alignement sur le cadre métropolitain : elle peut aussi apparaître comme une forme d’appropriation locale de la laïcité scolaire.

Une transition douce vers une application stricte de la laïcité scolaire ?

Une vingtaine de situations rapportées dans les entretiens permet d’appréhender les efforts déployés par les professeurs et personnels éducatifs pour favoriser l’acceptabilité de la loi de 2004, par le biais d’accompagnements multiples et ou d’accommodements visant à la faire entrer en douceur dans les mœurs. Comme il s’agit d’une norme en rupture avec celle jusque-là en usage, il apparaît en effet nécessaire de rappeler aux élèves le cadre légal interdisant le port de signes ostensibles, comme ce fut le cas en métropole au moment de l’entrée en vigueur de la loi de 2004. Il ne s’agit pas seulement cependant de restreindre la mobilisation de la communauté scolaire au rappel de l’interdiction du port des signes ostensibles, ni de faire appliquer celle-ci de manière brutale. En congruence avec la politique ministérielle encourageant au développement d’une pédagogie de la laïcité (Charte de la laïcité ; Bidar, 2012), tout un travail d’explication est déployé auprès des élèves et de leurs familles.

Cet accompagnement se traduit parfois par des démarches originales, centrées sur le bien être des élèves comme l’organisation d’ateliers coiffure pendant la pause méridienne. Il s’agit ici pour les jeunes filles d’apprendre à gérer leurs « cheveux afro » sans le voile. Tous les membres de la communauté scolaire participent à sa mise en œuvre comme l’explique une professeure d’art plastique (13 ans d’ancien­neté, 2 dans ce collège) :

Les surveillants ont bien veillé à faire retirer les bindis et les foulards à l’entrée du collège. On a tous été en réunion avec le principal pour la conduite à tenir. […] Pour aider [les filles], cette année encore je propose […] un atelier coiffure sur la pause méridienne […] parce que justement elles peuvent plus mettre le foulard […]. C’est pas simple les cheveux crépus.

Pour parfaire l’application de la circulaire et accompagner les élèves d’origine africaine pour qui le foulard apparaissait comme une ressource pour lutter contre leurs complexes adolescents11, cette enseignante trouve des moyens tout à fait singuliers pour faire accepter la nouvelle règle. En même temps qu’une logique domestique tournée vers le bien être des élèves, une telle approche de l’accompa­gnement du changement révèle un processus de requalification du voile déplaçant un potentiel problème religieux sur le terrain moins brûlant des préoccupations esthétiques des adolescents. Cette approche des conditions d’acceptabilité de la loi de 2004 par les élèves permet aux enseignants de préserver les élèves qui ne maîtrisent pas toujours ou pas encore les codes sociaux de l’école et de la « nouvelle laïcité »12 tout en les enrôlant dans une dynamique scolaire bienveillante.

Dans certains cas, le souci de permettre l’intégration en douceur d’élèves vulnérables justifie même après 2018 une tolérance du voile qui se veut provisoire :

une professeure d’histoire-géographie de lycée d’enseignement général et technologique (contractuelle, ingénieure de formation, 5 ans d’ancienneté, 3 mois dans l’établissement) confie : « on nous dit voilà : y a une élève qui est malgache [probablement Karane]13, elle vient d’arriver sur l’île, cette élève ne parle pas bien français. Cette élève, elle pouvait pas enlever son voile, ça la mettait en transe, les élèves disaient qu’elle était possédée […]. J’ai fait un aménagement pour elle avec l’équipe. […] On a accepté un voile léger pour qu’elle s’intègre doucement. C’est pas simple pour des familles comme ça, elles sont complètement déracinées, etc. ».

L’aménagement ici concédé s’inscrit bien dans l’horizon d’une application rigoureuse de la loi de 2004 mais cette application est différée dans le temps en vertu d’un principe de réalité qui conduit l’équipe enseignante à autoriser une modalité intermédiaire du voile, qualifié de « léger » en attendant que l’élève puisse s’en passer tout à fait sans adopter un comportement ingérable pour la communauté scolaire. La requalification du problème est donc une ressource qui permet « une gestion conditionnelle » (Vivarelli, 2014) du port du voile. Cette enseignante contractuelle légitime le choix de l’équipe éducative en ressaisissant le problème religieux comme problème social. La connaissance du contexte indiaocéanique (parcours des migrants venus de Madagascar), de l’itinéraire biographique de l’élève et de son milieu socio-culturel fondent une interprétation plus nuancée des « atteintes au principe de laïcité » en refroidissant une catégorie polémique (Zuber, 2017).

La promotion de la norme laïque de droit commun passe donc en partie par un accompagnement personnalisé qui tient compte de la spécificité culturelle des lycéennes et de leur origine afin de ne pas les braquer. L’objectif est d’accompagner celles-ci dans une logique d’intégration scolaire et sociale, de respecter la loi sans avoir recours à des sanctions qui sont finalement perçues comme un échec péda­gogique. Si ces professionnels s’inscrivent dans une logique civique de rappel à la règle, leur expérience de terrain et leur connaissance de la culture réunionnaise et indiaocéanique les autorisent à hybrider leur logique avec une approche communau­tarienne. Cet accompagnement bienveillant permet aux enseignants de trouver des issues non violentes pour préserver leurs élèves et il peut apparaître comme une politique d’enrôlement destinée à rendre la nouvelle norme acceptable sur un espace-temps jugé légitime.

Aménagements ou transgressions ? La résistance de l’ancienne norme de laïcité

Si dans leur majorité les établissements scolaires et leur personnel ont pris acte de la circulaire de 2018, on constate des résistances notables de la part des personnels à titre individuel mais aussi parfois à l’échelle d’un établissement. Ces profes­sionnels défendent une laïcité accommodante de manière pérenne qui se confond en réalité avec l’ancienne norme de tolérance de tous les signes religieux. Conformé­ment à celle-ci les enseignants interviewés conçoivent la coexistence religieuse et sa reconnaissance comme l’aboutissement de la laïcité à La Réunion : une laïcité créolisée.

Si la reconnaissance des religions à La Réunion peut être légitimée en raison de leur importance culturelle et patrimoniale, ces professionnels prennent aussi acte du caractère peu sécularisé d’un territoire où la religion constitue une part structurante de l’existence des élèves et des familles.

À un niveau individuel, on observe des pratiques laïques clandestines comme celle de ce professeur d’EPS (15 ans d’ancienneté dont 10 dans un établissement qui accueille majoritairement des élèves de milieu populaire, situé à l’est de l’île). En acceptant une lycéenne musulmane en burkini à la piscine, son objectif principal est, ainsi qu’il l’indique, d’enrôler la jeune fille dans une activité sportive afin de l’aider à lutter contre son surpoids (surpoids qui touche un réunionnais sur deux). Il n’avait en revanche pas anticipé la réaction de la classe :

Pour moi, le port du burkini pour les cours de natation ne me posait aucun problème mais les autres élèves […] se moquaient d’elle et certaines filles sont même allées jusqu’à l’encercler et lui adresser des propos racistes à cause de sa religion et de sa tenue.

En dépit de la « tradition » multiculturelle et multi-ethnique de l’île, les enseignants sont, comme en témoigne ce récit, confrontés à l’expression de tensions intercommunautaires liées aux vagues d’immigrations successives (Ghasarian, 2002, p. 673). Plutôt que d’insister sur l’expression du racisme et de l’intolérance religieuse, conduites dont la prise en charge est pourtant inscrite dans son référentiel de compétences, le professeur d’EPS retient l’efficacité du recours au burkini pour faire venir cette jeune fille à la piscine et tient à rappeler son inscription dans le modèle de tolérance réunionnais : « Ici, à La Réunion plus qu’ailleurs on doit garder notre spécificité, notre tolérance […]. Moi je suis fière que cette jeune fille musul­mane aille à la piscine. ».

La solution clandestine se trouve dans cette perspective ressaisie dans une norme collective, au service de l’intérêt général. Outre l’enjeu sanitaire (lutter contre le fléau de l’obésité) auquel les professeurs d’EPS se montrent particulièrement sensibles, l’enseignant justifie en effet l’acceptation du burkini en référence au modèle de tolérance réunionnais dont il reconnaît la valeur universelle tout en l’inscrivant dans un ancrage identitaire local. Cet idéal de tolérance se heurte cepen­dant, comme en témoigne ce récit, à l’existence d’un racisme larvé inter-communau­taire (à l’encontre de la population mahoraise ou comorienne) que tend à masquer l’invocation du « vivre ensemble réunionnais » dans la représentation que les Créoles ont de leur territoire. Si cet enseignant l’admet et le déplore, il ne le thé­matise pas comme un problème à traiter, en tout cas pas autrement que par un rappel à la norme de tolérance réunionnaise.

Au niveau de l’établissement cette fois, on observe également des normes laïques singulières. Une CPE de lycée (5 ans d’ancienneté, dont 2 ans dans ce petit collège – 250 élèves – classé REP, situé dans l’est de l’île où plus de la moitié des collégiens sont boursiers et où l’enquêtée a été scolarisée durant son enfance) explique : « ici les filles malbars gardent leur point sur le front même si en théorie elles peuvent pas, c’est plus une tradition ici, il faut en tenir compte, l’histoire de l’engagiste etc. et puis, si on les harcèle avec ça, on les perd ».

Se faisant le relai d’une tolérance manifestement instituée à l’échelle de l’éta­blissement, ce professionnel justifie cet écart par rapport au nouveau cadre laïque en invoquant l’autorité d’une « tradition » confinant au devoir de mémoire ainsi que par la nécessité de poursuivre d’autres objectifs également mis en avant par l’éducation nationale, en l’occurrence la lutte contre le décrochage scolaire.

La laïcité créolisée se trouve principalement mobilisée chez des professionnels réunionnais (experts) ou résidants sur l’île depuis plus de 8 ans. Ces derniers se montrent particulièrement sensibles à la reconnaissance du patrimoine identitaire local et partagent un sentiment de fierté quant à la valorisation de la diversité et des singularités culturelles et cultuelles des familles et des élèves. Leur propre religiosité potentielle n’est que rarement évoquée dans les entretiens comme un aspect de leur vision de la laïcité. Cette conception s’explique aussi par l’environnement socio­économique de l’établissement et par les caractéristiques sociales et linguistiques de la population scolaire. En effet, la misère sociale et les problèmes de maîtrise de la langue française des populations fragiles favorisent un traitement des situations à l’aune de la norme de laïcité créolisée.

Les trois positionnements que nous avons distingués ne coïncident toutefois pas avec des approches absolument homogènes de la laïcité mais peuvent s’adosser à plusieurs types de justifications : volonté de respecter la loi, de rééquilibrer les rapports entre les différentes religions, de refuser sa mise en œuvre standardisée, etc.

Par ailleurs, si l’attachement d’une partie du corps enseignant et des personnels de vie scolaire à l’ancien modèle de laïcité créolisée se traduit par une résistance aux prescriptions de la circulaire de 2018, celle-ci n’intervient pas seulement dans le cadre interprétatif des enseignants réfractaires à la mise en place de la loi de 2004 à La Réunion, mais se trouve également mobilisée, ainsi que nous avons pu le voir, quoique de manière paradoxale, pour justifier une application stricte de l’interdiction du port de signes religieux par les élèves.

Conclusion

À La Réunion les tensions relatives à la mise en œuvre de la loi de 2004 sont largement déterminées par la prégnance d’une pratique locale de la laïcité tirant sa légitimité de son ancrage dans des usages bien établis et dans une vision de La Réunion comme terre de coexistence harmonieuse d’une diversité de cultures et de religions. À certains égards, les établissements scolaires réunionnais se sont trouvés en 2018 dans la situation qui fut celle des établissements métropolitains au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi de 2004 : il leur fallait expliquer aux élèves et aux familles le sens de l’interdiction du port des signes religieux ostensibles, mettre en place des stratégies de régulation des infractions, développer des pratiques prudentielles pour gérer les situations potentiellement conflictuelles. Les enjeux de l’évolution de la norme laïque scolaire ne sont pas absolument identiques cepen­dant : alors que la communauté scolaire métropolitaine était déjà profondément divisée sur la question du port des signes religieux (et en particulier du voile) par les élèves, la réunionnaise est demeurée étrangère à ces polémiques passionnées se reposant sur son modèle de tolérance interculturelle et interreligieuse. La circulaire du 19 février 2018 ne pouvait pas dans cette optique apparaître comme une réponse à un problème que les acteurs de la communauté scolaire réunionnaise ne se posait pas ou peu. Celle-ci n’en a pas moins mis en demeure les professionnels de se positionner par rapport à l’interdiction des signes ostensibles. Force est à cet égard de constater la prégnance de l’ancienne norme de laïcité créolisée adossée à la valorisation d’une éducation interculturelle et interreligieuse, laquelle tire sa force de son ancrage dans l’imaginaire identitaire réunionnais. Les foyers de résistance et de persistance de l’ancienne norme de laïcité créolisée à l’échelle des personnels voire des établissements peuvent aussi traduire une forme de résistance à l’homogénéisation métropolitaine. La mise en œuvre de la laïcité scolaire à La Réunion s’articule ainsi étroitement avec une sensibilité aux problématiques sociales communautaires ; elle est aussi marquée par un souci d’assurer un traite­ment égal entre tous les élèves fondé sur une prise en compte des différents cultes plus que sur leur mise à distance.

1 L’expresso, « Laïcité : Une circulaire rectorale suscite l'émotion à La Réunion », Le café pédagogique, 7 mars 2018,

http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2018/03/07032018Article636560060287128268.aspx

Le Débat du Mardi : « quelle laïcité pour La Réunion ? » Réunion la 1ère, 13 mars 2018,

https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/debat-du-mardi-quelle-laicite-reunion-568645.html

Céline Rolland, « Signes religieux au lycée : polémique au Butor », Réunion la 1ère, 23 mai 2018,

https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/signes-religieux-au-lycee-polemique-au-butor-591801.html (sites consultés en novembre 2019)

« Académie de La Réunion : une équipe dédiée à la laïcité », LINFO.RE, 13 septembre 2018,

https://www.linfo.re/la-reunion/societe/736283-academie-de-la-reunion-une-equipe-dediee-a-la-laicite

Bernard Gorce, « Laïcité à La Réunion : les religions revendiquent une « identité plurielle », La Croix, 26 octobre 2018,

https://www.la-croix.com/Religion/Laicite/Laicite-Reunion-religions-revendiquent-identite-plurielle-2018-03-19-1200922078

2 Sur les 81 professionnels de l’éducation interviewés, 79 considèrent que la non appli­cation de la loi de 2004 avant 2018 relève d’une

3 Pour une présentation de la recherche et de quelques-uns de ses résultats, on se reportera au carnet : redisco.hypotheses.org

4 Les principes de justice recouvrent 9 logiques d’action : la logique civique renvoie au respect des règles, à l’intérêt général, la logique

5 Quelques exemples de questions posées : avez-vous eu l’expérience dans votre activité professionnelle de situations en lien avec la diversité

6 Ajoutons que le recueil de données sur les pratiques professionnelles en contexte de diversité sociale et culturelle en collège et en lycée compte

7 Nous remercions les étudiants inscrits en licence 3 Sciences Sociales en 2019-2020 et nous leur adressons toute notre reconnaissance pour avoir

8 Catherine Coroller & Laurent Decloitre, « La loi sur le voile effraie l'outre-mer. À La Réunion, les élus demandent à bénéficier d'un statut dér

https://www.liberation.fr/france/2004/01/07/la-loi-sur-le-voile-effraie-l-outre-mer_464384, consulté en novembre 2019

9 « Situation particulière de l’île de La Réunion. Application de la loi du 15 mars 2004 » p. 348,

https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2020/12/rapport_annuel_de_lobservatoire_de_la_laicite_2019-2020.pdf, consulté en

10 On peut penser en particulier à l’application de l’interdiction du port des signes religieux ostensibles aux stagiaires du GRETA lesquels ne sont

11 Loin d’être un cas isolé, le complexe capillaire des adolescents d’origine africaine est évoqué dans 7 situations.

12 Quoiqu’elle s’inscrive à certains égards dans une logique de neutralisation des expres­sions du religieux dans l’espace scolaire, nous n’

13 Les Karanes ou Karana sont des indo-pakistanais de culture et de religion musulmanes, pour la plupart émigrés à Madagascar dès la fin du XIXe

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Bernard Gorce, « Laïcité à La Réunion : les religions revendiquent une « identité plurielle », La Croix, 26 octobre 2018,

https://www.la-croix.com/Religion/Laicite/Laicite-Reunion-religions-revendiquent-identite-plurielle-2018-03-19-1200922078

2 Sur les 81 professionnels de l’éducation interviewés, 79 considèrent que la non appli­cation de la loi de 2004 avant 2018 relève d’une particularité liée au territoire, à sa diversité, à la visibilité religieuse non problématique et à la rhétorique réunionnaise du « vivre ensemble ». Les 2 autres professionnels arrivés récemment de France métropo­litaine s’inscrivent dans une conception plus rigoriste de l’application de la loi.

3 Pour une présentation de la recherche et de quelques-uns de ses résultats, on se reportera au carnet : redisco.hypotheses.org

4 Les principes de justice recouvrent 9 logiques d’action : la logique civique renvoie au respect des règles, à l’intérêt général, la logique domestique se définit par des rapports personnels de bienveillance, de proximité. La logique libérale est centrée sur l’individu, sa liberté, la logique industrielle sur l’efficacité, la performance, la logique communau­tarienne sur la reconnaissance des communautés, le respect des traditions, la logique marchande sur l’utilitarisme, la concurrence, le désir de biens, la logique inspirée sur la créativité ou le messianisme, la logique d’opinion sur l’image publique, la réputation, enfin la logique connexionniste sur le réseau de l’individu.

5 Quelques exemples de questions posées : avez-vous eu l’expérience dans votre activité professionnelle de situations en lien avec la diversité sociale et culturelle des élèves, de leur famille ? Pouvez-vous donner un exemple, décrire une situation ? [Ne pas indiquer tout de suite les catégories « religions, laïcité, discriminations, racisme » afin de saisir dans un premier temps les catégories utilisées par le répondant de façon spontanée].

6 Ajoutons que le recueil de données sur les pratiques professionnelles en contexte de diversité sociale et culturelle en collège et en lycée compte 81 entretiens mais seuls 42 des professionnels interrogés ont abordé la thématique de la laïcité comme objet de préoccupation. Pour les autres professionnels, les problématiques qui émergent lorsque la question de la diversité sociale et culturelle est abordée, sont : les problèmes de violence, de drogue (zamal), de maîtrise de la langue française (cf. créole pour certains réunionnais, mahorais, comoriens, malgaches), de chômage, de problématiques sociales (« mères-enfants » qui vivent toujours chez leurs parents) et liées aux familles mono parentales. Ensuite la question du racisme est soulevée envers la population mahoraise et comorienne.

7 Nous remercions les étudiants inscrits en licence 3 Sciences Sociales en 2019-2020 et nous leur adressons toute notre reconnaissance pour avoir contribué au recueil de données de l’enquête par le bais de l’unité d’enseignement « méthodologie de la recherche en sciences sociales ». Nous pensons particulièrement à Abriola, Alexia, Cindy, Johan, Julia, Laïcika, Marie-Amanda, Mélanie, Mélina, Nalia, Némati, Pauline et Zène.

8 Catherine Coroller & Laurent Decloitre, « La loi sur le voile effraie l'outre-mer. À La Réunion, les élus demandent à bénéficier d'un statut dérogatoire », Libération, 7 janvier 2004,

https://www.liberation.fr/france/2004/01/07/la-loi-sur-le-voile-effraie-l-outre-mer_464384, consulté en novembre 2019

9 « Situation particulière de l’île de La Réunion. Application de la loi du 15 mars 2004 » p. 348,

https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2020/12/rapport_annuel_de_lobservatoire_de_la_laicite_2019-2020.pdf, consulté en avril 2021

10 On peut penser en particulier à l’application de l’interdiction du port des signes religieux ostensibles aux stagiaires du GRETA lesquels ne sont pas techniquement des élèves mais des adultes en formation continue.

11 Loin d’être un cas isolé, le complexe capillaire des adolescents d’origine africaine est évoqué dans 7 situations.

12 Quoiqu’elle s’inscrive à certains égards dans une logique de neutralisation des expres­sions du religieux dans l’espace scolaire, nous n’employons ici l’expression de « nou­velle laïcité » que dans une acception relative au territoire réunionnais et non au sens où l’entendent par exemple les juristes Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin dans leur analyse de l’affaire Baby loup (2014).

13 Les Karanes ou Karana sont des indo-pakistanais de culture et de religion musulmanes, pour la plupart émigrés à Madagascar dès la fin du XIXe siècle puis plus tardivement sur l’île de La Réunion (Blanchy, 1995).

Émilie Pontanier

Laboratoire Déplacements, Identités, Regards, Écritures, Université de La Réunion

Anne-Claire Husser

Laboratoire Éducation, Cultures, Politiques, INSPÉ Lyon 1